mardi 31 octobre 2017
My october
samedi 28 octobre 2017
Souvenirs dormants - Modiano
Patrick Modiano, Souvenirs Dormants (2017) Gallimard, 2017, 105 p. |
Retrouver Modiano après trois ans d'absence
Ce n'est pas si simple le premier roman après un Nobel, une belle médiatisation, quelques polémiques (et mon éphémère heure de gloire bloguesque à l'annonce de son prix). On ne va pas se mentir, il y a la peur d'être déçue, la crainte qu'il ait changé, ou même d'avoir trop changé soi-même au point de ne plus être sensible à sa manière si singulière d'écrire. C'était un risque ces retrouvailles.
Je me suis donc jetée dessus le jour de sa sortie, avec crainte et fébrilité (déjà dépitée du trop peu de pages de son nouvel opus). J'ai de la chance, il y a des choses qui ne changent pas dans la vie : ce qu'écrit mon romancier préféré et ma manière de le lire. Tout va bien donc.
C'est toujours l'histoire d'un homme qui se souvient
C'est encore le long rassemblement des souvenirs qui s'éparpillent toujours plus à mesure que le temps passe. Car même si Modiano aura pour moi toujours une trentaine d'années, on ne va pas se mentir, c'est maintenant presque un vieux monsieur. C'est vrai, c'est encore une histoire de déambulation, d'adresses d'un autre temps, c'est, selon les expressions journalistiques maintenant convenues, son éternelle "géographie intime", ses "brouillards phosphorescents", la "petite musique de Modiano"...mais au fond c'est tellement plus que tout cela.
Souvenirs dormants raconte la longue solitude d'un jeune homme entre 17 et 22 ans, et de ses rencontres imprécises. Des femmes essentiellement. On y retrouve les personnages féminins de ses autres romans, on croise des état-civils qui en rappellent d'autres, des situations qu'on a déjà lues. Il y a la femme mystérieuse et légèrement fatale, forcément mariée mais sans époux. Il y a la très jeune femme sous emprise, la vingtaine à peine engagée, fragile, en équilibre entre deux mondes et qui ne s'appartient pas vraiment. Il y a le couple en fuite qui se cache d'hôtels en hôtels. Et surtout, il y a celle qu'il ne veut pas nommer et pour cause :
"je me méfie encore , après cinquante ans, des détails trop précis qui pourraient permettre de l'identifier" (p.75)
Souvenirs dormants répond une fois de plus au reste de son œuvre
Cette femme qu'il ne veut pas nommer, c'est peut-être Carmen de Quartier perdu. Ici, les souvenirs dormants paraissent aussi potentiellement inquiétants que des agents. Car c'est d'abord et surtout un roman sur le danger, la peur, la disparition, la fuite et le mystère. Modiano ce n'est pas que du flou, c'est aussi l'évocation des gens malveillants, au passé trouble, des hommes dangereux, menaçants, ceux dont il disait dans son précédent livre qu'ils sont aussi coupants de face que de profil (de mémoire hein, peut-être ce n'est peut-être pas la formulation exacte).
Deux jours après l'avoir terminé, après avoir relu Quartier perdu, une partie Du plus loin de l'oubli et de Fleurs de ruines, ainsi que certains chapitres de sa biographie, je me dis que l’œuvre de Modiano c'est un monde parallèle (disparu, imaginaire, littéraire ? peu importe). Je ne sais pas du tout si Souvenirs Dormants pourrait plaire à quelqu'un qui ne connaît pas son œuvre, parce que je le lis à la lueur des autres. Mais pour le lecteur assidu et un peu obsessionnel de Modiano (dont je suis), ce dernier roman, presque trop court, trop essentiel, est une nouvelle piste de compréhension, qui une fois de plus éclaire tout le reste. La matrice de l'écriture de Modiano c'est vraiment le danger, la fuite, l'évaporation, le souvenir.
