La Porte de Magda Szabò (1987) Traduction Chantal Philippe Livre de Poche, 2017, 346 p. |
La Porte dont il est question, c'est celle d'Emérence, personnage principal du roman, femme de ménage hongroise, déjà d'un certain âge. La déjà, on sent qu'on n'est pas là pour rigoler. S'il est question d'Emérence c'est que la narratrice, une romancière assez connue, a besoin de quelqu'un pour tenir sa maison. A priori, on a le droit de penser que l'intrigue n'est pas vraiment attrayante. D'autant que, et tout l'intérêt du livre est là, la porte d'Emérence reste close.
L'infranchissable porte d'Emérence, c'est la frontière éternelle de son intimité.
Et derrière la porte toujours fermée de la vieille dame qui balaie, lave, époussette et range, il y a une vision du monde, les restes de son passé, de ses déceptions et de ses espoirs. Ce roman c'est d'abord l'histoire en creux d'une personnalité un peu hors des normes dans la deuxième moitié du XXe siècle (a peu près).
Car Emérence, c'est vraiment la femme de ménage qui bouscule les codes de ce que l'on pourrait appeler la "domesticité". C'est l'employée qui choisit ses patrons, qui impose ses idées, ses horaires, sa rigueur et aussi un certain sens de la loyauté. Elle fait partie de ses personnages étranges, voire un peu inquiétants, qui sont mués par d'autres valeurs que le lecteur.
Ne serait-ce que sur les animaux. Habituellement, je suis complètement insensible aux histoires entre les hommes et les bêtes (rien qu'avoir un aquarium chez moi m'a longtemps déprimée). Pourtant, toute sa vie, l'affection qu'Emérence entretient avec une pouliche, des chats ou un chien (ah ce chien!), a quelque chose de bouleversant (et si moi je suis bouleversée, c'est vraiment qu'il y a quelque chose qui va au-delà de l'animal de compagnie; quelque chose de l'ordre de la réflexion sur le vivant, sur l'attachement entre les êtres peut-être).
Derrière cette Porte, il y a aussi le passé de la Hongrie (qu'évidemment nous lecteurs français, globalement incultes sur l'histoire du reste de l'Europe, nous ne connaissons pas ou peu). Il y a la violence des hommes, les trahisons, les souvenirs, les déceptions, les actes courageux, la reconnaissance aussi.
Et devant sa Porte, pendant le roman on croise toute une série de seconds rôles bien soignés, de personnages consistants : gens du quartier, voisins de la rue, les vagues amis et les connaissances lointaines. Mais surtout, devant cette porte, il y a une narratrice. Une intellectuelle de haut vol, qui ne peut pas à la fois écrire, réfléchir et s'occuper de son linge, de son ménage et de ses repas. Evidemment. Elle doit se débarrasser des corvées domestiques pour produire de l'art, du verbe, de la réflexion. Je ne sais pas quelle est la part autobiographique de ce roman, mais le moins que l'on puisse dire c'est que la romancière ne s'est pas épargnée, elle qui ne fonctionne qu'avec sa tête sans essayer de se servir de ses mains.
Et si La Porte est un beau livre c'est aussi parce qu'il traite implicitement de la dignité, de la loyauté et de l'égoïsme. Il y a celle qui a les mains dans la crasse des autres et celle qui est incapable de mettre les siennes dans sa propre saleté. Il y a à la fois le lent naufrage de l'une qui ne pouvait se résoudre à ce qu'on fasse pour elle ce qu'elle faisait pour les autres; et l'histoire de l'autre qui n'est pas à la hauteur de la confiance qu'on lui porte.
Founisseur officiel: une non blogueuse qui se reconnaîtra.
Je précise que s'il y a un livre qu'un esthète doit impérativement posséder, c'est bien celui-là parce qu'une couverture aussi belle mérite sa place dans n'importe quelle bibliothèque (#PointDéco #CestCadeau).
Emerence est de ces personnages qui marquent le lecteur pour longtemps... depuis, j'ai lu Le faon, du même auteur, dont l'héroïne est également très atypique (et moins sympathique qu'Emerence qui malgré ses dehors abrupts et son intransigeance, est irrémédiablement attachante) mais je n'ai pas été aussi emballée, notamment par le style qui rend l'immersion dans le texte difficile..
RépondreSupprimerC'est ce qui me fait dire que je ne vais pas revenir tout de suite vers cette romancière, La Porte m'a tellement marquée que j'ai peur d'être déçue par la suite...(néanmoins on m'a cité un autre titre dont on m'a dit beaucoup de bien)
SupprimerC'est un roman que je veux lire depuis des années. Là, tu viens d'emporter le morceau, je vais l'acheter, c'est déjà une étape de franchie.
