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mardi 31 octobre 2017

My october

C'est l'heure des petites choses anodines et littéraires du mois d'octobre.

Le bilan d'un mois d'automne en 2 minutes (fait un peu en catastrophe quelque part entre les montagnes françaises et italiennes).


Bon mois de novembre à tous

samedi 28 octobre 2017

Souvenirs dormants - Modiano

Patrick Modiano, Souvenirs Dormants (2017)
Gallimard, 2017, 105 p.

Retrouver Modiano après trois ans d'absence

Ce n'est pas si simple le premier roman après un Nobel, une belle médiatisation, quelques polémiques (et mon éphémère heure de gloire bloguesque à l'annonce de son prix). On ne va pas se mentir, il y a la peur d'être déçue, la crainte qu'il ait changé, ou même d'avoir trop changé soi-même au point de ne plus être sensible à sa manière si singulière d'écrire. C'était un risque ces retrouvailles.

Je me suis donc jetée dessus le jour de sa sortie, avec crainte et fébrilité (déjà dépitée du trop peu de pages de son nouvel opus). J'ai de la chance, il y a des choses qui ne changent pas dans la vie : ce qu'écrit mon romancier préféré et ma manière de le lire. Tout va bien donc.

C'est toujours l'histoire d'un homme qui se souvient

C'est encore le long rassemblement des souvenirs qui s'éparpillent toujours plus à mesure que le temps passe. Car même si Modiano aura pour moi toujours une trentaine d'années, on ne va pas se mentir, c'est maintenant presque un vieux monsieur. C'est vrai, c'est encore une histoire de déambulation, d'adresses d'un autre temps, c'est, selon les expressions journalistiques maintenant convenues, son éternelle "géographie intime", ses "brouillards phosphorescents", la "petite musique de Modiano"...mais au fond c'est tellement plus que tout cela.

Souvenirs dormants raconte la longue solitude d'un jeune homme entre 17 et 22 ans, et de ses rencontres imprécises. Des femmes essentiellement. On y retrouve les personnages féminins de ses autres romans, on croise des état-civils qui en rappellent d'autres, des situations qu'on a déjà lues. Il y a la femme mystérieuse et légèrement fatale, forcément mariée mais sans époux. Il y a la très jeune femme sous emprise, la vingtaine à peine engagée, fragile, en équilibre entre deux mondes et qui ne s'appartient pas vraiment. Il y a le couple en fuite qui se cache d'hôtels en hôtels. Et surtout, il y a celle qu'il ne veut pas nommer et pour cause :

"je me méfie encore , après cinquante ans, des détails trop précis  qui pourraient permettre de l'identifier" (p.75)

Souvenirs dormants répond une fois de plus au reste de son œuvre

Cette femme qu'il ne veut pas nommer, c'est peut-être Carmen de Quartier perdu. Ici, les souvenirs dormants paraissent aussi potentiellement inquiétants que des agents. Car c'est d'abord et surtout un roman sur le danger, la peur, la disparition, la fuite et le mystère. Modiano ce n'est pas que du flou, c'est aussi l'évocation des gens malveillants, au passé trouble, des hommes dangereux, menaçants, ceux dont il disait dans son précédent livre qu'ils sont aussi coupants de face que de profil (de mémoire hein, peut-être ce n'est peut-être pas la formulation exacte).

Deux jours après l'avoir terminé, après avoir relu Quartier perdu, une partie Du plus loin de l'oubli et de Fleurs de ruines, ainsi que certains chapitres de sa biographie, je me dis que l’œuvre de Modiano c'est un monde parallèle (disparu, imaginaire, littéraire ? peu importe). Je ne sais pas du tout si Souvenirs Dormants pourrait plaire à quelqu'un qui ne connaît pas son œuvre, parce que je le lis à la lueur des autres. Mais pour le lecteur assidu et un peu obsessionnel de Modiano (dont je suis), ce dernier roman, presque trop court, trop essentiel, est une nouvelle piste de compréhension, qui une fois de plus éclaire tout le reste. La matrice de l'écriture de Modiano c'est vraiment le danger, la fuite, l'évaporation, le souvenir.