Car ce que nous confirme Souvenirs dormants (et on respire l'effroi du narrateur (ou de l'auteur) à l'évoquer une nouvelle fois) c'est que si l'Occupation est au cœur de sa production, il y a aussi une certaine nuit de l'été 1965, avec un cadavre froid au 2 avenue Rodin, Paris XVIe. Modiano nous renvoie lui-même vers Quartier perdu avec la production du rapport d'enquête, les constatations de la police, avec la fuite et la disparition. Clin d’œil littéraire ou dissimulation du réel, à la limite peu importe.
"Ainsi, on ne saura pas s'ils appartiennent à la réalité ou au domaine des rêves" (p.96)
Un narrateur face à ses propres démons
Dans Souvenirs dormants, c'est comme s'il trainait derrière lui depuis trop longtemps quelque chose qui mêle le drame et la beauté, le banditisme et la fragilité. Des crapules qui menacent des femmes en suspension. Il y a un demi-siècle, le narrateur pense n'avoir été qu'un simple figurant dont personne ne se souvient, au milieu d'une population marginale et désargentée. On l'observe faire le bilan de ses nombreuses fugues et de ses lâchetés.
Je me demande combien sommes-nous de lecteurs un peu fous (et moyennement en place quand même il faut bien l'avouer) qui continuons à reconstituer l'ensemble de son enquête sur ce qui n'est plus et qui n'a peut être même jamais été. Combien sommes-nous à recouper les états-civils improbables, les adresses et numéros caduques ?
Et puis à chaque fois, il repart pour une nouvelle destination qui n'existe plus, ici ce n'est pas vers la rue des boutiques obscures à Rome qu'il poursuit son chemin , mais vers le portail vert de la dernière maison d'un village nommé Remauville.
(que j'ai déjà localisé sur ma carte...tout en dissimulant à l'Homme mes agissements, je suis irrécupérable...).
dimanche 1 mars 2015
Un pédigrée-Modiano
Le propre des gens géniaux c'est d'être l'exception à nos principes |
Pouvais-je vraiment ne pas participer au Blogoclub de Sylire consacré à Modiano ce trimestre-ci? Non. Mais c'était sans compter une panne de réseau, une valise mal faite, une balade tardive...bref. C'est en bonne dernière et un peu honteuse que je rejoins la troupe.
C'est le cas d'Un Pédigrée dont, a priori, je déteste le postulat de départ (raconter sa vie et son enfance malheureuse...alors que je déteste l'autofiction et les gens qui se répandent sur leurs malheurs passés). Mais ici, ça me touche plus que je ne saurais le dire.
Un Pédigrée de Modiano 2005, folio 2006, 127 p. |
Un Pedigree c'est l'histoire d'un petit garçon qui n'en a pas justement
C'est l'histoire d'un enfant de personne et de nulle part au fond, un enfant presque seul au monde, né de parents égoïstes et peu aimants, qui le sont devenus presque par hasard. C'est le récit douloureux d'années sombres et pluvieuses, de pensionnats à la discipline de fer. C'est le récit d'un petit dont on se débarrasse, qui n'est protégé de personne entre une mère-actrice qui ne percera jamais et un père englué dans diverses affaires.
Chez Modiano, on évite le roman noir
Ce n'est pas seulement triste, c'est aussi un peu glauque. Car dans ce livre, il est question de grand banditisme, de brigands, de braquage, d'assassinats. Mais Modiano est un auteur qui, sous le filtre de ses mots, donne ses lettres de noblesse aux situations pathétiques, violentes ou indignes.
Et surtout, on sent qu'il aurait pu en dire bien plus, on sent qu'il aurait pu régler ses comptes comme d'autres auteurs se plaisent à le faire, en vomissant sur la place publique la haine des leurs... mais lui n'en est pas là, et si on comprend l'idée générale, on n'a pas besoin de voir le fond de ses poubelles, car littérairement, il a bien compris, que c'était inutile.
