vendredi 29 mai 2015

En finir avec Eddy Bellegueule (audio)

 En 2014, entre Val et moi, il y aura eu (entre autres choses et gens) Edouard Louis. Son livre, son intervention à La Grande Librairie, le symbole qu'il pouvait représenter, la polémique de ses origines, le traitement de son homosexualité, son parcours universitaire et la Picardie...donc une fois n'est pas coutume, c'est chez moi qu'elle vient parler littérature avec la version audio; parce que si Val devait en finir avec Eddy Bellegueule (d'une manière ou d'une autre), c'était logiquement chez moi qu'elle devait clore cette affaire.

(PS: pardon pour la police fluctuante de ce billet...)

La parole à Val 

En février 2014, je lisais ce roman en version papier et j'ai mis des mois à décolérer. Ce billet va être un mélange de ce que j'avais écrit à l'époque et de ce que j’ai ressenti à l’écoute.

 Je n'avais pas été mise aussi mal à l'aise par un livre depuis Rien ne s'oppose à la nuit. Il y a dans ces livres qui dénoncent d'autres personnes ou un mode de vie, quelque chose d'insupportable pour moi, lié à l'impossibilité pour les autres de répondre aux attaques. Je sais que ceux qui ont aimé ce livre que je ne peux qualifier de roman puisque tout y est vrai, vont rétorquer qu'il ne dénonce rien, qu'il se contente de décrire. Je crois que ce ton qui se veut objectif m'a encore plus agacée. Dans sa description du milieu populaire dont il vient, personne n’est épargné : ses parents, sa grand-mère chez qui ça sent le chien sale mais encore pire, les ados qui soit le battent tout en s'attachant à lui ou le sodomisent dans la scène la plus glauque qui m'ait été donné de lire depuis très longtemps. 

Il y a une valeur qui est importante pour moi, c’est le respect. Edouard Louis ne respecte rien. Il n'y a aucun élément positif dans ce milieu. Dans le milieu d'où il vient, personne ne se comporte comme vous (enfin je le suppose) et moi et c'est finalement ce qui m'a le plus dérangée. J'ai eu l'impression qu'il nous englobait dans son monde, celui qui l'a sauvé de là d'où il vient et qu'il pointait du doigt l'autre, celui qui est si éloigné de notre quotidien, en nous disant : vous m'avez sauvé, vous qui connaissez le pouvoir des mots, vous qui aimez lire, d'un monde dont vous n'avez aucune idée et dont je vais vous ouvrir la porte. ! Il se trouve que mes origines picardes me mettent entre deux chaises, je suis à la fois du même monde qu'Eddy Bellegueule sans avoir oublié mes racines et les gens simples qui sont mes aïeux.                             

Je n'ai pas toujours été d'accord avec ses analyses. Par exemple, il explique le fait que son père et d'autres hommes refusent d'aller chez le médecin par un désir de paraître viril. Pour avoir côtoyé de près ce refus, je pense plutôt qu'il est dû, entre autre, à un manque de confiance envers les médecins et à une lutte des classes : le médecin, très à l'aise financièrement sans faire grand chose (je traduis d'autres pensées que la mienne, j'ai beaucoup d'admiration pour mon médecin) représente l'ennemi. Et si bien sûr, je ne peux expliquer les coups, je comprends tout de même que de trouver son enfant dans la situation dans laquelle sa mère le trouve alors qu'il n'a que dix ans peut faire perdre les pédales à de nombreux parents. D'ailleurs, cette scène m'a été insupportable. Je lui accorde le sens de la formule: 

Dans la chambre flottait encore l'odeur du cri de mon père.                  

Et j'ai aimé l'idée que ce qui le fait venir à la culture est sa différence et son besoin de se trouver une autre famille que la sienne, dans laquelle il ne se reconnaît pas. Dans cette autobiographie, certains passages ne m'ont pas paru crédibles.

J’ai depuis rencontré et écouté Edouard Louis, je comprends que l'auteur, dans son extrême jeunesse, ait eu besoin de faire ressortir son mal-être. Ca ne me rend pas plus à l'aise avec le roman. Ce qui est incroyable, c’est qu’en commençant cette écoute, je pensais que je pourrais enfin l’appréhender sereinement. Et il a suffi d’une conversation  à la piscine avec une amie que ce roman a autant agacée que moi et d’un mail d’une copine qui n’était pas d’accord avec mon avis publié sur Babelio (mais qui me le faisait savoir gentiment) pour que je comprenne que ce roman restera gravé en moi comme une blessure et que la colère reste là, enfouie. Ce roman n’est pas pour moi un plaidoyer contre l’homophobie mais un brûlot haineux contre une certaine simplicité.

Je n'ai pas été emballée par la lecture (un peu rapide à mon avis) faite par Philippe Calvario. Ce billet ne pouvait qu’être chez mon amie Galéa parce que nous avons tant parlé de ce roman, qu’elle a été très à l’écoute de ces moments où je devais faire sortir mon trop plein de colère.

