lundi 9 novembre 2015

Leïlah Mahi 1932

Didier Blonde, Leïlah Mahi 1932
Gallimard, 2015, 123 p.
Parmi les moments de grâce que je connais depuis l'ouverture de ce blog, il y a eu ce livre, arrivé sans prévenir  un soir d'octobre, expédié par mon parrain personnel (musique de Nino Rota) qui voulait me consoler de ne pas avoir été retenue pour une opération dont il est le parrain officiel et méritant (musique de Nino Rota).

Et là, mieux que n'importe quelle box, et sans avoir besoin de remplir de questionnaire, il a choisi LE livre de cette rentrée littéraire à côté duquel je ne pouvais décemment pas passer: j'ai nommé Leïlah Mahi 1932 de Didier Blonde, qui réussit en peu de pages, à rassembler à peu près toutes mes névroses, obsessions et blocages divers. Didier Blonde c'était l'auteur qui manquait dans ma bibliothèque. Ce billet sans aucune objectivité ne vise à convaincre personne qui ne soit pas déjà bien attaqué sur la question de la mémoire, de l'oubli et des enquêtes inutiles ou obsessionnelles. 

Point de roman ni de fiction, un récit plutôt, une enquête nous précise Gallimard, celle d'un auteur ou journaliste (on ne sait trop) qui développe une obsession à partir d'une pierre funéraire du Père-Lachaise sur le fronton duquel une photo fascinante convainc Didier Blonde de partir à la recherche de la personne qu'elle fut. On n'est pas très loin de la démarche de Dora Bruder.

Didier Blonde se dépeint dans cet essai comme un auteur de l'ombre, à la culture désuète et aux passions d'un autre temps (ma sympathie lui a été immédiatement acquise): "On pensait toujours à moi pour ressusciter le temps d'une projection devant un public clairsemé quelques actrices disparues dans l'indifférence" (p. 24). Comment ne pas m'émouvoir de cette anti-branchitude? Il est entouré dans son enquête par des amis, éditeurs ou spécialistes tout aussi décalés que lui, qui prodiguent des conseils qui gagneraient à être répétés (JdcJdr): "Pour faire entendre sa voix, il n'est pas nécessaire d'employer le "je", on peut dire souvent beaucoup plus à la troisième personne" (p.15).

Cet immeuble fut la dernière adresse connue de Leïlah Mahi.
En 1932, c'était une construction moderne, parmi ce qui se faisait
de mieux entre les deux-guerres (et encore aujourd'hui, ça a quand même pas mal d'allure.
C'est avec émotion que Numérobis
et moi avons été à sa recherche.
Et finalement, dans la digne file de Dora Bruder, on ne saura pas grand chose au final de Leïlah Mahi, mais un peu quand même, disons que l'intérêt de l'essai, c'est l'enquête plus que son dénouement. Je comprendrais d'ailleurs que cela ne suscite pas tous les engouements. Parce qu'il parle surtout de la recherche des traces du passé, des moyens réduits que nous avons pour faire ressurgir des individus enfouis dans l'oubli. Je pense à mes collègues de labeur (Eliza et Mathilde par exemple), que chaque phrase de Didier Blonde saura toucher : "Méthode policière. Je suis un détective de la mémoire" (p.52). J'ai rarement lu de passages aussi justes et poignants sur la vacuité de la recherche, sur la découverte désolante d'un immeuble enfoui sous une construction moderne (dont Proust et Modiano parlent si bien aussi). Il décrit remarquablement bien comment l'enquêteur, qu'il soit écrivain, historien ou journaliste, se raccroche péniblement aux états civils et autres reliques administratives pour tenter de récupérer ce qu'on peut d'un passé qui de toutes manières nous échappera, parce que c'est sa vocation. Et comme dans la plupart des oeuvres de Modiano, ce sont les bottins et adresses caduques qui ont le dernier mot.