"Parfois, comme un chien sans pedigree et qui a été un peu trop livré à lui-même, j'éprouve la tentation puérile d'écrire noir sur blanc et en détail ce qu'elle [ma mère] m'a fait subir, à cause de sa dureté et de son inconséquence. Je me tais. Et je lui pardonne" (p. 90)
De cette enfance, sont nés tous les personnages
Dans Un Pédigrée, Modiano parle d'une période vécue en transparence, à une place qui n'était pas la sienne. C'est ici que naissent tous les protagonistes à venir. On y retrouve le couple Niels de Dimanches d'août, une Daragane qui rappelle son dernier opus. On y croise les belles jeunes femmes qui s'occupent d'enfants abandonnés. On frôle l'affaire Ben Barka de l'Herbe des nuits. On devine les futures meurtrières, les éternelles adolescentes disparues dans la nuit de l'Occupation. On entrevoit les hommes troubles, les voleuses, les maître-chanteurs, les affairistes véreux. On plaint les si braves garçons abandonnés dans des pensionnats, les contours d'Annecy. Et toujours les identités troubles, les rues de Paris; les disparus d'un temps dont on doute qu'il ait existé.
Je ne sais pas si Un Pédigrée peut plaire à des lecteurs qui n'aiment pas spécialement Modiano, mais chez moi, c'est un livre qui fait surgir une immense émotion. Je ne sais pas si Modiano aurait été cet écrivain magnifique sans l'infinie tristesse de son enfance.
Oserai-je dire qu'à titre personnel j'aurais perdu beaucoup s'il avait été plus heureux, mieux né et davantage entouré?
lundi 24 novembre 2014
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Gallimard, 2014, 146 p. (merci Numérobis, tu as vraiment géré l'urgence!) |
Une semaine plus tard, il était nobelisé.
- Je vous garantis d'abord du papier sous toutes ses formes : un carnet d'adresses , celui-là même qui amorce l'intrigue, des brochures publicitaires de villages , des livres épuisés, un petit mot glissé dans un endroit improbable, des coupures de journaux, des procès-verbaux d'une autre époque, un photomaton des années 50.... Modiano c'est l'auteur du papier jauni qui traverse le temps.
Peut-être.
dimanche 22 septembre 2013
Lettre à Modiano-Challenge chez Liliba
L'une de mes résolutions de rentrée était de ne plus rien abandonner avant achèvement du projet (Sophie j'ai fini tes Gengi , c'est dire).
Bref, j'avais hésité en Terminale à prendre option audiovisuelle, j'ai très bien fait de m'abstenir et de prendre danse à la place (qui m'a permis de l'avoir ce fameux bac)
J'avais imaginé un instant topissime, mais bon c'est techniquement moyen , le message est un peu dégoulinant (Modianette un jour, Modianette toujours) , je bafouille parfois, j'ai un voile sur la voix (le tabac c'est tabou etc...), les enchaînements font de la peine. Je ne m'essayerai plus jamais à la vidéo ni à YouTube, mais j'ai tenu ma parole.
Pour une fois, je fais court, je vous laisse, le Masque va commencer.
J'en appelle à votre indulgence.
Je vous laisse aller voir les autres vidéos : celle de Liliba est militante, vous verrez aussi deux adorables petites filles présenter un album jeunesse, et de drôles de lapins cultivés...
mardi 30 juillet 2013
A mi-chemin
Je suis quand même un peu partie, pas loin, dans ma montagne, dans un village qui n'est plus italien depuis un siècle mais qui n'est pas complètement français non plus, un territoire à la lisière, comme je les aime. J'ai marché, marché, marché; les enfants suivaient tant bien que mal.
Mais c'était dans des forêts un peu humides, vraiment silencieuses...et je vous le dis, c'était vraiment bien. Même s'il a fallu que je conduise toute seule sur des routes escarpées, qui tournent, qui sont étroites et creusées dans la roche. Pour quelqu'un qui a eu du mal à avoir son permis (et qui avait la responsabilité d'enfants jeunes et innocents), croyez-moi c'est de l'ordre de l'exploit personnel...