Car ce que nous confirme Souvenirs dormants (et on respire l'effroi du narrateur (ou de l'auteur) à l'évoquer une nouvelle fois) c'est que si l'Occupation est au cœur de sa production, il y a aussi une certaine nuit de l'été 1965, avec un cadavre froid au 2 avenue Rodin, Paris XVIe. Modiano nous renvoie lui-même vers Quartier perdu avec la production du rapport d'enquête, les constatations de la police, avec la fuite et la disparition. Clin d’œil littéraire ou dissimulation du réel, à la limite peu importe.

"Ainsi, on ne saura pas s'ils appartiennent à la réalité ou au domaine des rêves" (p.96) 

Un narrateur face à ses propres démons

Dans Souvenirs dormants, c'est comme s'il trainait derrière lui depuis trop longtemps quelque chose qui mêle le drame et la beauté, le banditisme et la fragilité. Des crapules qui menacent des femmes en suspension. Il y a un demi-siècle, le narrateur pense n'avoir été qu'un simple figurant dont personne ne se souvient, au milieu d'une population marginale et désargentée. On l'observe faire le bilan de ses nombreuses fugues et de ses lâchetés.

"Nous étions partis à pied  de Saint-Maur, 35 avenue du Nord, et nous avions mis 20 ans pour arriver au 76, boulevard Serurier". (p.100)


Force est de constater que plus je le lis, plus je tente de reconstituer avec lui ce qui a pu se passer. Je croise ses romans, confronte ses personnages, je m'interroge, je cherche...bref j'ai l'impression de refaire une thèse. 
 

Je me demande combien sommes-nous de lecteurs un peu fous (et moyennement en place quand même il faut bien l'avouer) qui continuons à reconstituer l'ensemble de son enquête sur ce qui n'est plus et qui n'a peut être même jamais été. Combien sommes-nous à recouper les états-civils improbables, les adresses et numéros caduques ?

Et puis à chaque fois, il repart pour une nouvelle destination qui n'existe plus, ici ce n'est pas vers la rue des boutiques obscures à Rome qu'il poursuit son chemin , mais vers le portail vert de la dernière maison d'un village nommé Remauville.

(que j'ai déjà localisé sur ma carte...tout en dissimulant à l'Homme mes agissements, je suis irrécupérable...).

dimanche 22 octobre 2017

Les Furies

Lauren Groff, Les Furies
(Fates and Furies 2015)
Traduction: Carine Chichereau
Editions de l'Olivier, 2017, 427 p.

Lire Les Furies , c'est attendre la dernière partie pour comprendre le titre, et très honnêtement, on n'est pas déçu, on peut dire, sans rien déflorer, que le roman porte très bien son nom. Parce qu'on a des furies de compétition quand même.


Avant d'y arriver à ce dernier chapitre -qui remet tout dans le bon sens-, on suit l'histoire de Lotto Satterwhite, un dramaturge américain célèbre. Si le roman s'ouvre sur la scène de la consommation de son mariage sur une plage, en réalité, avec les flashback, on connaît le parcours de Lotto depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Lotto c'est l'acteur charismatique mais raté qui ne parvient pas à décrocher le moindre cachet, mais qui devient, suite à une énième déception noyée dans l'alcool, un auteur génial et adulé de tous. 

Alors évidemment, la perditude étant une sorte de hobbie chez moi, je me suis régalée de cet état d'esprit américain qui permet à chaque loser de réussir sa vie malgré tout. La notion des secondes chances est l'un des bonheurs de la mentalité américaine. Les Furies, c'est un roman addictif, jamais ennuyeux (en tous les cas de mon point de vue, je sais que d'autres blogueurs y ont vu des longueurs), porté par souffle narratif dense. On y parle de la création, de l'inspiration qui nait et qui disparait, de la nécessite de produire de l'art, de se renouveler, on y parle de spectacle vivant, dont il restera toujours les mots mais qui n'existe jamais que de manière éphémère.