Son enquête est aussi un prétexte à parler de la littérature, de l'objet-livre  et de ce qu'il renferme : "Chaque livre est un lettre adressée poste restante. Il referme un nom codé, une phrase secrète, un message crypté, destiné à être déchiffré par une seule personne" (p. 64). Je suis totalement enthousiasmée par l'idée que chaque livre contienne une bouteille à la mer destinée à une personne qui ne le lira peut-être même pas.

Je lance d'ailleurs un message personnel à Lux l'insulaire: pour Noël, je veux bien avoir L'Inconnue de la Seine de cet auteur au pied du sapin...(de ce qu'il en dit, j'y ai senti une accointance avec les noyées de la Seine chez Aurélien).

Je remercie du fond du coeur le parrain (musique de Nino Rota) pour la justesse de son cadeau et sa fidélité aussi discrète qu'indéfectible (c'est pas comme ça que je vais arrêter de me comporter en sale gamine trop gâtée mais bon). Et j'ai le grand plaisir de partager avec lui cette lecture commune enthousiasmante.

Ce billet est une participation au challenge A Tous Prix  d'Aspho la délicieuse, car en plus, les jurés des prix divers ayant une goût extrêmement sûr cette année, Leïlah Mahi 1932 a obtenu le prix Renaudot de l'essai, et c'est amplement mérité. 

54 commentaires:

  1. J'arrive de chez Jérôme et ce bouquin me tente décidément beaucoup :-)

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Galea
    Pourquoi ne pas se laisser tenter ,ton enthousiasme est un peu communicatif ..Sourires
    Bonne journée à toi

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Claudine, car en plus, il se lit très vite, c'est un livre court.

      Supprimer
  3. J'en connais un qui a eu le nez fin, et je ne suis pas surprise...! Tout comme je ne suis pas surprise qu'il ait pensé à toi pour ce livre ! Une jolie lecture commune que voilà !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui j'ai eu beaucoup de chance qu'il me l'offre mais surtout qu'il ait pensé à moi en le lisant. Je me sens très privilégiée je dois dire, c'est un peu ça les moments de grâce de la blogo.

      Supprimer
  4. oh je sens que ça va me plaire!! mais ma curiosité est aiguisée : qui était cette fameuse Leilah Mahi??

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui tu aimeras c'est certain, je crois d'ailleurs que depuis tu l'as lu et apprécié (la honte...2 mois pour répondre aux comm)

      Supprimer
  5. je n'en avais pas du tout entendu parler avant son Renaudot, mais là c'est clairement pour moi ce livre !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui c'est clair Mathilde, sa démarche est pour nous très émouvante..

      Supprimer
  6. Tu as raison de préciser que ce ne sera pas le livre de tout le monde, mais pour les amoureux d'ambiance modianesque, c'est une évidence. Et puis j'aime les réflexions de l'auteur sur son statut et son rapport au lecteur, sans doute parce q'elles sont à des années lumière de l'autofiction.

    Pour le reste, j'ai fait une bonne pioche et j'en suis plus que ravi. Je m'étais promis de te faire découvrir au moins un titre de cette rentrée. Et il n'était évidemment pas question que ce titre soit choisi au hasard ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu m'as gatée sur sur ce coup-là Jérôme. Merci beaucoup. Je suis une chanceuse de te compter parmi mes amis.

      Supprimer
  7. Tu me tentes davantage que Jérôme même si je ne vais pas en faire une priorité mais ces thèmes de la recherche, de la mémoire et de l'oubli me passionnent quand même suffisamment pour que je m'y intéresse et ce que tu dis de l'auteur me fascine encore plus : ils ne sont pas beaucoup, les modestes comme lui, qui se définissent de "l'ombre"... Rien que pour ça ! ;) Merci pour ta participation au challenge, j'ai pris ton lien, ça t'évitera de te déplacer hein, dans ton état avec tes jambes lourdes et tout et tout, je te ménage !!! :D Warf !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je te remercie Aspho de penser à mes problèmes circulatoires (elle est pas facile ma vie), et je pense vraiment que ce récit pourrait te plaire, il y a quelque chose d'à la fois modeste, élégant et joliment désuet.