Sinon, j'ai recommencé pour la énième fois à m'atteler aux tuniques de notre styliste favorite, cette fois j'approche du but, j'ai gâché tellement de tissus, que j'ai fini par en acheter au poids dans un magasin dont l'hygiène laissait à désirer. Je m'accroche, le jour où je termine je vous tiens au courant (parce que je sais que pour vous aussi c'est important).
Parlons quand même littérature, j'ai lu Vestiaire de l'enfance de ...Modiano évidemment. Et là, gros problème, je ne peux plus chroniquer mon auteur favori, je crois que je suis beaucoup trop fusionnelle avec lui, je n'arrive pas à être synthétique, à raconter l'histoire, je crois qu'il faut que je prenne du recul avec Patrick, sinon ce blog va disparaître. Donc, parce que je reste quelqu'un de sérieux, je vous renvoie à l'excellent billet de Sandrine qui avait su si bien en parler.
J'ai enfin reçu mon premier colis du Prix Elle 2014. Que serait Galéa si elle ne se plaignait pas?
J'avais parié sur un autre roman pour la sélection de septembre, j'ai donc de la peine (ne vous inquiétez pas, j'aurais l'occasion de vous reparler de tout ça). Je vais m'atteler dès que possible à ma nouvelle mission, je promets d'être honnête et juste (j'ai été prof je le rappelle, je garde donc un soucis permanent d'équité dans mes notations). Je mise beaucoup sur le Bernheim (à cause de Valérie), je vous tiendrai également au courant.
Enfin, comme si la blogo n'était pas assez morne comme ça pendant les vacances, deux blogs ont fermé à mon retour, et je ne peux pas dire que ça ne me fait rien.
mercredi 1 mai 2013
Villa triste-Modiano
"Que faisais-je à 18 ans au bord de ce lac , dans cette station thermale réputée? Rien." (p.21)
Villa triste a cette particularité qu'on me l'a volé il y a 4 ou 5 ans (j'avais eu la faiblesse de trop le prêter). On suppose qu'il a fini dans un vide-grenier à 1€ l'ouvrage. C'était l'édition folio illustrée par Pierre Le-Tan (qui reste pour beaucoup d'entre nous associé à l’œuvre de Modiano). Je l'ai donc racheté dans sa nouvelle version chez folio, avec une première de couverture tout à fait réussie et une quatrième assez moyenne.
Patrick Modiano, Villas Triste |
Quand on relit un livre qu'on a aimé, on découvre plus de choses sur soi que sur le roman en lui même.Villa triste est le plus dépressif des livres de Modiano, mais je l'aime quand même. La Villa en question se trouve au bord d'un lac qui sépare la Suisse et la France, au coeur de la Savoie, dans une ville de province qui fait office de villégiature l'été avec des hôtel de luxe et des Sporting d'avant guerre. J'aime ces décors désuets et ces ambiances d'un autre temps.
Les personnages sont (comme toujours) des jeunes gens désœuvrés en quête d'identité.
Un trentenaire mystérieux (et franchement paumé), revient dans une ville qu'il ne nomme pas. Il cherche à se souvenir de ses vingt ans, quand il se faisait appeler Victor Chmara, dans ce juillet d'après guerre. Il y croise dans une brasserie nocturne, le Dr Meinthe, propriétaire de la Villa triste. Peut-être fut-il son ami 10 ans auparavant, quand il faisait à la fois office de chaperon, de tuteur et de Pygmalion d'Yvonne. Yvonne est la beauté splendide, alanguie et paresseuse qui voulait devenir vedette de cinéma. C'est incroyable comme ce personnage ressurgit sous différents prénoms dans les romans de Modiano.
