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lundi 29 décembre 2014

Our 2014

J'avais renoncé à faire un bilan de 2014  qui aura gardé un peu de ma légèreté (mais faut bien grandir un jour non ?). Mais Val tenait à faire le sien, et vu qu'il n'aura échapper à personne qu'elle est maintenant sans blog fixe, nous avons finalement décidé de le faire ensemble. Je voulais échapper au palmarès littéraires (depuis que j'ai quitté l'enseignement c'est un exercice qui ne m'enthousiasme plus), alors j'ai proposé au leader de suivre le principe du délicieux rendez-vous chez Moka, en essayant de faire aussi bien qu'elle quand elle met en mots et en livres son "Moi après mois" (ce qui donnerait aujourd'hui un "nous après an" , qui ne serait pas très heureux).

Bref, on n'allait pas manquer une bonne occasion de s'étaler et de se plaindre non ? Surtout dans un interminable billet fleuve qui mêle littérature, événements personnels, météo, amitié, famille...bref la vraie vie quoi...

Alors, de 2014, on garde quoi ?

(honneur à l'invitée, c'est Val qui commence)

Go leader !


Le pire mois de ma vie : Amiens et les blouses blanches, des larmes, beaucoup, des trajets rythmés par A la recherche du temps perdu et la colère après la lecture d’Eddy Bellegueule, une confidente qui sait trouver les mots qui apaisent et des liens familiaux forts, souhaiter une bonne année à mon élève syrien et espérer de toutes mes forces la paix en Syrie, l’apparition de son sourire en même tant que celle de sa confiance/ Le diagnostic qui nous assomme, les blouses blanches, toujours, les vraies et celles de Réparer les vivants, la claque des mots et du sujet, ne pas le finir trop vite- son retour, enfin- poser pendant des heures pour un photographe italien- préparer son colis d’anniversaire et stresser- se diviser autour de Passion Arabe de Kepel et d’Esprit d’hiver dans le jury Elle/ De l’émotion autour Du parfum de ces livres que nous avons aimés, des moments de partages, des larmes, encore, être à fleur de peau puis aller mieux- une inspection qui fait beaucoup de bien, première rencontre avec le jury du Prix Elle, le sérieux, l’érudition de Gilles Kepel et mes élèves et collègues ravies de leur premier salon du livre/ Retrouver Au revoir-là haut, mon coup de coeur audio, vivre un championnat un peu particulier à distance et se sentir l’âme d’un supporter / Londres, cette capitale que j’aime tant, le studio Harry Potter et lecture du premier tome avec Galéa, Hermione et ses mimiques dans le film- découvrir Mon ami Dahmer envoyé par Laure et en faire mon coup de cœur BD/ Envie de me lancer un défi, le commencer avec Edith Wharton et savourer Le temps de l’innocence, Valentine Goby lisant Kinderzimmer au festival Terres de Paroles, moment délicieux partagé avec Martine- la déception devant les résultats du Prix Elle, ne pas y être mais tout suivre grâce à Marjorie, recevoir le carnet Elle et retrouver Zelda- faire passer des oraux de bac dans une chambre d’internat mal rangée/ 

Wharton encore et toujours, apprécier les moments présents, le bac, la mention et mon ado amoureux, un mois joyeux, dire au revoir mais pas adieu à ma classe chouchou, être ravie de leurs résultats/ La Bulgarie et les restes du communisme, une excellente nouvelle liée au travail  et un immense cri de joie, les grands espaces et Philip Meyer/ Blues de rentrée sans mon fils pour m’accompagner, la chance incroyable d’avoir des classes toutes sympas, le Festival America, prendre le temps de découvrir Laure et Marjorie, sentir qu’une amitié est en train de naître avec Philip Meyer en toile de fond, être touchée par Edouard Louis, si fragile, un très beau colis swap ponctué de Waow ! à n’en plus finir et être très gâtée par mes copines blogueuses pour mon anniversaire/ Un colis d’anniversaire en retard mais si généreux avec une pépite, Meursault contre-enquête, noté grâce à Marilyne, écriture sublime et quel courage ! - Remise des prix Audiolib, papoter des heures avec Sylire, trinquer avec Leiloona et complètement se planter sur le nom du gagnant/ facebook, mon portable et moi, une blouse blanche et un bureau – « On s’était dit des choses, que l’on ne tiendrait pas » - un rendez-vous de dernière minute avec Marjorie, toujours le même plaisir, sa sollicitude, son sourire, savourer Le puits grâce au billet de Jérôme, le garder grâce à Nathalie, et avoir envie de l’offrir/ rideau mais pas fin, pas encore- « On me veut forfait du combat, moi je veux me battre avec toi », se surprendre soi-même et en éprouver du plaisir – ma maladresse et mon portable les fous rires de Noël autour des livres, de l’Albanie et d’un stylo – des chouettes- finir l’année avec une lecture commune avec Marjorie- Et ne pas savoir du tout de quoi l’année 2015 sera faite.

Et avoir partagé presque tout ça avec Elle.  


Et dans un registre tout aussi joyeux, 2014 sous les galets:

Dépression littéraire de janvier/ Les jurées et le leader ELLE: mon beau cadeau de 2014/ Une maison qui porte malheur/ Mais vendez-là punaise!/ En même temps toute la terre et tout le ciel: mon lauréat du Prix ELLE/ Une amitié de 10 ans qui s'éteint : "On ne devient pas tous adulte de la même manière tu sais"/ Remise du prix Elle : le triomphe du K. / Plus humble que Manook tu meurs!/ Marjo : notre envoyée spéciale / L'affaire Edouard Louis, la colère de Val et le rejet picard/ "En finir avec Eddy Bellegueule"la claque qui fait mal, le bord de la nausée / Quelque part entre Bourdieu et Winterson  finalement/