Date de parution : 14 Mai 2014 Durée : 4h42


38 commentaires:

  1. eh bien tu vois je ne l' avais pas lu ( jamais efferverscence autour d'une publication ne m'aura autant énervée je crois, le côté il FAUT avoir lu Eddy BG . Très amusant ds certains milieux parisiens qui pensaient avoir fait une incursion en anthropologie tout d'un coup ) et je ne le lirai pas , au vu de ton billet qui résume tout ce que je craains d'y trouver (et , amusant, origines picardes et modestes pour moi aussi -mais ça n'est pas la raison de mon manque d'appétit pour ce bouquin je crois !)

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    1. On m'a reproché d'avoir dénoncé l'appétence du milieu parisien pour ce sujet la première fois, je reste persuadée qu'il y avait en effet cette impression d'aventure anthropologique. Et puis surtout, il y a eu ce buzz et on peut ce demander qui a eu ce coup de génie (pas sûr que ce soit l'auteur).

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  2. Je vois que tu modères aussi, jusqu'ici c'est la solution trouvée pour éviter les embrouilles aux visiteurs qui doivent cocher gâteaux ou bouteilles -et ça, je rate trois fois sur quatre.
    A part ça, pas lu ce bouquin, et l'idée de le lire un jour s'éloigne...

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    1. C'est typiquement le genre de bouquin qu'on lit en plein buzz ... ou pas (j'exagère un peu puisqu'une copine m'a envoyé un mail après l'avoir lu en poche).

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  3. Pour en revenir à cette histoire de police (mais que fait la...^_^), tu ne rédiges pas tes billets avec 'rédiger'? Perso je fais ça et ne m'occupes pas de l'onglet html

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  4. Entièrement d'accord avec la toute fin du billet "Ce roman n’est pas pour moi un plaidoyer contre l’homophobie mais un brûlot haineux contre une certaine simplicité" , j'ai essayé de lire ce livre et n'ai pu le terminer pour les raisons que tu évoques.
    Et puis ce n'est pas un roman, estampillé pourtant roman et ça m'agace...

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  5. Oui Galéa, ce roman en pouvait qu'être ici tant nous en avons discuté: de ta découverte de l'auteur à La Grande Librairie aux échanges qui ont précédé ce billet en passant par ma lecture, la tienne, l'attribution de sa bourse.
    En finira-t'on avec Edouard Louis?

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  6. Valérie, tu sais ce que je pense de ce "roman", tu mets tout à fait le doigt sur ce côté règlement de compte qui m'a énervée. Qu'on ne compare pas à Annie Ernaux, entre autre, qui a écrit des dizaines d'années après avoir vécu certains faits, et chez qui le recul, et le respect surtout, sont bien plus présents. On peut avoir des griefs envers sa famille, sans accumuler des détails sordides à leur encontre, sachant qu'ils auront du mal à répondre.

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    1. Que te dire à part que nous avons été d'accord sur toute la ligne concernant ce roman.

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  7. Je suis d'accord que l'auteur est assez impitoyable avec le milieu d'où il vient, mais j'imagine que ce très jeune homme manque encore de recul par rapport aux souffrances de sa jeunesse. Certaines choses m'ont touchée dans ce qu'il dit, la plupart m'ont écœurée. Je ne saurai jamais si j'ai aimé ce livre ou pas, mais je ne regrette pas de l'avoir lu.

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    1. Ce manque de recul est évident. En attendant, je pense que sa famille l'a payé cher. Et je ne suis pas loin de penser que lui aussi.
      Alors, qui a bénéficié de ce succès?

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    2. Oui, je vois ce que tu veux dire. Il a sûrement été victime d'une instrumentalisation de son histoire, facile à vendre pour le côté "homo chez les prolos du Nord de la France"... C'est triste.

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  8. Ah ben là, Je suis TOTALEMENT d'accord avec toi Valérie !!
    J'ai détesté ce roman, mais contrairement à toi, il est déjà en train de s'effacer de ma mémoire, et je ne le retiendrai pas, bien au contraire. Tant de vilénie me dégoûte davantage de l'auteur que de son milieu. Et puis les protestations sur le fait que c'est un roman tout en jouant sur son enfance pseudo misérable (comme tant d'autres qui le vivent bien), cette psychanalyse avec témoin et table rase tout en le mettant sur la place publique me semble vraiment inutile.
    Mais bon, il y a des gens qui ont aimé, tant mieux pour eux ;)

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    1. Tant mieux pour lui aussi. Le moins que l'on puisse dire est qu'il ne laisse pas indifférent.

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  9. je n'ai pas lu ce roman (pas envie) mais ton billet frappe fort. Merci Valérie, j'avoue que tu m'as émue...

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  10. J'ai aussi de gros bémols sur ce livre en raison du manque de recul de l'auteur. Ce n'était pas le cas avec "rien ne s'oppose à la nuit", que j'ai aimé, contrairement à toi. Pour autant, je trouve des qualités littéraire au roman d'E. Louis et il a le mérite de susciter une reflexion et des échanges entre lecteurs. Je n'ai pas de colère envers l'auteur. Je le plains de démarrer sa vie d'adulte avec un tel fardeau sur ses épaules. Je lui souhaite d'évoluer dans son approche et d'arriver à dépasser le rejet de son milieu.

