Ruth Ozeki, En même temps, toute la terre et tout le ciel Belfond, 2013, 605 p. |
Alors, oui, il a deux ou trois défauts c'est sûr, c'est un premier roman, sans
doute un petit peu trop bavard et un tantinet trop long, mais En même temps toute la terre et tout le ciel reste vraiment très
abouti. Il y a tellement de choses dans ce livre que ce billet promet d'être absolument foutraque.
Ruth Ozeki raconte une histoire double: deux voix, deux époques, deux espaces. On suit Ruth qui lit le journal intime de Nao, qu'elle a trouvé échoué sur le rivage. Ruth, romancière quinquagénaire et solitaire, retirée avec son compagnon sur une île, est la voix américaine, celle du présent, celle de l'après Fukushima. Nao, adolescente retournée au Japon contre son gré et qui s'est mise à tenir un journal, est la voix du passé, celle d'avant 2011. Pendant tout le livre, Ruth se demande si Nao a échappé au séisme-tsunami (et à d'autres choses aussi). L’alternance des deux récits fonctionne, de mon point de vue, vraiment bien.
C'est donc une histoire qui passe d'un continent à l'autre avec l’Océan Pacifique en trait-d’union. Les deux femmes appartiennent à la fois aux cultures japonaise et américaine. Au fond, Ozeki nous parle de cette histoire d’amour (et de haine) compliquée entre le Japon et l'Amérique, avec une Seconde Guerre Mondiale qui a tout changé. De quoi se rappeler que l'Europe n'est pas le centre du monde...et ça ne fait pas de mal en ces temps de chauvinisme...(passons). J'ai eu une phase japonisante il y a quelques temps et depuis je reste complètement perméable aux influences nippones (enfin ce que j'en imagine): culture zen, technologie de pointe, fleurs de cerisier, sagesse du silence et portes coulissantes...
Ensuite, Ruth Ozeki, a touché ma corde sensible (oui j'ai un coeur), parce qu'elle parle remarquablement bien de l’amour filial: entre Nao et son père, aussi décalé,
âpre que tendre ; et entre Ruth et sa mère dans une tonalité plus touchante et douloureuse (Alzheimer quand tu nous tiens).
Mais surtout (et là c'est ma partie) les personnages de grandes ratés
sont extrêmement réussis. Dans le désordre on a:
- Nao en collégienne martyrisée (et pas qu'un peu) qui ne se remet pas d'avoir quitté les Etats-Unis.
- Le père de Nao en ancien informaticien déchu et suicidaire (qui rate en permanence sa mise à mort malgré les sites spécialisés en suicide qu'il fréquente).
- Ruth en romancière sans inspiration, qui a choisi de vivre sur une île mais qui n'est pas certaine de supporter cet ermitage.
- Olivier, le compagnon de Ruth, en paysagiste incompris et artiste-ès-arbres maudit.
Quelque part, ils ont tous raté tous leur vie, mais en passant à côté avec poésie, humour et désespoir. Et finalement, les winners et les héros ne sont pas ceux qu'on attend (je dis ça, je dis rien).
- Nao en collégienne martyrisée (et pas qu'un peu) qui ne se remet pas d'avoir quitté les Etats-Unis.
- Le père de Nao en ancien informaticien déchu et suicidaire (qui rate en permanence sa mise à mort malgré les sites spécialisés en suicide qu'il fréquente).
- Ruth en romancière sans inspiration, qui a choisi de vivre sur une île mais qui n'est pas certaine de supporter cet ermitage.
- Olivier, le compagnon de Ruth, en paysagiste incompris et artiste-ès-arbres maudit.
Quelque part, ils ont tous raté tous leur vie, mais en passant à côté avec poésie, humour et désespoir. Et finalement, les winners et les héros ne sont pas ceux qu'on attend (je dis ça, je dis rien).
Tous ont cette caractéristique (qui m'emballe) de vouloir vivre hors du monde, avec la nécessité de se replier sur soi. Et il n'y a pas qu'eux, puisque gravitent autour des nonnes zen, des marginaux, des insulaires, des ermites dépressifs, des phobiques, bref des gens, d’une certaine manière, incapables de vivre en société.
Et on ne les comprend (enfin moi je les comprends) parce que ce roman, avec un humour très noir, montre bien le danger qu’est l’Homme pour
l’Homme (et l’Humanité de manière générale). Et cela commence tôt, dès le collège (pire période de vie pour les bouc-émissaires de tous les continents), puis la guerre, la lutte contre les siens et contre les autres.