      Supprimer
  8. Hum, lu récemment le Modiano et .... je crois que je ne suis pas prête à me replonger dans ce genre d'enquête... mais je le garde dans un coin de mon esprit !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bon effectivement, si tu n'as pas été emballée pas Modiano, Didier Blonde n'est peut-être pas pour toi non plus.

      Supprimer
  9. Très modianesque, semble-t-il... ^_^
    Gloups, je découvre que ma bibli possède L'inconnue de la Seine!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Rho la chance, je le veux absolument celui-là, je vais attendre ton billet maintenant.

      Supprimer
  10. Ah bah dis donc ! Il te connait drôlement bien et c'est un super cadeau !
    La lecture de ton billet renforce mon envie de le lire (et d'aller au Père Lachaise voir cette photo ;) ).
    (et je trouve ça génial que ta fille t'accompagne dans ces quêtes)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bon, elle n'a pas trop trop le choix non plus hein ? je suis un peu autoritaire parfois.
      Oui j'ai et de la chance.

      Supprimer
  11. Tu viens de me tenter. J'ai très envie de le lire. C'est pas très malin d'ailleurs : ça ne fait qu'ajouter un livre à la LAL, PAL.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est court, passionnant et se lit vite Ribambelle ;-) si jamais ça peut aider.

      Supprimer
  12. Je lis peu d'essais mais ton billet parvient à convoquer des univers littéraires qui me parlent... Du coup, voilà que j'ai envie de le découvrir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vraiment il se lit comme un roman, et pas du tout comme un essai, je dis ça, je dis rien.

      Supprimer
  13. Merci pour ce très beau billet sans aucune objectivité (il ne manquerait plus que ça !).
    Voilà qui éveille diablement la curiosité et l'intérêt.
    Je file de ce pas sur le blog de Jérôme (musique de Nino Rota ;-)

    RépondreSupprimer
  14. Réussi ! Je n'ai qu'une envie maintenant ! lire ce récit ! Et pourtant, les essais ne sont pas ma tasse de thé !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vraiment je t'assure, ce n'est pas l'atmosphère d'un essai Krol.

      Supprimer
  15. C'est beau de voir comment ce cadeau a touché juste. Je ne pense pas qu'il m'aurait fait le même effet, quoique ce livre m'intrigue, mais je peux facilement m'identifier à ton plaisir de lectrice quand cette dernière a entre les mains pile poil ce qu'il lui faut.^^
    Livre intrigant donc, que je note dans un coin de ma tête, mais comme je disais chez Jérôme, jusqu'à la fin de l'année, c'est restriction absolue côté PAL et LAL sinon je risque l'internement (à force d'être tentée et de ne pas réussir à tout caser).^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je te comprends a Girl, moi aussi je ne note maintenant que ce que je suis sûre d'aimer, avoir un PAL qui grandit m'angoisse, et je m'intéresse aux livres des autres sans les noter pour moi mais en en prenant note.

      Supprimer
  16. Je n'ai pas compris en quoi il s'agit d'un essai mais bon ce n'est pas grave. Je vais rester à Modiano dans ce style là, j'ai la miss Dora qui s'impatiente sur mes étagères mais ce ne sera pour tout de suite !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Parce que c'est vraiment un récit pour le coup, c'est assez comparable à la quête d'un historien au final, pas de roman, pas d'autofiction, rien de tout ça. Il dit "je" et parle de sa propre expérience et de la recherche du fantôme de Leilah qui pour le coup a vraiment existé.

