Alice Ferney, Cherchez la femme, Actes Sud, 2013, 528p. |
Alors, déjà, « Le gâchis de nos vies » ou bien
« né pour souffrir » auraient été des titres bien plus appropriés pour ce roman.
Passons.
Dans Cherchez la femme, on nous parle d’un homme : Serge qui rate lamentablement sa vie …et plus
précisément ses amours (l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour des siens…tout
quoi).
Franchement, elle écrit vraiment
bien Alice Ferney.
Mais beaucoup trop.
Avec un traité psychologique par
page, la narration est, disons, globalement ralentie. Chaque ligne, déconstruit
la précédente, avec une explication de ce qui se passe dans le cerveau des
personnages. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteur ne parie pas sur
l’intelligence de son lecteur. Il faut ainsi 60 pages pour que les parents du
personnage principal se marient (histoire qu’on comprenne bien d’où est issu
Serge). Tout est commenté et expliqué, absolument tout, chaque phrase, chaque
action.
Parce que chez Ferney, personne
n’a aucune chance d’échapper à quoique ce soit, et surtout pas à ses parents ni
à ce qu’ils ont fait de nous. D’ailleurs, pour quiconque aurait quelques doutes
sur la manière d’élever son enfant, Cherchez
la femme me paraît incontournable, vous y apprendrez que quoi qu’on fasse,
nos enfants ne s’en remettront pas.
Dans Cherchez la femme (derrière Serge donc), on trouve deux modèles
féminins. Nina est la mère de Serge. Fille de mineur pauvre, elle est donc
forcément courte sur pattes, dénuée de grâce. C’est une épouse mégère et mère hystérique.
(spoiler) Elle finira alcoolique comme son père et son grand-père, le visage
couvert de dartres, grosse et édentée.
La deuxième femme de Serge, c’est
son épouse Marianne : grande bourgeoise, donc longue, fine, élégante,
talentueuse, épouse aimante et sacrificielle, mère fusionnelle et amoureuse
transie (à qui on se retient de mettre des gifles tellement elle
s’auto-flagelle en permanence- faute à sa mère évidemment, on l’aura compris).
Quiconque penserait qu’une femme peut échapper à son milieu d’origine, doit lire Cherchez la femme et
reprendre une activité normale (la télé pour les prolétaires et le piano pour
les classes aisées). Les bourgeois meurent d’un arrêt cardiaque
(proprement donc), les pauvres d’une maladie qui dure et qui dégrade.
Ce livre n’est pas seulement
hautement déprimant, il est aussi peu vraisemblable. Tous les personnages trouvent Serge très intelligent, à commencer
par ses parents qui sont certains d’avoir engendré un enfant extraordinaire :
« au lieu de comprendre la détresse
de leur enfant, les géniteurs extasiés l’avaient transformé en génie » (p.87).
Avouons que c’est bien vu le coup de la mère désœuvrée et du père complexé qui
fabriquent un surdoué pour donner du sens à leur vie. Elle m’a eue, à ce
moment-là.
Le problème c’est qu’absolument
rien dans ce roman n’atteste qu’il le soit. Hormis son entrée à Normale Sup.
(qui reste assez peu crédible), rien de ce que nous raconte Ferney ne montre
l’intelligence, ni même la finesse, et encore moins la complexité du
personnage. On a d’ailleurs du mal à comprendre comment une femme peut se
mourir d’amour pour lui, avec tous les défauts dont l'a chargé Ferney.
Donc pour conclure, j’ai le
sentiment qu’Alice Ferney règle des comptes dans ce roman. Avec l’ENS (elle a
un sérieux problème avec Normale Sup. cette romancière), les riches, les prolo,
les femmes aimantes, les femmes qui n’aiment plus, les brillants, les menteurs,
les ratés, les alcooliques, les trop gentils, les pathétiques, les doués, les
très doués, les imposteurs, les lumineux….personne n’échappe à cette narration
sans issue.
Parce que Ferney ne livre pas un
moyen d’échapper à nos ratages, mais nous explique pourquoi et comment ils
démoliront nos vies. Et à ceux qui pensent que la peinture du mariage que
brosse Alice Ferney est terrible, ce n’est rien à côté de celle qu’elle fait du
divorce et de l’adultère. Pas de salut quand on quitte son foyer (à se demander
quand même s’il n’y aurait pas un petit fond réactionnaire dans tout ça…). En
plein hiver, et pour peu que notre couple ait un petit coup de mou, c’est LE
livre à lire pour se remonter le moral !
Seuls sont épargnés les enfants
du couple Serge-Marianne, sur lesquels je ne miserais pas vu l’horreur qu’ont
vécu leurs parents. Le petit bonus de ce roman, c’est
qu’il se termine dans le futur (enfin je suppose), vers 2030....
