Pages

mardi 26 février 2013

Remise de peine-Modiano

Remise de peine raconte l'histoire de deux jeunes frères bringuebalés

Deux petits garçons sont confiés par leurs parents à un groupe d'adultes troubles. On les voit évoluer dans une banlieue parisienne incertaine, quelque part dans les années 1950, au sein d'une grande maison où se croisent des personnages ambigus. Modiano reconstitue avec son regard d'adulte et ses sensations d'enfance ces évènements qui ne durèrent pas plus d'une année. 

Modiano, Remise de peine

Un roman intime, au plus proche de l'enfance

À mots couverts, on devine le passé et le futur de ces petits et grands brigands qui furent le temps de quelques mois leur seule et unique famille. Entre une mère comédienne en tournée à l'étranger et un père fuyant on-ne-sait-quoi à l'autre bout du monde, Remise de peine a des accents désespérés.

Le narrateur ne fait qu'un avec son petit frère qui ne sera jamais nommé dans le livre. Tout ce qu'ils font, ils le font à deux. Ce qu'ils voient, ce qu'ils comprennent, ce qu'ils craignent. C'est un beau roman, parce qu'il restitue les fantasmes et les interrogations de l'enfance avant l'adolescence. Il y aurait presque du Pagnol dans Remise de peine. Mais pas seulement parce que le sujet est grave.

Des adultes à mi-chemin entre le bandit et l'ange-gardien

Les hommes et femmes qui vivent dans la maison ne sont vraiment pas des enfants de chœur. On croise des anciens de la rue Lauriston, des femmes aux activités diverses, des cambrioleurs de haute volée ...Et pourtant, l'ambiance n'est pas glauque, Modiano décrit des gens aimants, attentifs et presque protecteurs.

L'issue est dramatique, au sens propre, amenée avec une grande délicatesse, avec des mots d'adultes et des yeux d'enfants. Je ne la déflorerai pas. Modiano parle d'une ceinture parisienne qui n'existe plus, de lieux engloutis par le périphérique, de rues dont la morphologie a maintenant changé.

Je salue particulièrement les éditions Points qui proposent en poche les romans de Modiano qui ne furent pas édités par Gallimard et qui sont préfacés par des auteurs contemporains. La préface d'Olivier Adam est extrêmement émouvante

Patrick Modiano, Remise de peine, 1988
Points, 2013, 118 p.

lundi 18 février 2013

Ville Close

Ville close par Maubert
Franck Maubert, Ville close
Editions Ecriture, 2013, 184 p.

Avant de m'envoler vers des vacances méritées (en prenant le risque que le grippe nous tombe dessus pendant les 10 h de train ou à 1 500 m d'altitude...c'était bien la peine de se vanter d'être passé à travers si elle nous gâche les vacances...passons...), donc, avant de partir, je rends ma copie à Babélio dans le cadre de Masse Critique.


J'avais choisi Ville Close de Franck Maubert, parce que le titre a du Modiano et Modiano le recommande. Tout pour me séduire donc. Ville Close raconte l'histoire d'un homme, anciennement chroniqueur gastronomique, qui revient dans la maison de sa tante décédée, à Richelieu. Il y reste un mois environ, le roman raconte ses quelques semaines en ville close.

Indubitablement, Maubert sait rapporter une ambiance, toute fantomatique soit-elle. Richelieu est la ville créée par le cardinal éponyme. Une ville ex-nihilo, moi ça me parle, parce que c'est un sujet que je connais bien, ces villes nées au XVIIe siècle cherchaient encore leur âme cinquante ans après, et Richelieu la cherche toujours trois-cents ans après.

Ce qui me gêne, c'est de présenter Richelieu  comme le "bout du monde" ; là je m'insurge. Le bout du monde, c'est l’extrémité de la terre, et sans faire de chauvinisme, c'est le Finistère à l'horizon ouvert (Penn-ar-Bed : bout du monde en breton). Richelieu coincé entre la Touraine et le Poitou, c'est le creux du monde, tout se passe à côté, mais rien entre ses murailles où plane encore l'ombre méprisante du Cardinal. Maubert fait de Richelieu une ville déjà perdue, vidée de ses habitants et qui ne peut produire que du mauvais tant elle est sans perspective et sans espoir. Evidemment, c'est une problématique qui me plaît : "Richelieu n'a d'autre raison d'exister que celle de n'avoir pas été détruite" (p.170).

