Gilles Leroy, Alabama Song, 2007 Folio, 2012, 215 p. |
J'avais vraiment hâte de lire Alabama Song, à cause de l'enthousiasme d'Asphodèle d'une part, et aussi parce que Tendre est la nuit m'avait enchantée. Quand Petit Bonheur m'avait dit que cela lui avait laissée une impression mitigée, j'étais encore plus impatiente de le terminer.
En fait Alabama Song est l'envers de Tendre est la nuit.
Gilles Leroy se met dans la peau, dans le corps et dans la tête de Zelda, depuis le moment où elle rencontre F. Scott Fitzgerald jusqu'aux derniers jours de sa vie. Il y raconte son rapport à sa région natale, l'Alabama, qu'elle déteste mais vers lequel elle revient, sa vie de "people" des années 20, sa relation difficile avec son mari, ses talents artistiques qu'elle ne peut pas déployer, ses maternités douloureuses, son rapport au temps, au corps, aux autres...il semble laisser un peu de côté sa prétendue folie à laquelle il ne semble pas croire vraiment.
C'est un étrange objet que ce livre, finalement aux tonalités très inégales. Je n'aime pas trop quand un homme se met dans la peau d'une femme, surtout quand il parle de sexualité, il y a toujours, je trouve, quelque chose qui sonne faux. Ça c'est pour l'aspect qui ne m'a pas tellement plu.
Gilles Leroy, qui revendique un travail de fiction, fait du couple Fitzgerald un mariage sans amour et surtout sans tendresse, un couple qui ne tient que par la folie des deux époux, par leur frasques scandaleuses, leur jusque-boutisme inquiétant, leur volonté de se perdre. Le terme de "génération perdue" prend tout son sens dans ce livre. Leroy décrit finalement la face sombre et douloureuse de deux personnes qui se sont perdues avant d'y arriver. Et il le fait très bien. Mais c'est presque trop dense pour si peu de pages. Il choisit la sobriété autour d'une construction très élaborée, en mélangeant les temps. Asphodèle notait dans son billet qu'elle l'avait relu trois fois, et je la comprends, c'est à la fin que la cohérence de l'organisation du roman apparaît.
Les dernières pages sont d'une réelle beauté: la décrépitude de Zelda a quelque chose de tragique et splendide. Le romancier prend le parti d'en faire, telle Camille Claudel, une épouse qui ne peut pas s'exprimer, forcée à être dans l'ombre de son mari vaniteux, qui lui vole ses créations et ses cahiers avant de l'accuser de folie (folie qui finalement dissimule sa souffrance de ne pas avoir d'existence artistique propre.)
J'ai surtout trouvé que c'était l'envers de Tendre est la nuit, parce que dans son roman, Fitzgerald offre une issue à sa femme, il la laisse partir avec son amant. Dans Alabama Song, Zelda perd l'amour de sa vie sur les plages de Fréjus, avec la conscience d'avoir échappé à une possibilité d'être heureuse. Je ne saurais assez exprimer à quel point, cet aspect m'a touchée. Alabama SOng est la réponse désespérée à Tendre est la nuit. Lire à quelques semaines d'écart, deux versions de ce qui se noua sur les plages de la Méditerranée dans les années 20, est particulièrement prenant. Finalement, les deux romans disent la même chose: Zelda s'est fait détruire par Scott, et aurait du mener sa vie ailleurs.
La question de l'homosexualité de Fitzgerald surgit pendant tout le roman, et donne aussi un éclairage nouveau à Tendre est la nuit. Homosexualité plus ou moins refoulée et honteuse qui sous-tend une partie du propos.
Les passages sur les maternités de Zelda m'ont bouleversée. Sa relation avec sa fille Pattie qu'on lui arrache d'une certaine manière, mais dont elle tente d'être la mère méritante le temps d'une corrida, est d'une très grande justesse. Mais surtout, on est bouleversé par le fils qu'elle n'aura pas, celui de son amant perdu, qui plane pendant tout le livre. Cet enfant qui n'existe pas rejoint son frère décédé et son ami René ...Zelda a finalement été très vite confrontée à la perte des siens.
