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Julie Wolkenstein, Adèle et moi
P.O.L., 2013, 595 p. |
Adèle et moi: 5 raisons de l'engloutir
Adèle et moi de Julie Wolkenstein ne sera pas le roman lauréat du Grand Prix Elle 2014...parce qu'il n'a pas passé la sélection de septembre. Donc théoriquement je ne devrais même pas en parler ici. Mais avec la mauvaise foi qui ne me quitte jamais, et ma tendresse pour les loupés, je vais en parler quand même. Inutile de vous avouer qu'il fait partie de nos contrariétés!!
1 : D'abord, on ne se prive pas d'une saga familiale
Pourquoi ne pas s'introduire chez les très grands privilégiés du XIXe siècle jusqu'à la veille de la Seconde Guerre Mondiale? Ce serait dommage de ne pas suivre Adèle de ses 9 ans jusqu'à sa mort. Adèle, c'est une petite fille riche, élevée avec tendresse et exigence, une épouse amoureuse, une mère comblée. Mais Adèle, c'est aussi une femme joyeusement asociale, qui aime le silence, la musique, une anti-mondaine, une insomniaque, qui se livrent à des réflexions métaphysiques absolument géniales.
2: Ensuite, on ne refuse pas une maison qui fait rêver
Rien que pour elle, ce roman vaut le coup parce qu'il réveille les fantasmes architecturaux de chacun . Je vous propose d'abord une demeure bourgeoise en banlieue chic, oui, mais située le long d'une voix ferrée. Je vous parle d'une orangeraie, d'un jardin splendide mais aussi du bruit, du train...grandeur et décadence. Wolkenstein nous emmène dans un hôtel particulier parisien (construit sur un terrain assemblée de manière bourgeoisement incorrecte), dans une rue qui sent le XVIè à plein nez.
Mais surtout, elle vous livre, non pas une, mais deux maisons normandes de bord de mer dans une villégiature de second ordre, Saint Pair (c'est elle qui le dit p.255): du salon sur le front de mer, mais aussi du volet décrépi et moisi, une humidité qui ne disparaît jamais, des vitres battues par les embruns, des réparations toujours repoussées. L'espace, c'est le point de départ ET la résolution de l'histoire; c'est là où Adèle et Julie Wolkenstein se confondent finalement.
3: Pour une fois, il est question des hommes qu'on aime
Ce n'est pas si fréquent dans ce type de littérature. Certes les personnages féminins sont pléthores, mais complètement décalés. Vous savez que je ne suis pas très preneuse des histoires de femmes mais alors là, Wolkenstein m'a conquise. Hormis Adèle, on trouve Pauline une demi-demeurée, Tante Odette la délicieuse et formidable vieille fille (et dont je soupçonne Julie Wolkenstein de se servir pour faire passer certains points de vue...et celui sur les mariages dans la bonne société est absolument jouissif p.91). C'est un roman sur les femmes et leurs hommes: les maris qu'on désire -j'ai adoré-, les fils qu'on protège en vain, et les pères, ceux qui nous manquent, qui nous mentent, qui nous mettent à l'ombre de leurs forces et qui disparaissent. Des pères, il y en a beaucoup dans ce roman : celui d'Adèle, celui de ses enfants, celui de la narratrice, celui de Jacques. La figure du père est la très grande réussite du livre (de mon point de vue)....
4: Il faut aussi le lire parce que, finalement dans Adèle et moi , on croit qu'il est surtout question d'Adèle, mais en fait non, c'est Moi ou, plutôt de Julie Wolkenstein, qui est le personnage principal. Elle est
délicieusement antipathique cette auteur. D'abord, elle boit et fume (puis fait un jogging pour se donner bonne conscience), donc d'emblée je me suis sentie concernée. Sans parler des week-end "no kids", de son rejet des goûters d'anniversaire (avec une réflexion sur le vide et le plein de ce type de réjouissances); tout cela fera frémir toutes les bonnes mères de famille (dont j'ai renoncé à faire partie)...Mais surtout, il y a quelque chose de Mendelsohn chez Wolkenstein quand elle recherche les liens invisibles qui la lient à son arrière-grand-mère. Après, c'est vrai que Julie Wolkenstein en fait un peu trop quand elle se revendique en intellectuelle de gauche affranchie du milieu tradi, catho, droite dure dont elle semble être issue... peut être force-t-elle trop le trait... Mais Wolkenstein est tellement incorrecte -littérairement parlant- que je suis séduite. C'est l'anti Amélie Nothomb, peu attirée par la rencontre de ses lecteurs "
une sorte de secte dont je ne suis pas" (p.72), peu encline aux rencontres dont nous raffolons. Elle tacle gentiment mais fermement les ateliers d'écriture, (en se servant de Tante Odette qui trouve que les gens devraient se contenter de lire), je sais, ce n'est pas très sympa pour les blogueurs que nous sommes...mais j'aime ça, parce que ça va à rebours de la mode, parce qu'à mon avis les écrivains sont pléthores à le penser...
5: Enfin dernière raison et pas des moindres: ce livre est très peu visible virtuellement et réellement (hormis dans l'ouest de la France visiblement). Certes, il apparaît chez certains médias de temps à autre, mais les blogs l'ont ignoré et certaines librairies ne l'ont pas en rayon. Alors soyons clairs, je ne remets pas en cause les partenariats entre éditeurs et blogueurs: publicité gratuite pour l'un, roman gratuit pour l'autre, (gagnant-gagnant comme dirait l'autre) mais quand même. A force de parler des livres offerts, certains beaux romans passent à la trappe, juste parce qu'il faudrait le trouver et les acheter.
Et quand je vois le nombre de fois, ou j'ai gaspillé une vingtaine d'euros pour acheter des livres chroniqués, ou devrais-je dire, loués -survendus- sur de nombreux blogs, je m'interroge. Si les blogueurs en question avaient acheté leur livre en librairie, auraient-ils été aussi enthousiastes?
Donc, à ceux qui s'interrogent sur cet engouement qui me ressemble peu, je peux jurer que ce roman je ne l'ai pas reçu par un service de presse, je ne connais pas l'auteur, ni en vrai ni sur Facebook, je n'ai pas d'entrée chez P.O.L. Ce livre je l'ai acheté 22€, et encore j'ai du le commander parce qu'il était introuvable dans trois librairies différentes (et j'habite la 5ème ville de France). Et s'il n'avait pas été recalé à la sélection de septembre- au désespoir de Valérie- je n'en aurais jamais entendu parler.
Après soyons honnête jusqu'au bout. Ce livre est long, il est littéraire, et s' il n'a pas passé la sélection de septembre chez Elle, il y a sûrement des raisons. Certains ne l'ont pas aimé du tout. Et puis, il faut reconnaître que c'est un livre peu propice à l'exercice du blog : un gros pavé, une écriture exigeante, des références historiques et littéraires. Exactement l'inverse du livre lu en une journée et chroniqué le lendemain matin sur son blog.
Mais, vraiment, pour Valérie, Meellyet moi, c'est un coup de coeur, qui méritait, à défaut d'être sélectionné par les jurées, d'être un peu plus visible sur les étals des libraires et sur la blogosphère. J'aurais pu mettre 10 points sur mon billet, mais je crains déjà qu'il ne soit trop long, et je sais que dans ce cas, les articles sont lus en diagonale..
Alors à bon entendeur...
C'était Galéa, en direct de la contre-sélection du prix Elle 2014, sobrement intitulée "le recalé de septembre"