Sale année pour les blogueurs que j'aime/ Solomons, Aifelle et moi/ Le mois anglais et la découverte tardive de Jane Austen (grâce à ma libraire de l'ombre)/ Mon classique étranger chez Miss Léo/ Juin où le mois de l'incontournable sociabilité/ Galas de danse, gouters d'école, anniversaires en pagaille / Le Confident ou le débat d'une clique/ Attila, MTG, Mior, Malika et Val: les sales gosses de la blogo (je vous aime les amis)/ Marlboro-Despérados-tapenade: des valeurs sûres en ces temps sombres / "Du pancréas? tu es sûre, c'est le pire de tous non?"/ Une réconciliation qui n'aura jamais lieu / Au revoir la-haut  sous les grêlons de juillet avec l'Homme/ "Il est touchant le père Péricourt, tu ne trouves pas?"/ Perdus en foret sous un orage violent/ "Mais maman, appelle Papy pour qu'il vienne nous chercher, sinon on va se prendre la foudre" / La Reine des neiges: en sortirons-nous indemnes? / Une rentrée des classes éprouvante / Blogueuses-coureuses : un moment de concorde bloguesque / Courir au bord de la mer, ça change tout/ Miossec, Biolay, Muse et Pink/ Passer (parfois) sous les 5'40 le Km/
"Tu as fait de la loose ton image de marque finalement"/ En anglais ça ne veut pas dire ça, mais la "perditude" ça n'existe pas en français non plus, si ?! / Le mois américain avec Mailman  offert par Jérôme/ Le portrait d'un looser qui me fait penser à un certain Barnabé qui me poursuit depuis 6 mois / Les Bibliomaniacs: 10h de train, deux jours avec moi/ Elles m'ont fait lire Beigbeder!/ Mais Zenatti aussi/ Et ça c'est chouette/ Quel titre quand même, "surtout pour nous" rajoute l'Homme/ La générosité des blogueurs dont je ne me sens pas toujours à la hauteur/ Val évidemment mais aussi Marjo, MTG, Clémence, Miss Léo, Jérôme, Aifelle, Aliénor, Alphonsine, ma Mirabette, Dominique.../Je suis une chanceuse-chouineuse/ Des blogs qui baissent le rideau/ Des blogueurs qui partent en claquant la porte / Des pauses qui s'éternisent/ Parfois j'ai peur de me retrouver toute seule / "That's life", dixit ICB / Décider d'arrêter les billets polémiques/ Thé à la menthe et tartines au beurre salé/ Peiner à rédiger des billets littéraires/Un vingtaine de livres non chroniqués/  Parler des poux/ Et si c'était ça mon créneau ? /
Réparer les vivants: une lecture magistrale et  deux nuits d'insomnie /  Qu'aurais-je fait, moi , du corps de celles qui sont sorties du mien? / "Tu ne voudrais pas lire du plus léger quand même, déjà que Noël approche, c'est pas la peine d'en rajouter..."/ Ce n'est pas toi que j'attendais/ Une autre vision de la paternité / "Mais c'est qui ce Jérôme au juste ?" / L'Homme converti à la blogo / J'espère assurer autant que ma mère dans 25 ans / Mon père, ce héros / Je nierai avoir écrit ça (car je tiens à mon rôle de psychorigide-râleuse de ma famille) / Le Nobel de Modiano / L'impression pendant 12h d'être quelqu'un d'important/ Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier: un testament épuré / Ma petite soeur quitte le continent/ Dans une fratrie, ce n'est pas celui qu'on pense qui soutient l'autre / Les Légendaires colonisent la famille/ Pointé-dégagé-chassé / Echec et mat / multiplications à trous / Rendez-vous avec la maîtresse qui fait peur / contrôle technique de la voiture /  La fin de l'année aux forceps / C'est dur d'être une grande personne /


Ne pas appartenir vraiment à la blogo littéraire, mais avoir trouvé sa place quand même / Etre terriblement proche de gens qu'on n'a jamais vus / "Tu deviens flippante avec ton Iphone"/ Réflexions existentielles sur Facebook / Addiction aux réseaux sociaux / Renoncer à l'anonymat total / 30 heures de travail sur le costume de Jadina / L'antivol sur une bouteille de champagne et un pneu crevé le 24 décembre / "Tu vois je l'avais dit"/ Mettre en scène les petits soucis pour ne pas parler des grands / Mes filles et leurs grands yeux bleus "nous on a passé une année merveilleuse tu sais maman"/ Arrêter de se regarder le nombril en 2015? / En suis-je vraiment capable? / Prendre de la hauteur et se mettre au vert  / Avec Confiteor dans ma valise...et Messenger dans ma poche.

Que cette fin d'année vous soit douce amis blogueurs et visiteurs
(il paraîtrait que la conjonction astrale de 2015 est prometteuse #jdcjdr)

mardi 23 décembre 2014

Lettre au Père-Noël

Cher Père Noël,

En cette veille de réveillon, je pense qu'il est plus prudent de faire un petit point sur ta hotte, sachant que j'ai bêtement raté le rendez-vous chez Mind the Gap. Je n'ai rien trouvé de mieux que de déhousser et laver tout mon salon pour que ma famille croit que je suis maniaque et ordonnée (ce qui est évidemment une posture que plus personne n'envisage depuis longtemps). Et vu qu'il fait froid et humide, les housses propres et repassées pour demain soir sont plus que compromises, donc je vais tout miser sur les cadeaux, enfin sur les tiens surtout.

- Pour l'Homme et moi: des pneus neige pour le monospace (cette phrase seule me donne l'impression de m'être trompée de vie quand même). Je m'explique, chaque année, mon mariage est en danger au moment où il faut mettre les chaînes en montagne. J'ai envie de mettre toutes les chances de notre côté pour 2015, et bien qu'il n'y ait pas un gramme de neige là où on va (loose un jour, loose toujours), j'ai envie de dire : c'est un investissement à long terme.

- Pour Rayures (en plus de sa boîte Lego Harry Potter non vendue en France et qui m'a couté un rein - aucune référence à Kerangal dans cette boutade) : un jardin privatif. Oui Rayures trouve ça quand même un peu barbant de devoir jouer avec les autres enfants au square du quartier (c'est le portrait de son père physiquement, mais il n'y a pas à tortiller, sa sociabilité, elle la tient de sa mère).

- Pour Numérobis (en plus du costume de Jadina qui m'a pris une trentaine d'heures et qui n'est toujours pas terminé): un ascenseur. Car trois étages à pied, avec un cartable ou un sac de danse, "elle n'en peut plus". (physiquement c'est le portrait de ma grand-mère, mais son sens de l'effort elle le tient indubitablement de sa tante).

Voilà.

Sinon, éventuellement, si tu as le temps, passe faire un coucou au 1er étage, chez Monsieur D. Oui je sais, ce n'est pas l'avant-gardiste du siècle, oui je sais, il est péremptoire, c'est vrai qu'il n'a pas une ouverture d'esprit extraordinaire ...oui, mais je sais aussi que comme l'année dernière, ses fils ne passeront pas Noël avec lui. Alors, à la limite tu passes juste boire un coup (genre une petite prune, il adore ça), histoire qu'il ne soit pas tout seul à Noël...même 10 mn ce serait déjà pas mal. Parce que quand même quoi...

Bon et sur ton chemin, je me demandais, enfin après nous avoir déposé les pneus neige (il y a des priorités quand même), je me demandais si tu ne passerais pas par la Syrie. Non parce que bon, tu pourrais à ce moment là, amener des couvertures, des médicaments et deux ou trois bricoles pour les enfants et le peuple syrien. Histoire de se souvenir qu'ils sont tous pris entre deux feux; celui de la dictature et de l'intégrisme. Et bon, là comme ça, je me dis que ce serait bien d'y penser au moins un peu. Oh et puis tant que tu y es, tu n'as qu'à choper deux ou trois bouquins, histoire de rappeler que l'instruction est (selon la formule consacrée) le dernier rempart contre la barbarie, et le principal pilier de résistance à la laideur du monde. Bon je dis ça, c'est vraiment si tu peux, car je me doute bien que tu ne peux pas tout faire non plus, et déjà les pneus neige c'est vraiment pas mal, mais au cas où quoi....(tu pourras toujours te relire Passion Arabe sur le chemin, si jamais tu t'ennuies).