RépondreSupprimerNous aurions été plus proches, je te l'aurais prêté, quoique ce soit un livre qu'on aime garder dans la bibliothèque après l'avoir lu
SupprimerVoilà un moment que je le vois celui-ci, et je suis en passe de craquer. IL n'y a pas une suite à ce livre?
RépondreSupprimerN.B: j'ai aussi craqué pour un poisson rouge, un grand pas pour moi. Je me revois encore chez Botanic: "Qu'est-ce que vous avez qui n'a pas de poils, qui ne fait pas de bruit, qui ne sent pas mauvais et qui ne demande pas trop d'entretien?" On sent qu'entre les animaux et moi, y a un truc. Non pas que je les aime pas hein, mais d'abord je suis allergique (j'avais fait des tests, seule l'oie était compatible...)
Pareil ici Anne, ma grande est allergique à peu près tout et surtout aux chats, c'était son lot de consolation (mais bon 120L, 7 poissons rouges et deux grenouilles aquatiques, je trouve que c'est abusé)
SupprimerUn billet qui me donne envie de pousser cette porte, en espérant qu'elle s'ouvrira.
RépondreSupprimerJe vais suivre cela de près (j'ai un souci avec ton blog depuis deux bons mois, je ne peux plus l'ouvrir de mon ordi, d'autres t'ont-ils fait la remarque?)
SupprimerIl est très beau ton billet, et il donne envie même si comme ça, bon je ne serais pas forcément tentée (aucune légèreté en général, j'ai un peu peur de sombrer ;-) ). Emérence a l'air d'être un personnage qui vaut le détour !
RépondreSupprimerNon c'est sur ce n'est pas léger, mais c'est suffisamment étrange pour nous interroger sur plein de choses
SupprimerNan mais le souci c'est l'histoire de la Hongrie...c'est pour cela que la porte reste close !
RépondreSupprimerIl a l'air assez alambiqué ce roman là, mais visiblement tu as aimé. La domesticité n'est vraiment plus ce qu'elle était...les intellectuels non plus d'ailleurs...quant à la Hongrie...
Ceci dit, l'opposition entre ces deux femmes et ce que tu en dis est séduisante...
Honnêtement je ne connais pas grand chose à l'histoire de la Hongrie et pourtant tout m'a paru suffisamment limpide pour que je ne m'y perde pas, d'autant qu'il est question de la seconde guerre, donc finalement, on a les bases quoiqu'il en soit.
SupprimerC'est un beau roman étrange, mais je peux comprendre qu'il ne tente pas tout le monde.
Moi qui ai laissé tomber ce livre après une trentaine de pages (oui, je ne suis ni patiente, ni persévérante), tu me donnes presque envie de retenter le coup. Je n'avais pas du tout accroché, j'avais trouvé ça plutôt glauque, et puis j'étais au bord la piscine en Toscane, ce qui n'aide pas (oh, trois fois rien, des petites vacances de rien du tout). Quel beau billet en tout cas, tu le vends bien (et c'est vrai que la couverture est magnifique !).
RépondreSupprimerJe peux tout à fait le comprendre, le début est très troublant, et sans doute mieux vaut le lire au bon moment car effectivement, il faut accrocher à l'ambiance du début quand même, mais le déroulé est moins glauque que ce que le début suggère, ceci dit il reste spécial, donc je ne le conseillerai pas à tout le monde.
SupprimerJ'aime bien ta façon d'être à contre-courant, hors rentrée littéraire, et feel-good aussi... ;-) Je n'ai jamais lu de roman de Magda Szabo, j'ai comme l'impression que ce n'est pas pour moi, pourtant les romans légers ne sont pas trop mon genre non plus.
RépondreSupprimerIl est complètement étrange et ne répond pas nécessairement à nos codes, je ne veux pas du tout influencer qui que ce soit mais je te l'aurais plutôt conseillé connaissant tes gouts (il a une sobriété puissante qui aurait pu te plaire)
SupprimerBon, je ne l'ai toujours pas lu, mais ton billet ne me laisse pas d'autre choix que de le remonter au sommet de ma pile ! La couverture est effectivement superbe.
RépondreSupprimerAh oui si tu l'as sous la main, je te le recommande chaudement...je serai curieuse de voir ce que tu en penses...
SupprimerVendu ! Tu as bien fait de faire un billet : je n'avais jamais entendu parler de ce bouquin.
