samedi 2 février 2013

Rue des boutiques obscures-Modiano

Sans Modiano, ce blog ne serait pas vraiment le mien

Je cherchais depuis quelques temps déjà l'occasion de relire Rue des boutiques obscures; c'est Laure qui me l'a donnée en lançant le challenge "A tous prix". Effectivement Rue des boutiques obscures reçut en 1978 un prix Goncourt très mérité (alors que Modiano était plus jeune que je ne le suis aujourd'hui).

Modiano, Rue des boutiques obscures 

Rue des boutiques obscures raconte l'histoire d'un homme qui a tout oublié de lui-même

 "Je ne suis rien." écrit-il en incipit. Précisément, l'homme n'est plus rien parce qu'il n'a aucun souvenir de son passé ni de sa propre mémoire. Le lecteur suit alors avec lui son enquête ou plutôt sa quête de lui-même au travers de personnages dont il espère, à chaque fois, qu'ils se souviendront de lui, qu'ils se substitueront à sa mémoire défaillante. Le narrateur s'accroche à une photo dans laquelle il croît se reconnaître.

Guy (c'est ainsi que s'appelle l'amnésique qu'il est devenu) part à la recherche de ceux qui savent ce qu'il fut. Il chemine entre un détective privé qui l'embaucha après son amnésie, quelques apatrides russes exilés (qui prennent pour moi une autre dimension après avoir lu Guenassia), un jardinier d'aristocrates désargentés, un jockey qui eut son heure de gloire, une femme qui lui prêta un appartement (refuge dans une sombre période) et quelques anonymes qui surgissent, juste le temps de livrer au lecteur un souvenir précis.

Le narrateur se cherche aussi à travers des lieux : de Paris à Nice en passant par Megève

Modiano aime les adresses, les numéros de téléphone désuets, il observe des fenêtres en essayant de se souvenir de lui même.  Une sensation l'assaille quand il marche dans une rue, il croit reconnaître une odeur, un sentiment, un tissu. Finalement, il part à la recherche de l'évènement qui lui a fait perdre la mémoire.

Modiano évoque  l'Occupation avec un ton particulier, toujours de manière elliptique mais intense. Il trace de cette sombre parenthèse historique ce qu'elle a de plus ambiguë et comment elle a scellé le destin de ses personnages. En parvenant à reconstituer son traumatisme originel, le narrateur découvre aussi ce qu'il a perdu, et ceux qui ont été engloutis, obligeant le lecteur à se souvenir du début du livre avec une émotion particulière.

Mais surtout, dans sa quête de lui-même, Guy Roland montre la fragilité de la vie, la faillibilité de la mémoire: ce qu'il reste de chacun de nous n'existe que dans le souvenir des autres... et dans quelques papiers administratifs.

L'esprit Modiano : le rythme du contrejour

Tout le monde n'adhère pas au style Modiano, extrêmement dépouillé avec une cadence à contretemps, mais je fais partie des gens chez qui résonnent ces mots. Évidemment, son œuvre, parce qu'il faut bien appeler ainsi l'ensemble de ses romans, a des clefs qu'il faut chercher et comprendre. C'est pour cela que mon adorable petite sœur m'a offert à Noël Dans la peau de Patrick Modiano, et que je suis attentivement un blog qui lui est consacré. 

 Mais toutes ces exégèses ne sont pas forcément nécessaires, on peut (je dirais même on doit) aimer un roman pour lui même. J'ai lu pendant plus de dix ans Modiano sans reconnaître aucune allusion et pourtant j'étais enchantée, et je le suis toujours, par son écriture sobre, sa perpétuelle quête d'identité, sa nostalgie d'une époque qu'il n'a pas vécue, l'ambivalence de ces personnages perdus.

Tous les Goncourt n'ont pas nécessairement été mérités (à mes yeux), mais celui-là lançait la carrière d'un romancier qui , à défaut de faire l'unanimité, et surtout sans être un personnage médiatique, compte dans le paysage littéraire français. Merci à Laure de m'avoir permis de le refaire surgir.

PS: Si un blogueur décide un jour de lancer un Challenge Modiano, je serai son premier soutien et contributeur.
 
Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures (1978), folio, 2004, 251 p. 

