John Irving, Dernière Nuit à Twisted River (2009) Traduction: Josée Kamoun Le Seuil, 2011, 562 p. |
Et pourtant, soyons honnêtes, un roman qui commence dans le New Hampshire avec un jeune ouvrier qui se noie sous des troncs d'arbres au dégel, vraiment j'avais peu de chance d'accrocher. Les ambiances âpres et rugueuses, les histoires gonflées de testostérone, les coins reculés d'Amérique où les femmes sont bâties comme des hommes, et où les hommes se comportent comme des bêtes... bof...tout ça avec un style décomplexé à l'américaine (que j'ai découvert à 20 ans avec Roth) un peu trash (description d'un membre amputé après un accident) , un peu sexuel (avec certains détails pas spécialement excitants), un peu gore (dépeçage et fumage d'un ours) ...franchement pour la bourgeoise urbaine et chochotte que je suis, ce n'était pas gagné.
Mais ça a marché quand même.
En trois mots, c'est l'histoire d'un père et de son fils de 12 ans, qui après une nuit tragique à Twisted River, sont contraints de fuir pendant 50 ans...Et le lecteur les suit tous les deux, du New Hampshire à Boston, en passant par le Vermont ou Toronto. Ils changent, vieillissent, se dissimulent, réalisent certains rêves et renoncent à d'autres, tout en arpentant ce Nord-Ouest américain âpre et rigoureux, non sans quelques péripéties.
Mais ce n'est pas un roman d'aventure ...Faut pas croire, c'est bien plus profond.
C'est un roman sur les hommes : le père, l'ami, le fils, le vague cousin. Une testostérone bienveillante et fragile, avec un père boiteux et un fils chétif , pas franchement les mâles dominants. Oh que je les ai aimés ces deux là, avec leurs espoirs, leur fantasmes, leurs femmes, leurs angoisses et leurs changements d'identité. Ils étaient, l'un et l'autre, parfaits et attachants, dans ce qu'ils sauvent et dans ce qu'ils perdent.
Et si on dit frontière canadienne on pense forcément bucheron. Ca tombe bien, j'en ai un, l'ami du père: Ketchum. A priori pas le genre de personnages auxquels je m'attache. Grand partisan des armes à feu, analphabète converti sur le tard, massif comme un arbre, jurant toutes les cinq minutes, convaincu, brutal, sans délicatesse ni tendresse et dont on peu supposer une hygiène dentaire douteuse. Sauf qu'il y a chez lui une grandeur d'âme, une beauté de l'esprit, de ces sortes de loyautés qui réconcilient avec le genre humain. (On a aussi son pendant dégoutant, dit le cow-boy, le nommé Carl, un enfoiré de première qui fait peur tellement la bêtise et la bestialité l'agitent, mais dont je n'en dirai pas plus pour ne rien dévoiler)
La place laissée aux femmes est proprement ahurissante, toutes des molosses, sauf une junkie complètement désaxée et folle à lier, et la mère du fils, Rosie trop tôt disparue. Toutes les autres sont immenses, rassurantes, puissantes et maternelles. Elles traversent, telles des géantes, le récit en égrenant leur gentillesse et leur efficacité.
Et puis la grande, l'immense réussite du livre, c'est que le père est cuisinier et le fils écrivain. Les mots et les mets, bref, tout ce qui rend la vie belle. Il y a de vraies réflexions sur la littérature, sur la fiction, sur le métier d'écrivain, sur la mise en abîme, vraiment c'est du beau travail qu'il nous rend là Irving, la genèse du romancier en somme. Et du début à la fin de ce long roman, on goute les descriptions de plats, le détail des ingrédients, les sauces qui réduisent, l'assaisonnement des viandes, les condiments italiens ou le farces qui mijotent ... tout cela ne peut avoir été écrit que par un très grand amateur de cuisine. Parce qu'au fond, Dernière nuit à Twisted River est un long roman sur la perte, l'accident et la disparition, et sans doute, n'y-a-t-il que ces nourritures (spirituelles et terrestres) pour nous apprendre à vivre avec.
C'est mon unique (et méritante) participation au mois américain de l'incontournable Titine.
Fournisseur officiel de ce billet: Laure qui nous avait offert à toutes un livres quand les Bibliomaniacs étaient venues se perdre sous mes rivages méditerranéens l'année dernière, j'avais choisi Irving car les autre me faisaient peur. Merci à elle.