D'autant que finalement l'ascension de Lotto reste la toile de fond de l'histoire d'un couple. Et ce n'est pas un hasard si le roman s'ouvre sur les ébats de Lotto et Mathilde, car cette Mathilde est pour moi le vrai personnage principal du roman, femme de l'ombre du grand homme, comme l'exigent les codes de ce type de situation, elle est donc celle qui organise, qui traite, qui choisit, qui colmate...bref c'est le double laborieux du dramaturge réputé; jusques-là, on se dit qu'on est dans les thématiques classiques.

Mon seul problème, et je pense que c'est culturel, c'est l'outrance. J'avais déjà ressenti cela à la lecture des Apparences de Gillian Flynn, mais je crois, à la réflexion, que c'est propre à une certaine littérature américaine (et féminine): l'explicite qui hurle, le trop du trop, l'absence de suggestion. C'est particulièrement vrai pour les scènes de sexe (évidemment incontournables quand on traite du couple), mais qui sont à la fois récurrentes, exagérées, détaillées et un peu redondantes....uniquement quand il s'agit de scène hétéro bien sûr, puisque les deux passages de relations homosexuelles sont très implicites voire carrément suggérées, pour ne pas choquer le lecteur puritain sans doute.

Sauf que bien sûr, Les Furies va bien au-delà de tout cela. Il faut absolument le lire jusqu'au bout du bout pour attraper le vrai propos, qui de mon point de vue - ATTENTION SPOILER- fait de Lotto non plus le personnage principal, mais un prétexte, un enjeu, presque un objet que les furies se disputent. On peut ne pas être d'accord, mais pour moi, le renversement de point de vue du dernier quart du roman est sa grande réussite.

Parce que finalement, les Furies traite de la part d'ombre de chacun, le roman pose la question de savoir si on s'appartient vraiment, si véritablement on choisit seul son chemin de vie. Les Furies , c'est un roman sur l'amour, la création, l'aigreur, sur les rôles qu'on joue sur scène et dans la vie, sur ce qu'on est et sur ce que les autres pensent qu'on est. C'est un livre sur l'emprise et finalement ce n'est pas nécessairement celui qu'on pense qui domine l'autre. 

Bref, on lit Les Furies comme on boit un apéritif trop corsé: c'est bon, ça brûle un peu, ça tourne la tête, et on ne sait pas bien dans quel état on va finir.


C'était ma dernière chronique avant une sortie tant attendue #ChocDesAmbiances
J-4 avant le ModianoDay

vendredi 13 octobre 2017

La Porte

La Porte de Magda Szabò (1987)
Traduction Chantal Philippe
Livre de Poche, 2017, 346 p.
Pour rester cohérente avec la ligne éditoriale de ce blog, je me suis dit que présenter La Porte de Magda Szabò, c'est vraiment être dans un état d'esprit anti feel-good. Car lire ce roman, à la toute fin de l'été, c'est choisir d'être à contretemps, à contre-saison, à contre-ambiance. Tout y est étrange, décalé et étonnant. 

La Porte dont il est question, c'est celle d'Emérence, personnage principal du roman, femme de ménage hongroise, déjà d'un certain âge. La déjà, on sent qu'on n'est pas là pour rigoler. S'il est question d'Emérence c'est que la narratrice, une romancière assez connue, a besoin de quelqu'un pour tenir sa maison. A priori, on a le droit de penser que l'intrigue n'est pas vraiment attrayante.  D'autant que, et tout l'intérêt du livre est là, la porte d'Emérence reste close. 

 L'infranchissable porte d'Emérence, c'est la frontière éternelle de son intimité. 

Et derrière la porte toujours fermée de la vieille dame qui balaie, lave, époussette et range, il y a une vision du monde, les restes de son passé, de ses déceptions et de ses espoirs. Ce roman c'est d'abord l'histoire en creux d'une personnalité un peu hors des normes dans la deuxième moitié du XXe siècle (a peu près). 

Car Emérence, c'est vraiment la femme de ménage qui bouscule les codes de ce que l'on pourrait appeler la "domesticité". C'est l'employée qui choisit ses patrons, qui impose ses idées, ses horaires, sa rigueur et aussi un certain sens de la loyauté. Elle fait partie de ses personnages étranges, voire un peu inquiétants, qui sont mués par d'autres valeurs que le lecteur. 