13 commentaires:

  1. Ton article est vraiment très bien fait et donne envie de découvrir cet auteur, que je n'ai encore jamais lu. L'histoire en elle-même me plait, reste à savoir si ce serait de même pour son style. Et pour le savoir, il suffit de le lire, ce que je ferai assurément, ton article m'en a convaincu :)
    Merci pour cette belle participation, je suis ravie q'elle ait pu te replonger dans cet auteur que tu aimes tant :) Bon Week-end !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à toi, j'espère que Modiano te plaira . Beau dimanche

      Supprimer
  2. Très beau billet !! Je l'ai lu il y a bien longtemps ainsi qu'un ou deux autres (Place de l'Etoile il me semble et La ronde de nuit), m'en reste un dans ma biblio acheté il y a deux ans, tu me donnes envie de m'y mettre mais j'en ai déjà trois de commencés... ;( Et rien que ses titres sont magnifiques ! Assurément, c'est une Oeuvre qu'il écrit, certains disent qu'il écrit toujours le même livre mais tant pis, quand on aime au contraire on en redemande ! Par contre, bien qu'il s'en défende et qu'il fuie les caméras, il est très médiatisé ! Dès qu'une rumeur (sans fondements parfois) sort sur lui, toute la presse en parle ! Il était beau en plus !!! Lol (je dis bien "était")

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Étrangement j'ai détesté "la place de l'étoile" mais c'est le seul, j'ai aimé tous ses autres romans. Tu as raison: il cultive une certaine absence médiatique ; ceci dit il n'arpente pas non plus les émissions Tv bas de gamme et voyeuristes comme certain de ses collègues. La plupart des gens ne connaissent pas son visage ... C'est vrai qu'il était beau !

      Supprimer
  3. Je viens de vous lire, et cela me donne envie de relire ce livre. Je l'ai lu en .... 78, donc. Et bien je m'en souviens encore avec précisions. Il m'avait marqué. Et j'avoue ne pas avoir lu beaucoup de Modiano ensuite, peut-être par peur d'être déçue ?
    Bonne fin de week end !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme vous me faîtes plaisir de me dire que vous avez aimé ce roman, je me sens souvent un peu seule dans ma passion modianesque. Je l'ai relu aussi avec l'appréhension de ne pas l'aimer autant que la première fois, mais j'y ai découvert d'autres aspects. Je serais curieuse de connaître votre sentiment plus de 30 ans après la première lecture. "Dimanche d'août", "Villa Triste", "Pédigrée" ou "Livret de famille" et même "Du plus loin de l'oubli" m'ont vraiment beaucoup plu aussi. De toute manière, Modiano, c'est d'abord une ambiance, une atmosphère; c'est ce que j'aime chez lui. Merci de votre passage!

      Supprimer
  4. je n'ai jamais lu cet auteur...shame on me... :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas du tout, pas de honte, tu vas encore pouvoir le découvrir, quelle chance tu as. Ce sont des livres assez courts. Si tu te lances préviens moi. Belle semaine à toi

      Supprimer
  5. J'aime beaucoup Modiano aussi et si j'ai aimé celui-ci, j'ai été encore plus séduite par Du plus loin de l'oubli et Dans le café de la jeunesse perdue. C'est un de mes auteurs favoris.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi aussi!!! En auteur contemporain, il reste mon grand préféré. "Du plus loin de l'oubli" est effectivement vraiment bien, mais j'ai énormément aimé aussi "Dora Bruder", "livret de famille". J'ai d'ailleurs décidé d'en relire un par mois pour prendre le temps de la chroniquer, en attendant qu'un challenge Modiano surgisse sur la toile.

      Supprimer
  6. Réponses
    1. Ah zut....désolée
      (bof votre commentaire anonyme et sans arguments avec un tutoiement qu'en général on n'utilise qu'entre blogueurs qui se parlent à "pseudo découvert")

      Supprimer
  7. Avec quel titre l'as-tu découvert? Tu es tombée amoureuse au premier titre?

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont modérés car je n'accepte que les remarques qui encensent mes billets ou qui crient au génie.
Merci de votre passage
(je plaisante!! La modération est activée pour échapper aux vérifications diverses et variées dont tout le monde sature ;-)

La Quadrature des Gueux : Le sens de la fête

Nouveau point d'étape de la quarantaine : le sens de la fête.  Que reste-t-il de nous quand il s'agit de faire la fête ? Je parle d...