Enfin, c'est le roman 2.0 par excellence (qui va un peu plus loin que le mausolée que K. a écrit pour Steve Jobs dans Esprit d'hiver- pardon je ne peux pas m'en empêcher). Dans ce roman, tout est numérisé, accessible et aux vues
de tous. Il y a un blog, des recherches Google, des concepteurs de logiciels, des sites spécialisés...La Toile compose un
monde parallèle qui peut être aussi riche que désespérant "il n'y a rien de plus triste que le cyberespace quand vous êtes tout seul sans personne pour vous écouter" (p.183). Punaise, comme c'est vrai.
Et pour terminer (et ensuite je me calme) c’est un livre sur les
livres. Ozeki parle de littérature, de romancière, de philosophes, des histoires et de
l’Histoire. En même temps, toute la terre et tout le ciel n’est pas parfait, il n'a pas du tout fait l'unanimité, le rythme est saccadé, le propos un peu décalé, il peut laisser le lecteur sur le bord, mais moi je m'y suis immergée. J'en retiens un livre généreux, plein d’humour et de tendresse, à la fois grave, drôle et mélancolique.
Pas tentée...
RépondreSupprimerOk, tant pis Clara ;-)
SupprimerIl m'a tellement (pas) marqué ce livre, que je ne me souviens même pas que c'est un livre sur les livres (parce que j'aime ça en principe)
RépondreSupprimerDisons que c'est en filigrane Laure...mais le journal de Nao est recyclé dans un livre de Proust, le père fait des origami avec les livres des philosophes occidentaux, Ruth est romancière, Haruki a laissé son journal de guerre, la nonne zen a écrit des romans féministes...je trouve que les livres, les écrits, les objets littéraires sont un peu partout dans ce roman...mais je comprends bien que ce livre n'emballe pas tout le monde...
SupprimerJ'aime ton billet!!! D'abord c'est un livre que je n'ai plus à lire, donc pas de tentation, ensuite, c'est un livre que j'ai aimé (et le bonus c'est que je sais maintenant que tu as un coeur, si, tu l'as clamé face au monde 2.0!
RépondreSupprimerJ'avais été enchantée par ton billet Keisha, tu l'as publié quand j'ai su qu'il était sélectionné, et je savais donc qu'il brassait mes thèmes de prédilection...
SupprimerJ'aime tellement le titre ! Je crois qu'il est à ma bibli de quartier, je vais aller y faire un tour :-)
RépondreSupprimerJe serai curieuse d'avoir ton avis Céline, car il est loin de faire l'unanimité, certains s'y sont sérieusement ennuyés....
SupprimerHé bien quel enthousiasme...je vais le noter sur un post-it. Les thématiques abordées me parlent et me plaisent. Après 600 pages ça fait un pavé...bon je le note et puis je verrai bien.
RépondreSupprimerJe vais essayer de trouver les 10 romans en compétition pour voir si j'en connais au moins un...jusqu'ici je découvre dans tes billets...
MTG tu connais forcément Esprit d'hiver er surtout le Germain....(rapport à Aspho;-)
SupprimerLe titre est exaltant !
RépondreSupprimerJ'ai trouvé que le roman l'étais aussi Alphonsine, mais c'est un genre particulier c'est vrai...
SupprimerTentée moi ! Surtout si ce roman parle si bien que ça des ratés... et des livres ! Noté madame !
RépondreSupprimerOh j'aimerais beaucoup qu'il te plaise Noukette
SupprimerJe ne suis pas excessivement tentée, mais comme tu en dis du bien, je vais tout de même le noter. Ça ferait un bon pavé de l'été tiens !
RépondreSupprimerJe ne te cacherai pas Aifelle que c'est un roman très particulier quand même...disons qui si on parvient à rentrer dedans on se régale...
Supprimerj'ai beaucoup aimé tout comme toi !
RépondreSupprimerJe ne pensais pas que tu l'avais aimé au point de le mettre dans ton top 3; j'aimerais vraiment qu'il obtienne le prix...(même si ce n'est pas un coup de coeur )
SupprimerLe titre me tentait déjà et ton billet enthousiaste me le fait noter tout de suite !!! Pour toutes les raisons que tu exposes si bien dans ce billet !!!
RépondreSupprimerBelle journée Galéa !