Ne serait-ce que sur les animaux. Habituellement, je suis complètement insensible aux histoires entre les hommes et les bêtes (rien qu'avoir un aquarium chez moi m'a longtemps déprimée). Pourtant, toute sa vie, l'affection qu'Emérence entretient avec une pouliche, des chats ou un chien (ah ce chien!), a quelque chose de bouleversant (et si moi je suis bouleversée, c'est vraiment qu'il y a quelque chose qui va au-delà de l'animal de compagnie; quelque chose de l'ordre de la réflexion sur le vivant, sur l'attachement entre les êtres peut-être).

Derrière cette Porte, il y a aussi le passé de la Hongrie (qu'évidemment nous lecteurs français, globalement incultes sur l'histoire du reste de l'Europe, nous ne connaissons pas ou peu). Il y a la violence des hommes, les trahisons, les souvenirs, les déceptions, les actes courageux, la reconnaissance aussi.

Et devant sa Porte, pendant le roman on croise toute une série de seconds rôles bien soignés, de personnages consistants : gens du quartier, voisins de la rue, les vagues amis et les connaissances lointaines. Mais surtout, devant cette porte, il y a une narratrice. Une intellectuelle de haut vol, qui ne peut pas à la fois écrire, réfléchir et s'occuper de son linge, de son ménage et de ses repas. Evidemment. Elle doit se débarrasser des corvées domestiques pour produire de l'art, du verbe, de la réflexion. Je ne sais pas quelle est la part autobiographique de ce roman, mais le moins que l'on puisse dire c'est que la romancière ne s'est pas épargnée, elle qui ne fonctionne qu'avec sa tête sans essayer de se servir de ses mains. 

Et si La Porte est un beau livre c'est aussi parce qu'il traite implicitement de la dignité,  de la loyauté et de l'égoïsme. Il y a celle qui a les mains dans la crasse des autres et celle qui est incapable de mettre les siennes dans sa propre saleté. Il y a à la fois le lent naufrage de l'une qui ne pouvait se résoudre à ce qu'on fasse pour elle ce qu'elle faisait pour les autres; et l'histoire de l'autre qui n'est pas à la hauteur de la confiance qu'on lui porte.

C'est le genre de roman âpre et sourd qui en laissera plus d'un sur le bord de la route, parce qu'il est dénué de toute légèreté. A la fois sec et profond, il se fera une place dans la tête des certains lecteurs longtemps après la fin du livre. La Porte est de ces livres qui font réfléchir sur soi et son rapport aux autres, dont on sort un peu bousculé tant sa construction est étonnante, son ton étrange, et son dénouement tragique.

Founisseur officiel: une non blogueuse qui se reconnaîtra.

Je précise que s'il y a un livre qu'un esthète doit impérativement posséder, c'est bien celui-là parce qu'une couverture aussi belle mérite sa place dans n'importe quelle bibliothèque (#PointDéco #CestCadeau)

lundi 9 octobre 2017

Mon immersion #4

Je m'appelle Galéa, j'ai 38 ans, j'étais plus ou moins addict aux réseaux sociaux,
Je suis abstinente (sur FB et IG) depuis 47 jours.

Je considérais être arrivée au bout de ma désintoxication 2.0 (c'est à dire que je ne suis pas retournée sur FB et IG, hormis la page du blog, mais j'ai repris twitter en douce pour être au courant de ce qui se passe dans le monde et pour suivre les blogs).

Je pensais donc m'arrêter là, quand j'ai reçu un mail du service du CHU. La prochaine séance serait donc à "ciel ouvert", c'est à dire en extérieur pour que nous puissions "reprendre contact avec le réel" . Oui rien que ça. Cela consistait à se retrouver dans un café, un vendredi soir à 18 heures ( heure bâtarde s'il en est: trop tard pour un thé, trop tôt pour un apéro).

J'ai donc renvoyé un mail où je déclinais. En me servant honteusement de mes 3 enfants comme prétexte, j'ai expliqué que c'était impossible pour moi, car c'est l'heure maudite, où je suis seule à gérer avec une bienveillance en deuil, les douches, les devoirs, les heures de colles, les histoires de copinages du collège, les gammes de violoncelle (saleté de position du pouce)...donc 18h, désolée, merci mais non merci.

