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samedi 16 juillet 2016

Galets tristes

Je vais bien.

C'est tout l'intérêt d'être névrosée, j'ai peur de la foule donc ce feu d'artifice je n'avais aucune chance d'y être (la Prom' c'est à 6h du matin, avec des baskets et mes écouteurs...et vu que je manque de sommeil et de rééducation perinéale, je suis dans une période no-prom).

Les filles et l'Homme vont bien.

C'est tout l'intérêt d'avoir des enfants ingérables, à 20h, elles étaient punies de feu d'artifice en représailles d'une bagarre qui s'est mal terminée. 

Ma famille et mes amis vont bien.

La plupart d'entr'eux y étaient, mais tous ont pu rentrer chez eux, même de justesse, même dans la foule, même la peur au ventre . Bien sûr, les enfants et parents sont extrêmement choqués de la violence de ce qu'ils ont vue et entendue, mais ils sont saufs.

Fidèle à ma réputation de bout-en-train, je m'étais couchée vers 22H, en même temps que My Third, renommée Lady Duracel. Les filles avaient regardé le feu d'artifice du balcon en râlant; "on voit rien c'est nul, sans la mer en dessous ça sert à rien, de toutes manières c'est trop bas". Bref, la routine quoi.

C'est l'Homme qui m'a réveillée à 00h10 "Galinette, ton portable sonne en boucle, il y a eu un attentat, je préfère te réveiller, il faut peut-être rassurer les gens". Je n'avais pas connu ce sentiment d'importance depuis le Nobel de Modiano.  Il n'y a pas à tortiller, c'est bon de se sentir aimée (merci merci merci).

J'ai passé une nuit et un jour à faire le tour des gens qui comptent, sinon je n'aurais pas réactivé ce blog (qui ne devait pas réapparaître avant sa migration). J'ai même pris des nouvelles d'une copine avec laquelle je suis en froid depuis 2 ans, elle va bien, nous allons donc pouvoir continuer à nous ignorer proprement, et nourrir un ressentiment tenace sur une vieille affaire sans intérêt. La vie continue donc. 

Je vais bien, ceux qui sont précieux à mon coeur aussi, et je mesure la chance que j'ai. Honnêtement, je me sens presque illégitime de savoir qu'on s'est inquiété pour nous, du fin fond du Finistère jusqu'au Vietnam. Evidemment, bientôt, dans les jours qui viennent, nous apprendrons la disparition de gens qu'on connaissait, de loin ou par personnes interposées, le neveu d'un tel, la meilleure amie d'une autre, le collègue d'un cousin...

Si ce 14 juillet restera pour nous un drame collectif bouleversant, j'ai la chance qu'il ce ne soit pas une tragédie personnelle, ce qui n'enlève rien à l'horreur de l'événement.

Mais Nice a une réputation à tenir malgré tout. Elle ressucitera de cet événement, toujours plus belle, toujours plus claire, toujours plus futile. La ville aux 1 000 chaises et au 50 nuances de bleu est en deuil mais restera elle-même. On ne lâchera pas nos habitudes qui fondent notre notoriété . Capitale européenne de la vulgarité, elle sera encore l'endroit où les femmes ont 25 ans de dos et 70 de face, celle qui atteint des sommets de poésie quand l'OGC reçoit l'OM. On laissera le reste de la France se moquer de notre proportion de retraités ou du blond peroxydé des plus de 50 ans, parce que pour nous Nice est surtout cette cité où on se sent chez soi, même sans justifier d'un pédigrée sur 4 générations. La vie continuera donc ici, avec des balades sur la colline du Château, des gouters d'anniversaire sous les oliviers des Arènes, on prendra le temps d'une bière au coeur de la vieille ville, d'un jogging sur la Promenade, d'une virée shopping de Jean Médecin à Alphonse Karr. On ne renoncera pas à emmener les enfants jouer sur la Coulée Verte ni à marcher à l'ombre des platanes du boulevard Victor Hugo. Nizza Bella restera celle de Gary, Modiano, Matisse ou Chagall. Notre frivolité légendaire triomphera de la peur, nous resterons sur les galets, debout, convaincus d'être à notre place et dans notre droit 
(et en ce qui nous concerne, brulés par le soleil car notre peau n'oublie pas ses origines - chez nous, on ne bronze pas, on brûle puis on pèle).


Je vais bien donc, mais une partie de mon coeur est inconsolable, mes pensées vont toutes entières vers ces familles en deuil, enfants orphelins et parents terrassés, je penses à ces touristes fauchés un soir de Fête Nationale, à ces badauds malchanceux de la Promenade. Ils garderont pour toujours une place particulière dans le coeur des Niçois.  


Depuis mercredi, la Baie des Anges n'a jamais aussi bien porté son nom.

Merci du fond du coeur à ceux et celles qui se sont inquiétés pour nous.