RépondreSupprimerJe trouve qu'il surgit un peu partout en ce moment non? Ou bien c'est moi qui suis plus attentive ?
SupprimerJe l'ai glané d'occasion au printemps, je crois. La couverture, clairement, n'y est pas pour rien. Son tour viendra d'être ouverte (la couverture, c'est-à-dire la porte) au moment où je saurai l'apprécier comme il se doit.
RépondreSupprimerOui je pense que plus que jamais il y a une question de moment dans ce roman...
SupprimerJe l'ai acheté , et du coup je laisserais bien celui du moment de coté pour commencer celui là ..
RépondreSupprimerMais Camilla Lackberg me passionne beaucoup en ce moment
Mais "La Porte " est là , ce sera le suivant !
Bises
Effectivement, ce n'est pas exactement le même genre ;-)
SupprimerBon, depuis le temps que je veux le lire et que je le laisse traîner sur mon bureau... Vous m'avez décidée ! Je l'embarque pour mes vacances. Par contre, le mien est rouge (éd. Viviane Hamy).
RépondreSupprimerViviane Hamy fait en général de belles couvertures aussi ;-)
SupprimerC'est vrai que la couv est magnifique ! Pour le reste, ce n'est pas le premier éloge de ce roman que je lis. Je risque bien de finir par craquer...
RépondreSupprimerAh...alors là je me demande comment tu le recevras, je vais t'attendre fermement ;-)
SupprimerBravo : La porte, un roman lu avant l'été, que je n'ai pas chroniqué, parce que je n'ai pas trouvé les mots pour en parler. Tu as réussi, là où j'ai échoué. Je le redis. Bravo !
RépondreSupprimerC'est un très joli compliment, merci Krol
SupprimerLe sujet m'intéresse mais je me demande si l'aspect âpre ne finirait pas par me rebuter. En tous cas, ce n'est pas le genre de livre que je lirai en ce moment. Suis tellement fatiguée et accaparée par d'autres choses que je ne lis plus que du jeunesse ou du feel-good. Mon cerveau n'est pas capable d'autre chose le soir...
RépondreSupprimerOui je comprends, il y a des périodes comme ça, ou on a besoin d'autre chose.
SupprimerDes bises
Mazette, une éternité que je me promets cette lecture ! ( écrit la fille qui a fait des semaines thématiques à l'Est ;))
RépondreSupprimerJe me demande ce que tu en penserais Marilyne...
SupprimerJe l'ai lu au printemps dernier, je crois ... Je ne sais toujours pas si je l'ai apprécié, ou pas, d'ailleurs ... Il y a sans doute trop de retenues sur le passé d'Emerence pour que je m'en fasse une idée précise, et la position de la narratrice (quelque peu maso quand même ...) m'a gênée aussi.
RépondreSupprimerJe comprends tout à fait qu'on puisse rester à côté tellement il est étrange...
SupprimerTout ce que tu en dis me séduit. Et je partage tellement ton état d'esprit anti-feelgood, mais alors tellement, si tu savais !!!!
RépondreSupprimerOui cela je le sais, ;-) nous ne retrouvons sur ce point là
SupprimerSans ton billet, j'avoue que je n'aurais prêté aucune attention à ce roman mais le thème me plait et effectivement, la couverture est belle.
RépondreSupprimerHâte d'avoir ton avis maintenant que tu l'as ;-)
Supprimerje doute et pourtant ce billet est superbe, je vois aussi que des lectrices dont je partage les goûts ont été un peu déroutées alors ... je doute!
RépondreSupprimerDéroutée on l'est forcément, après je pense que certains restent vraiment en dehors...
SupprimerQue j'aime ta plume... mais parlons de ce pour quoi je suis là: ce livre. Je crois que j'ai plus envie d'une certaine légèreté que d'autre chose. Je l'achèterais donc pour ma déco, sur tes conseils toujours excellents !!
RépondreSupprimerN'hésite pas, à côté de tes photos de voyage ce sera parfait, en attendant un jour où tu souhaiteras moins de légèreté et un peu d'étrangeté.
SupprimerLà, tu me donnes vraiment envie de lire ce livre
RépondreSupprimerJ'en suis heureuse, te connaissant je pense que tu pourrais l'aimer.
SupprimerC'est drôle parce que maintenant, quand je lis tes billets, j'entends ta voix ;)
RépondreSupprimerEt sur le fond sinon ? Ah oui. Ben comme d'hab, j'ai envie de le lire illico même s'il est dénué de légèreté. Une femme de ménage hongroise qui a de la classe et un passé, c'est mystérieux, je veux en savoir plus ! C'est drôle, ça me fait un peu penser au roman "le mur invisible" de Marlen Haushofer, ce genre de récit sec et profond sur une femme austère et amie des animaux
Tu sais que tu es la deuxième à faire ce parallèle, et effectivement, bien que je n'aie pas lu Haushofer, je pense que les deux ambiances sont assez proches.