Voilà, je pense qu'on a fait le tour.

Allez, je m'en vais cuire mes queues de langouste, dessaler le gravlax, monter la mayonnaise, découper les toasts de foie gras, ouvrir les huitres, disposer les fromages, mettre le champagne au frais, aérer le rouge...et d'autres choses encore (quand je dis "je" c'est "nous" en fait, donc l'Homme essentiellement quand il s'agit de cuisine).

L'esprit de Noël, c'est comme l'oreille musicale, je suis la seule de la famille à ne pas l'avoir, alors tu sais quoi Père Noël, vu l'année assez moyenne que je viens de passer, il n'est pas impossible que je devienne adulte, et vu que j'ai la chance de recevoir demain toutes les personnes qui comptent le plus à mes yeux, il n'est pas impossible que je fasse un effort et que je faillisse à ma réputation de rabat-joie. Bon je vais voir tout ça. On se tient au courant.

Sur ce, je te souhaite une douce nuit et comme dit ma copine Laurence, "la nuit de Noël peut devenir paisible juste parce qu'on en fait le choix" (Le problème c'est qu'il faut tous le faire en même temps, et là bon, je dis attention, chez moi, on a quelques facétieux)

Je vais méditer là dessus et je te dis à demain soir.

Aux quelques lecteurs qui ont eu le temps de passer par ici entre deux préparatifs
Je vous souhaite une belle et douce nuit de Noël.
Profitez les uns des autres (même si, les autres, on ne les choisit pas tous)

samedi 13 décembre 2014

Réparer les vivants

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants
Verticales, 2014, 281 p.
Avec Marjo,  nous partageons un côté réellement bout-en-train, joyeux et optimiste, et on s'est dit cet automne : "Et pourquoi on ne se ferait pas une petite lecture commune et dépressive que nous qualifierons de LC sous anxiolytiques?" (#idées de génies #idées d'automne)


L'objectif était de choisir des bouquins bien plombants, à lire entre le 15 novembre et le 15 décembre (pas après, rapport aux fêtes de Noël qui apportent un regain d'euphorie), de préférence à dévorer après le coucher de soleil (ou pendant une tempête, après une dispute, un jour de frigo vide, pendant un rhume...bref on restait ouvertes de ce côté là). Et vu qu'on est du genre à aller au bout des choses, on se les ai offerts pour le swap ELLE, en ne choisissants que des livres pépités par les blogueurs la saison dernière.  Marjo avait opté pour l'histoire d'une grossesse dans un camp de concentration et moi pour celle d'un jeune de 19 ans auquel on prélève le coeur. Que du bon, qui mouille les yeux et fait remonter l'estomac.

Mais vu que je suis la fille pas fiable sur laquelle on ne peut pas compter, j'ai manqué la date de notre LC sous anxiolytiques  (et pas que celle-là, j'ai aussi oublié la lettre au Père Noël chez MTG et le rendez-vous contre le sexisme et le harcèlement chez Mo et Val). Je tente donc péniblement de raccrocher mon wagon à la locomotive marjoresque qui est partie devant avec Kinderzimmer...10 jours après, ça n'a plus aucun sens, mais j'y crois encore (le sursaut des désespérés).

Kerangal, elle m'a eue tout de suite. Comme ça, en quelques lignes seulement. Quiconque a eu 20 ans entre la pointe de la Torche et la Baie de Quiberon ne peut rester insensible à sa description d'une sortie de surf entre jeunes. J'avais oublié que j'avais tout ça dans ma mémoire: le van qui est en fait une camionnette (mais on dit van car camionnette ça fait plouc), les combinaisons qui font mal à enfiler, les dents qui claquent, les lèvres bleues, le chauffage à fond sur le retour. Tout cela était enfoui quelque part dans mon cerveau, et Kerangal a tout restitué avec une maestria que je n'ai jamais lue. Il ne manquait que Matmattah en fond sonore. J'en suis restée complètement coite.

Le seul problème c'est qu'après cette scène d'ouverture où trois copains partent surfer au petit matin, il y a l'accident de voiture, la mort cérébrale de Simon et le processus don d'organes.

Dans  la phrase : "Enterrer les morts, réparer les vivants", je suis plutôt Enterrer les morts (mon côté verre à moitié vide évidemment). Et tout le livre, j'ai focalisé sur Simon et je m'en fichais de l'éventuel receveur. Je me suis accrochée à sa mère Marianne submergée par la douleur, à son père qui pousse des cris de bête, à sa petite copine qui a pris option Art Plastique au bac (punaise, j'ai été Juliette moi!), à sa petite soeur qui a l'âge de mes filles. Tout le roman je me suis accrochée à eux, comme une dératée. J'ai couru avec Juliette sans manteau à travers les rues de Caen pour rejoindre les parents de son amoureux.

Mais voilà, dans Réparer les vivants, tout le monde y a vu un manifeste pour le don d'organes, sauf moi (il en faut toujours une hein)


J'ai détesté l'infirmier coordinateur Thomas, qui ose demander de réfléchir au don d'organes à des parents brisés pour l'éternité par la mort d'un fils (ce qu'il peut arriver de pire). Je l'ai observé organiser la processus dans le dos de Marianne, guetter la réaction des parents, tenter de voir s'il pouvait insister pour les tissus et les cornées, j'ai eu l'impression qu'il leur forçait la main, j'ai ressenti tout ça. J'ai détesté l'arrivée des médecins dans le bloc, tous prêts à prélever un coeur, un foie, des reins, comme des charognards sur la dépouille de quelqu'un qui ne devrait pas être mort. 


Peut-être que les personnage des receveurs étaient trop en retrait du roman, peut-être que je n'avais pas envie que la mort de quelqu'un serve à quelqu'un d'autre, parce que Sean, Marianne et Lou ont leur vie brisée pour toujours. Je sais, je sais, je n'ai aucun recul, car bien sûr que le principe est formidable,  bien sûr que le don d'organe sauve des vies, des enfants, des gens qui méritent de vivre. Et si je suis rationnelle, bien entendu, c'est ce que je me dis, mais je ne me suis pas remise de la mort de Simon en fait.

Parce que la vraie question, ce n'est pas "donnerai-je mes organes après ma mort" (car oui évidemment - quoique l'Homme doute que quiconque veuille de mon foie ni de mes poumons), la vraie question c'est "donnerai-je les organes de mes enfants ?". Je ne peux pas affirmer, après avoir lu ce livre, que je le ferai, alors que pourtant, là comme ça dans la théorie, je suis pour. 