Un roman qui assassine le moral,
qui annihile tous nos efforts pour accepter nos parents tels qu’ils sont,
qui rend inutiles les manuels d’éducation, qui ne laisse aucune chance aux
femmes finalement, puisque même celle qui est belle, intelligente, créatrice et
chanceuse meurt seule dans son lit, délaissée par l’homme qu’elle aime…et oui,
c’est ça la vie !
N’essayons pas d’être heureux, le
bonheur est impossible.
Merci Alice (le pire c’est que je
ne peux même pas dire que j’ai détesté ce roman…ce qui le rend d’autant plus
toxique). Après, on a aussi le droit de voir la vie autrement...
C'était Galéa, en direct du prix Elle, qui en a profité pour participer aux critiques odieuses chez Mina...(ça fait du bien d'être méchant...je vous laisse aller lire les autres)
On est dans la surenchère du déterminisme et de la désillusion si je comprends bien? C'est tellement plus facile que d'essayer de nuancer son propos. Vraiment pas besoin de ça, de toutes façons il ne me disait rien ce bouquin.
RépondreSupprimeret pourtant Anne, je l'ai lu jusqu'au bout sans m'ennuyer, ce qui me fait penser que finalement, il y a quelque chose qui m'a parlé là-dedans, et ça c'est flippant!
SupprimerEh bien pour toi qui voulais te remonter le moral, c'est pas gagné !!!! mais qu'est-ce que j'aime tes billets !!!!
RépondreSupprimerRho Merci Liliba...ceci-dit je sais que tu aimes Ferney et je pense que les fans de l'auteur l'aimeront quand même....
SupprimerUne fois de plus, je ris à ta critique. J'aime tellement ton style.
RépondreSupprimerEt si tu proposais à Ferney d'écrire un manuel d'éducation ? Comme personne ne les lit, ce serait moins toxique !!!
Seule consolation : il a été édité par Acte Sud, le papier était agréable, non ?
oui...alors vu que pour elle, tout est plié par avance, je ne sais pas (c'est vrai que tout le monde les achète, mais personne ne les lit en entier les manuels...)
SupprimerTu l'as dit : le pire c'est de ne pas le détester
RépondreSupprimersuper article je suis d'accord avec toi.
Je n'avais pas réalisé pour les années 2030 à la fin... hum !
oui Adrien est né en 2000, Serge a 40 ans...a la fin il en a 70...je ne sais pas si elle a tenté un roman d'anticipation en fait....
SupprimerJ'aime bien le commentaire d'Alphonsine : L'art de trouver du positif ! Bon, c'était pas un livre pour toi quoi. Mais merci d'essuyer les plâtres. Pensées pour toi en ce moment. je me couche avec Dora.
RépondreSupprimerC'est mon premier Modiano Dora...je ne sais pas ce j'en penserais maintenant...j'ai hâte de savoir ce que tu en penses Sophie.
SupprimerOn peut dire que tu donnes envie toi !!! C'est une auteure que j'ai envie de découvrir, mais pour l'instant, ses thèmes ne me parlent pas ..
RépondreSupprimerTu sais Aifelle, que je compte lire très prochainement "Grâce et dénuement" d'elle, tu vois comme je suis non rancunière, il paraît qu'il est magnifique....A ta place, je commencerais avec celui-là....
SupprimerC'est un titre que j'avais repéré, mais à la fois déprimant et peu vraisemblable, je crois que je vais m'en passer !
RépondreSupprimerPourtant Kathel, je ne peux pas dire que je ne l'ai pas aimé, c'est vraiment l'idée générale qui me heurte un peu...
SupprimerAh mais je viens de comprendre que j'avais voté pour toi sans le savoir! Ce billet assassin sur Cherchez la femme a tout pour me plaire, même si toi tu l'as aimé plus que moi. Son déterminisme, sa description des mères, bref presque tout m'a agacée dans ce roman.
RépondreSupprimerTu avais voté pour moi? Ca c'est super sympa leader ( et sans le savoir c'est encore plus flatteur)...je sais que tu l'as détesté ce roman...
SupprimerJ'ai rarement autant détesté un roman. Pour moi, c'est un anti-roman : il décortique tout, au point de ne pas laisser le lecteur imaginer, deviner...
RépondreSupprimerje suis d'accord...Fleur, c'est ce que je disais quand je disais qu'elle ne pariait pas sur l'intelligence du lecteur ;-)
SupprimerGenre naturalisme à la Zola mais version XXIème siècle?
RépondreSupprimerRater sa vie est une chose, mais la rater lamentablement, quel manque de panache !
oui, je dirais qu'il y a un peu de ça ZAP à la différence près qu'elle adopte un point de vue très défaitiste sur le genre humain (tu me diras Zola n'était pas d'un optimisme béat non plus)....Après tout dépend ce que l'on appelle rater lamentablement sa vie n'est ce pas?
