lundi 26 novembre 2012

Un village moldu

Comment ne pas lire le livre pour adulte de celle qui inventa Harry Potter? Celle qui a imaginé cette géniale école Poudlard ne pouvait pas ne pas me séduire une fois encore. Elle manie si bien les symboles et le second degré.

J.K. Rowling, Une Place à prendre, Grasset, 2012, 679 p.
La traduction exacte de The Casual vacancy aurait du être plus proche "d'un poste à pourvoir" ou d'une "vacation fortuite". Une Place à prendre suggère même une certaine légèreté. Que Nenni ! C'est un livre d'une étonnante noirceur.

L'histoire débute par le décès brutal d'un certain Barry Fairbrother, membre du conseil paroissial du petit village de Pagford, au Sud-Ouest de l'Angleterre. Comme son nom l'indique, le conseiller Fairbrother défendait la veuve et l'orphelin des Champs, cité pagfordienne qui ressemble à toutes les banlieues négligées. Contrairement à ceux qui rejetaient le quartier "social", Fairbrother défendait et tentait de maintenir le centre de désintoxication des Champs. Son décès, et la place de conseiller qu'il libère, remettent donc en cause l'équilibre du conseil paroissial.   

J.K. Rowling amorce son roman comme un épisode de l'Inspecteur Barnaby et on se prend à aimer cette curiosité malsaine des petites communautés après le décès d'un des leurs. Elle le poursuit ensuite façon Ken Loach...So British. Sauf qu'il manque un peu d'humour, de tendresse, de solidarité et d'affection dans cette peinture sociale.

Mais loin d'être un roman qui revisiterait la lutte des classes, il s'agit plutôt d'une lutte des sexes. Les hommes agissent, les femmes subissent dans Une Place à prendre.

Dans les rôles masculins, pas de  bienveillant Dumbledore, ni d'un tourmenté au grand coeur comme Sirius Black, pas non plus de démon maléfique à la Lord Voldemort. Rien de tout cela. Juste des hommes laids d'apparence et minables d'âme. On découvre Howard, obèse libidineux, qui pense que le trou qui lui sert de village est le centre de l'univers. Simon, employé cupide et menteur,  cogne régulièrement sa femme et ses fils pour soulager ses nerfs. Miles, un vieux beau bedonnant à l'intelligence limitée, ne doute toujours pas de son charme. Colin, proviseur paranoïaque  lutte tous les jours contre ses tendances pédophiles tandis que Gavin, éternel lâche de 30 ans, n'a plus aucune chance de réussir sa vie sentimentale ni sa vie tout court.  Une part belle est laissée aux adolescents mâles avec Fats et Andrews, qui, en  attendant leur dépucelage, fument des joints et harcèlent leurs camarades. Le seul auquel on pourrait éventuellement s'attacher est le petit Robbie, garçonnet de trois ans, pas encore propre, qui ne maîtrise toujours pas le langage, qui a déjà touché la laideur du monde, mais dont on espère malgré tout qu'il sera épargné. 


Chez les femmes, ce n'est guère plus réjouissant. Pas d'Hermione surdouée, pas de Mme Weasley qui tienne une maison chaleureuse, désordonnée et réconfortante. Les femmes du roman, Samantha, Tessa, Maureen ou Shirley, souffrent toutes d'un physique ingrat et d'un dévouement inquiétant à leur moitié. Il y a bien Kay, une assistante sociale, plus ou moins féministe, qui tente de rester fidèle à ses idéaux mais qui ne parvient pas à garder un homme. Parminder, médecin généraliste brillant, pourrait presque nous redonner espoir si elle faisait autre chose qu'humilier sa fille. Je passe sur Terri la droguée qui se prostitue pour acheter de l'héroïne tandis que sa fille Krystal, banlieusarde cabossée au vocabulaire réduit, pleure le défunt (on suit la vie sexuelle -consentie ou non- dans le détail le plus cru).Terminons sur Sukhvinder, souffre-douleur du lycée, qui plie sous les poids du complexe et du désespoir, et qui se scarifie les bras à la nuit tombée. J.K Rowling a choisi d'en  faire l'héroïne de la fin du roman.

Le plus étonnant est que la fin ne répond pas au début : le drame final, glauque, serait sans doute advenu sans la mort de Fairbrother. C'est la victoire du déterminisme social et matrimonial : les pauvres n'ont aucune chance de s'en sortir, ni les mal-mariées d'avoir une autre vie. 

Certes, les sentiments humains sont remarquablement abordés, l'auteur décortique tout ce qui interfère dans les émotions et les agissements de chacun. En cela, bien sûr c'est assez brillant. Disséquer à ce point ce qui fonde les rapports humains est toujours agréable à lire. Et on ne peut pas dire qu'on s'ennuie parce qu'on brûle de connaître la fin.

Mais rien de ce roman ne permet de croire dans l'être humain: des foyers malheureux et sans amour, des mariages qui dégringolent, des amitiés qui n'en ont que le nom. Un livre sur la cruauté ordinaire finalement. Il n'y a pas entre tous ces personnages ce petit supplément d'âme qui pourrait nous les rendre attachants. On lit, un peu navré quand même, les manoeuvres des uns et la chute des autres. Le beau Vikram qui plaisante avec ses enfants est tenu à distance du roman. J.K. Rowling dénonce un monde moche et égoïste.
Ce livre n'est pas seulement triste, il est désespérant. Quand on le referme, surtout au mois de novembre, on a besoin d'être avec les siens, d'observer ses enfants, de marcher au bord de la mer.  Hier après-midi j'avais besoin de me dire que la vie n'est pas aussi sinistre que l'écrit J.K.Rowling. 