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    1. Je le lui souhaite aussi. Et je ne suis pas sûre que ce soit contre l'auteur que ma colère est vraiment dirigée.

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  11. Je pense que je ne le lirai jamais. Le buzz autour m'avait déjà agacée. Je pense que ce jeune homme avait besoin d'ecrire ce texte pour se libérer d'un fardeau, mais que ce texte n'avait peut-être pas vocation à être publié....Je suis toujours très gênée par les déballages intimes même s'ils sont bien écrits.

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    1. Je comprends en effet que qu'il avait besin d'écrire ça et je suis tout à fait d'accord, la publication n'était pas nécessaire.

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  12. J'ai profité de ce billet pour relire celui que j'avais moi-même écrit. Je serais assez d'accord avec Sylire.
    Ce jeune homme a sans aucun doute vécu une enfance très particulière et a été l'objet du rejet de sa communauté en raison de sa féminité affirmée et de son homosexualité. Je pense que c'est un garçon qui a dû faire un chemin considérable et un énorme travail sur lui-même pour sortir de sa communauté et emprunter une voie qui ne lui était pas du tout destinée. Il en résulte un livre assez pénible à lire, c'est vrai, mais qui est en fait, à mon sens, un acte fondateur d'une nouvelle identité. L'écrivain reste à grandir. A moins qu'il ne renonce à la fiction pour aller plutôt vers la sociologie ?
    Quoi qu'il en soit, je ne le rapprocherais aucunement de Rien ne s'oppose à la nuit, qui est une déclaration d'amour d'une fille à sa mère disparue. Un livre qui m'a émue aux larmes, contrairement à celui d'Edouard Louis, qui m'a pas touchée.

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    1. Je n'ai pas du tout vécu Rien ne s'oppose à la nuit comme une déclaration d'amour.

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  13. Moi qui n'avais vraiment pas envie de me plonger dans ce livre m'en trouve confortée par ton analyse !

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  14. Effectivement Delphine, c'est tout à fait ce que je pense.

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  15. Le passage de l'auteur à LGL et l'article de Galéa me donnaient presque envie de le lire mais je ne l'ai pas fait, je suis une petite nature et les scènes dont tu parles ne me tentent pas du tout. Alors je crois que je vais laisser tomber ce livre définitivement.
    Je suis 100% d'accord avec ce que dit Delphine Olympe, Rien ne s'oppose à la nuit est un déclaration d'amour à une mère et aux femmes en général...je ne sais pas si l'on peut comparer les 2. Pour ton information, Delphine de Vigan est l'auteur dont je me sens le plus proche, j'ai préféré d'ailleurs certains de ces romans de fictions à Rien ne s'oppose à la nuit. J'adore cette personne...

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    1. J'avoue que ton commentaire me surprend, MTG. Comme quoi, il est difficile de préjuger des goûts des autres.

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    2. Pourquoi es tu surprise ?? Par le fait que j'aime Delphine de Vigan ??

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    3. J'attends la réponse Valérie...je reviens exprès ici dans ce lieu de perdition....

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    4. J'attends ta réponse Valérie...je reviens ici tout exprès, pas facile ici de suivre les conversations.... :D

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  16. J'ai je crois lu une bonne partie des avis sur la blogo à propos de ce livre et qu'ils soient positifs, ou négatifs comme le tien, je n'ai jamais eu envie de le lire, pourtant une collègue voulait me le prêter, mais je pense que mon ressenti s'approcherait trop du tient, et ce pour les mêmes raisons, donc je préfère lire les avis, plutôt que, pour une fois, me faire mon propre opinion.

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    1. Parfois les avis divisés donnent envie de découvrir le roman mais comme tu le montres bien ce n'est pas toujours le cas.

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  17. Je comprends très bien ce point de vue. De toute façon je n'avais pas envie de le lire. Alors...

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  18. J'aime infiniment ton avis, Val, et c'est pas parce que c'est toi ! D'abord parce que je n'ai jamais su pourquoi j'ai toujours évité ce livre mais en te lisant, j'ai trouvé cet élément de réponse. Je suis issue d'une famille très large et très simple mais qui m'a suffisamment aimée pour me porter là où je suis arrivée. J'ai toujours eu un immense respect de mes aïeuls, même s'ils étaient loin d'être parfaits (j'ai connu les conflits familiaux, les disputes qui brisent). J'ai fait la paix avec mes origines, je les porte à mon tour, avec joie et reconnaissance. Voilà, j'ai surtout fait la paix avec moi-même et j'espère qu'il en est de même avec l'auteur qui doit souffrir d'une sacrée schizophrénie sociale.

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  19. Merci Philisine, ton commentaire me fait plaisir. J'espère pour lui qu'il fera la paix avec les siens, et donc avec lui-même.

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