J'ai aimé sa galerie de personnages désespérés, dont aucun ne sort indemne de cette histoire : un libraire glauque et libidineux, tout juste sorti de prison, un médecin-maire volage, un homme-à-tout-faire inquiétant, un bistrotier à tête de musaraigne,  un vieil acteur de théâtre et surtout un antiquaire, reclus en solitude, la soixantaine digérée, dont le compagnon a été assassiné et qui se meurt de paranoïa. Qui connait l'oeuvre de Modiano ne peut ignorer le clin d'oeil.

J'ai évidemment apprécié la place que tient la cuisine dans ce livre: la purée Soubise qui cuit pendant 36 heures, les perdrix qui attendent de l'accompagner, l'assiette des restaurants qu'un critique jauge d'un coup d'oeil. Tout cela, c'est ma partie, j'aime qu'un romancier s'étale un peu dans ses préparations culinaires, j'aime que les oignons frémissent.

En revanche, je trouve que le roman manque de coeur, le narrateur semble n'avoir aucun passé, il raconte mais ne se met pas en scène. Pourquoi n'est-il plus critique gastronomique? Que vient-il faire à Richelieu? Qu'a-t-il fait jusqu'à ses 50 ans? Bref, je trouve qu'il y manque un certain supplément d'âme. Je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages- même Jeanne- que je n'ai pas trouvés suffisamment denses. Peut-être est-ce un choix littéraire concordant avec le parti-pris de faire un roman glacial. Dans ce cas, c'est réussi: les personnages ressemblent à la citée, qui d'ailleurs est bien plus qu'un décor dans ce roman.


La fin, qui glace les sangs, donne une étonnante cohérence au propos de l'ensemble du livre, elle met en perspective tous les chapitres précédents. Inspirée de faits réels paraît-il, cette histoire fait une publicité très défavorable à Richelieu, où je ne pense pas que Maubert y serait bien accueilli. 
Livres contre critiques
Moi j'y ai retrouvé l'ambiance des villes qui s'éteignent depuis trois siècles, entourées de vieilles pierres qui pèsent plus qu'elles ne rassurent. 


Merci à Babélio et aux éditions Ecriture de m'avoir permis de lire Ville Close.

Maintenant, je peux partir vers la pluie et la neige.

jeudi 14 février 2013

L'écrivain de la famille

Evidemment, rien que le titre, on se dit: " c'est fait pour moi". L'histoire d'un gosse de 9 ans qui fait trois pauvres rimes et se retrouve propulsé au rang d'"écrivain de la famille", forcément, ça fait résonner quelque chose.
Grégoire Delacourt, L'Ecrivain de la famille
Livre de Poche, 2012, 235 p.
Sauf que le pauvre narrateur ne récite pas seulement ses vers devant un public conquis, il se retrouve surtout portant le fardeau familial que ses mots doivent guérir. Il s'agit donc plutôt ici de l'écrivain raté d'une famille brisée. 

Déjà c'est beaucoup moins drôle.

Je n'ai pas tout aimé dans cet ouvrage. Qu'est-il d'ailleurs? Un roman, un récit, un  roman vrai, une autofiction? Peu importe. Le héros Edouard (double de Grégoire je présume), est donc cet écrivain raté qui devient publicitaire. Pour être honnête, j'ai eu l'impression à certains moments de relire  99 francs que je n'avais pas spécialement apprécié. Par conséquent, toutes les pages consacrées à sa Mercedes,  sa grosse maison, son salaire exorbitant, ses stagiaires pas farouches et autres nymphomanes désespérées, ses filles dont il ne s'occupe pas, et sa femme (actrice ratée et vénale) qu'il n'a jamais aimée...tout ça je l'ai déjà lu plusieurs fois. Il ne manquait que les lignes de cocaïne et Beigbeder était de retour!