Ce roman m'a fait perdre deux nuits de sommeil en questionnements existentiel et éthique, parce qu'il pose la question de l'intégrité des dépouilles des gens qui comptent plus que nous-mêmes. Et même là, en écrivant ce billet, ça me reprend...(j'ai les doigts qui piquent ça ne m'étonnerait pas qu'une crise de spasmo rôde)


Réparer les vivants est un livre magistral et splendide, avec une écriture tellement proche du réel, du vrai, et du monde tel qu'il est, que ça fait presque mal à lire. Il aura été mon grand choc littéraire de l'année 2014. 

Durant toute ma lecture, j'ai accablé de messages une amie chère, une fille toute en mesure et en consensus, une blogueuse en pleine mue, bref une amie qui avait adoré ce livre. Elle a supporté mes remarques (punaise, la scène du surf, wahou!), mon désespoir de la mort de Simon (je te jure je suis mal là), mes doutes (attends que Marianne aille boire un gin, tu trouves ça crédible franchement?), et ma révolte (ils m'énervent à insister je te jure)... C'est elle qui m'a dit "mais moi Galéa, je pensais aux receveurs aussi"...ce qui m'a fait méditer un moment. 

Donc vu qu'elle est, en ce moment même, au milieu du gué je pense que ma binômette Marjo sera d'accord pour que ce billet soit un peu pour elle aussi. 

samedi 6 décembre 2014

Brèves de galets # 1 : Les poux

J'inaugure une nouvelle rubrique sur ce blog, intitulée "brèves de galets", qui n'a rien à voir avec la littérature (mais alors rien de rien), et qui a pour objectif de vous faire partager mes réflexions profondes sur la vie, le monde et l'univers: aujourd'hui nous traiterons donc des poux. 

Je revendique des chroniques à portée universelle bien sûr, et je ne doute pas de l'intérêt profond que je suscite chez mes lecteurs, mais je comprendrais bien sûr que l'estampillage "brèves de galets" soit tout à fait dispensable.

Les poux donc.

Dans la vie de parents d'élèves, il y a plusieurs moments forts dans l'année.

- La rentrée bien sûr (tout le monde sur son 31, parents bizarres, enfants surexcités, enseignants concentrés).
- La première convocation pour écart de conduite (boule au ventre, visage de composition, mea culpa prêt à jaillir)
- Et les poux : ce moment fort de l'année ou TOUT peut basculer.

Cela commence par des affiches partout (devant la classe, dans l'escalier, devant le réfectoire...) avec un dessin qui se voudrait presque rassurant (deux enfants dubitatifs mais encore sains)  mais dont le message fort "Les poux sont de retour, vérifiez la tête de vos enfants", peut me déclencher une crise de spasmophilie.

Cela se poursuit par la maîtresse qui nous accueille (avec une nouvelle couleur de cheveux of course) en nous demandant gentiment d'attacher TOUS des cheveux des enfants (en regardant précisément ma fille, venue en classe avec un serre-tête Reine des Neiges, "emprunté" à une copine).

Les poux : c'est LE moment de vérité introspectif de l'année, celui où ressurgissent nos démons les plus enfouis. Etant naturellement sociable et chanceuse, j'ai toujours eu une tête à poux. S'il y en a un qui traine quelque part, en général il est pour moi. Enfant, ma mère (tout à la joie de son statut de femme active/mère moderne) n'en pouvait tellement plus de m'épouiller, qu'elle a fini par me couper les cheveux. Pas le carré-frange des filles de bonne famille, non, non, non le coupe courte à la garçonne (qui sera à la mode 10 ans plus tard chez les adultes, mais jamais chez les petites filles) ce qui m'a valu des "bonjour jeune homme" pendant de longs mois.

De manière plus générale, les poux permettent, (un peu comme les périodes de guerre finalement) de comprendre qui sont VRAIMENT les autres parents de l'école. Il y a d'abord les hystériques qui beuglent et poussent des hurlements, en se jetant frénétiquement sur la tête de leurs enfants. Ayant une très forte communauté américaine dans mon école, et partant du principe que les Américains ont quand même des doutes sur l'hygiène des Français, je peux vous dire que j'en ai entendu des "Oh My God", "fucking lice" "No, no, no" ... 

Mais ce n'est rien à côté des mères écolos. Pourtant à la base, je les aime bien: je trie mes déchets, je suis contre les bains et les 4X4, j'éteins la lumière, je mange de saison, je ne prends pas l'avion (oui oh c'est bon, c'est autant par conviction pas que par névrose). Mais visiblement, être écologiste  orthodoxe empêche de comprendre que l'huile essentielle de lavande ne permet pas l'éradication des poux, surtout sur des longues chevelure d'enfant (à 5 ans, je pensais qu'une mère pouvait décider de couper les cheveux de sa fille...mais manifestement non)

- "Elle est très attachée à sa chevelure tu comprends, ça fait partie de son identité". (A 5 ans, la gamine parvient à formuler de manière remarquable la perception qu'elle a d'elle même)

 Même en rassemblant toute mes capacités de tolérance (dont déjà la Nature m'a peu pourvue), je n'ai pas pu m'empêcher de me disputer avec cette mère (ceci-dit je ne suis plus à ça près). Comme quoi, tous les extrêmes sont dangereux dans une société. Quand j'ai suggéré d'utiliser une autres méthode de traitement (genre un shampooing ou une lotion conçus pour cet effet), je me suis fait littéralement agresser. J'ai eu le droit à une réflexion sur la couches d'ozone, sur Monsanto, et les laboratoires pharmaceutiques.

- "Tu te la joues écolo, hein, Galéa, mais quand il s'agit de se comporter en citoyenne de la planète, il n'y a plus personne: un ou deux poux et tu t'écrases devant les lobbies". 
J'ai eu peur, je suis partie  en courant (et en me grattant la tête) et depuis je fais de incantations vaudous pour que nos filles soient séparées l'an prochain.

Bien sûr comme dans toutes périodes troublées, on trouve les tièdes et les négligents, qui ne résistent ni ne collaborent. Ceux qui se contentent de faire un shampooing à leur enfant mais qui "oublient" (bande de feignants oui) de laver tous les draps, housse de canapé, de fauteuils, les bonnets, les capuches, les doudous, les taies mais aussi le siège-auto, oui ce truc moyennement propre, plein de miettes de gâteaux au fond, qu'on n'a jamais déhoussé depuis le premier enfant. Bien sûr, ils nous assurent qu'ils ont tous fait bien. Mais non!!! Il n'ont fait que la moitié du travail, que dis-je le quart...sans aucun respect pour ceux qui ont consacré leur week-end entier à faire des machines, qui se sont agités avec des sprays, qui voient des poux partout, dont l'appartement n'est rien de moins qu'un chantier de désinfection.