Sauf qu'en réponse, on m'a dit que ce serait, si tout se passait bien, mon ultime séance, rapport à ma pathologie considérée comme modérée (tu m'étonnes vu les boulets).

J'ai donc du y aller, en espérant que cet effort surhumain marquerait la fin de ma thérapie.

Je suis arrivée évidemment un peu en retard, le mascara moyennement en place, la frange frisottant, avec dans mon sac des restes du gouter des grandes, le tout me donnant une allure franchement négligée. Ils étaient tous assis autour d'une table basse dans un bar totalement impersonnel, ni branché, ni ringard pour que toutes les classes d'âge se sentent à l'aise, et pour qu'on ne paie pas 7€ la consommation (j'ai tenté une photo mais j'ai eu peur qu'on s'en serve contre moi à l'avenir). Déjà mauvaise surprise, il n'y avait que des jus d'orange et des infusions sur la table, et Jean-Charles m'a prévenu "on ne prend que des soft hein ?" (RIP la bière que je me faisais une joie de boire à l'heure des bains).

La seule à côté de qui il restait de la place c'était évidemment Paméla (celle qui t'accroche comme une bernique en se pensant ta meilleure amie). Thierry, toujours dans les tons beiges est à côté de la dame pro-commerce-équitable (celle qui donne des leçons de moral à tout le monde). Je ne connaissais pas les autres, mais au total nous étions 7. Nous avons été sélectionnés pour cette séance parce que nous sommes ou avons été blogueurs à un moment (perso j'ai menti sur le formulaire, en disant que j'avais arrêté de bloguer après la naissance de Duracell, j'ai juste omis de dire que j'avais repris depuis).

"Vous êtes là réunis parce que le fait de bloguer a biaisé votre rapport aux réseaux sociaux, les pages FB, le nombre de like, les retweet, les partages etc...tout cela  a modifié le rapport que vous aviez à la communauté, parce que globalement vous aviez tous quelque chose à vendre".

Silence de plomb. Jean-Charles (qui est habillé d'une sorte de jogging -!- sans doute pour éviter que naisse toute ambiguité avec ses patientes - objectif largement atteint), Jean-Charles donc propose de faire un tour de table pour que chacun présente son blog (ou ce qu'il en reste).

Paméla commence fièrement par annoncer qu'elle a un blog lifestyle (je comprends qu'il s'agit d'un blog où on raconte sa vie et ses achats) avec tous réseaux confondus 9000 abonnés, un petit millier en moyenne de vues par jour, 3 billets par semaines, une dizaine de partenariats par mois etc...Je scrute les autres participants, en commandant (la mort dans l'âme) une menthe à l'eau. Ils hochent tous de la tête, pas franchement impressionnés (alors que moi j'hallucine). Thierry, comme on s'y attendait, alimente un blog d'opinion, ses chiffres claquent moins, mais bon ça reste le triple de ce que je faisais à ma période faste. Mme commerce-équitable tient un blog de "cuisine responsable" (on s'en serait douté),  puis se présente un blogueuse mode (qui cache bien son jeu tant elle est quelconque), une blogueuse famille (au secours purée), une blogueuse run (chouette ...mais en fait non, on voit qu'elle se la raconte même quand elle se tait) et un blogueur SEO (avec l'accent anglais) dont je ne comprends pas bien ce que ça veut dire mais je hoche la tête aussi.

Quand vient mon tour, je marmonne en toussant "littérature". Je sens bien qu'on évolue pas dans les mêmes sphères. Petit silence mi-gêné, mi-connivent.  A voir leur visages plein d'empathie à mon endroit, je me sens dans le même état que le dernier mariage où je suis allée, quand, au milieu des Mercedès et des Audi coupées,  nous nous sommes garés avec notre monospace français qui n'est plus si jeune (et dont j'ai déjà fait l'aile droite, embouti le pare-choque et rayé la portière passager). Je me sens à peu près dans le même sentiment de décalage, mais le pire est à venir.

Personne n'ose me demander mes scores (de toutes manières, j'ai dit que je l'avais supprimé), mais Jean-Charles poursuit sur sa lancée.

