Emmanuèle Bernheim, Tout s'est bien passé Gallimard, 2013, 206 p. |
C'est dans ce style - qu'on conseille aux étudiants en première année de fac (être clair et précis, sans fioriture)- qu'écrit Emmanuèle Bernheim. Elle nous parle des dernières semaines de son père. Un vieil homme qui préfère mourir plutôt que vivre diminué. En général, je suis assez hermétique à ce style aride et sec...mais là, Bernheim m'a emportée.
Ce récit est classé en document dans la sélection Elle 2014. Mais, ne nous y trompons pas, Tout s'est bien passé se lit comme un roman. Et ce n'est pas parce qu'on s'identifie à l'histoire qu'on aime ce livre. Parce que clairement, nous n'appartenons pas au même monde (nous ne sommes pas tous des proches de Me Kiejman, de Cavalier ou de Tonie Marshall), mais à la limite, je suis assez ouverte d'esprit...
D'autant que même la galerie des membres de la famille que nous livre l'auteur est très atypique. Une famille d'anti-héros, peints sans aucune complaisance et même parfois avec une tendre cruauté.
D'abord un père malade, dont la fille n'embellit clairement pas le souvenir. Et pourtant, même les anecdotes les plus vachardes restent bienveillantes. Un père, plus ou moins dépressif depuis toujours, qui revendiquait, bien avant d'être malade, un vrai mal de vivre. C'est un individu égoïste, à mi-chemin entre la diva capricieuse, le petit garçon facétieux et l'époux odieux. Un père mondain qui aime l'art et le beau, qui ne protège pas ses enfants, et qui pense clairement à son intérêt avant les leurs....puisqu'il exige de ses filles qu'elles l'aident à disparaître. Il pourrait être antipathique finalement ce vieillard mourant, mais sa fille l'a tellement aimé que le lecteur aussi s'y attache.
La mère, malade aussi, est pratiquement absente du récit et moyennement concernée par le destin de son époux. Elle reste une figurante ...pour des raisons qu'on comprend facilement, mais que je ne dévoilerai pas, pour laisser le plaisir de lecture intact à ceux qui vont le découvrir.
La fille aînée ensuite. Emmanuèle Bernheim ne ménage pas non plus le portrait qu'elle fait d'elle même. Ancienne obèse qui ne s'est jamais vraiment remise du poids "monstrueux" de son adolescence, elle tourne au Prozac, Lexomyl, films d'horreur et whisky pour tenir le coup (en se demandant à un moment si certains mélanges ne seraient pas excessifs...j'adore!!). On comprend qu'elle n'a pas d'enfant, et la préparation de la mort de son père prend un dimension encore plus tragique.
Et puis il y a Pascale, la soeur cadette, mère de deux enfants, sensible et forte à la fois. Un très beau personnage; la relation entre les deux soeurs est à la fois limpide et bouleversante... c'est sans doute ce qui m'a le plus touchée dans ce témoignage.
Et puis bien sûr, c'est un livre militant qui traite de la question de la dignité humaine, de la détermination, de la volonté de continuer ou de renoncer, dans une société où choisir de mourir est un acte illégal. Le passage ou les sœurs et le père choisissent la date de la mort programmée est absolument ahurissant, décalé et juste (p.119). Il faut bien dire que personne n'est à l'aise avec ce sujet qui fait surgir chez chacun d'entre nous certains démons...
Mais au fond, au delà de l'imbroglio juridique et du parcours du combattant du suicide assisté, Emmanuèle Bernheim nous parle en fait de quelque chose d'universel : la disparition d'un être cher, encore plus douloureuse quand on est contraint d'y prendre part. Sans envolée lyrique ni sensiblerie, c'est un témoignage tout en sobriété qui tire les larmes.
Et finalement, on reste sur un sentiment de calme après le tumulte.
Sujet, verbe...compliments Madame Bernheim... tout s'est bien passé...
PS: Une fois n'est pas coutume, je fais l'effort des mettre les liens de mes copines jurées, parce que c'est bien d'avoir d'autres avis (même si pour moi c'est difficile toutes ses manip':
J'ai beaucoup aimé ce livre également lu il y quelues mois !
RépondreSupprimerTu ne m'étonnes pas!
