Anthony Trollope, Le Dr Thorne (1858) traduction Alain Jumeau Editions Points, 2014, 781 p. |
Dans la vie tout est une question de moment, et je ne pouvais choisir pire que le mois de juin pour m'attaquer au Docteur Thorne de Trollope, un joyeux pavé de 780 pages consacrées aux circonvolutions du mariage contrarié à l'époque victorienne.
Je m'étais donnée 3 semaines, il m'en a fallu le double, et encore... y serais-je parvenue sans une semaine de repos forcé ? Rien n'est moins sûr.
C'est ainsi que j'ai suivi les aventures de la douce Mary Thorne, à la fois déterminée et tolérante, amoureuse et généreuse, loyale et sincère (avec un prénom pareil, peut-elle vraiment être autrement?). Cette pauvre Mary donc, sans naissance ni fortune, est la nièce du Dr Thorne, mais surtout l'amoureuse de Franck Gresham, l'héritier désargenté du domaine de Greshamsbury, qui doit nécessairement "épouser une fortune" pour sauver la propriété hypothéquée de son père ruiné.
Typiquement dans la lignée de littérature victorienne, chez le Dr Thorne, on trouve des roturiers en mal de reconnaissance, des aristocrates imbus d'eux-mêmes, des parvenus anoblis qui ne se sentent pas à leur place, des amours contrariés. Evidemment, c'est long, Trollope aurait pu faire plus court, plus concis, il aurait pu largement alléger son roman de quelques centaines de pages. Bien sûr, toutes ces réflexions autour du mariage, sur ce qu'il apporte, et ce qu'il implique peuvent paraître complètement datées en 2015. Sans surprise, on a une happy-end convenue qui arrange les problèmes de tout le monde.
Et pourtant...malgré les répétions de danse, la chorale de l'école, les auditions du conservatoire, les réunions d'entrée au CP, la perspective d'avoir 9 semaines avec les enfants, la canicule soudaine et perfide, je ne l'ai pas lâché. Certains soirs, alors que je m'endormais au bout de quelques pages, j'arrivais à rester attachée aux personnages, bien que le dénouement ne constituât aucun mystère. Car, au delà des codes convenus, je dois dire qu'on trouve chez Trollope des scènes absolument délicieuses qui n'épargnent en rien le genre humain (dont on s'aperçoit qu'il y a quand même des choses qui ne changent pas à travers les siècles : la cupidité, la lâcheté, la mesquinerie, la vénalité, l'arrogance. A ce titre la scène du dîner chez le duc d'Omnium est vraiment un morceau d'anthologie).
J'y ai retrouvé aussi ce qui me manque chez Austen: l'irréversible tragique, qu'on retrouve ici concentré chez les Scatcherd. Même s'il s'agit de personnages secondaires, pas tant que cela finalement, puisqu'il s'agit d'un maçon anobli en baronnet, qui ne se remet jamais vraiment d'intégrer la haute société et qui finit littéralement dévoré par l'alcool. D'ailleurs la description de l'alcoolisme chez les Scatcherd n'aurait presque rien à envier à Zola, tant c'est juste et poignant. Plus encore, les réflexions sur la famille Scatcherd sont d'une modernité assez géniale: "Si l'on souhaite trouver dans le monde des prénoms royaux (...) il faut orienter les recherches en direction des familles de démocrates. Personne n'a la même déférence servile jusque pour les rognures d'ongle de la royauté" (p.182). Il est de ces paradoxes qui ne changent pas avec le temps.
Plus important encore, Trollope nous parle du "squire" (père ruiné de Franck), ce titre de l'entre deux classes, entre la noblesse et la roture, mais dont toute l'histoire tourne autour de sa ruine. Il est finalement question essentiellement d'argent dans ce roman, qui il y a 150 ans comme maintenant, dirige le monde, fonde et défait les réputations, inspire le respect ou le mépris, fait basculer une élection dans un sens ou dans l'autre : "Il y a peu d'endroits où un homme riche ne peut se payer des camarades" (p.394) . Un constat finalement amer quand on referme ce livre, car au delà de la fin joyeuse, il est la clef de résolution de l'intrigue, et c'est finalement assez déprimant.