"Qui parmi vous n'a jamais quémandé des like, qui n'a jamais organiser des concours auxquels ne pouvaient participer que ceux qui partageaient votre page Facebook,   lesquels parmi vous n'ont pas inondé les fils et time-line de leurs followers en leur promettant des cadeaux pourris fournis par un sponsor qui ne servaient qu'à engranger des j'aime et des commentaires, qui n'a pas fait des demandes d'amis en cascade juste pour envoyer des invitations à aimer sa page ?".

Gros silence. Perso, je jubile. J'ai ma revanche, je me sens un peu comme l'incorruptible blogueuse du siècle, pour un peu j'embrasserais ledit Jean-Charles qui me regarde avec des yeux de veau. Je sirote très bruyamment ma menthe à l'eau, et je réponds un peu fort "moi, Jean-Charles! Je ne me suis jamais livrée à te telles manoeuvres"

-"Même pas pour faire gagner un livre de poche à 6€ Galéa ?
-"Même pas non.

Je savoure ma supériorité éthique; et j'entends derrière moi, une blogueuse famille qui me lance:

-" Oui enfin évidemment...une blogueuse littéraire"  elle rit bêtement ",je crois aussi que les blogueuses genre...heu...qui parlent des chevaliers de l'an 1000 au lac de Paladru, elles ne le font pas non plus, ou celles qui font de la peinture sur soie". Rires de fayots autour de la table. Dois-je me réjouir qu'elle ait vu un film de Resnais ou bien est ce que je l'attaque tout de suite sur son physique (et il y a de quoi) puisqu'elle vient de se moquer non seulement des gens qui lisent mais aussi de ceux qui ont fait des études d'histoire?

Mais à voir la tête des autres,  je comprends que la blogo littéraire, c'est la blogo du pauvre. Je vois les autres "patients" lever les yeux au ciel et la blogueuse mode, avec ses affreux ongles tigrés, pouffe carrément "Nan mais sérieux quoi!!! Un blog qui parle que de bouquins ?"

Je suis vexée comme un petit pou.

Jean-Charles qui sent que j'ai du potentiel en matière de frittage tente de calmer le jeu:

"Non mais Galéa, c'est juste que bon la littérature...non mais déjà la littérature c'est bien, c'est sûr il en faut, mais comment te dire, ce n'est pas ce qui génère le plus de flux sur les RS tu te doutes bien (j'ignore tellement sa présence qu'à un moment il va penser qu'il n'existe plus). Galéa, arrête de bouillir, ce n'est pas méchant, mais économiquement, tu comprends bien que bon, si tu tiens un blog littéraire, ça restreint beaucoup le public tu vois, personne ne peut te citer un blogueur littéraire connu, aucun d'entre vous n'est devenu secrétaire d'état par exemple (rire d'autosatisfaction communicatif au reste de l'assemblée), tu ne vas pas te faire sponsoriser par des marques de vêtement ou de puériculture, tu comprends, au maximum des éditeurs, enfin je ne sais pas, tu as déjà vu des foules se presser devant une librairie pour s'arracher un livre en solde? Non mais je plaisante hein...mais bon ça reste une niche assez marginale, tu comprends, mais ça t'honore d'avoir continuer malgré cela".

Dans ma carrière de perditude, je crois que cet épisode restera gravé à jamais dans ma mémoire. Je me concentre très fort sur un lampadaire, dans ma tête je compte jusqu'à 2 000, j'allume une cigarette en soufflant ma fumée bien fort pour tous leur donner le cancer, et je me dis que là, je devrais m'en aller, drapée dans ma dignité.

C'est alors que Paméla se sent obligée d'intervenir

"Nan mais attends Galéa il en faut pour tous les goûts aussi, je te comprends, c'est chouette de lire, moi j'aime bien aussi parfois, tiens par exemple là tu vois j'ai reçu le livre d'une blogueuse qui a fait une téléréalité avant de monter sa marque de thé, c'est drôlement bien, vraiment je le lis avec plaisir".

"Oui, oui c'est No Filter", rugit la blogueuse mode

Vu que je ne sais pas du tout à quoi elles font allusion,  je réponds :

"Certains blogueurs littéraires font ce que tu dis: les partages, les concours, les likes etc...hein, tu crois quoi, qu'on est trop stupides pour faire comme les autres?"