Modiano reste l'auteur qui observe le temps s'écouler
D'un côté, il décrit l'interminable mois de juillet savoyard, quand les amoureux se font rien qu'attendre le succès d'Yvonne. Mais Modiano s'attache aussi au temps perdu: quand Victor ne retrouve plus grand chose des lieux disparus. Et puis, entre les lignes émergent des temps oubliés. L'Occupation est bien présente dans Villa triste, la guerre d'Algérie aussi, avec tous les comportements troubles et inquiétants, les partis-pris non choisis, les traques, l'argent de provenance douteuse et les mensonges. Tous ces éléments flottent plus qu'ils ne sont posés dans le livre; c'est ça qui est génial. Mais le roman ne s'étend que sur quelques semaines finalement.
Villa triste demeure une parenthèse dans la vie du narrateur
C'est un roman dramatique qui raconte le pas de côté dans la vie du narrateur. Presque un récit d'apprentissage. Il y a les désillusions d'un amour passionné et ces moments où la vie aurait pu prendre une autre direction. Il y a la peur aussi, Modiano parle remarquablement bien de ce que les gens angoissés connaissent: la panique.
"Une fleur qui ouvrait lentement ses pétales un peu plus haut que le nombril" (p.22)
Il évoque aussi les instants de bonheur parfait, dans un obscur garage où Victor se sent heureux. C'est un livre triste, sur l'espoir et la crainte quand on est un peu largué à 20 ans. C'est un roman sans amertume, parce que Victor a ce qu'il appelle ses "sentinelles", des personnages masculins qui pourraient ressembler à des figures paternelles : "ces êtres mystérieux - toujours les mêmes - qui se tiennent en sentinelle à chaque carrefour de votre vie" (p.63)
Même jeune, Modiano était déjà vieux et nostalgique
Évidemment, c'est un compliment. Il faut avoir sacrément réfléchi à la vie et à sa perte pour écrire un tel roman à 29 ans. Il faut déjà avoir perdu cette légèreté et cette arrogance de la jeunesse pour poser des mots aussi justes. Celui qui se fait appeler Victor n'a que trente ans et se plonge déjà dans son passé et sa jeunesse perdue. Le commun des mortels ne s'aperçoit que trop tard que le temps a disparu.
De toute manière, tout ce que je pourrais en dire ne rendra pas justice à l’atmosphère de ce beau roman.
J'espère que quelqu'un a acheté Villa triste au vide-grenier, se disant que pour 1€ ça se tentait, et si ça a permis à cette personne de découvrir et d'aimer Modiano, ce n'est pas très grave qu'on me l'ait volé ;-)
Patrick Modiano, Villa triste, 1975, folio, 2012, 209 p.
mardi 26 février 2013
Remise de peine-Modiano
Remise de peine raconte l'histoire de deux jeunes frères bringuebalés
Deux petits garçons sont confiés par leurs parents à un groupe d'adultes troubles. On les voit évoluer dans une banlieue parisienne incertaine, quelque part dans les années 1950, au sein d'une grande maison où se croisent des personnages ambigus. Modiano reconstitue avec son regard d'adulte et ses sensations d'enfance ces évènements qui ne durèrent pas plus d'une année.
Modiano, Remise de peine |
Un roman intime, au plus proche de l'enfance
À mots couverts, on devine le passé et le futur de ces petits et grands brigands qui furent le temps de quelques mois leur seule et unique famille. Entre une mère comédienne en tournée à l'étranger et un père fuyant on-ne-sait-quoi à l'autre bout du monde, Remise de peine a des accents désespérés.
Le narrateur ne fait qu'un avec son petit frère qui ne sera jamais nommé dans le livre. Tout ce qu'ils font, ils le font à deux. Ce qu'ils voient, ce qu'ils comprennent, ce qu'ils craignent. C'est un beau roman, parce qu'il restitue les fantasmes et les interrogations de l'enfance avant l'adolescence. Il y aurait presque du Pagnol dans Remise de peine. Mais pas seulement parce que le sujet est grave.
Des adultes à mi-chemin entre le bandit et l'ange-gardien
Les hommes et femmes qui vivent dans la maison ne sont vraiment pas des enfants de chœur. On croise des anciens de la rue Lauriston, des femmes aux activités diverses, des cambrioleurs de haute volée ...Et pourtant, l'ambiance n'est pas glauque, Modiano décrit des gens aimants, attentifs et presque protecteurs.
