Dans La Mer et le silence de Cunningham, forcément on entend Le silence de la mer de Vercors.
C'est le deuxième livre voyageur que m'a envoyé
Fransoaz. Rien que le titre m'emballe...parce que forcément j'ai pensé au somptueux
Silence de la mer de Vercors. Et j'avais raison.
La Mer et le silence est un livre en deux parties...précisément deux manuscrits que l'héroïne, Iz, a rédigés puis transmis à son notaire après sa mort.
La première partie intitulée, Hector, s'ouvre en 1945, sur l'arrivée d'un jeune couple devant le phare dans lequel il va habiter. Rien que cela, je me délecte. Iz, d'une beauté troublante, n'a que 23 ans, et découvre l’extrémité d'un monde. "Pour dire le vrai, je fus ébahie par tant de mer et si peu de terre" (p.17). C'est dans ce phare qu'elle va vivre avec son époux: Ronnie Shaw. Elle est déjà enceinte de son fils: Hector.
On a tous un Ronnnie Shaw dans notre entourage.
Mais si, c'est le type volubile, optimiste, enthousiaste, chaleureux et bavard...celui qu'on aime bien. Vous savez bien, ces garçons toujours avec trois projets en cours.... Les beaux parleurs, finalement un peu mythomanes, qui ratent leur vie en nous faisant croire que demain tout va changer. Ils sont toujours à deux doigts des grandes choses...et ils y restent. En général, ils sont tellement chaleureux qu'ils ne sont jamais contre une petite incartade conjugale.
C'est un type de ce genre qu'Iz a épousé. Cette première partie m'a fait penser à Une Vie de Maupassant, en version irlandaise du XXe siècle. On se dit que c'est l'histoire d'une très jeune femme, mal mariée qui découvre les affres et les désillusions de la vie conjugale. A la page 123, je me suis dit "Pas mal...mais sans plus".
Mais ça ce n'est que la première partie...
Le second manuscrit est un superbe tour de force.
On découvre Iz deux ans avant son mariage. Iz, jeune fille anglo-irlandaise, dans une Irlande qui cherche à reconquérir son identité. J'ai découvert ce qu'étaient les anglo-irlandais.
"unis par la lignée, les mariages consanguins, la religion, et par dessus tout, un non irlandisme radical. C'était le point qui nous définissait par excellence. Nous savions ce que nous n'étions pas..." (p.136).
Iz raconte pendant deux ans l'histoire de cette communauté coloniale fin de race, globalement désargentée dont les membres les plus lucides savent pertinemment que leur occupation de l'Irlande est en train de s'achever. Je connaissais assez mal ce sujet, et j'ai adoré découvrir tout cela.
Et bien sûr, Iz qui a à peine 20 ans en 1943, tombe amoureuse. Je n'en dirai pas plus; parce qu'il ne faut rien déflorer pour apprécier ce roman. Ce que je peux dire c'est que cette deuxième partie donne une autre couleur à la première, parce qu'elle lui est antérieure, mais aussi parce qu'elle éclaire tout, parce que les événements sont bouclés, compréhensibles. Parce que les fils épousent, sans le savoir, la cause contre lesquelles les pères ont combattu. Parce que Dublin prend une dimension. Et les désillusions d'Iz, en tant qu'épouse, sont encore plus tragiques quand on connait la jeune fille.
La mer et le silence parle de l'Histoire.
L'histoire de l'Irlande évidemment, qui se défend de l'emprise de la couronne anglaise, sur fond de Seconde Guerre mondiale. Un conflit qui ne la concerne pas vraiment mais qui l'impacte quand même par les rationnements et les contingents militaires envoyés en Europe.
La Guerre est un personnage à part entière de ce livre; ils sont nombreux les hommes de ce roman à périr, sous l'uniforme britannique, sur des fronts incertains et peu glorieux, presque au pied de chez eux. J'y ai retrouvé avec plaisir, tous les ressorts des amours tragiques et des fresques historiques : la superbe héroïne, le traître, la déchéance des puissants, les convaincus jusqu'à la mort, la raison d'état, les sauveurs en tous genre, le suspens, l'enchaînement fatal des événements...et ce que certains de mes (ex)collègues appellent encore Le cours de l'Histoire.
Ici pas de déferlantes littéraires, comme le sont d'habitude les sagas historiques, au contraire tout est sobre, intelligemment suggéré. Iz est finalement l'héroïne courageuse, banale et dramatique d'un monde qui change.
C'est brillant, bien mené et instructif. On n'apprend pas les détails de l'histoire irlandaise, on devine une atmosphère, et c'est bien mieux. D'une lecture facile, c'est un livre exigeant qui prend son ampleur après sa lecture, quand on se remémore, en miroir, les deux parties.
Je remercie encore Fransoaz et l'enverrai, toujours avec grand plaisir, à celui ou celle qui voudra le découvrir. Et je pense sincèrement qu'il le mérite.
| Peter Cunningham, La mer et le silence, |
Joëlle Losfeld |
, 2012, 242 p. |