Herbjørg Wassmo, Le Livre de Dina (1989) 10/18, 2014, 606 p. |
En novembre, avec les événements que l'on sait, il me fallait un grand bol d'air, quelque chose qui m'emmène ailleurs tout en me gardant bien accrochée, parce que bon, je n'étais attentive à rien. Il me fallait LE livre qui m'attende le soir, il fallait qu'entre nous il y ait une relation durable et solide, quelque chose de pas trop introspectif (ça m'ennuie), ni trop politique (ça me hérisse). Pas une histoire d'amour ni de guerre non plus, car je n'ai pas de coeur et plus de nerf. Je ne pouvais pas me lancer dans quelque chose de trop ardu littérairement (parce que de ce côté là soyons honnête je ne vais pas vers le mieux, je sème mes neurones à mesure que mes cheveux épaississent), ni de trop indigent (car je reste snob). On en était là quand j'ai trouvé la solution.
Heureusement, j'avais Le Livre de Dina de Herbjørg Wassmo offert par ma co-parturiente Léo l'année dernière pour Noël. Malgré sa couverture un peu inquiétante (genre romance du XIXe siècle) et un titre, de mon point de vue, ambivalent, ce roman attendait patiemment son tour sur l'étagère des livres à lire (un meuble IKEA, anciennement meuble de couture, devenu bancal et poussiéreux, destiné à bientôt accueillir du matériel de puériculture, si je parviens à retrouver le bon carton quelque part entre le dessus des l'armoire des filles, la cave de ma mère et le garage de mon père).
Effectivement, Le Livre de Dina était mon antidote personnel, sachant que (Léo ne faisant pas les choses à moitié) j'avais les 3 volumes d'un coup. J'ai donc lu d'une traite et sans césure les tomes de la saga (je suis du coup incapable de dire quand finit l'un et commence l'autre). Soyons clair, Herbjørg Wassmo m'a offert, au coeur de cet automne triste et tragique, une Dina très romanesque (sans romantisme effréné), dans une Scandinavie du XIXe siècle (totalement imparable pour le dépaysement). Dina, c'est une héroïne un peu à la sauce des celles des Fletcher: seule, inmaîtrisable, moyennement sociable, en fusion avec la nature et entretenant un rapport étrange à la mort .
Bref, je m'éparpille. Le Livre de Dina, c'est l'histoire d'une héroïne que l'on découvre enfant tragique et traumatisée et que l'on va suivre jusqu'à l'âge adulte dans le premier tome, "Les Limons vides". On chemine alors à côté d'une Dina, qui, telle ces femmes puissantes, est bâtie comme un homme (pour moi qui ai toujours été une demi-portion, il y a quelque chose d'assez fantasmatique là dedans), qui n'a peur de rien ni de personne, qui bouscule toutes les conventions sociales (et moi qui pensais que j'exagérais parfois, franchement j'ai carrément de la marge), tout en se hissant dans la hiérarchie de la notabilité de sa région. Dans le second livre, "Les Vivants aussi", elle s'affirme de manière assez exceptionnelle et il faut attendre, la toute fin du troisième livre "Mon bien-aimé est à moi", pour comprendre complètement la terrifiante scène d'ouverture lue 600 pages auparavant. Rien à dire.
Le Livre de Dina c'est aussi un décor splendide : la mer évidemment (qui serpente entre les fjords), les grandes demeures norvégiennes, des forêts à perte de vue, des rivières où tout peut arrêter, le froid, des nuits et des jours qui n'alternent pas comme ailleurs. Des animaux en veux-tu en voilà. Bon moi les animaux ce n'est clairement pas mon truc (et la nouvelle lubie de l'Homme et de Rayures de nous faire adopter un iguane me désole plus qu'autre chose). Mais là, l'animal, le cheval de Dina, fait partie d'un tout, et ça fonctionne car ce cheval est presque un personnage à part entière.
Dans les livres concentrés sur un héroïne, en général ce qui pêche ce sont les hommes. Pas là. Herjbjørg Wassmo nous offre des hommes, des vrais, pas des figurants. Il y a le père (procureur norvégien qui mérite le détour par son impossibilité totale de contrôler sa fille), il y a le professeur de violoncelle (un être malingre et généreux qui m'a émue profondément), Jacob le mari (dépassé par sa jeune épouse fougueuse), le fils (aussi sombre et rentré que sa mère), le beau-fils (ambigu, complexe et complexé), Thomas, le Russe, je n'en dis pas plus pour ne pas déflorer l'intrigue...mais vraiment, il y a de magnifiques personnages, travaillés, complexes, ambivalents. Pas de bons ni de méchants.
Sans compter un rapport merveilleux à la maternité et à l'enfantement, toutes les autres femmes du roman sont des mères nourricières, sacrificielles, magiciennes. Wassmo touche finalement à quelque chose qui confine à la magie et à une rudesse vraiment étonnante.
Et puis, il y a la mort et la foi qui rodent tout le roman, les versets de la Bible en exergue des chapitres, les fantômes, des scènes sensuelles (et un peu plus que ça même) sont très réussies, assez crues sans jamais être vulgaires. Avec en fond musical les cordes des violoncelles, des phrases russes et des mots norvégiens, le poids des embruns, l'odeur du printemps et le bruit de la neige.
Le Livre de Dina c'est une fresque formidable et réussie, antidote formidable aux périodes troublées, de ces merveilleuses embarcations littéraires qui finalement nous emmènent ailleurs, dans une autre mesure du temps et des gens. Très clairement, c'était le livre à lire cet automne.
Fournisseur de ce billet: Miss Léø, mon binôme hormonal depuis le mois de mai (que je remercie et à qui je souhaite de belles dernières semaines)