Au final, ce que réussit le mieux Trollope, c'est ce qu'il invente autour du médecin irréprochable et de notre couple d'amoureux. Tous les trois restent définitivement beaucoup moins intéressants que Miss Dunstable (roturière excentrique sans beauté mais richissime, entre deux âges, courtisée de toutes parts par des prétendants cupides), Lady Arabella (mère de Franck, aristocrate amère parce que pauvre, sans doute très malade, hypocrite et vénale et qui tente de sauver le reste de prestige du domaine qu'elle habite), le père de Franck (dépressif, adorant son fils, accablé par les dettes, tiède et sans volonté réelle), Sir Louis, fils dépravé du baronnet Scatcherd, l'arrogant Dr Fillgrave ou bien le furtif Mr Moffat absolument délicieux dans son genre : "Il avait passé sa vie à calculer comment tirer le maximum de lui-même. Il ne s'était laissé aller à commettre aucune folie par suite des inadvertances de son coeur: aucune erreur de jeunesse n'avait gâché ses chances dans la vie. Il avait tiré le meilleur parti de lui-même" (p.307)
Avec cette galerie de personnages, Jullian Fellowes, (oui, oui celui de Downton Abbey) devrait pouvoir faire une adaptation tout à fait réjouissante, ne serait-ce qu'en reconstituant la famille de Courcy (une caricature de l'aristocratie anglaise du XIXe siècle).
Je remercie le fournisseur officiel de ce billet: Notre Titine nationale qui me l'a fait gagner l'an dernier dans un concours qu'elle a organisé sur son blog grâce aux Editions Points. Une Titine au top de sa britannitude puisqu'elle a rallongé son mois anglais en A Year in England dont ce billet est ma première participation.
C'est également ma participation au challenge de Brize pour le pavé de l'été, et là pardon mais avec 760 pages je pense m'en vanter encore quelques temps ;-) (oui, je ne suis que vanité)
Génial ce billet comme d'hab mais je n'ai pas du tout envie de lire ce pavé ! Le thème ? Le nombre de pages ? En ce moment, j'adore lire un livre par jour ou presque, donc pas plus de 200 pages !
RépondreSupprimeroui c'est sûr c'est plus une littérature qui dure dans le temps ;-) Krol
SupprimerChacun ses habitudes l'été, moi j'aime les gros pavés....
Tu n'est que vanité... et tu me fais rire. 760 pages, j'en rêve. Je te jalouse.
RépondreSupprimeroui j'adore cette phrase: n'être que vanité ;-)
SupprimerAh oui, 760, tu les sens, tu as le temps d'entrer dans l'ambiance ça c'est certain ;-)
des bises Alphonsine.
Actuellement je fais comme krol, mais t'inquiète, ce Docteur m'attend depuis un an!
RépondreSupprimerC'est le temps qu'il m'a attendu aussi...mais je vois que tu te l'es enfilée plus vite que moi chère Keisha ;-)
SupprimerCes temps-ci j'ai lu pas mal de pavés et j'en ai encore d'autres à lire ! Je ne sais pas comment je me suis débrouillée pour choisir ceux-ci...
RépondreSupprimerAh bah mince, si tu voulais lire court, c'est vrai que c'est ballot...
SupprimerMoi, je viens de terminer dans la douleur "L'enfant de l'étranger" d'Alan Hollinghurst ! 764 pages (4 de plus que toi, nanana). J'ai lu aussi et avec beaucoup plus de plaisir "Passé imparfait" de Julian Fellowes, 645 pages qui défilent à toute allure.
RépondreSupprimerLe Trollope me tente bien, mes deux premiers pavés de l'été ont constitué un bon entraînement...
As tu déjà chroniqué le Passé Imparfait ? je ne l'ai pas vu passer...je vais tirer ça au clair .
SupprimerDes bises ALbertine....
Même avec ton commentaire à la sauce galets, je n'ai aucune envie de lire ce pavé. Je préfère les galets
RépondreSupprimerJe comprends, c'est le genre de lectures avec laquelle il faut être motivée ;-)
SupprimerJe n'aurais sans doute pas le temps de le lire cet été - mais je le note, pour un hiver prochain : 780 pages, le rêve pour moi !