Mais heureusement dans L'Ecrivain de la famille, il y a aussi Famille (celle dont il vient, pas celle qu'il construit) et Delacourt en fait autre chose.  Il rend un véritable hommage aux siens. Je ne vais pas tout dévoiler, mais c'est vraiment beau ce qu'il fait de ses parents: un couple détruit par l'époque et le quotidien. Il peint ses parents et sa soeur, pendant trente ans, sans complaisance mais avec tendresse.

Delacourt a le style efficace et percutant des publicitaires: il sait associer les mots , faire de belles figures de style. Par conséquent, le livre est court et dense, ce qui n'est pas pour me déplaire.

Moi, je retiendrai de cette famille démolie,  le petit frère pas "normal". Est-il trisomique, autiste, déficient? Peu importe, c'est l'éternel enfant au destin tragique, anonyme jusqu'à sa disparition. Ce frère, décrit comme un ange, apporte une vraie dimension au roman et donne consistance à tous les autres personnages.

Les second et troisième plans sont tout aussi soignés (de l'inquiétant camarade Moncassin au caviste ivrogne).

Et ce qui est beau dans ce livre, c'est que l'auteur va vers la lumière et échappe au cynisme, malgré la solitude et le désamour. Je pense qu'il a voulu faire un livre d'espoir, il le promet d'ailleurs page 214: "ça sera ça la fin de mon roman".

Je n'ai toujours pas lu La Liste de mes envies malgré tous les éloges...je pense que je vais à présent m'y pencher.

A tous prixCe billet est une contribution au challenge de Laure "A tous prix" (bien que je ne connaisse aucun de ceux qu'il a reçus)

Prix carrefour Savoir du premier roman 2011 (évidemment le prix que tout romancier rêve d'obtenir)
Prix du premier roman Meo Camuzet 2011
Prix Marcel Pagnol 2011
Prix Rive gauche à Paris 2011
Prix Coeur de France 2011

mardi 12 février 2013

Bloguer dans le vide

Aujourd'hui, j'ai la moitié des enfants à la maison (donc 1 et pas la plus calme) parce que certaines institutrices font grève et d'autres non. Je ne vais pas m'étendre sur la grève, certains autres blogs le font mieux que moi.

Trop froid pour tenter un pique-nique au parc, trop humide pour lancer une machine, pas assez motivée pour faire un jeu de société avec l'unique enfant de la maison (la musique de l'île aux ballons a eu raison des mes bonnes résolutions).

Aujourd'hui je ne travaille pas. Enfin, ce n'est pas comme si, habituellement, j'avais un vrai travail avec de vraies horaires et un vrai patron. Mais bon j'ai des échéances à respecter quand même. Donc aujourd'hui, je ne travaille pas, je ne lis pas non plus...je blogue dans le vide.

Aujourd'hui je suis la mère indigne qui répond évasivement aux questions de Boucles d'Or. Le nez planté dans l'ordinateur,avec mes lunettes dessus (quelle tristesse de vieillir, ha mais non c'est vrai je les porte depuis le collège), j'erre de blogs en blogs, même vers ceux que je n'aime pas, c'est dire. Quand je me suis retrouvée sur un blog qui traitait d'économie en Asie du Sud Est, je me suis dit que je m'étais perdue en chemin. Mais je suis aspirée par l'ordinateur et tout ce qu'il me propose, dans la vacuité la plus totale, et je n'ai même pas l'inspiration de laisser des commentaires intelligents sur les blogs des autres. Je traque un nouveau billet, un commentaire drôle, n'importe quoi pour me donner un regain d'énergie qui serait le bienvenu. Parce que le problème des blogs, c'est qu'on peut y passer un temps infini si on n'a pas la volonté de faire autre chose. 

Je suis donc retournée sur Facebook que je déteste, histoire de trouver une copine dispo pour une discussion instantanée.  Il faut se rendre à l'évidence: je suis totalement improductive.

J'avais pourtant prévu une journée cadeau comme Sophie, puis de chroniquer L'Ecrivain de la famille que je viens de finir, également de recoudre le tutu que Boucle d'Or a littéralement déchiré au dernier cours de danse (vu le prix du tutu, j'aurais à redire sur la qualité; passons!), de faire un grand rangement dans la chambre des enfants, de retrouver des copines pour un goûter spécial grève. Même pas.