SupprimerLa différence de milieu social ne m'a pas gênée car j'ai tout de même pu m'identifier aux choix que doit faire l'auteure dans ce roman. Et quand tu dis que Pascale est un beau personnage, je suis d'accord mais il l'est grâce au regard de sa soeur. Car pour moi, le beau personnage, c'est Emmanuèle Berhneim et son très bel amour pour sa soeur. On sent que cette soeur a un autre centre d'intérêt maintenant, sa nouvelle famille et qu'elle laisse parfois la narratrice se débrouiller seule dans des moments difficiles.
RépondreSupprimerOui c'est exactement ça qui m'a touchée aussi, la soeur qui a sa propre famille et celle qui perd presque tout avec la disparition de son père...et avec en filigrane, le fils de PAscale qui avait un lien particulier avec le grand père...mais tu as raison la fratrie est une belle dimension du document.
SupprimerJe n'ai as lu celui-ci mais jusqu'ici, j'ai aimé tout ce que j'ai lu de cette romancière. Je compte bien lire celui-ci un jour ou l'autre !
RépondreSupprimerMoi j'avais lu Stallone et Vendredi soir (de mémoire les titres). Ce type d'écriture ne m'emballe pas toujours, mais là, ça colle parfaitement au propos; et puis c'est bouleversant cette sincérité. Je pense que tu l'aimeras Sylire.
SupprimerUn beau billet et un sujet certainement touchant mais d'une certaine façon, je sors d'un deuil et pas vraiment envie de lire ça en ce moment...
RépondreSupprimerJe peux le comprendre Aspho, ceci dit il n'y a pas de pathos là dedans, et c'est bien agréable (mais bon j'ai versé ma larme quand même)...
SupprimerDès je pourrai je le prendrai à la bibliothèque. J'ai assisté à une rencontre avec l'auteur, après la lecture d'un extrait (par Fanny Cottençon), elle a raconté d'autres anecdotes sur son père et a répondu à des questions. C'était très intéressant et on sent son humanité et sa générosité. Une belle personne.
RépondreSupprimerJ'aurais bien aimé voir ça Aifelle (par contre j'imagine mal la voix de Cottençon sur l'écriture de Bernheim)...effectivement, je crois que c'est une belle personne, mais quelqu'un d'un peu dur aussi je pense, elle n'est vraiment pas dans le consensus ni dans la complaisance...avec elle-même ni avec les autres...
SupprimerJe n'ai pas parlé de cette lecture sur le coup parce que justement .. disons qu'être actrice ne fait pas de vous une bonne lectrice. J'ai assisté à trois lectures par Fanny Cottençon, déception à chaque fois.
SupprimerJe comprends très bien, son timbre est très particulier et ne se laisse peut-être pas suffisamment oublié pour mettre en valeur le texte...
Supprimeroublier
SupprimerTrop forte...il est très très bien ton billet!!! Moi aussi j'ai été sous le charme (tu lui as donné quelle note au faite?). Le prochain il est pas mal non plus "Le garçon incassable" faut dit que nous avons une très belle sélection cette année. Bon scoop...j'attaque le Nikitas. La feuille d'érable.
RépondreSupprimerJe crois que j'ai mis un point de plus que toi au Bernheim, j'ai commencé le garçon incassable et pour l'instant je le trouve en dessous du Bernheim mais ça peut changer encore. J'ai été absolument scandalisée par le Nikitas, ça faisait longtemps que je n'avais pas lu de l'aussi mauvais!!!Tiens moi au courant petite feuille!!!
SupprimerTrop forte...il est très très bien ton billet!!! Moi aussi j'ai été sous le charme (tu lui as donné quelle note au faite?). Le prochain il est pas mal non plus "Le garçon incassable" faut dit que nous avons une très belle sélection cette année. Bon scoop...j'attaque le Nikitas. La feuille d'érable.
RépondreSupprimerTrès beau billet! J'ai eu un coup de coeur pour se livre que j'ai envie d’appeler un roman aux personnages intéressants aux relations très compliquées! Bon billet sera en ligne le 10 septembre!
RépondreSupprimerTu as raison Enna pour moi c'est un roman...je guette le 10 et en attendant je vais aller lire Zone de non droit!!