Enfin, c'est un objet étrange que le roman de Gilles Leroy parce qu'il mêle éléments réels, imaginaires et personnels. Surtout parce qu'il se met lui-même en scène dans les dernières pages, avec courage et poésie. On se rend compte à la fin du roman, qu'il donne toutes les clefs pour en comprendre l'ensemble (d'où les relectures je pense). Leroy se sert finalement des Fitzgerald pour parler un peu de lui finalement, de sa volonté d'écrire malgré les dégâts , de la nécessité des mots pour s'affranchir et se détacher des dominations et déterminismes de tous genres. Vous le savez, je suis sensible aux écrivains qui se livrent et qui réfléchissent aux processus intimes de l'écriture.
Alabama Song est un roman complexe, dont la brièveté n'enlève rien à l'élaboration de la trame, un livre d'une très grande tristesse qui finalement évoque, au delà de la question de la femme dans le couple, la difficulté de devenir la personne que l'on souhaite. Je serais moins enthousiaste qu'Asphodèle, probablement parce que je ne l'ai lu qu'une fois, mais enthousiaste quand même, parce que sa plume est belle et son sujet brûlant.
Et je pense que pour en saisir la teneur, il faut le lire à la lueur des écrits des Fitzgerald. Alabama Song est un livre qui se mérite, qui cache sous son étonnante construction, une cohérence littéraire très recherchée.
J'intègre ce billet aux challenges d'Asphodèle, Fitzgerald et les enfants du jazz, et celui de Laure, challenge à tous prix (Goncourt 2007)
Oui alors il a l'air complexe... Je ne connais pas en plus la vie de ces personnes. Je ne les ai jamais encore lus. Je vais sans doute avoir du mal à tout comprendre. Il vaut mieux que je commence par Tendre est la nuit donc ?
RépondreSupprimerUne belle chronique en tout cas :) et merci pour ta participation ;)
Belle journée à toi :D
Oui, je pense (mais cela n'engage que moi) qu'il vaut mieux connaître l'histoire des Fitzgerald et ce qu'ils ont écrit pour bien saisir le roman de Gilles Leroy. Mais peut-être l'aurais-je aimé quand même...je ne peux pas savoir. En tous les cas c'est tout l'intérêt du challenge de pouvoir le lire au sein d'un ensemble.
SupprimerJe connaissais bien sûr le mythe mais ne n'y étais pas encore intéressée. C'est grâce à Asphodèle :D j'espère apprécier :D Je commencerai par Tendre est la nuit :D bises
SupprimerRhooo! je l'ai vraiment aimé celui-là, j'ai Gatsby sous le coude (mais je veux un peu oublier "Tendre..." avant de l'attaquer, j'ai peur qu'il souffre de la comparaison (j'ai des vrais problèmes moi!)
SupprimerQuel beau billet argumenté et complet ! Maintenant que j'ai lu pas mal d'autres choses sur le couple (des choses a priori vraies -correspondances, témoignages-), le livre de Gilles Leroy est mieux éclairé et n'oublions pas qu'il reste une fiction, notamment la scène de la corrida qui est totalement fictive. Quant au reste, l'homosexualité refoulée de Scott, les "écrits" de Zelda, je pense qu'il restera toujours une zone d'ombre et que cette zone est bienvenue quand on sait l'image de la "légende"... Un point reste certain malgré tout cela, Zelda a aimé Scott jusqu'au bout, malgré tout ce qui les a séparé... Je te conseille vivement Zelda de Jacques Tournier mais aussi Lots of love (correspondance entre Scott et sa fille Scottie), c'est édifiant...
RépondreSupprimerOui je vais lire le Tournier, mais après "Accordez moi cette valse" je pense. Leroy précise que la scène de la corrida est imaginée, mais justement, je l'ai trouvée particulièrement poignante, il donne en quelque sorte une chance à Zelda d'essayer d'être une bonne mère. Cela m'a vraiment émue. En tous les cas, merci pour ce challenge, la période me passionnait avant mais le couple est vraiment fascinant, artistiquement parlant...