L'issue est dramatique, au sens propre, amenée avec une grande délicatesse, avec des mots d'adultes et des yeux d'enfants. Je ne la déflorerai pas. Modiano parle d'une ceinture parisienne qui n'existe plus, de lieux engloutis par le périphérique, de rues dont la morphologie a maintenant changé.
Je salue particulièrement les éditions Points qui proposent en poche les romans de Modiano qui ne furent pas édités par Gallimard et qui sont préfacés par des auteurs contemporains. La préface d'Olivier Adam est extrêmement émouvante
Points, 2013, 118 p.
samedi 2 février 2013
Rue des boutiques obscures-Modiano
Sans Modiano, ce blog ne serait pas vraiment le mien
Je cherchais depuis quelques temps déjà l'occasion de relire Rue des boutiques obscures; c'est Laure qui me l'a donnée en lançant le challenge "A tous prix". Effectivement Rue des boutiques obscures reçut en 1978 un prix Goncourt très mérité (alors que Modiano était plus jeune que je ne le suis aujourd'hui).
Modiano, Rue des boutiques obscures | |
Rue des boutiques obscures raconte l'histoire d'un homme qui a tout oublié de lui-même
"Je ne suis rien." écrit-il en incipit. Précisément, l'homme n'est plus rien parce qu'il n'a aucun souvenir de son passé ni de sa propre mémoire. Le lecteur suit alors avec lui son enquête ou plutôt sa quête de lui-même au travers de personnages dont il espère, à chaque fois, qu'ils se souviendront de lui, qu'ils se substitueront à sa mémoire défaillante. Le narrateur s'accroche à une photo dans laquelle il croît se reconnaître.
Guy (c'est ainsi que s'appelle l'amnésique qu'il est devenu) part à la recherche de ceux qui savent ce qu'il fut. Il chemine entre un détective privé qui l'embaucha après son amnésie, quelques apatrides russes exilés (qui prennent pour moi une autre dimension après avoir lu Guenassia), un jardinier d'aristocrates désargentés, un jockey qui eut son heure de gloire, une femme qui lui prêta un appartement (refuge dans une sombre période) et quelques anonymes qui surgissent, juste le temps de livrer au lecteur un souvenir précis.
Le narrateur se cherche aussi à travers des lieux : de Paris à Nice en passant par Megève
Modiano aime les adresses, les numéros de téléphone désuets, il observe des fenêtres en essayant de se souvenir de lui même. Une sensation l'assaille quand il marche dans une rue, il croit reconnaître une odeur, un sentiment, un tissu. Finalement, il part à la recherche de l'évènement qui lui a fait perdre la mémoire.
Mais surtout, dans sa quête de lui-même, Guy Roland montre la fragilité de la vie, la faillibilité de la mémoire: ce qu'il reste de chacun de nous n'existe que dans le souvenir des autres... et dans quelques papiers administratifs.
L'esprit Modiano : le rythme du contrejour
Tout le monde n'adhère pas au style Modiano, extrêmement dépouillé avec une cadence à contretemps, mais je fais partie des gens chez qui résonnent ces mots. Évidemment, son œuvre, parce qu'il faut bien appeler ainsi l'ensemble de ses romans, a des clefs qu'il faut chercher et comprendre. C'est pour cela que mon adorable petite sœur m'a offert à Noël Dans la peau de Patrick Modiano, et que je suis attentivement un blog qui lui est consacré.
Mais toutes ces exégèses ne sont pas forcément nécessaires, on peut (je dirais même on doit) aimer un roman pour lui même. J'ai lu pendant plus de dix ans Modiano sans reconnaître aucune allusion et pourtant j'étais enchantée, et je le suis toujours, par son écriture sobre, sa perpétuelle quête d'identité, sa nostalgie d'une époque qu'il n'a pas vécue, l'ambivalence de ces personnages perdus.
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