SupprimerCela a été plus fort que moi, mais j'ai tout de suite pensé au livre de Noëlle Châtelet qui traite le même sujet, c'est de la fin de vie choisie par sa mère... Ce livre m'avait beaucoup touchée... Ton billet me donne envie d'écrire ce titre sur mes tablettes !
RépondreSupprimerBelle soirée à toi !
Je me souviens de ce livre Enitram, ce n'était pas une parente de JOspin qui avait écrit ça?! Je ne l'ai pas lu mais à l'époque on en avait beaucoup parlé, je pense que c'est dans la même tonalité, à ceci-près que Bernheim est vraiment dans l'intime...
SupprimerBeau week-end
Superbe billet qui rejoint en plus mon avis! Merci pour la citation ;)
RépondreSupprimerOui, je crois que c'est un texte sur lequel nous avons à peu près toutes été d'accord Coralie
SupprimerCe témoignage m'a touché mais pas émue, je suis restée un peu à la marge, sans doute à cause du milieu décrit, je ne me reconnais pas du tout là-dedans et j'ai trouvé le père antipathique et tyrannique. Par contre la belle fraternité entre les soeurs m'a beaucoup plu
RépondreSupprimerC'est vrai Bianca qu'elle parle de son milieu avec beaucoup de naturel "tiens j'ai besoin d'une caméra, je vais appeler Tonie Mashall...il me faut un avocat, et pourquoi pas Kiejman?...". Ceci dit, si le père n'est pas très sympathique, le fait qu'elle ne dissimule rien de la personne qu'il était, m'a beaucoup impressionnée.
SupprimerUn sujet qui fait polémique. Mais si le roman est bien écrit, je suis tentée.
RépondreSupprimerBien écrit n'est peut être pas le terme, mais disons qu'il est très efficace ...
SupprimerLe sujet me fait peur, je préfère donc éviter... Mais sinon c'est lu beaucoup de cette auteure, je l'aimais beaucoup, même si elle c'est faite plus rare ces dernières années !! J'attendrais le prochain ;0)
RépondreSupprimerJe te rassure Lor rouge, il n'y a pas du tout ce côté glauque des récits de fin de vie, ce n'est pas un livre joyeux, mais il a quelque chose de drôle parfois, de décalé...Des 3 que j'ai lu d'elle, c'est celui que j'ai préféré
SupprimerEt bien chez Margotte, E. Bernheim, on évite... J'en ai un dans ma bibliothèque, que j'ai gardé uniquement comme une sorte de caricature de ce que l'on peut faire en roman :-( Enfin, au moins, elle ne s'embarrasse pas avec des phrases complexes... avec des intrigues non plus d'ailleurs... Oui, bon, j'arrête là, je sens la teigne qui s'éveille en moi ;-)
RépondreSupprimerMais tu sais que j'aime les teignes sur la blogo hein (et dans la vie aussi). Bon d'accord Bernheim et toi, on laisse tomber, on est d'accord sur les phrases complexes et les intrigues, mais là c'est un beau témoignage...mais j'ai le sentiment que je ne te convaincrai pas chère Margotte...
SupprimerBonjour Madame Galéa
RépondreSupprimerVotre expression "certains démons" est très révélatrice du type de questionnement sur l'euthanasie !
Elle pose à elle seule une autre question : Les décisions de l'être humain en ce qui concerne les questions dites "éthiques", résultent-elles d'un seul face à face de l'être humain avec lui même ?
Bien entendu, j'entends par être humain, la personne individuelle et toutes celles qui l'entourent.
Bref......
Je vous souhaite une bonne journée !
Madame Anonyme
Je vais être honnête Mme Anonyme, cette question n'est presque pas abordée dans ce récit (si ce n'est avec les ambulanciers qui emmènent le père en Suisse); c'est vraiment une histoire concentrée sur un homme qui ne veut plus de sa vie diminuée...et de l'illégalité de sa démarche. La question spirituelle à laquelle vous faites allusion est globalement absente du récit, ce qui n'enlève rien d'ailleurs à la beauté de ce témoignage...mais je comprends votre remarque!!
SupprimerTout comme toi, j'ai apprécié ce roman alors même que je ne me suis identifiée ni à l'histoire, ni aux personnages.
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