Mon cher François,
Tu sais que j'ai du batailler pour mettre l'Homme devant ton émission hier soir (alors que passait sur Arte le dernier épisode d'
Occupied), j'ai du faire un peu de cinéma (en me tenant le ventre d'un air douloureux, mettant ma varice en évidence sur la table basse). Car sache-le François, l'Homme peut faire des concessions sur la littérature mais peine beaucoup beaucoup avec la variété française (16 ans qu'on évite le sujet lui et moi pour la survie de notre mariage).
Alors soyons honnêtes, dans le genre je suis sûre que c'était réussi comme émission, mais hier soir, ça n'avait rien à voir avec une émission littéraire, on se serait plutôt cru un dimanche après-midi chez mes beaux-parents. François, je te le dis, tes lunettes n'ont pas suffi. Et en plus ce n'était pas en direct, du coup ça donnait l'impression que vous aviez enregistré avant pour être tranquillement en vacances le jeudi soir pendant que la ménagère de plus de 50 ans restait devant sa télé.
Pourtant je t'assure mon François que j'ai joué le jeu dans un premier temps. Tu vois par exemple quand l'Homme n'a pas vu le rapport entre Julien Clerc et la littérature, je lui ai tout de suite rétorqué Grémillon, et quand il a cité
Les Contemplations de Victor Hugo (22 secondes), je lui ai dit "
ah tu vois l'Homme, y 'a un rapport". Bon c'est sûr, dire qu'on lit Balazc depuis 2 ans en faisant des pauses, je ne suis pas certaine que ça pousse les gens vers les librairies, mais bon....
Ce qui aurait pu nous sauver c'est Gainsbourg (un des rares chanteurs sur lesquels l'Homme et moi sommes d'accord). Hormis la prestation de Julien et de Jeanne Cherhal qui n'était pas d'un dynamisme exceptionnel, le reportage sur lui était intéressant, vraiment. Mais bon, Julien Clerc qui vend le roman méconnu de Gainsbourg sur un pétomane, c'était à peu près aussi efficace que Maîté qui proposerait le calendrier des Dieux du Stade en faisant du porte à porte. Même avec les extraits, même pour des fans, c'était bof bof.

Du coup, avec Max Jacob, j'ai cru que l'Homme allait réagir (rapport à Jacob, à Quimper), mais non, à ce stade on l'avait déjà perdu, il lisait le tome IV du
Trône de fer. Par ce que les livres que tu présentes, et celui de Jacob comme les autres, donnent l'impression d'être des prétextes pour justifier le titre de l'émission.
Et puis vraiment, tu ne nous as rien épargné quand même, même pas Laurent Gerra (je n'ai rien contre lui, il fait beaucoup rire les gens au Théâtre des Deux Anes), mais là, franchement, quelle consternation. "
Tu penses qu'ensuite il y aura les jongleurs et le magiciens ?" m'a demandé l'Homme vachard
. L'imitation bizarre de Luchini qui lit du Trierveiler, c'est vraiment limite limite...et même si tu étais hilare, je me suis dit que franchement je ne suis pas la plus snob de nous deux, parce que c'est vraiment facile de se moquer de la littérature de caniveau qui se vend comme des petits pains dans une pseudo émission littéraire. Ca a un vague côté "l'hôpital qui se moque de la charité". C'est drôle au début, et finalement assez indigne sur la fin du sketch. Moi tu sais Trierveiler, je ne la lis pas, mais je ne vomis pas dessus non plus. Tu sais qu'à ce moment là, je me suis vraiment demandée ce que je faisais là. Surtout quand tu as conclu sur le livre de Laurent Gerra (WTF????).
A 21h19, je me suis dit que j'allais éteindre, ce serait plus sain pour tout le monde. Mais une copine m'a fait culpabiliser. Et puis, c'est vrai, Souchon m'a enthousiasmée par son manque totale de posture, d'arrogance ou de snobisme justement. Il me plait Alain, avec sa coiffure aléatoire, sa voix en sous-régime, son allure chétive sans être malingre, et ce petit air de ne pas y toucher tout en envoyant un petit swing. Hormones obligent, il m'aurait presque arraché une petite larme sur "Rien ne vaut la vie". Et puis bon, ça a permis à l'Homme de sortir de sa grotte et de me raconter (pour la 312è fois) qu'il a croisé son fils et celui de Voulzy en boîte à Carnac...dans les années 90.
A 21h30, c'est ensuite Morel qui m'a retenue devant la télé. A 21h41, l'Homme m'a sorti "Et si je me faisais tatouer le prénom des filles sur l'avant bras?". Il est sauvé par la photo de Brassens, qui m'a valu un sarcastique : "c'est avec ton père que tu aurais du regarder LGL". La vieille dame qui sommeille en moi, a son petit coeur qui s'affole quand j'entends "C'est les gars de la Marine et de toutes leurs petites chéries...". Apothéose avec l'Orage...Acmée avant l'apodose.