Beaucoup aimé celui-ci aussi. J'ai tout aimé d'Irving de toute façon, sauf le tout dernier.
RépondreSupprimerAh oui?! celui sur les personnages ?
SupprimerDu grand Irving, comme je l’aime ! Un roman loufoque qui à la fois permet de divertir et de donner matière à penser, sur le monde tel qu’il va, ou tel qu’il ne va pas...
RépondreSupprimerC'était mon deuxième Irving, mais presque un premier car je n'ai aucun souvenir du premier que j'ai lu en 1996....
SupprimerJe suis une inconditionnelle d'Irving, il raconte si bien les histoires ! Celui-ci n'est pas mon favori mais je l'ai aimé aussi.
RépondreSupprimerC'était quasiment mon premier, et je dois dire que j'ai été séduite Céline...
SupprimerC'est avec celui ci que la magie Irving n'a plus opéré chez moi (alors que j'ai lu quasiment tous les précédents (et je te les recommande!)
RépondreSupprimerOh Mince! tu es en train de me dire qu'il n'est pas parmi ses meilleurs ?
Supprimer"Les mots et les mets"... je retiens ! D'Irving, j'avais adoré "l'épopée du buveur d'eau", tellement réjouissant, le premier que j'ai lu de lui, moins les autres (me rappellent même plus des titres), pas lu celui-là mais pourquoi pas. Je lui reconnais un grand talent d'écrivain, qui nous emmène facilement là où il le souhaite.
RépondreSupprimerVisiblement, il y a quand même beaucoup de sensibilités différentes chez Irving et chacun y trouve ses préférés et ceux qu'ils n'adorent pas forcément.
SupprimerJ'aime énormément cet auteur :)
RépondreSupprimerTu confirmerais alors qu'il faut poursuivre avec "le monde selon Garp" ?
SupprimerJohn Irving est un grand conteur, ce n'est pas pour rien qu'il est fan de Dickens (oui je ne peux pas m'empêcher de placer ce petit détail qui me fait plaisir!) ! J'avais beaucoup aimé également la lecture de ce roman. Il nous emmène loin, bien loin de notre quotidien avec ce roman.
RépondreSupprimerOui et c'est précisément ce que j'attendais de ce roman chef Titine.
SupprimerJ'ai lu plusieurs romans de John Irving, il y a bien longtemps...des pavés colossaux. Je n'y reviendrais pas mais c'est assurément un grand auteur, à l'ancienne avec toujours des situations assez burlesques. Super si tu l'as aimé...maintenant tu sais que tu ailes les bucherons !! Sont trop forts ces écrivains ! :D
RépondreSupprimerc'est parce que ce sont des pavés que tu ne souhaites pas y revenir ?
SupprimerJe n'ai jamais lu Irving, mais ce dernier figure depuis longtemps en bonne place dans ma liste d'envies ! Quel est ton préféré ?
RépondreSupprimerBah c'est quasiment mon seul à mon actif ...
SupprimerJe me sens moins seule du coup, un seul billet pour moi aussi publié in extremis aussi... en tout cas en ce qui te concerne c'est un très bel avis, j'ai beaucoup aimé ce roman, son côté rugueux justement et les deux personnages. Irving est un grand auteur donc en effet participation plus que méritante!
RépondreSupprimerRho mais merci Tiph, merci beaucoup, je ne sais pas que tu étais fan d'Irving, décidément j'ai du retard à rattraper....
SupprimerJamais lu de bouquin d'Irving. Ce pourrait être une belle entrée en matière, non ?
RépondreSupprimerVisiblement, c'est "Le Monde selon Garp" qui fait l'unanimité quand même....
SupprimerLaure a bien eu raison. Je suis une inconditionnelle d'Irving qui sait rendre ses histoires émouvantes et ses personnages tellement attachants. Ses romans sont confortables, on s'y sent si bien.
RépondreSupprimerça fait longtemps que je ne suis pas venue dans ta contrée et ça me manque.
Effectivement il a un imaginaire vraiment passionnant et réjouissant ;-)
SupprimerPas encore lu celui-ci, mais ça viendra ! C'est Irving quand même... Mon préféré de lui à tout jamais : l’œuvre de Dieu, la part du Diable !
RépondreSupprimerBonne soirée à vous et merci pour cette intéressante critique.