Avec plaisir Enitram...j'espère que tu en lâcheras un petit mot sur ton blog ente deux photos de fleurs de cerisier peut-être...
SupprimerUn livre sur les livres, le Japon... c'est du sur mesure pour moi !
RépondreSupprimerToi aussi tu as eu une phase japonisante? excellent...
Tu me remets en mémoire un épisode vécu il y a quelques jours, je vais en faire un billet.
Décidément, tu m'inspires ! ô Galéa ma muse ! ;)
J'étais certaine que tu étais aussi passée par cette phase...c'est notre côté "bien dans son époque" sans doute.
SupprimerDes bises ma ZAP
Ton billet me ravit parce qu'il est sur ma PAL. Contrairement à toi je n'ai pas une grande passion pour le Japon (mon coeur est aux pays Nordiques ;0) mais le sujet d'une enfant victime des autres me tient à coeur, et tu finis de me persuader avec ta phrase ; "Un livre sur les livres", j'adore ça ;0) Ton préféré... dis donc, t'es touchée grave ;0) Bises, bon week end
RépondreSupprimerPour être honnête Lor rouge, notre sélection en roman oscille entre le moyen et le médiocre, donc celui-là est le mieux (d emon point de vue)..mais oui, il parle bien des bouc-émissaires, et c'est touchant, et parle aussi de comment on peut en sortir et que ce n'est pas une fatalité....
SupprimerUn livre sur le japon et les usa avec ton enthousiasme ....cela mérite une recherche à la bibliothèque
RépondreSupprimerJe dois dire Evalire que le reste de la sélection n'était pas enthousiasmante, donc celui-là m'a d'autant plus enchantée...
SupprimerJe suis allée jeter un oeil sur les billets d'Enna et de Valérie. Tu es de loin plus enthousiaste qu'elles... Hum, je ne sais que penser...
RépondreSupprimeroui il a tranché le jury ce roman Sylire...il est assez spécial il faut le reconnaître...
SupprimerOh comme j'aime ton billet qui dit l'essentiel de ce que j'ai ressenti avec ce roman (et même les fleurs de cerisier ! )
RépondreSupprimerC'est aussi le seul roman qui m'ait transportée dans la sélection Elle :-)
Espérons que notre chouchou l'emporte Virginie...même si j'ai un doute....;-)
Supprimerpas du tout le type de livres que je lis habituellement, mais justement j'ai aimé !!!
RépondreSupprimercomme quoi Lystig...
Supprimercomme tu le sais, je me suis ennuyée... si seulement il n'y avait eu que l'histoire de Nao mais le reste m'a pesé...
RépondreSupprimerJe crois Enna que tu n'es pas la seule à ne pas avoir été emballée....
SupprimerIl est déjà dans ma LAL. Mais Modiano, la danse et maintenant le Japon : ça fait trois points communs. Quatre, j'oubliais les parents fonctionnaires.
RépondreSupprimerLes ambiances japonisantes (souvent liées au suicide, à la rédemption...) me laissent froides.
RépondreSupprimerTu sais bien que si Adèle avait résisté à Carlotta, nous aurions eu le même chouchou....
SupprimerTu en parles très bien et tu n'es pas la première à vanter les qualités de ce roman. Du coup tu me tentes beaucoup.
RépondreSupprimerje serais très curieuse de voir ce que tu en penses Jérôme, je ne connais que l'avis de lectrices et non de lecteur...
SupprimerAvec un titre pareil et surtout après avoir lu ton article je me dis que je serais stupide de passer à côté, je le note pour un futur proche!
RépondreSupprimerje pense Louise qu'il pourrait te plaire...
SupprimerVoilà un roman qui est sur ma liste à lire depuis sa sortie en anglais ! Par contre, ce n'est pas le premier roman d'Ozeki mais son troisième. Il y a une dizaine d'années, j'avais lu son premier, Mon épouse américaine, que j'avais bien aimé :)
RépondreSupprimeralors ça c'est étonnant, il est présenté comme son premier roman sur la couv de Belfond...mais effectivement j'ai vérifié, il y a bien une Ruth L Ozeki qui a publié "mon épouse américaine"...est ce qu'il faut creuser du côté du L?
SupprimerEn tous les cas, bienvenue ici Caro Bleue Violette...;-)
C'est bien la même, elle a dû bazarder le L au passage :)
RépondreSupprimerEt merci ! J'avoue que ça fait un petit moment que je te lisais en sous-marin ^^
Ca me fait très plaisir de lire cela....
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