Plus inspirée que ça comme photo...tu meurs!
Je viens de me traîner péniblement avec ma tasse de café sur le balcon où j'ai fumé une cigarette, en risquant la pneumonie, cigarette que je n'ai évidemment pas appréciée, vu que j'ai du coincer le pied sous la porte-fenêtre pour ne pas me faire enfermée dehors pas" inadvertance" (tu parles!).
-" C'est mal maman de fumer tu sais? Très mal et très mauvais, tes poumons seront tout noir après.
-"Oui je sais chérie! C'est mal aussi de faire des caprices...et moi je vais bientôt arrêter".

C'était donc le billet inutile de la semaine. Ça aurait été dommage de ne pas garder une trace de cette journée qui promet d'être absolument sans intérêt. La force de l'inertie.

PS: je me suis donnée jusqu'à midi pour me reprendre en main! Il me reste 5  minutes ...

Edit de 12h17: je viens de recevoir mon exemplaire de Masse Critique de Babélio; ça y est, je sors de ma torpeur. Vive la Poste!

dimanche 10 février 2013

Un tag, des titres

Je ne suis pas très performante en Tags, j'ai toujours du mal à être concise, mais comment résister à celui là?

Asphodèle m'a donc taguée (en session de rattrapage; mais taguée quand même). Ici,  il faut répondre aux questions avec des titres de romans. Quelle aubaine pour moi et mon bébé-blog, ça me permet de parler des livres que j'ai lus avant de bloguer, que je n'ai pas chroniqués mais qui comptent pour moi.


Décris-toi: Je suis exactement l'inverse de la Voyageuse de nuit de Françoise Chandernagor (mais je n'ai pas trouvé de titre qui ressemblerait à la "sédentaire de jour" sans doute parce que c'est moins poétique).

Comment te sens-tu? Double vie de Pierre Assouline (rapport aux vies réelle et virtuelle, pour le reste je suis assez classique dans mon genre).

Décris où tu vis actuellement. C'est presque trop facile, sur La baie des Anges de Patrick Mauriès (que je lis depuis six mois par chapitres entrecoupés de romans).

Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu? Je retrouverais le Quartier perdu de Modiano (sans surprise...puisque je vous dis que je ne suis pas née à la bonne époque).

Ton moyen de transport préféré? Mon beau navire d'Anne Wiazemsky (c'est malhonnête de ma part, j'ai le mal de mer, mais les bateaux ont une grande importance dans ma vie).

Toi et tes amies, vous êtes? Les joyeuses commères de Windsor du grand Shakespeare (il y a un moment où il faut être lucide sur soi).

Comment est le temps? Tout dépend si l'on parle de celui qui passe ou qu'il fait; alors évidemment, je choisit celui des heures: L'écume des jours de Boris Vian, une lecture adolescente qui m'avait bouleversée.

Ton moment préféré de la journée? La promesse de l'aube de Romain Gary (ce n'est pas un choix, mes enfants ont des troubles du sommeil, mais c'est quand même le plus beau moment de la journée).

Qu'est la vie pour toi? Sans hésitation, Le Mentir-vrai d'Aragon qui a changé ma vie.

Quel est le meilleur conseil que tu as à donner? D'écouter Le Silence de la mer de Vercors, les individus sont toujours beaucoup plus complexes que les évènements auxquels ils prennent part.

Ta peur? Les Disparus de Mendelsohn (aucun second degré là dedans, je suis hantée par les disparitions).

Ta pensée du jour? L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery (la beauté du monde n'est pas toujours là où la pense).

Comment aimerais-tu mourir? Je repense à La nuit des temps de Barjavel, forcément...

La condition actuelle de ton âme? Sous les étoiles de Chochana Boukhobza

J'ai évidemment triché parce que je suis quelqu'un de mauvaise foi qui voulait mettre ses auteurs favoris dans ce tag...et je suis sûre d'en avoir oublié.


Je tague à mon tour (par curiosité mais sans obligation) Alex (qui l'a peut-être déjà été), Aifelle (qui l'est déjà par Asphodèle, mais qui est déconnectée depuis 10 jours:  2 bouteilles à la mer c'est mieux que rien), 4 pts de suspension (si elle passe par ici).