Rires contenus, puis moins contenus, puis carrément éclats de rires, j'entends des phrases genre "Tu crois que les blogueurs littéraires arrivent à en vivre toi ?", même Mme commerce-équitable est secouée de rire, Paméla tente de se contenir, et Thierry me regarde un peu désolé. Les autres tables nous regardent en souriant. Là de loin on passe pour une bande de copains qui rigolent joyeusement.

La blogueuse run m'assène le coup de grâce "C'est un peu facile de se la jouer détachée de tout ça quand on est sur un créneau qui n'intéresse personne". Saleté. 

Jean-Charles reprend la parole "Bon peu importe, je pense que Galéa, même à son échelle [vague de rires discrets autour de la table],  va pouvoir enrichir le débat, car si je vous ai réunis tous ensemble, c'est pour que vous compreniez que de toutes manières, le blog en tant que média, c'est complètement dépassé".

Silence de mort. C'est à ce moment là que L'Homme me harcèle de textos car il est seul avec les trois filles dont Duracell qui a décidé de manger ses lentilles à la fourchette (purée dans quel état vais-je retrouver ma cuisine?). Paméla, interloquée, regarde Jean-Charles avec les yeux du désespoir, Thierry semble résigné, Mme Commerce-Equitable fait une moue dubitative, M. SEO hoche la tête avec tristesse comme quelqu'un à qui on annonce un diagnostique qu'il sentait venir, la blogueuse mode réajuste son étole léopard en faisant non de la tête...On sent que ça pique pour tout le monde. L'Homme m'envoie que Numérobis à 39,7 et me demande s'il lui donne un doliprane. Je me dis qu'il est temps de lever le camp.

Mais, j'ai encore du tenir encore 1/2h avant de rentrer chez moi.

La question est: dois-je sur mon propre blog expliciter en quoi la blogosphère est devenue ringarde?

Ou bien  je fais comme si je ne m'étais pas rendue à cette ultime séance.

mardi 3 octobre 2017

Les Vacances

Les Vacances de Julie Wolkenstein
POL, 2017, 361 p.
Comment dire ?

En fait, je n'ai pas acheté les Vacances de Julie Wolkenstein, je me suis littéralement jetée dessus, et plutôt deux fois qu'une d'ailleurs, car je l'ai offert à une jurée ELLE qui avait adoré Adèle et moi (le colis est en partance Val; ne lis pas ce billet tout de suite).

Alors, d'abord, j'ai bien aimé. C'est un livre agréable à lire.

Oui...mais....

Bien sûr, je savais bien qu'il serait difficile de passer après Adèle, qui de mon point de vue était un grand et beau livre. Entre temps, j'ai lu d'autres Wolkenstein, et vu que j'aime les romanciers qui écrivent toujours le même livre (on s'en douterait...rapport à Modiano #DieuLittéraireVivant),  à chaque roman, je retrouve avec plaisir la maison mangée par la mer, les vieilles dames au passé sombre, les traces qui n'en sont peut-être pas, les portraits des universitaires, le tabac et l'alcool, les maternités ambiguës, les parents divorcés, le père mutique, la mère fantasque, l'Amérique toujours un peu suggérée etc... à chaque fois je me régale. 

Donc là rebelote : Sophie, une universitaire spécialiste de la comtesse de Ségur et proche de l'éméritat part dans un institut normand (un vieux monastère transformé en centre d'archives) retrouver un dossier sur Rohmer, qui doit être le thème d'un colloque à l'étranger. Elle y croise un trentenaire thésard (et bien entendu fauché, beau gosse et venant d'une famille fantasque) qui, hasard de dingue, travaille aussi sur Rohmer (en particulier) et sur les films invisibles (en général).

Donc le pitch était évidemment écrit pour moi.

Sauf que Julie Wolkenstein a du lire trop attentivement les critiques des jurées de septembre qui l' avaient éjecté de la pré-selection (sachez-le les filles, je ne vous le pardonnerai jamais). Adèle et moi avait été jugé trop long, trop littéraire, trop exigeant etc..., et je me demande si Wolkenstein ne s'est pas dit: "allez ma grande, fais un livre qui marche pour le plus grand nombre". Donc j'y ai retrouvé tout ce que j'aimais.