A 21h53, je coupe la télévision, malgré la surprise promise par Jeanne Cheral, malgré Isabelle Carré qui lit Bashung...mais BAshung sans la mélodie...bon bah on a l'impression qu'il manque un truc (la musique sans doute). Ce doit être la différence entre la variété et la poésie.
Tu sais mon François, malgré mon amour pour Brassens et ma tendresse pour Souchon (et Isabelle Carré qui est fan de Modiano) je ne suis pas le public cible de ce genre d'émission. J'ai abandonné pitoyablement sous l'oeil goguenard de mon futur tatoué d'Homme.
Tu vois en fait, je ne suis pas snob François je suis juste devenue quelqu'un d'ennuyeux, voire de chiant en fait. Je regarde les émissions littéraire pour voir Marie-Hélène Lafon parler des vertus de l'adjectif qualificatif dans un roman, ou entendre notre goncourisé Enard nous balancer sa joyeuse érudition. J'étais venue vers toi pour entendre Ferrari nous illuminer avec sa diatribe sur la physique quantique, ou Vargas faire son festival en surjouant la scène où Robespierre lui demande d'entrer dans son roman.
Tu vois François, même Souchon s'est permis de te dire qu'on ne pouvait pas mettre Le Bateau ivre et Foule sentimentale exactement sur le même plan. Ce n'est pas un jugement de valeur tu sais, on a besoin de divertissement mais effectivement, la variété et la littérature sont deux choses différentes, on a besoin des deux, mais ce n'est pas la même cuisine. On sait bien tous les deux que ton émission d'hier soir ne fera vendre aucun livre aux libraires (si ce n'est celui de Gerra, mais ce sera ce week-end à Auchan dans le caddie des courses). ON sait tous les deux que personne ne va aller, suite à ton émission, se jeter sur l'oeuvre intégrale de Verlaine, ou le roman de Gainsbourg. Il restait des auteurs de cette rentrée de septembre qui méritaient d'être invités et mis en valeur ;-)
Après je peux comprendre que tu aies davantage envie qu'on t'associe à Lavoine qu'à Bobin. Lavoine on le reconnait dans la rue quand Bobin est un illustre inconnu pour la majorité des gens. Et avec un brushing aussi impeccable, je ne peux que comprendre que rester à ton âge au niveau de l'animateur télé reconnu par la blogueuse littéraire no-life et la retraitée de l'Education Nationale de plus de 60 ans, ça ne te suffise plus. Tu veux du glamour et je peux le comprendre, d'autant plus qu'on sent bien que Drucker est sur la fin.
Je me doute qu'on se lasse vite des ombres littéraires qui ne seront jamais aussi brillantes que la chanson, la variété et les people. Tu vois, là je me sens un peu comme quand tu as quitté la tranche de 17h sur Inter (à l'époque ou la grille était encore branchée culture et qualité de contenu), à un moment on veut mettre son talent au service d'autres choses que des bouquins poussiéreux et des érudits mal habillés. La plupart des romanciers sont des hommes de l'ombre, et ils entraînent les journalistes littéraires dans leur grotte (rho les cons). Du coup, je m'inquiète de ce que deviendra LGL à la rentrée, que restera-t-il de littéraire dans le nouveau format?
Je sais bien que la mode actuelle consiste à dire que tout est culture et que tout est littérature, sauf que pour moi, la littérature c'est quand un lecteur paie pour acheter un livre qui permettra à tous les maillons de l'économie du livre de vivre (auteur, libraire, éditeur, imprimeur etc...). Pardon mon François mais ce que tu as fait hier n'en était pas.
Alors ne t'inquiète pas, ton émission a été très appréciée en général, sur ce coup, je serai le vilain petit canard (avec Attila), tu vas avoir tous tes fans, et tous les amateurs de chanson française qui vont me tancer sur mon propre blog, je vais avoir le droit à tout, je le sais d'avance: ouvrir la littérature au plus grand nombre, les chanteurs sont de poètes, halte à l'élitisme etc ... (toi et moi savons bien que ce sont des foutaises hein).
Notre service public pouvait se glorifier de maintenir à une heure convenable une émission où des auteurs s'exprimaient et dans laquelle des romans avaient la vedette (je pense que la variété n'est pas sous-représentée sur les chaînes de télévision). Sommes nous condamnés à entendre jusqu'à la fin des temps que l'émission d'hier soir a eu une plus grande audience que celle que tu as d'habitude, et que ce seul fait justifie que malgré le titre de "grande librairie", il n'y avait pas un seul romancier sur le plateau? Tu étais notre dernier bastion, à nous, les pas marrants, les relous des soirées, les no-life sociaux, à nous qui lisons des romans sur la plage en dédaignant Gala et Closer. Tu étais notre rendez-vous secret, avec des inconnus connus de nous et qui nous rendaient heureux.
Bien à toi mon François, passe de bonnes fêtes avec les tiens.
Galéa (fais gaffe je suis à deux doigts de la dépression pré-partum là)