Mais également Alphonsine, Sophie, et Mme ZAP (si elles en ont le temps et l'envie), dont les blogs ne sont pas consacrés qu'à la littérature mais chez lesquelles je sais que les livres ont une place singulière.

C'était un plaisir de me replonger, pendant ce dimanche sombre, humide et déprimant, dans ma bibliothèque pour ce tag...qui en dit finalement plus que l'on croit sur nous.

Merci Asphodèle.


vendredi 8 février 2013

New-York, journal d'un cycle

J'ai une grande tendresse pour Catherine Cusset, qui m'avait enchantée avec Le Problème avec Jane (je venais de commencer ma thèse, il tombait à point), qui m'avait fait sourire avec Confession d'une radine, qui m'avait émue avec Un brillant avenir.

Catherine Cusset,
New York, journal d'un cycle
Folio, 2011, 121 p.
Catherine Cusset est une romancière brillante qui sait écrire les tréfonds de l'âme et du corps. Bref, je la lis toujours avec plaisir.

Je suis tombée par hasard mercredi sur New-York, journal d'un cycle, en édition poche. Pour être honnête, je n'en avais pas entendu parler à sa sortie (honte sur moi).

Étrange livre que celui-là qui est à la fois une chronique new-yorkaise, le récit de la frustration de ne pas tomber enceinte quand on le souhaite, et une ode d'amour à son vélo. Cusset joue avec les mots: le cycle du temps new-yorkais, les cycles d'ovulation et la bicyclette. Bref comme toujours, elle sait tourner et retourner son sujet.

Je ne peux être insensible à cette étrange plainte que nous avons connue ou entendue autour de nous, ce gémissement qui touche au désir d'enfant, tellement douloureux quand il n'arrive pas: le calcul des jours, les décevants tests de grossesse, la tension conjugale, le rapport aux désirs de l'autre... Elle écrit à la frontière entre l'enfant gâtée qui veut un bébé maintenant et tout de suite et la femme en souffrance qui laisse surgir des démons enfouis (et Catherine Cusset a vécu du lourd de ce côte là!). Tout cela est juste, cru mais sans impudeur.

Son regard sur New-York  m'a laissée plus dubitative, elle décrit la ville comme un grand axe de circulation où automobilistes, cyclistes et piétons se disputent l'espace. Je n'y ai vu que du bruit, du béton, de l'acier, un danger potentiel et des couleurs grises noyées dans une effervescence;  et cela n'a pas répondu à l'image que je me fais de New-York (où je ne suis jamais allée...alors forcément).

Ce qu'il y a de plus étrange dans ce récit, c'est l'ode au vélo qui m'a, je dois le dire, beaucoup touchée. Le vélo comme un instrument de liberté et de contrôle de soi, comme une part d'intimité de la romancière. Et singulièrement, elle y a joint une galerie de photos, égrenée entre les pages, qui apparaît comme un immense cimetière de bicyclettes. Une dizaine de roues accrochées à des réverbères, de vélos abandonnés, sans scelle, cabossés, démembrés, oubliés ...Elle s'en explique bien, mais ça m'a fait l'effet d'une désolation. Il y a quelque chose de triste dans ces photos posthumes de vélos new-yorkais.

Finalement, c'est un ensemble un peu foutraque de souvenirs d'enfance, d'adolescence, de fratrie, d'étudiante expatriée..Catherine Cusset livre tout cela, de manière un peu désordonnée, comme si elle faisait un peu de ménage dans sa tête et son coeur. 

La vie est vraiment surprenante parfois; lundi je prêtais à ma soeur Le problème avec Jane, mercredi j'achetais par hasard New York, chronique d'un cycle, et hier je retombe sur elle chez François Busnel pour son nouveau roman Indigo dont le sujet me touche particulièrement (rapport à mon deuil universitaire).

Hier elle disait, "je ne crois pas au hasard, je crois au destin"...le destin voulait donc que je me jette sur Indigo.