Mais surtout, l'épisode-poux fait sortir du bois les délateurs. Oui, oui, les mêmes qui vous auraient vendu à la Gestapo en 1943. Ils sont difficiles à reconnaître car ils se noient dans la masse des parents impliqués, sympas et ponctuels de l'école: ils, ou plutôt elles (car ne nous leurrons pas, malgré les progrès féministes du XXe siècle, les femmes et surtout les mères, restent quand même des langues de vipères inégalables),  elles, donc, flattent la maîtresse aux sorties bibliothèques (et lorgnent les enfants des autres), font des gâteaux aux kermesses (et te faisant bien comprendre que pour elles ce n'est pas grand-chose),  elles n'oublient jamais rien (mais notent bien les retards et lacunes de chacun). Ces mères-là, animées par la volonté réelle de trouver une solution (pour le bien du groupe-classe évidemment), et ayant envie d'un peu d'animation dans leur morne vie,  procèdent donc à des enquêtes. 

-"Mais enfin, ils viennent d'où ces poux? c'est pas possible ça"

Elles ont le temps d'avoir une idée précise de chaque enfant (rapport aux sorties scolaires), et suspectent rapidement deux ou trois spécimens. 

"- La petite K*****, ça ne m'étonnerait pas qu'elle en ramène, sans vouloir critiquer, j'ai déjà remarqué qu'elle portait souvent les mêmes affaires deux jours de suite, si tu veux mon avis, j'ai bien peur que les lavages de cheveux soient assez occasionnels dans cette famille, en plus je crois que son père a perdu son travail".

Elles suspectent aussi et surtout les enfants des mères avec lesquelles elles ne s'entendent pas, celles qui n'ont pas le tutoiement facile, qui disent bonjour quand elles se brûlent, celles aussi qui ne sont pas très branchées, qui s'habillent comme dans les années 90', bref les arrogantes, les moches, les prolo, les trop riches, les bêcheuses, les vulgaires....

"- Ecoute, une amie dont le fils est dans la classe du grand de Mme O**** m'a dit que malgré ses grands airs, elle est loin d'être maniaque, si tu vois ce que je veux dire, en plus je crois que son mariage prend l'eau..si tu vois ce que je veux dire, alors, c'est sûr, la pauvre doit avoir autre chose à faire qu'à vérifier la tête de ses enfants...malheureusement"

Les poux sont un formidable moyen de régler ses comptes en fait. Les délatrices par définition se considèrent en dehors du problème poux sous prétexte qu'elles n'ont que des garçons, ou des filles aux cheveux courts, qu'elles ont le temps de vérifier tout chez tout le monde. ERREUR. 

Ce qu'elles ignorent surtout c'est qu'aucune classe jusqu'à présent n'a pu éviter les poux quand Numérobis est parmi ses élèves.

Numérobis, en plus d'avoir hérité de mes gènes qui attirent les poux est une énigme capillaire depuis sa naissance. Quand elle est née, elle avait plus de cheveux que sa soeur de 2 ans et demi. Numérobis, c'est des cheveux, des cheveux, des cheveux. Si un pou se perd, il atterrit chez elle. Et en plus, elle aime les autres enfants (ce qui me semble étrange mais bon, à la limite, pourquoi pas, et j'accepte mes enfants tels qu'ils sont). Elle recherche le contact, joue, échange ses barrettes, et ce malgré mes menaces du matin.

- "Je te jure Numérobis que si tu reviens avec une barrette qui ne t'appartient pas, tu es privée du chocolat de l'Avent". (inutile de commenter mes méthodes d'éducation, je suis une enfant de Dolto, je sais que je paierai un jour ce genre de chantage honteux)

Bref, Numérobis est chevelue, sociable et régulièrement pouilleuse. Elle a beau empester le lavandin de septembre à juin, elle les attrape de manière régulière (et moi aussi dans la foulée).

A présent, je suis une spécialiste de toutes les marques de shampooing, lotions et sprays qui détruisent la planète, des peignes (en plastique, en métal), des répulsifs (naturel, bio, artisanaux ou industriels) et autres arnaques pharmaceutiques vendues à prix d'or. Je suis une épouilleuse professionnelle, lunettes sur le nez, je n'en loupe pas un, je pousse des hurlements de victoires à chaque mèche impeccable, je m'auto-congratule du génocide, je marmonne à chaque prise et me réjouis devant une tête saine. Véritable professionnelle de l'enturbannement de tête au film alimentaire, je suis une encyclopédie vivante du poux.

C'est pour cela qu'un jour, je prendrai mon courage à deux mains et j'irai voir la délatrice qui pense que les poux ont des préférences socio-professionnelles. Je lui avouerai que sa fille a toutes les chances d'en attraper en trainant avec Numérobis J'irai aussi lui dire que sa fille a confié à la mienne que sa mère, toute BCBG qu'elle soit, a dit trop fort qu'elle avait autre chose à faire qu'à déhousser son canapé Roche-Bobois. A 5 ans ils se disent tout les gamins. Un jour j'harponnerai ma copine américaine en lui disant que les poux ce n'est pas la galle, qu'elle a toutes les chances que sa fille en sorte indemne, que dans 99,99% des cas on s'en remet sans séquelle. Un jour, je me farcirai la mère écologiste qui se permet de douter de mes convictions sur la planète et lui offrirai un peigne fin pour qu'elle fasse le minimum quand même.

Un jour, il faudra aussi que je dise à ma mère que vraiment, j'ai mal vécu les cheveux courts.

Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé serait le fruit d'une pure coïncidence. 

dimanche 30 novembre 2014

Ce n'est pas toi que j'attendais

Fabien Toulmé
Ce n'est pas toi que j'attendais
Editions Delcourt, 2014, 245 p.

Je lis une BD par an (sauf les Légendaires évidemment) et cette année, c'est Jérôme qui a décidé celle que j'allais lire, parce qu'il en a fait une pépite et parce qu'il me connaît mieux que je ne le pensais. 


Parce que franchement c'était pas gagné, pour moi il y a trop d'images et de dialogues dans les albums et en plus je ne suis pas très à l'aise  avec ce qui tourne autour des bébés, des maternités difficiles etc, et puis dès qu'un sujet est lourd, généralement, je pars en courant (courage quand tu nous tiens).

Donc une BD qui raconte l'histoire d'un couple qui se retrouve avec un enfant trisomique par surprise, sans que rien n'ait été détecté pendant la grossesse...c'était risqué quand même. Pire encore, c'est une BD témoignage, qui ne se cache pas derrière l'auto-fiction, les personnages portent leurs vrais noms et les situations se sont vraiment produites.

Mais, contre toute attente, ça a marché (il est fort ce Jérôme).


Déjà parce que c'est une BD qui visuellement me convient. Pas de débauche de couleurs (oui ça m'agresse sinon, ma couleur préférée est le gris #boutentrain). Chaque page est en camaïeu d'une seule teinte, en général en rapport avec le ton de l'histoire, et cela me plait infiniment. La sobriété dans les couleurs et le dessin m'a semblé très appropriée vu le sujet.