SupprimerJe l'ai lu au moment de sa sortie et je n'avais pas aimé. ça m'avait exaspérée, même. Ton billet excellent et fouillé me donne envie de le relire.
RépondreSupprimerPeut-être étais-je de mauvais poil à ce moment là? :) Bonne journée :))
Je peux comprendre qu'on ne l'ait pas aimé, parce qu'au milieu du livre, je ne savais plus qu'en penser (à cause de la construction et du désespoir ambiant, il manquait une lumière). Mais pour moi, la fin boucle tellement bien (ne serait-ce qu'avec les titres de chapitres) que je reste quand même convaincue que c'est un grand livre parce que finalement il parle de la littérature et de l'écrivain, avec un beau style je trouve.
SupprimerJ'ai vraiment beaucoup aimé ce roman !! La manière dont Gilles Leroy nous parle de Zelda en se mettant dans sa peau est carrément bluffante !!
RépondreSupprimerComme quoi, c'est un livre qui a ses enthousiastes et ses mitigés...C'est le propre des romans originaux sûrement ;-)
SupprimerPas d'avis sur ce sujet, mais un clin d'oeil à Madame Galéa d'une région ou la neige a décidé de s'installer. ;-)
RépondreSupprimerAu moins, je sais que vous êtes au Nord de la Loire où l'hiver ne semble pas vouloir se retirer. Bon courage...
SupprimerMoi aussi je vais y retourner alors ! Peut-être que, plus que le style ou la construction du livre c'est ce couple qui ce détruit qui me met très mal à l'aise...En y repensant, tous les livres de ou sur Francis Scott Fitzgerald que j'ai lus me font cet effet-là. Et d'accord avec toi, je n'aime pas trop les hommes qui se mettent dans la peau des femmes, ça sonne souvent faux...Dois-je y revenir ? Pas certaine. Merci pour cette fiche de lecture si aboutie !
RépondreSupprimerIl ne s'agirait que d'un mariage qui se délite , c'est vrai que ce serait un peu glauque, mais je pense que tout l'intérêt est justement que ce n'est pas un couple comme un autre; ce sont deux artistes submergés par leur volonté d'exister. Je pense que c'est vraiment le propos du livre; et je pense que je le relirai. A ta place j'y reviendrais; mais tu sais ce qu'on dit "les goûts et les couleurs..."
SupprimerPS: c'est chouette aussi de ne pas avoir le même avis sur un roman et de pouvoir en débattre ;-)
"Objet étrange", tu as raison, mais aussi roman captivant. A lire, donc.
RépondreSupprimerJe le pense aussi.
SupprimerCe couple quasi mythique n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre. Je n'étais pas attirée par Gilles Leroy avant de lire "Dormir avec ceux qu'on aime" qui m'a beaucoup plu. J'ai aimé sa sensibilité, la douceur et la pudeur du propos. Je ne sais si le ton est semblable quand il fait dans la biographie romancée comme ici, mais si c'est le cas, il doit être tout à fait approprié au "cas" Zelda.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas Gilles Leroy avant, et c'est vrai qu'il donne une couleur particulière à Zelda. Je note le titre que tu cites qui ressemble bien à l'idée que je me fais de lui en tant que romancier.
SupprimerJe l'ai trouvé assez inégal. Certains passages très bien, d'autres artificiels. Un peu déçue, en fait. Ca ne m'a pas donné envie d'en lire d'autres du même auteur.
RépondreSupprimerinégal c'est le mot...moi c'est le bon côté qui l'a emporté, mais nous n'avons pas tous la même sensibilité;-) Merci de ton passage.
Supprimerbon je vais suivre ton conseil et le lire une deuxième fois en parallèle avec Tendre et la nuit parce que je n'ai pas réussi à écrire mon billet alors que j'ai aimé ce roman
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