Catherine Cusset m'accompagne depuis dix ans, et resurgit régulièrement pour se rappeler à mon souvenir...La vie est bien faite ( littérairement parlant).

mercredi 6 février 2013

Les blogs compatibles

Comme chaque mois, je poursuis ma réflexion (de plus en plus élaborée, cela va de soi) sur le fonctionnement de la blogosphère. Je me sens un peu comme quand j'ai travaillé chez Mac Do pour acheter ma première voiture et que je n'en revenais pas du monde dans lequel je m'étais perdue. Ce mois-ci, c'est Fanny qui a mis le doigt sur quelque chose, en me disant que les blogueurs, comme dans la vie, se retrouvent entre eux (ce n'est pas la phrase exacte mais c'est l'idée).

Moi qui ai du mal à trouver une véritable identité à ce blog, le commentaire de Fanny m'interroge. Parce qu'à quelques exceptions près, c'est vrai que les blogs restent entre eux. J'ai regardé les listes de blogs favoris de mes blogs favoris : les littéraires, les photographes, les couturières, les mères indignes, les observateurs du quotidien, les polémistes, les créatifs, les nombrilistes, les bien pensants ... Force est de constater que les blogs restent entre eux, entre sites qui se ressemblent. Bon à la limite, ça paraît logique qu'on cherche sur la toile ce qui nous intéresse dans la vie. 

Sauf que....

Sauf que je ne vais pas vous refaire ma petite litanie "je n'aime pas les communautés", mais je jure que je suis sincère quand je dis (la main sur le coeur et musique grave en fond sonore) que moi, je vais un peu sur tous les genres de blogs et je serais bien embêtée si je devais en faire une liste tellement certains n'ont rien à voir avec les autres.

Alors bien sûr se pose la question des blogs compatibles. Peut-on prendre ce que l'on veut chez une blogueuse et laisser ce qui nous gène? Doit-on sur la blogo, comme dans la vie, choisir son camp? Est ce que ça vaut la peine de laisser un commentaire si on n'est pas entièrement d'accord? Oui. Commenter est un acte totalement gratuit et généreux, parce qu'on a quelque chose à dire, parce que l'on veut faire un gentil coucou, parce qu'un billet existe essentiellement grâce aux commentaires. Le commentaire est l'unique moyen d'établir les liens de la toile. 

Suis-je d'abord une lectrice passionnée, une maman débordée, une coureuse /fumeuse (denrée rare), une danseuse ratée, une couturière débutante, une ex-thésarde blasée, une trentenaire (et des poussières) indécise, une photographe du dimanche, une citoyenne circonspecte ? Et bien, j'ai envie de dire, ça dépend des jours! Ce n'est pas une réponse de normand (vu que je viens de Bretagne), c'est parce que je n'y arrive pas.


Je n'ose mettre ma liste de blog favoris (aussi parce que je n'y arrive pas, tout comme la newsletter qui rencontre de sérieux problèmes semble-t-il) de peur de rendre encore plus flou la détermination de ce blog. D'ailleurs, à partir de combien de livres peut-on prétendre en parler? A partir de combien d'enfants peut-on se considérer débordée? A quel niveau de photo peut-on se permettre de les mettre sur son blog? A quel point mon quotidien est-il intéressant pour m'en épancher sur la toile?  


Et j'ai trouvé la réponse :  à chacun/chacune sa blogosphère. Le blogueur tisse le réseau qui lui plaît, les relations qui le tentent. Chaque blog dépend de ceux avec lesquels il est en connexion dans l'immensité de la toile. Un blog n'existe pas tout seul, c'est une évidence, un blog a besoin des autres. C'est MA découverte du mois : les blogueurs ont besoin qu'on les aime. Et moi je découvre que ce que j'ai obtenu en quatre mois me fait vraiment du bien. Oserais-je dire que cela me suffit?  Avant d'avoir un blog, on ignore cet aspect là, cette partie cachée, on ignore les relations individuelles qui vont surgir.

Donc, je continuerai de sous-mariner sur d'hallucinants blogs de couture, j'irai chercher mes idées de livres ça et , je suivrai les coups de gueule, les gros mots, les astucesles joies quotidiennes , les instants choisis de filles qui me ressemblent (un peu), je baverai d'envie sur des photos splendides, je tenterai de me faire un point de vue en lisant ceux des autres, je vivrai par procuration un déménagement...

