Lauren Groff, Les Furies (Fates and Furies 2015) Traduction: Carine Chichereau Editions de l'Olivier, 2017, 427 p. |
Lire Les Furies , c'est attendre la dernière partie pour comprendre le titre, et très honnêtement, on n'est pas déçu, on peut dire, sans rien déflorer, que le roman porte très bien son nom. Parce qu'on a des furies de compétition quand même.
Avant d'y arriver à ce dernier chapitre -qui remet tout dans le bon sens-, on suit l'histoire de Lotto Satterwhite, un dramaturge américain célèbre. Si le roman s'ouvre sur la scène de la consommation de son mariage sur une plage, en réalité, avec les flashback, on connaît le parcours de Lotto depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Lotto c'est l'acteur charismatique mais raté qui ne parvient pas à décrocher le moindre cachet, mais qui devient, suite à une énième déception noyée dans l'alcool, un auteur génial et adulé de tous.
Alors évidemment, la perditude étant une sorte de hobbie chez moi, je me suis régalée de cet état d'esprit américain qui permet à chaque loser de réussir sa vie malgré tout. La notion des secondes chances est l'un des bonheurs de la mentalité américaine. Les Furies, c'est un roman addictif, jamais ennuyeux (en tous les cas de mon point de vue, je sais que d'autres blogueurs y ont vu des longueurs), porté par souffle narratif dense. On y parle de la création, de l'inspiration qui nait et qui disparait, de la nécessite de produire de l'art, de se renouveler, on y parle de spectacle vivant, dont il restera toujours les mots mais qui n'existe jamais que de manière éphémère.
D'autant que finalement l'ascension de Lotto reste la toile de fond de l'histoire d'un couple. Et ce n'est pas un hasard si le roman s'ouvre sur les ébats de Lotto et Mathilde, car cette Mathilde est pour moi le vrai personnage principal du roman, femme de l'ombre du grand homme, comme l'exigent les codes de ce type de situation, elle est donc celle qui organise, qui traite, qui choisit, qui colmate...bref c'est le double laborieux du dramaturge réputé; jusques-là, on se dit qu'on est dans les thématiques classiques.
Mon seul problème, et je pense que c'est culturel, c'est l'outrance. J'avais déjà ressenti cela à la lecture des Apparences de Gillian Flynn, mais je crois, à la réflexion, que c'est propre à une certaine littérature américaine (et féminine): l'explicite qui hurle, le trop du trop, l'absence de suggestion. C'est particulièrement vrai pour les scènes de sexe (évidemment incontournables quand on traite du couple), mais qui sont à la fois récurrentes, exagérées, détaillées et un peu redondantes....uniquement quand il s'agit de scène hétéro bien sûr, puisque les deux passages de relations homosexuelles sont très implicites voire carrément suggérées, pour ne pas choquer le lecteur puritain sans doute.
Sauf que bien sûr, Les Furies va bien au-delà de tout cela. Il faut absolument le lire jusqu'au bout du bout pour attraper le vrai propos, qui de mon point de vue - ATTENTION SPOILER- fait de Lotto non plus le personnage principal, mais un prétexte, un enjeu, presque un objet que les furies se disputent. On peut ne pas être d'accord, mais pour moi, le renversement de point de vue du dernier quart du roman est sa grande réussite.
Parce que finalement, les Furies traite de la part d'ombre de chacun, le roman pose la question de savoir si on s'appartient vraiment, si véritablement on choisit seul son chemin de vie. Les Furies , c'est un roman sur l'amour, la création, l'aigreur, sur les rôles qu'on joue sur scène et dans la vie, sur ce qu'on est et sur ce que les autres pensent qu'on est. C'est un livre sur l'emprise et finalement ce n'est pas nécessairement celui qu'on pense qui domine l'autre.
Bref, on lit Les Furies comme on boit un apéritif trop corsé: c'est bon, ça brûle un peu, ça tourne la tête, et on ne sait pas bien dans quel état on va finir.
C'était ma dernière chronique avant une sortie tant attendue #ChocDesAmbiances
J-4 avant le ModianoDay
La thématique est intéressante et ce que tu en dis me donne vraiment envie d'en savoir plus...
RépondreSupprimerAu plaisir d'y découvrir ton avis alors
SupprimerJe n'ai pas pris le temps à Noël dernier de faire un billet sur ce roman que j'avais trouvé au pied du sapin. Je l'avais demandé dans ma lettre au Père Noël. Finalement, c'est aussi bien ... Tu exprimes vraiment tout ce que j'ai ressenti à la lecture de ce roman #luaussiparObama#laclasseaDallas
RépondreSupprimerTu me flattes Albertine, merci beaucoup
SupprimerDes bises
Je l’avais à peine entamé, et laissé de côté, pas le bon moment sans doute. Ta chronique me donne envie d’y jeter un deuxième oeil (mais j´ai tant a lire qui passeront avant !)....