Ensuite, Fabien Toulmé se met en scène et ne s'épargne pas.  Je me suis sentie vraiment proche de lui et je comprends que Jérôme, en tant qu'homme et père, ait été à ce point séduit. Toulmé est très loin de l'archétype du père des années 50': il pleure beaucoup, se désespère sans honte, se désole sans pudeur. Il est aussi assez inconstant, versatile, inquiet, pessimiste et finalement un peu égoïste. C'est un père sensible et complètement dépassé (et horrifié) par la situation.


Enfin, cet album porte un regard formidable sur la trisomie. Le trisomique, c'est l'enfant anormal, celui qui subira la cruauté des autres (l'histoire s'ouvre la dessus d'ailleurs), celui dont les parents supporteront les regards inquiets, malveillants, désolés ou emphatiques sur un enfant qui fera tout plus tard et moins bien que les autres ("vous ne méritiez pas ça punaise"). Avoir un enfant trisomique, c'est être regardé différemment à mesure que le temps passe, c'est avoir un enfant pour toute la vie, un enfant qui ne sera jamais un adulte totalement autonome, un enfant qu'il faudra protéger tout le temps.

Si Jérôme a été gêné par le rôle effacé que Toulmé donne à la mère, moi, au contraire, j'y ai vu le coeur du propos. Ce que j'ai compris de cet album c'est qu'en tant que père, Toulmé a, lui, le choix d'aimer ou non sa fille, de s'en occuper ou non, de l'accepter ou pas dans son coeur. Bref, c'est le récit d'un type qui doit se décider sur le père qu'il va être, qui doit accepter qu'on n'attend pas un enfant comme on achète une voiture, qu'on ne choisit pas le modèle, et que défier les statistiques a parfois l'effet d'une douche froide. Toulmé nous dit qu'être parent, c'est accepter l'enfant qui arrive. Et quand je dis qu'il ne s'épargne pas, ce n'est pas un euphémisme, car il ne cache rien: la répulsion devant le nourrisson, l'impression qu'elle n'est pas "normale", l'espoir secret qu'elle ne survive pas à une opération, le refus de la prendre au bras ou de lui donner son bain. Tout cela, il le dit, avec humour, avec douceur, sans forcer le trait, mais il le dit. C'est à la fois courageux et émouvant.

Ainsi, la très grande réussite de cette BD, c'est de montrer que l'enfant trisomique n'est pas que cela. Toulmé fait surgir une galerie de personnages émouvants:  une généticienne qui rappelle que ces enfants-là ont une propension au bonheur, une joie de vivre et une faculté de rire hors du commun, les Brésiliens qui ont font des enfants "spéciaux" plutôt qu'handicapés, ou une femme voilée qui y voit un don de Dieu. Le problème de la trisomie c'est la norme, et Toulmé rappelle finalement qui si on fait fi du regard des autres, on s'attache plus que de raison à ces enfants joyeux, et en ces temps moroses, peut-être que oui, c'est un vrai don. Ca n'enlève rien à tout le reste, à la difficulté qui attend les parents, mais ça parle de l'amour inconditionnel des pères pour leurs filles ;-)

Finalement, il y a quelque chose d'éminemment moderne dans cette histoire qui prend aux tripes, qui fait ressurgir chez chacun de nous les vieux démons des grossesses (et si mon bébé n'était pas normal?), mais surtout qui montre (je le crois) que la paternité est probablement ce qui a le plus évolué depuis un siècle. Il y a encore 50 ans, un père était viril, protecteur et distant, dans l'album de Toulmé, le père prend ses responsabilités en donnant le bain à sa fille.

Cette BD a été lue et validée par l'Homme qui comme moi manque de courage vis-à-vis de ce sujet, et qui a été emballé aussi (il est resté bloqué un long moment sur les photos rajoutées en fin d'album, en marmonnant des trucs incompréhensibles).

Ce n'est donc pas Julia qu'il attendait Toulmé, mais il est content qu'elle soit venue (rien que ça, ça peut me tirer les larmes).

Merci encore Jérôme, c'est un cadeau qui m'a beaucoup touchée ;-)

lundi 24 novembre 2014

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Patrick Modiano,
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier,
Gallimard, 2014, 146 p.
(merci Numérobis, tu as vraiment géré l'urgence!)

Le jeudi 2 octobre dernier, j'ai couru comme une dératée à ma librairie, avec Numérobis sur mes talons, je me suis jetée sur Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, j'ai pesté contre mon libraire qui l'avais mis derrière d'autres livres de la rentrée littéraire, je suis arrivée en retard au cours de danse de Rayures, mais j'avais accompli ma mission: j'avais le dernier Modiano.


Une semaine plus tard, il était nobelisé.

J'avais envie d'attendre un peu pour parler de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, attendre que l'effet Nobel retombe, qu'il ne soit plus à la mode ni premier des ventes, ni dans aucune polémique politicienne, attendre que des libraires populistes ne se moquent plus de lui, bref j'avais besoin de retrouver l'intimité (complètement unilatérale) entre Modiano et moi. 

Alors soyons clairs: surtout n'offrez pas ce livre pour Noël à des gens qui n'ont jamais lu Modiano, même s'il est court, même s'il y a le bandeau du Nobel, même si le titre résonne comme du Gavalda (bon d'ailleurs, il a fait mieux quand même, Villa Embiricos est un titre qui m'aurait moins étonnée, mais bon ça aurait fait doublon), . Bref, il est possible qu'un lecteur n'y voit que du flou et en ressorte avec une impression bizarre, et, il faut bien le dire, une certaine incompréhension générale. Ce n'est certes pas son roman le plus accessible. Ce dernier opus est une pièce supplémentaire dans l'oeuvre de Modiano, et c'est l'une des plus petites, des plus minimalistes, expurgée à l'extrême, dans lequel résonnent tous ses autres livres.

En revanche, si vous avez un ou une modia-fan dans votre entourage, surtout n'hésitez pas. Si vous connaissez quelqu'un qui a adoré Dimanches d'août ou Remise de peine, vous pouvez y aller franchement, parce qu'il est en droite ligne, et je dirai même, dans la continuité de ces deux titres-là.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier c'est l'histoire d'un romancier de 65 ans, un peu ermite, un peu craintif, un peu résigné, qui reçoit un soir l'appel d'un homme qui a retrouvé son carnet d'adresses et qui veut le lui rendre, en mains propres évidemment. Ca commence comme ça: par le coup de téléphone d'un type inquiétant.

"Presque rien" (incipit)

Presque tout. Parole de modianette, je vous promets de retrouver dans ce roman presque tous les ingrédients modianesques.