Bref, en fait je vais continuer comme avant, tout en me disant : "Ma grande, la blogo c'est comme la vie, qui se ressemble s'assemble", mais il y a peut être des gens comme moi qui n'ont pas forcément envie de ressembler aux autres. Et vu que je suis quelqu'un de tolérant, je comprendrais qu'on passe sa route quand on n'est pas férue de littérature, ou quand on se contrefiche de  mes observations sur la blogosphère, quand mes élucubrations sur les vieilles pierres laissent de marbre ou même quand je parle un peu trop de moi...C'est tellement compréhensible. 
Ce qui est certain, ce que j'ai trouvé ici quelques résonances qui me font du bien. A la limite si on ne pense, ni ne vote pareil, si on ne croit pas dans le même Dieu, si on n'aime pas les mêmes auteurs, bref si on ne voit pas la vie de la même couleur, ce n'est pas grave. Le lien est ailleurs; isn't it?

Yes it is (n'oubliez pas que ma meilleure amie est américaine ). Je pense que oui, on peut aimer se balader sur des blogs qui n'ont rien à voir avec les nôtres.

Voilà, c'est dit, ce blog non identifié est anti-communautaire. Je m'auto-proclame désormais compatible avec toutes sortes de blogs.

Parce que franchement (juste de vous à moi) un blog qui me ressemblerait (contrairement à celui-ci qui est moi en mieux) m'ennuierait vite. La petite bourgeoise qui se regarde respirer, qui tremble à l'idée d'enchaîner un cours de danse après celui de piscine, qui dépense des fortunes dans des objectifs photographiques, qui répète à longueur de temps qu'elle est née 50 ans trop tard, que la Côte d'Azur c'est bien mais vulgaire et que la Bretagne lui manque, et qui décide subitement qu'elle aurait aimé être manuelle....très peu pour moi...parce que voyez-vous, celle-là, je l'ai à la maison.

Joyeux mercredi

Edit du vendredi: Les blogs dont je parle ici sont ceux sur lesquels j'aime me promener, ils ne se résument sûrement pas aux mots réducteurs auxquels je les ai associés. Loin de moi l'idée de les avoir mis dans une catégorie. (J'ai encore du boulot pour être claire, mais je suis une blogueuse débutante)

lundi 4 février 2013

Accès direct à la plage

Non, je n'ai pas déménagé. J'habite toujours au troisième sans ascenseur...loin de la plage.

J. Philippe Blondel, Accès direct à la plage,
1ère édition 2003, Pocket,  2011, 119 p.
J'ai adoré le titre. Je n'avais jamais lu cet auteur, et Alex avait fait un billet qui m'avait bien tentée. Je m'attendais à retrouver l'ambiance des vacances au bord de mer au coeur de l'été. Bon, ce n'est pas du tout le sujet : pas de papa qui emmène ses enfants à la pêche à la palourde à marée basse, pas de description du tourmenté paysage basque ni de l'extraordinaire lumière azuréenne.  Ce n'est pas dans l'esprit de La Baule les Pins de Diane Kurys, ou de 15 août d'Alessandrin (je sais: références cinématographiques ultra datées) 

Blondel  livre le pire des littoraux aoûtiens : des enfants qui s'ennuient en vacance, une jeune fille qui s'y perd, des couples qui traînent leur désamour dans des appartements exigus, des plages surchargées de familles luisantes de crème solaire, des maisons humides dans une Bretagne pluvieuse. Bref, pour moi qui adore la mer, ça a été la douche froide.

Mais c'est parce que le propos de l'auteur est ailleurs. La plage et les vacances ne sont qu'un prétexte. L'histoire s'étale sur trente ans entre les rivages méditerranéen, basque, breton et normand et suit quatre familles. Au choix, nous avons la pathétique famille Avril, tout en désamour, la famille Courtine dont le père ne se remet pas de ne pas avoir répondu aux promesses de sa jeunesse ou la famille Cami qui engendre un monstre.