RépondreSupprimerTu n'es pas la seule, j'ai une amie qui l'a abandonné aussi ;-) il y a tant de choses à lire
SupprimerJe l'ai abandonné très vite ; je n'accrochais pas, je m'ennuyais. Je le reprendrai peut-être un jour, mais pas sûr (Entendu Modiano hier soir ou ce matin à la radio, évidemment j'ai pensé à toi).
RépondreSupprimerOui, comme je le disais à Christelle, ce n'est pas la première fois que j'entends cela, je comprends
Supprimer(oui il a eu une sacrée médiatisation notre Nobel, à chaque fois, cela me fait mal de l'entendre se dépêtrer de ces entretiens ou on lui pose constamment les mêmes questions)
Je crois que c'est le premier billet qui me donne envie de lire...
RépondreSupprimerC'est évidemment très flatteur pour moi ;-) Merci
SupprimerIl me fait de l'oeil depuis un moment ce livre, et tu m'as donné envie... ;)
RépondreSupprimerJ'attendrai ton avis...
SupprimerBon, ben j'ai hâte pour le Modiano day...parce que là...heu...voilà quoi... :D
RépondreSupprimerTu exagères, en ce moment rien de ce que je propose ne te convient.
Supprimerun sacré roman!
RépondreSupprimeril m'a laissé un souvenir très fort!
Formidable, je suis heureuse de ne pas être la seule.
SupprimerJ'ai un peu zappé la fin de ton billet, parce que j'ai bien envie de le lire et que la mention de spoiler m'a fait fermer les yeux ! Bon, ton billet ne me décourage pas dans les intentions, je le garde à l’œil !
RépondreSupprimerToi qui lis beaucoup de littérature américaine, je serai vraiment curieuse d'avoir ton avis.
SupprimerJe connais quelques problèmes avec la littérature américaine féminine, trop ou pas assez
RépondreSupprimerJe suis bien d’accord la fin réécrit toute l’histoire et lui donne tout son sens ! J’ Ai trouvé le personnage de Mathilde fascinant !
RépondreSupprimerBon à avoir dans un coin de la tête, même si en ce moment j'ai faim de classiques français et britanniques (quoi, Modiano sort un livre ? #àlouest )
RépondreSupprimerC'est toujours un plaisir total de te lire mais je ne suis pas follement tentée par ce titre-là, pour le coup... L'outrance américaine dans les scènes de sexe : bof. Je préfère attendre Modiano :p
RépondreSupprimerUn livre redoutablement efficace ! J'aime bien la comparaison avec l'apéritif trop corsé :-)
RépondreSupprimerEt oui, le retournement de point de vue est brillant !
Je te sens un peu alcoolisé par cette lecture-apéritif corsé.
RépondreSupprimerEt Modiano, quel alcool se serait ?
J'adore le personnage de Mathilde, un personnage féminin comme je les aime. Oui, il y a de l'outrance tu as raison. Mais là où je n'ai pas aimé Les apparences, j'ai beaucoup aimé ce roman.
RépondreSupprimerGaléa, je propose que tu continues ta série sur l'addictologie, pense un peu à nos PAL qui, déjà avant Noël, sont trop grasses ! Avec tes billets littéraires, tu vas contribuer à les engraisser un peu plus !
RépondreSupprimerDans les apparences, je n'avais pas senti d'outrances, ça appuie un peu sur les effets, bien sûr, mais cela ne me gêne pas tant que les personnages restent crédibles, d'après ce que tu écris, ça semble limite dans ce titre.
RépondreSupprimerDéjà que le titre me faisait de l'oeil, mais là, tu achèves de me convaincre ! Et comme ma libraire préférée ouvre une antenne dans ma petite ville et que je me dois de l'aider à développer son commerce, j'ai une petite LAL qui s'allonge...
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il me plairait de le lire, mais je vais noter le titre pour Mister B.
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris, à la fin on dit "pauvre Lotto !", non ?
Alors que l'idée générale aurait tendance à m'intéresser (les rôles qu'on joue, ce qu'on est et ce que les autres pensent de nous), un je ne sais quoi, l'outrance annoncée peut-être, me freine.
RépondreSupprimerOn va dire que je lirai ce livre :
1/ si je tombe dessus par hasard dans une librairie
2/ si je me rappelle que tu l'avais chroniqué ^^
Vendu !!
RépondreSupprimerJe crains de me retrouver dans la catégories qui trouve des longueurs. Du coup, j'irai plutôt chercher l'ivresse ailleurs...
RépondreSupprimerJ'avais repéré ce titre aussi chez une blogueuse (mais qui ?), je le trouvais assez intrigant, les thématiques me parlaient, ça me disait bien. Tu en rajoutes une couche avec ton premier et ton dernier paragraphe ! Je resouligne ce titre sur ma LAL.
RépondreSupprimerC'est par Sandrion qui vient d'en faire un billet que je découvre le tien, il faut dire qu'en octobre 2017, il m'était juste impossible de lire quoi que ce soit, même les blogs ! Il me tente bien ce livre, j'avais aimé "Les apparences" alors pourquoi pas, mais plus tard, je suis dans la saga napolitaine de Ferrante et ça me va très bien en ce moment ! Bises Galinette !
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