- Je vous garantis d'abord du papier sous toutes ses formes : un carnet d'adresses , celui-là même qui amorce l'intrigue, des brochures publicitaires de villages , des livres épuisés, un petit mot glissé dans un endroit improbable, des coupures de journaux, des procès-verbaux d'une autre époque, un photomaton des années 50.... Modiano c'est l'auteur du papier jauni qui traverse le temps.

- Je vous promets une intrigue angoissante aussi, chez Modiano, il y a des énigmes plus ou moins résolues,  des gens vraiment malveillants, des types à l'identité douteuse, à la capacité de nuisance inquiétante. On retrouve ici l'homme dangereux de Dimanches d'août, dont on ressent immédiatement sa propension à fomenter un truc terrible. 

"Le visage était mince, aussi coupant de face que de profil" (p.16)

C'est une composante incontournable de l'univers modianesque, mais toujours dans la suggestion. Chez Modiano, il y a des meurtres en filigrane, des complots, des escroqueries, des maîtres-chanteurs, le fantôme de criminels malgré eux, des faits divers oubliés...mais tout est suggéré, il ne faut pas manquer une phrase sinon on passe à côté de la résolution de l'énigme. Modiano parie sur la concentration du lecteur.

- Je peux aussi vous assurer que les personnages féminins ne sont pas en reste.  Modiano parle des femmes, toujours jeunes, toujours étranges, parfois ambiguës, souvent perdues, à chaque fois sensuelles...Les femmes ne vieillissent pas chez Modiano, elles disparaissent. C'est l'éternel portrait de la femme mystérieuse, métisse improbable, prise dans un engrenage qui la dépasse.  Dans n'importe quel autre roman, l'ambiance serait glauque, mais jamais chez lui. Et ces femmes, à l'état civil fluctuant, il les aime et les désire.

"Son rire et le bruit de leurs pas résonnaient dans ces rues dont l'une portait le nom d'un écrivain oublié" (p.106)

- Je peux aussi gager sur les errances dans le temps. Un roman de Modiano parle toujours du passé, avec des allers-retours , et ici entre l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr. C'est rare que les trois soient réunis dans un même livre, mais là c'est le cas. Il y a le narrateur, Jean Darragane presque au crépuscule de sa vie (et qui ressemble à s'y méprendre au narrateur de Quartier perdu qui aurait vieilli), mais il y a aussi le jeune homme qu'il fut, errant à 20 ans dans les rues parisiennes, et surtout l'enfant, le jumeau de celui de Remise de peine, un enfant de 7 ou 8 ans, emmené à droite à gauche, qui observe sans comprendre, et qui on le sait, se retrouvera tout seul. Je suis encore saisie par l'ultime phrase de ce livre que je trouve absolument splendide.

- Enfin, comme toujours, je parie que la géographie modianesque, aussi envoutante qu'approximative, plaira aux amateurs du genre. On dit de Modiano qu'il est l'auteur de la topographie parisienne dans toute sa précision, c'est très réducteur voire peu faux. Les adresses qu'il donne correspondent rarement à des lieux réels (et on s'en moque parce que c'est de la fiction). Mais  surtout, Modiano est le conteur de la banlieue, celle entre rivière et forêts, avec des maisons couvertes de lierre dans des villages de bord de Marne ou en lisière de bois. Ici c'est à Saint-Leu-la-Forêt que ça se passe, dans une maison décrépie après son heure de gloire, fascinante demeure qui impressionne l'enfant. 
Et Modiano reste l'auteur de la côte d'Azur vénéneuse, cette Riviera baignée de soleil et mensongère, dans laquelle ses personnages pensent se protéger de quelque chose qui les rattrapera inévitablement. Les rivages méditerranéens sont marqués chez Modiano par le sceau de l'implacable destin. Comme dans Dimanches d'août, la Côte d'Azur a des allures de terminus tragique. 

...et puis j'aurais pu vous parler de cafés fantomatiques, de trains qui font le Paris-Nice, d'une petite robe noire, de l'éternelle sentinelle, des réminiscences de l'univers hippique...

"c'était un morceau de réalité qu'il avait fait passer en fraude, l'un de ces messages personnels qu'on lance dans les petites annonces de journaux et qui ne peuvent être déchiffrées que par une seule personne" (p. 71)

C'est un absolu coup de coeur pour moi, je l'ai lu le plus lentement possible car chez Modiano, il ne faut pas manquer un mot ou sauter une phrase:  rien n'est appuyé ou répété, il y a de tout, mais c'est suggéré, dit une fois au milieu d'autre chose. Mais je vous rassure, je suis dans une phase où je n'essaie plus de convaincre qui ce soit, car je crois qu'il fait partie de ces rares écrivains  qui font de leur oeuvre est un grand roman discontinu (c'est lui qui le dit), on ne lit pas toujours le même livre mais tous ses opus n'en forment qu'un seul finalement, avec des personnages qui se rappellent au souvenir les uns des autres. Peut-être que Modiano est un auteur qu'on doit lire entièrement pour vraiment l'apprécier.

Peut-être.

Vu que je n'ai absolument aucune objectivité sur mon chouchou, je vous conseille d'aller vous faire une idée chez Un autre endroit et Noukette qui ont trouvé ce roman assez flou (sans rancune les filles), chez Jérôme qui partage mon attachement modianesque, chez l'Irrégulière qui a elle aussi été séduite, et chez Laure qui l'a aimé passionnément bien que ce soit son premier (et que j'envisage d'introniser dans le club des modianettes).

Belle semaine à tous ;-)

mardi 18 novembre 2014

Un livre, un lieu (ou plutôt des livres, des lieux)

C'est Romanza qui a créé ce tag la semaine dernière, et depuis je guettais frénétiquement le blogueur qui me taguerait pour pouvoir dire hypocritement "oh non, encore un tag, rho la la, décidément, pfff ça m'ennuie de parler de moi mais, bon d'accord, c'est l'esprit de la blogo, ça m'ennuierait de rompre la chaîne !". La semaine est passée et personne ne m'a taguée. J'ai pleurniché sur Facebook comme à mon habitude, et puis je me suis dit que j'allais faire comme Jérôme, répondre au tag juste pour me faire plaisir. Mais heureusement entre temps, la délicieuse et gourmande Sandrion a pensé à moi, juste avant que la grande prêtresse Aspho ne me prenne en pitié.

Je peux donc m'étaler en toute bonne conscience autour du thème: un livre, un lieu. (et vu que mes névroses sont profondes, tous mes livres sont marqués de l'endroit et de la date où je les ai lus, donc j'ai carrément de la matière).

(à toi qui cherches du succinct et du concis, passe ta route).