Supprimer"un peu inquiétante"... c'est très juste, je n'arrive pas à comprendre pourquoi cet aspect ne m'a pas paru évident à la lecture...
RépondreSupprimerBref. Sinon, complètement d'accord avec ta dernière phrase sur la couverture...^^
Oui sur ce coup-là nous avons été extrêmement raccord.
SupprimerIl est dans ma PAL depuis un long moment, mais je pense que je vais très vite le ressortir
RépondreSupprimerExcellente initiative ;-)
SupprimerQuel beau billet ! voilà des semaines que je tourne autour de ce livre sans me décider à l'acheter... Et bien voilà, ta présentation va me faire craquer. C'est dire si je ne suis pas drôle comme nana, l'histoire d'une "domestique", le tout sur une ambiance austère, cela convient bien à la fille du fond des bois ;-) En plus, la fille en question fait plus qu'aimer les bêtes, elle en a, alors tu penses. Bonne soirée Galéa , et contente de relire un billet "litté" chez toi !
RépondreSupprimerOUi, il faut bien que je me souvienne de la finalité première de ce blog foutraque.
SupprimerTu aimeras La Porte Margotte je pense.
Coucou Galéa ! comment on fait pour te joindre maintenant que tu n'es plus sur FB ? Si mes souvenirs sont bons, tu ne lis pas tes mails ....
RépondreSupprimerSi si je les lis Aifelle, j'ai essayé de reprendre des habitudes saines de ce coté là (sinon je suis toujours sur Messenger)
Supprimerdes bises
Aaah mais quelle claque ce roman et tu en parles si bien ! J'ai trouvé qu'il y avait quelque chose d'assez "drôle" finalement dans ce personnage assez décalé, et d'infiniment touchant aussi. Elle ne me hante plus comme elle l'a fait longtemps après la dernière page tournée mais quand je repense à ce livre, je me dis que c'était vraiment un roman formidable et que j'aimerais bien découvrir d'autres pépites de cet acabit.
RépondreSupprimerOui tout pareil que toi, elle m'a hantée un petit moment aussi...C'est une chance qu'on soit tombée dessus.
Supprimeron sent que tu aurais préféré lire autre chose :) Il me tente, oui, il me tente... (j'aime pas le feel good de toute façon!)
RépondreSupprimerJe reconnais que j'y suis allée avec une certaine appréhension et puis finalement, j'ai bien fait (moi non plus, c'est un genre qui m'ennuie)
SupprimerTu me donnes envie de découvrir ce roman en tout cas...je l'ai beaucoup vu en librairie et malgré la très jolie couverture, je ne m'y étais pas intéressée plus que cela. Le sujet et la trame semblent assez inhabituels, cela me donne donc envie. A voir si je le croise en bibliothèque ! Merci!
RépondreSupprimerJe te lirai avec plaisir si tu le chroniques.
Supprimerencore un bon conseil de lecture... à suivre
RépondreSupprimerMerci de ce compliment les Caphys
SupprimerCe roman traîne sur ma PAL depuis sa sortie (bon enfin, là il doit être dans un des 20 cartons de bouquins non ouverts depuis 2 ans...) et je ne l'ai jamais entamé juste parce que... c'est écrit microscopique !!! Ce qui est très bête, et plus encore si on réfléchit que plus le temps passe, moins je vois bien... bref, va falloir que je l'exhume un de ces jours !
RépondreSupprimerCa me rassure de savoir que je ne suis pas la seule à mettre un temps indécent à vider mes cartons
SupprimerJe suis revenue avec de la librairie et je crois bien que j'ai fait plaisir à mon libraire en lui demandant cet ouvrage.
RépondreSupprimerSinon, au passage, j'ai pris le dernier opus de ton dieu littéraire...
Doublement chouette, je n'aurai pas d'autres mots!
SupprimerLe problème Galéa, c'est que tu parles si bien d'un livre qui ne me fait pas envie !
RépondreSupprimerLorsque tu racontes les liens qu'elle entretient avec les animaux, j'ai pensé à un petit livre où la "mémé" a une relation particulière avec un âne. C'est peut-être complètement différent, mais ça m'a rappelé cette lecture que j'avais adorée !
Si tu es sensible aux animaux, je pense qu'il te touchera d'autant plus.
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