Je me doutais depuis longtemps que la créatrice d'Harry Potter avait peu de foi dans le genre humain et moldu. Je m'attendais quand même à davantage d'espoir.

Aux vues de mes deux dernières semaines, je pense maintenant me retourner vers les valeurs sûres pour me requinquer avant Noël. 

19 commentaires:

  1. je suis en train d'écouter un podcast radio qui lui taille un costume !!! je ne sais pas si je le lirai on verra

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    1. Le Masque en a parlé hier soir, mais je n'ai pas pu le suivre avec les enfants, il paraît qu'ils ne l'ont pas épargné non plus! Ceci dit, ils sont rarement laudatifs sur les best-seller

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  2. Donc, si j'ai bien compris, je passe mon chemin si je le rencontre ! OK, c'est noté !

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  3. Désespérant .. voilà qui me refroidit sérieusement. J'ai aimé les Harry Potter, tout en les trouvant déjà très noirs. De toute façon, j'attendrai qu'il soit à la bibliothèque et j'essaierai.

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    1. L'ambiance des Harry Potter était assez noire, mais quand même, il y avait de l'humour et surtout une réflexion sur le libre arbitre (choisir ce qu'on devient), sur la résistance (l'Ordre du Phénix). C'était finalement assez optimiste comme série, et surtout on s'attachait aux personnages. Mais d'autres blogueurs ont dit beaucoup de bien de "Une Place à prendre", donc c'est peut-être moi qui suis un peu sévère. Merci de ton passage.

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  4. Je l'ai eu entre les mains, mais finalement je ne l'ai pas acheté. C'est la deuxième critique négative que je lis. Je m'en tiendrai là. J'ai lu les 4 premiers tomes de Harry Potter, mais je n'ai pas eu envie de poursuivre. L'ambiance du livre ne me plaisait pas.

    Si tu veux du léger mais solide du point de vue littéraire, je te propose "Casimir mène la grande vie " de Jean d'Ormesson. Actuellement je lis "La marche de Radetzky" de Joseph Roth. Magnifique... j'attends de le terminer pour en faire un article sur mon blog.

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    1. Oui, je trouve, mais les critiques sur la blogo et babélio sont beaucoup plus positives; c'est peut-être moi qui suis trop sévère; mais mon avis est fait.

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  6. Donc, exactement le genre de livre à éviter pour moi en ce moment...

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    1. J'aurais aussi mieux fait de l'éviter en ce moment. J'avais besoin de quelque chose de plus réconfortant.

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  7. Moi ça me donne envie de le lire histoire de me faire mon idée, j'entends tellement de critiques différentes...

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    1. Ca dépend vraiment de la sensibilité de chacun. Mon mari l'a lu après moi et a beaucoup apprécié la critique sociale sans consensus, le côté cynique ça ne le dérange pas.

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  8. Je le lis mais te-lle-ment-len-te-ment que je suis sur le point d'en conclure que je n'aime pas des masses. Et pourtant j'ai envie d'aller au bout… Alors, ça, ça a le don de m'agacer : Je ne lis rien d'autre et je vois des tas de titres alléchants passer. Rowling m'a jeté un sort "tu finiras mon roman, c'est une question de vie ou de mort"! :)

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    1. J'ai ressenti exactement la même chose. Surtout quand je me suis rendue compte à la page 350 qu'on n'en était qu'aux obsèques du défunt. Mais comme toi, je ne voulais pas ne pas le finir, alors que Kessel m'attendait sur ma table de chevet. Rowling sait malgré tout garder son lecteur.

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  9. Je ré-essaye de laisser mon tout petit point de vue... !
    je l'ai commencé...et malgré la curiosité de "savoir" le "pourquoi du comment" et malgré une critique assez "caustique" ; l'ambiance assez morbide et le fait qu'aucun des personnages ne soient "sympathiques" ont fait que je l'ai refermé ... je suis passée à autre chose sans regret !
    merci en tous cas pour cette critique !

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    1. Même si je l'ai terminé finalement, je ne peux que vous comprendre. L'absence de bienveillance et d'attachement aux personnages est le principal problème de ce roman, je pense. Merci de votre passage et de votre avis. Belle journée.

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  10. Bonjour, c'était le premier "J. K. Rowling" que je lisais, n'étant pas attirée du tout par les "HP". Et je confirme que c'est un roman très très noir. Cette dame n'a pas d'estime pour le genre humain. Cela en deviendrait presque gênant. Les victimes (Krystal et son frère) restent des victimes. Aucun personnage ne rachète l'autre. Mais j'avoue avoir ce roman vite et avec un certain plaisir. http://dasola.canalblog.com/archives/2012/11/23/25633904.html Bonne après-midi.

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    1. Tout comme toi, je l'ai vite lu mais avec malaise. J'ai eu du mal à me mettre aux HP, mais franchement, c'est extrêmement réussi. Ça mérite l'effort du départ. Merci de ton passage.

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