Printemps 1990, Avignon, dans le salon tout juste redécoré par ma mère dans les goûts de l'époque (du saumon partout, des halogènes en laiton et une table basse en verre), je lis Moonfleet sur un canapé bariolé dans un patchwork étrange de bordeaux, marron et orange, dont ma mère affirme à mon père, complètement circonspect, que c'est chiquissime. Moonfleet c'est ma révélation à moi, parce qu'il y a des bateaux mais surtout à cause du Y. J'harcèle ensuite tout le monde pendant des mois sur l'importance du Y qui symbolise les deux chemins que peut prendre notre destin : je suis définitivement une enfant inquiétante.  Depuis 25 ans, je garde Moonfleet au chaud dans ma bibliothèque. J'enchainerai ensuite avec les Mc Orlan (dans une ferme angevine) et le Stevenson (dans un studio des Alpes).

Été 1992, Nice, je m'ennuie comme un rat mort pendant les grandes vacances dans cette ville que je trouve vulgaire  et par désoeuvrement j'achète à Carrefour (enfin... je fais un caprice à mon père qui fait le plein de courses) Le Crime de l'Orient express. Lu d'une traite sur une terrasse plombée par le soleil, sur laquelle ma soeur et moi dormons la nuit, tellement il fait chaud dans les chambres (la clim n'est pas encore installée partout et tout le temps et ce n'est pas plus mal). Je me prends de passion pour Agatha Christie qui restera mon antidote éternel des pannes de lecture.

Juillet 1996, Privas, j'ai eu mon bac de français par surprise et de justesse, je m'enfile Aurélien recommandé par ma prof de français de Seconde, et reçoit sur le canapé du salon, mon premier grand choc esthétique.

Août 2001, Cargèse, dans le golfe de Sagone, les 7 tomes des Rois maudits, lus à 4 , avec l'Homme, ma petite soeur et mon cousin. Sur la plage, au bord de la piscine, à l'apéro, nous nous passons les volumes, et c'est moi qui ouvre le bal (car je lis le plus vite que les autres et je suis la plus pénible) : les garçons se réjouissent des scènes de torture, de violence et de sexe, ma soeur et moi discutons du destin d'Isabelle et des manipulation de Mahaut, mon père (un peu lourd pour l'occasion) nous apporte des précisions historiques qu'on ne lui demande pas. Un grand moment de bonheur. Nous sommes tous les 4 déçus par le 7ème tome, mais ça a ensuite été un code longtemps entre nous.

Mai 2005, Lorient, je suis hébergée chez une amie, je tue mes journées de libres à arpenter la Fnac (qui a remplacé le cinéma le Royal) et la librairie l'Imaginaire. Je trouve Dora Bruder (dont j'ai vaguement entendu parler), et le lis un samedi soir pluvieux dans le salon encore encombré de cartons de ma copine qui est à un mariage. Je ne sais pas encore que les 6 mois qui vont suivre, je vais écumer toutes les librairies, point Relay des gares et aéroports pour trouver toute l'oeuvre de Modiano.

Septembre 2005, Vol Nice-Nantes, je viens d'apprendre que je suis enceinte et ne trouve rien de mieux (les hormones que voulez-vous) que d'acheter à l'aéroport Un Heureux événement que je commence en salle d'embarquement et que je finis pendant le vol. Funeste idée: l'héroïne a mon âge, fait le même métier que moi, a la même belle mère. Identification garantie. Sauf qu'elle vit une grossesse affreuse, un accouchement sinistre et finit par se séparer du père de son bébé. Je passe ma semaine de travail en pleine crise d'angoisse.

Mai 2006, chez la sage-femme qui suit ma grossesse, sur une table d'auscultation en imitation cuir marron clair, ventre à l'air car monitorée tous les jours (Rayures dépasse dangereusement le terme),  je lis Travail soigné. Un super polar certes. Mais Alerte rouge!!! LE livre à ne pas lire enceinte, suite à cette lecture traumatisante, je bloque tout, on est obligée de me déclencher l'accouchement.

Mars 2009, dans une clinique sur les collines, service maternité, dans une chambre individuelle, et face un tableau franchement bizarre, je viens d'accoucher de Numérobis qui semble ne jamais dormir dans son petit berceau en plexiglas. Je lis L'Ombre du vent, offert par une amie chère, entre têtées, visites, soins et coups de téléphone aux copines pour raconter tous les détails de mon accouchement (les hormones nous font vraiment faire n'importe quoi). Je suis emballée, ravie, scotchée. J'offre ce livre à ma mère, mes soeurs, et mes copines en sortant de la clinique.

Mars 2012, un chalet sous la neige dans les Alpes du Sud, j'avale Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, c'est une révélation, je me mets à intellectualiser le fait de courir, je deviens définitivement flippante.

Août 2013, une jardin dans le golfe du Morbihan, juste au dessus d'un chantier ostréicole, zéro wifi, allongée dans un transat sur l'herbe, un thé bouillant, une cigarette, chapeau et lunettes de soleil, l'Homme et les filles sont à la pêche (j'ai toujours détesté me ruiner le dos), j'engloutis La Grande course de Flanagan, je me prends pour Nancy Sheridan (surtout quand j'écrase mon mégot) et je pleure comme une gamine à la fin du roman. Un moment de grâce.

Avril 2014, Montbéliard, devant une salle multisports située au dessus d'une bretelle d'autoroute,  dans le froid et le vent, je lis le Manoir de Tyneford, avec Numérobis qui se repose sur moi et qui se plaint de mon odeur de tabac froid. Mais la semaine est si joyeuse pour Rayures que j'aime tout: le Doubs où c'est encore l'hiver, ma mère qui conduit comme dans les années 70 (sans ceinture ni regard sur la route), la salle sans fenêtre où on est les uns sur les autres, le café infect et surtout ce roman qu'on dit sentimental mais que je trouve formidable.

Et enfin, septembre à novembre 2014, dans mon salon, la chambre des enfants, sur mon lit, dans la salle de bain, Les Légendaires ont envahi notre maison (heu pardon notre T3), je lis un chapitre tous les soirs à Numérobis, c'est le principal sujet de conversation à table le midi: la pierre de Crescia, les faucons d'argent, l'accident de Jovénia... l'Homme et les filles sont archi fans, mêmes les insultes en cas de disputes ont évolué : "Sale Ténébris", "je te déteste, tu es encore plus méchante que Darkhell", "jamais tu ne seras aussi forte que Jadina", "ouai c'est bon, va voir Elysio". Nous vivons à présent dans un monde parallèle où les super-héros ne cessent de mourir puis de ressusciter. Numérobis s'est fabriquée un bâton-aigle, la chambre est un champ de bataille, on se bat à la médiathèque pour trouver les volumes qui nous manquent. Je crains le pire pour la liste du Père-Noël

Pour conclure,
1: une lecture c'est : un livre + un lecteur + un lieu + un moment + un entourage.
2: bloguer me permet (je pense)  d'économiser de substantielles séances de psy, je pense donc que mon blog est excellent pour ma santé mentale.

Je tague Valérie, Clémence, Félicie, Marjo, Anne, Estelle et Mind the Gap. 

A votre bon coeur ;-)