Sauf que....

Mais le style punaise! Alors que ces précédents romans étaient écrits dans une langue très littéraire que j'affectionne, là je me retrouve avec des : "on bouffe", "on clope", "on gerbe" etc.... Rien que l'incipit, j'ai failli allumer ma cigarette à l'envers (purée depuis quand on écrit comme on parle ? Moi aussi je m'exprime comme un charretier, mais bon, à l'écrit on se tient non ? C'est trop demander, un peu de beau, d'élégance, de tenue?)

Et puis il y a le problème de la crédibilité. Ma mère a l'âge de Sophie la narratrice, et honnêtement, autant Juliette (20 ans) ou la narratrice d'Adèle (40 ans) étaient hyper crédibles, autant là, pas tellement. Hormis le fait qu'elle va faire pipi toutes les 3 pages (le périnée pas rééduqué j'imagine...à la page 100, j'en avais vraiment assez qu'elle aille aux toilettes), je ne retrouve rien des femmes de plus de 60 que je fréquente et qui sont dans l'antichambre de la retraite. Concernant la deuxième voix du roman, Paul, je ne veux rien dévoiler, mais ce qui lui arrive est aussi moyennement probable, voire carrément capillotracté.

Enfin, il y a le problème de la facilité. Tout est bien ficelé, ça s'enchaine sans accroc jusqu'au dénouement final dont on se doute qu'il va arriver comme une fleur ; de coups en chance en hasards incroyables, ta ta ta, tout roule, donc on y va cool, on comprend au ton qu'elle utilise qu'il n'y aura pas  (ou peu) de failles, de zones d'ombre, de questions sans réponse.

Bien sûr,  on le lit avec plaisir, on ne le lâche pas en route, parce que tous les ingrédients sont là, c'est moderne, avec même une pincée de Game of Throne dedans (et une spécialiste m'a dit que pour écrire ça il faut être un vraie fan). Bien sûr, le discours aviné en fin de pot de thèse d'un MCF dépressif qui se désole de l'effondrement du système universitaire est drôlissime. Et tout ce qui a trait à l'Université est vraiment très réussi (des repas entre chercheurs autistes jusqu'à la grève de la faim d'une universitaire attachée à ses archives comme à des animaux, tout cela est excellent). On aime sans réserve l'idée de la voiture enfumée, de Nostalgie à fond sur les routes de Normandie, le vin, la mer, la tisane, les embruns, les souvenirs, les photos etc....

Mais bon.

Zéro tragique, un dénouement tellement gros qu'on le voit venir de très loin, et surtout il n'y a plus ni la profondeur dramatique d'Adèle et moi, ni la dimension littéraire (le passage du Dormeur du Val était tellement beau), il n'y a pas les retournements narratifs que seuls la littérature permet, il n'y a plus ce doute lancinant du dénouement, cette pirouette qui nous parle du faux, du vrai, du peut-être.

Je le le conseille aux consommateurs de feel good books (puisqu'une chroniqueuse de France Culture le fait rentrer dans cette catégorie), parce que c'est vrai que c'est une lecture agréable, fluide et facile (je comprends d'ailleurs dans la foulée que ma nature profonde et sinistre résiste à ce type de romans).

Je ne sais pas bien ce qu'a tenté Julie Wolkenstien, mais bon ça a l'air de marcher, puisqu'Adèle et moi était passé quasiment inaperçu en 2013, alors que Les Vacances est sur la liste du prix de l'Académie Française.  J'ose le dire que je fulmine ou pas ?  Bref, je regrette que cette mise en lumière ne soit pas sur son meilleur livre.

A bien y réfléchir, peut-être qu'une fois qu'on a écrit un pavé aussi travaillé qu'Adèle et moi, il n'est pas vraiment possible de rester dans la même veine, et que la romancière avait sans doute à ce moment là, besoin de légèreté.

Rendez-vous au prochain Mme Wolkenstein et sans rancune, je vous aime encore.