RépondreSupprimerOui je sais bonheur du jour que tu aimes les livres longs ;-)
Supprimertrès bon billet!! ah ce brave Dr Fillgrave!! j'adore les passages où il est présent!! je l'imagine repartant de chez les Scatcherd (après l'épisode du billet de 5£) avec la vapeur qui lui sort par les oreilles!
RépondreSupprimerOh oui, ce passage est absolument génial ;-)
SupprimerEn effet, j'ai l'impression de lire une chronique de Jane Austen...il lui a tout piqué ma parole...Warf ! Je vais passer mon tour, j'adore "il aurait pu enlever quelques centaines de pages"...ça donne envie moi je dis !! Warf !
RépondreSupprimerBisous Mary !
C'est vrai MTG, pour l'intrigue, il aurait pu faire plus court, mais il s'agit plus de roman d'ambiance, d'une peinture de l'époque, à un moment où on avait le temps de lire des livres longs, ou le but n'était pas de finir les volumes le plus vite possible....
SupprimerUne autre époque en somme ;-)
Figure toi que je l'ai commencé hier soir (je venais d'enchainer des bouquins de moins de 200 pages, ça ne tient pas longtemps, ces trucs là! ^_^)
RépondreSupprimerBen non, je sais, je me doutais que tu y viendrais assez vite....
Supprimer780 pages d'un roman victorien ? heu .. je demande un délai de réflexion. Surtout que je suis moi-même plongée dans un pavé de 600 pages assez ardu.
RépondreSupprimerAh bon Aifelle, et qu'était-il ?
Supprimer"Illska, le mal" d'Erikur Orn Norddahl . Une sombre histoire de tromperie amoureuse sur fond d'holocauste en Lituanie et montée d'extrême droite en Europe de nos jours ... Passionnant, mais assez difficile. Et tu sais quoi ? il me manque trois pages pour qu'il entre dans le challenge pavé de l'été !
SupprimerDis donc, ça a l'air follement gai en tous les cas ;-)
Supprimer(Je le sais, car on n'en a parlé depuis, je suis en plein tri dans ma boîte mail, je vais essayer de répondre à tous mes messages en souffrance)
J'ai l'impression que Trollope ne déçoit jamais. Et tu sais comment s'appelle l'une des filles de Cécile Duflot ?
RépondreSupprimerIl ne plait pas à tout le monde néanmoins Estelle, c'est un auteur prolifique et victorien ;-)
SupprimerNon aucune idée, non seulement je ne m'intéresse pas aux people, mais encore moins aux politiques, et particulièrement pas à elle qui a vendu des convictions sur le nucléaire à un siège de député. cette femme incarne à peu près tout ce que je déteste et a trahi la cause écologiste.....
Je suis d'accord avec toi sur à peu près tout, mais le prénom de sa fille est tellement ridicule que c'est assez mémorable. Elle s'appelle "Térébenthine" ! ;^)
SupprimerAH si en fait je le savais, mais je pensais que tu parlais d'un autre (c'est moi où je ne vois pas du tout le rapport avec le Dr Thornes?)
Supprimer;-)
Euhben si en fait :) C'est parce que tu parlais du prénom de Mary je pense.
SupprimerEt puis ça te distrait entre deux commentaires plus sérieux :D
SupprimerTu as eu raison ;-)
SupprimerJ'aime beaucoup la façon que tu as de mêler ton quotidien à un compte-rendu de lecture !
RépondreSupprimerEt sinon, j'ai bien envie d'annoncer ici, en avant première, que ma participation au Pavé de l'été pèse 800 et quelques pages ! Bon, d'accord, on ne joue pas à celui qui fera pipi le plus loin mais quand même... je te bats ! ;)
oh punaise, mais c'est avec quel titre Sido??????
SupprimerPfiou je ne suis qu'admiration devant ton exploit de lecture ! En ce moment, je traîne avec un moins de 200 pages avec lequel je ne m'ennuie pourtant pas et qui me surprend même plutôt agréablement.
RépondreSupprimerJ'ai eu quelques inquiétudes au début de ton billet mais finalement, tu rejoins les avis qui parlent de ce roman comme valant grandement le détour. Mon prochain et premier Trollope donc, si tout va bien.
Ah ah , je serais vraiment curieuse de voir ce que tu en penses A girl...si nous nous rejoignons aussi sur la littérature plus classique.