Nath
Je note ce titre Nathalie, merci beaucoup.
SupprimerJe l'ai lu, j'ai aimé, mais je m'aperçois que je ne l'ai pas chroniqué. Mais, comment passer après toi qui écrit si bien !!
RépondreSupprimerLà, je sais que la modératrice va laisser passer mon billet
Evidemment, tu sais bien que je ne garde que les commentaires qui flattent mon égo...;(tu exagères quand même...) j'aurais bien aimé avoir ton avis.
SupprimerJ'aime beaucoup cet auteur que j'ai lu en boucle quand j'étais "jeune adulte" et que je reprends maintenant que je suis juste "adulte" ! Je note ce titre que je ne connais pas.
RépondreSupprimerMa soeur et ma mère l'adorent, et je me rends compte que j'ai mis du temps avant de m'y attaquer.
SupprimerA l'avis géneral je crois qu'il va falloir que je teste cet auteur
RépondreSupprimerMerci à toi
Bises
Tu viendras m'en reparler alors ;-)
Supprimerça fait une éternité que je n'ai pas lu John Irving... je renouerai peut-être avec, ce que tu en dis me tente, tout de même.
RépondreSupprimerJ'ai le sentiment qu'avec Irving, tout est une question de phases non ? On en avale plein, et puis on fait une pause, et puis on y revient ;-)
SupprimerJ'ai tellement aimé les premiers romans d'Irving ... et puis je l'ai un peu perdu de vue. Je note celui-ci si j'avais me prenait l'envie de renouer.
RépondreSupprimerVisiblement, il ne fait quand même pas partie de ses meilleurs, mais moi je me suis régalée
SupprimerAbandonné en cours de lecture !
RépondreSupprimerOh non c'est vrai ? Pourquoi donc Hélène ?
SupprimerCela fait si longtemps que je n'ai plus lu John Irving. Je ne suis pas sûre (du tout ;0) d'apprécier les détails gores mais bon, pourquoi pas... mais il attendra bien une sortie poche. Bonne journée
RépondreSupprimerLes détails gores ne sont pas gratuits, vraiment Lor, ils apportent une âpreté à l'ambiance générale qui aident à être vraiment dans cette histoire. Ceci dit autant il est sorti en poche maintenant ...
SupprimerTon billet me donne vraiment envie de le lire celui-ci !!!
RépondreSupprimerMerci et bonne fin de semaine !
Avec plaisir Enitram , belle semaine à toi ;-)
SupprimerDepuis que j'ai lu Le monde selon Garp cet été, je veux absolument lire d'autres romans d'Irving. Alors pourquoi pas celui-ci ? J'aime beaucoup qu'un écrivain-homme donne autant de place aux femmes dans ses romans.
RépondreSupprimerOui surtout qu'il s'agit de femmes fortes et puissantes , c'est vraiment étonnant cette manière d'écrire la couple, j'ai beaucoup aimé cet angle du roman...
SupprimerAh mais tu me rappelles que je n'ai toujours pas lu celui-ci. Il m'attend quelque part...
RépondreSupprimerSi c'est chez toi qu'il t'attend, ça vaudrait le coup de l'en faire sortir ;-)
SupprimerUne lecture que j'avais bien appréciée, mais pas autant que les premiers romans de l'auteur.
RépondreSupprimerTu n'es pas la seule à le dire Alex, ce qui me laisse plein de belles choses à découvrir...
SupprimerAlors bon, de prime abord, j'étais pas forcément emballée mais il faut dire que tu sais être tentante !
RépondreSupprimerDisons que d'un point de vue personnel, il a du mérite ce roman....(il aurait pu, vu les circonstances, être relégué rapidement)
SupprimerJ'aime beaucoup Irving. Je n'ai pas tout lu mais j'aimerais bien avoir une vue d'ensemble de l'intégralité de son oeuvre.
RépondreSupprimerCelui-ci, je ne l'ai pas lu par exemple...
Je n'en sais pas assez sur lui pour savoir s'il est représentatif de l'ensemble de son oeuvre....
SupprimerMais il est pour moi ce roman, tout ce qui n'aurait pas dû te plaire, c'est tout ce que j'adore. En plus je n'ai jamais lu Irving (et en plus il est sorti en poche).
RépondreSupprimerOUi, je pense que tu l'adorerais pour le coup, c'est vraiment un roman américain comme tu les aimes...
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