      Supprimer
  17. Je ne suis pas très "mondianesque" mais ce que tu dis de ce livre est très tentant évidemment, ma pal tourne à la tour de Pise, mais...
    Bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vraiment court, ce n'est pas un pavé non plus ;-)

      Supprimer
  18. Avec le marque-page adapté, s'il vous plait !

    RépondreSupprimer
  19. Je ne lis pas d'essai en général mais tu me donnes envie, ton billet est très intéressant, je retiens!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vraiment, il n'a pas les contraintes de lecture propres à l'essai...

      Supprimer
  20. Je n'aurais pas particulièrement prêté attention à ce titre, mais là, je crois qu'il pourrait me convenir. Vous l'avez bien vendu tous les deux ;-) (Attention ce soir, sur Arte l'émission sur les écrivains français, il y a ton cher Modiano).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. OUi, je pense qu'il te plairait Aifelle ;-)
      (Mince tu sais que j'ai loupé cette émission...)

      Supprimer
  21. Génial ! Ton billet fait réellement plaisir à lire, il n'y a rien de tel que ces rencontres si particulières, intimes ? , fructueuses ? entre un livre et un lecteur (surtout lorsque le livre est un cadeau !).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui c'est le genre de petites attentions qui rendent heureux ;-)

      Supprimer
  22. Rien de tel que les amis pour tomber toujours juste au bon moment !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. OUi, et je ne serais pas certaine de savoir tomber aussi juste lors de la réciproque.

      Supprimer
  23. J'ai un peu de mal à me faire une idée de ce livre car ce que tu en dis ne ressemble par à l'idée que je me fais d'un essai. Bon, je ne vais pas me précipiter dessus je crois...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non effectivement, ce n'est pas un essai au sens classique du terme, mais c'est un très beau récit, à condition d'être sensible à cette mélancolie des recherches du passé, aussi vaines que désuètes.

      Supprimer
  24. Ce livre m'intrigue de plus en plus. Pourtant je ne suis a priori pas très "essai" mais le parti pris de l'auteur semble intéressant. ET risqué parce que, comme tu le dis, c'est l'enquête qui prime sur le dénouement. Mais je ne voudrais pas rester sur ma faim...
    Et puis, cela peut être une bonne approche pour Modiano, alors vraiment pourquoi pas?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si, soyons honnête, il n'y a pas de dénouement digne d'un polar ou d'une enquête dans un roman, c'est une certitude. C'est pourquoi j'ai préféré prévenir.

      Supprimer
  25. Je ne suis pas sûre d'être tentée mais c'est agréable à lire et je suis ravie que pour toi ça a été une si joli rencontre, il te connait bien ce Jérôme ;0)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Lor rouge, ça en est même assez troublant que des gens qui nous connaissent de si loin nous cernent si bien.

      Supprimer
  26. C'est un parrain précieux, aux conseils toujours fins et adaptés (je te laisse remettre la musique, rires)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Entièrement d'accord, al blogo compte peu d'hommes mais on est gâtées quand même. (j'ai remis la musique)

      Supprimer
  27. Moi, je peux l'aider à découvrir la vérité sur qui était vraiment Leïlah Mahi, il faut juste qu'il me donne "signe de vie" ici, ce Monsieur Didier Blonde, et... Je me ferais un plaisir de le mettre sur la piste de notre Leïlah Mahi...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A mon avis, ce n'est pas ici que Didier Blonde viendra donner signe de vie, c'est un blog assez modeste, mais moi je suis très intéressée si vous souhaitez nous le faire partager ;-)

      Supprimer

Les commentaires sont modérés car je n'accepte que les remarques qui encensent mes billets ou qui crient au génie.
Merci de votre passage
(je plaisante!! La modération est activée pour échapper aux vérifications diverses et variées dont tout le monde sature ;-)

La fée carabine - Daniel Pennac

Je continue la saga Malaussène de Pennac avec le deuxième opus : La Fée Carabine Et mon enchantement ne faiblit pas. J'aime toujours au...