SupprimerOui mais ......non ! La servitude volontaire c'est pas mon truc ....ADH
RépondreSupprimerNe signe plus tu sais, je sais que c'est toi hein
SupprimerSi Alice Ferney passe par ici, elle ne va pas être déçue du voyage ;)
RépondreSupprimerJ'ai lu d'elle sur le même thème "conversation amoureuse". J'avais plutôt bien aimé (bien qu'un peu trop bavard à mon goût).
Alors trop bavard pour Cherchez la femme est limite un euphémisme Sylire...ceci-dit j'ai hâte de lire d'elle Grâce et dénuement, tu vois je l'aime quand même un peu...
SupprimerJ'avais reconnu ta plume dans les critiques assassines! J'aime beaucoup ton billet et même si je suis d'accord avec toi sur de nombreux point je dois dire que j'ai aimé ce roman :-)
RépondreSupprimerMais moi aussi Enna...enfin disons que je ne l'ai pas détesté
Supprimerce livre ne me tentait pas de toute façon. Bisous
RépondreSupprimerdonc sans regret Phili, bisettes à toi
SupprimerAh mais oui, elle est l'auteur de Grâce et dénuement! (la fille qui atterrit, quoi), très très bien (même si actuellement la situation est bien toujours la même, je l'ignore?)
RépondreSupprimerJe dois justement le lire Keisha....
SupprimerBon. Je crois que je vais passer mon chemin... Une éternité que je n'ai pas lu cette auteure, je ne vais en plus m'infliger une lecture déprimante et qui se traîne...
RépondreSupprimerTout dépend Noukette de comment tu te situe vis à vis de tes parents et enfants hein? (humour)
SupprimerC'est clair qu'il faut du temps et de la patience, mais on ne s'ennuie pas quand même ? Il est super ton billet en tout cas :-)
RépondreSupprimerJe ne me suis pas ennuyée, mais vraiment j'aime les choses moins bavardes qui parient un minimum sur l'esprit de déduction du lecteur...Laure c'est Laure de Micmélo? (ton profil coince)
SupprimerSans aucune provocation dans mes propos, tu m'as donné envie de lire ce roman dont j'ai déjà feuilleté les pages dans une librairie...à voir !
RépondreSupprimerje crois qu'il peut vraiment plaire Mind the Gap...et moi il ne m'a pas totalement déplu...;-)
SupprimerL'horreur ! Lire un pavé et en ressortir laminé, tant par le fond que par la forme, très peu pour moi !
RépondreSupprimeralors oui Jérôme je ne suis pas certaine qu'il soit pour toi, effectivement!!
SupprimerJe n'ai pas aimé le seul livre que j'ai lu d'elle.... Ton billet, par contre, est enchanteur
RépondreSupprimerJ'aimerais bien savoir lequel est-ce Zazy parce que son oeuvre a l'air assez inégale non ?
Supprimerje passe alors!
RépondreSupprimerTout dépend de ta sensibilité violette ;-)
SupprimerOhlala, pas envie d'être déprimé en ce moment....
RépondreSupprimerTu m'étonnes Alex
Supprimer"à se demander quand même s’il n’y aurait pas un petit fond réactionnaire dans tout ça" : lis sa page Wikipedia, il y a un peu de ça en effet.
RépondreSupprimerHeureusement que ton billet est très drôle. Mais flûte, ils l'ont à la bibliothèque ici.
tu es la deuxième à me signaler ça Jackie...mais je ne lis jamais les fiches wiki des auteurs puisque je préfère de très loin les romanciers aux individus...mais oui cela ne m'étonnerait pas.
SupprimerJ'avais bien aimé "grâce et dénuement" un peu moins "conversation amoureuse" celui-là me tente à moitié et ton billet ne me porte pas à l'écrire dans mon carnet...
RépondreSupprimerLa photo des filles est adorable !
Douce soirée Galéa !!!
Merci Enitram...tu sais que quand tu me complimentes sur une photo, cela me va droit au coeur hein...
SupprimerJ'adore Alice Ferney et j'ai beaucoup aimé "Cherchez la femme". Elle écrit magnifiquement bien et j'aime assez son regard sur les Hommes. Ceci étant dit, ton analyse est très pertinente et complètement fondée, cette vision très manichéenne ne m'a pas gênée mais oui il y a de ça dans Cherchez la femme !
RépondreSupprimerTu sais que ça me va droit au coeur ton comm Malika...avoir lu le même livre en ayant un avis différent et en reconnaissant le point de vue de l'autre....
SupprimerJ'avais beaucoup aimé la conversation amoureuse, j'avais trouvé l'élégance des veuves très beau, mais en effet, depuis, les autres ou paradis conjugal, et celui-ci en particulier (pourtant, j'insiste !), j'ai beaucoup de mal à le lire et le finir...
RépondreSupprimerJe n'avais pas réussi non plus à finir les Autres ...mais je persisterai quand même parce que crois qu'elle est suffisamment inégale pour que je tente d'autres titres.
SupprimerMerci de ton passage Hélène...