SupprimerMerci de ton admiration, je prends évidemment ;-)
Belle fin d'été à toi
760 pages... époque victorienne... portraits grinçants... mmmh.... je sens que ce pavé pourrait me plaire - et surtout me changer les idées entre deux missions commando sous le frigo... ^^
RépondreSupprimerD'ailleurs, on en es-tu avec celui-là ? j'y pense souvent tu sais....
SupprimerUn billet plutôt tentant, et si une adaptation est prévue, j'ai bien envie de me lancer malgré les quelques centaines de pages que l'auteur aurait pu zapper. Merci pour l'idée!
RépondreSupprimerP.s. A Girl, si c'est le Gordimer, normal que tu traines, c'est court mais ardu ;-)
Oui avant de voir le téléfilm c'est quand même mieux je trouve ;-)
Supprimer(au vue de ses articles du blog, je pense qu'il s'agit de celui-là ;-)
Bravo à toi pour ta persévérance. J'attendrai l'adaptation, j'ai d'autres pavés qui m'attendent pour cet été.
RépondreSupprimeroui j'imagine bien ...
SupprimerBah après les pavés...la plage !
RépondreSupprimerElle était trop facile !
Ca me donne pas trop envie, rien que le mot Victorien, m'incitant à me tenir le dos droit au lieu d'affaler en forme de flaque sur le canap me fait m'esquiver sur la pointe des espadrilles, et puis j'ai déjà lu mon pavé de l'année, ! mais il ne faisait que 630 page alors chapeau de paille bas !
Bises
ah oui, le mot victorien inspire le maintien, c'est vrai...
Supprimerlequel pavé était-ce donc ?
Punaise les filles ! vous allez finir par m'obliger à lire Trollope ! Enfin, je ne commencerai sûrement pas par un pavé de plus de 700 pages... dans le genre, je vise "La Chartreuse de Parme" mais pour le moment, cela ne reste qu'au stade de l'intention ;-)
RépondreSupprimerRho la la, je l'ai lu quand j'étais jeune la Chartreuse ...je serais curieuse d'avoir l'avis d'une grande personne ;-)
SupprimerJe suis comme Aifelle : 780 pages d'un roman victorien, ce n'est pas pour moi. Perso, dans le cadre du pavé de l'été, j'ai choisi les 630 pages (oui, je sais, c'est pas beaucoup ;-) du dernier Carrère !
RépondreSupprimerAh oui, j'ai lu ton super billet....
SupprimerAyé, terminé. J'en aurais presque repris une louchette...
RépondreSupprimerJe sais, je sais, tu me fais rire....
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerIl fut une époque ou ce genre de pavé faisait mon plaisir
Maintenant j'en lis des moins gros , mais celui là me tenterait bien ..
Merci à toi
Bises
Avec plaisir Claudine...
SupprimerBonjour Galea, ce roman est tout à fait dans la veine de Quelle époque! du même (j'avais adoré). Une lecture assez addictive. Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimerAh tiens, je ne connais pas ce titre....Merci Dasola, bonne journée
SupprimerOui, tu peux te vanter :) ! Pour ma part, je crois que les quelques centaines de pages en trop auxquelles tu fais allusion me gâcheraient le plaisir (tu as vu comment je me débine ?!).
RépondreSupprimerTu as le droit, moi elles ne m'ont pas paru longues, mais je sais qu'elles pourraient en faire fuir...
SupprimerJ'aime me vanter chère Brize....
Je suis bien contente de voir que malgré ton mois de juin bien rempli, tu t'es accrochée à ce roman. J'apprécie tout particulièrement Trollope et sa finesse d'analyse du genre humain. J'aime également beaucoup sa manière de s'adresser à son lecteur pour lui parler de tout et de rien ! Il est finalement assez méconnu en France et peu disponible en traduction. C'est bien dommage mais nous remédions à cela grâce à nos blogs !
RépondreSupprimerEcoute jusqu'à ton mois anglais de l'année dernière je n'en avais jamais entendu parler...même à la fac en littérature anglo-saxonne (un UV consacré essentiellement à des auteurs que les francophones connaissaient déjà...vive le système universitaire français).
SupprimerMerci encore de me l'avoir offert ;-) heu pardon, fait gagner .