Mais on s'attache aussi aux touchantes familles Veriniani et Rozé. J'ai une tendresse particulière pour Leo , un ado insupportable sur lequel je ne vous dirai rien de plus pour ne pas gâcher la lecture. Et surtout grâce à un personnage féminin aux multiples noms, grâce auquel Blondel boucle bien son roman, de manière originale. Il articule toutes ses familles entre elles, dans la joie mais aussi dans le drame et la violence. Il y a beaucoup de choses en bien peu de pages, un questionnement social, personnel, familial et littéraire où tout est suggéré. Par égard pour ma maman, je suis obligée de m'insurger sur le fait de considérer une femme de 60 ans comme une personne âgée (le terme "vieille peau" m'a un peu gênée....). En refermant le livre, je me suis demandée combien de fois ai-je rencontré quelqu'un en ignorant que ce n'était pas la première fois?

décembre 2005...inutile de dire que la première de couverture m'a évidemment interpellée....
Mais, franchement, bien que le titre ne ressemble pas au roman, et même si j'aurais aimé plus de densité , l'histoire, ou plutôt les histoires se tiennent bien et sonnent juste.

Même si pour moi, l'accès direct à la plage revêt une autre réalité...plus douce, plus tendre et plus joyeuse sans doute...

samedi 2 février 2013

Rue des boutiques obscures-Modiano

Sans Modiano, ce blog ne serait pas vraiment le mien

Je cherchais depuis quelques temps déjà l'occasion de relire Rue des boutiques obscures; c'est Laure qui me l'a donnée en lançant le challenge "A tous prix". Effectivement Rue des boutiques obscures reçut en 1978 un prix Goncourt très mérité (alors que Modiano était plus jeune que je ne le suis aujourd'hui).

Modiano, Rue des boutiques obscures 

Rue des boutiques obscures raconte l'histoire d'un homme qui a tout oublié de lui-même

 "Je ne suis rien." écrit-il en incipit. Précisément, l'homme n'est plus rien parce qu'il n'a aucun souvenir de son passé ni de sa propre mémoire. Le lecteur suit alors avec lui son enquête ou plutôt sa quête de lui-même au travers de personnages dont il espère, à chaque fois, qu'ils se souviendront de lui, qu'ils se substitueront à sa mémoire défaillante. Le narrateur s'accroche à une photo dans laquelle il croît se reconnaître.

Guy (c'est ainsi que s'appelle l'amnésique qu'il est devenu) part à la recherche de ceux qui savent ce qu'il fut. Il chemine entre un détective privé qui l'embaucha après son amnésie, quelques apatrides russes exilés (qui prennent pour moi une autre dimension après avoir lu Guenassia), un jardinier d'aristocrates désargentés, un jockey qui eut son heure de gloire, une femme qui lui prêta un appartement (refuge dans une sombre période) et quelques anonymes qui surgissent, juste le temps de livrer au lecteur un souvenir précis.

Le narrateur se cherche aussi à travers des lieux : de Paris à Nice en passant par Megève

Modiano aime les adresses, les numéros de téléphone désuets, il observe des fenêtres en essayant de se souvenir de lui même.  Une sensation l'assaille quand il marche dans une rue, il croit reconnaître une odeur, un sentiment, un tissu. Finalement, il part à la recherche de l'évènement qui lui a fait perdre la mémoire.

Modiano évoque  l'Occupation avec un ton particulier, toujours de manière elliptique mais intense. Il trace de cette sombre parenthèse historique ce qu'elle a de plus ambiguë et comment elle a scellé le destin de ses personnages. En parvenant à reconstituer son traumatisme originel, le narrateur découvre aussi ce qu'il a perdu, et ceux qui ont été engloutis, obligeant le lecteur à se souvenir du début du livre avec une émotion particulière.

Mais surtout, dans sa quête de lui-même, Guy Roland montre la fragilité de la vie, la faillibilité de la mémoire: ce qu'il reste de chacun de nous n'existe que dans le souvenir des autres... et dans quelques papiers administratifs.

L'esprit Modiano : le rythme du contrejour

Tout le monde n'adhère pas au style Modiano, extrêmement dépouillé avec une cadence à contretemps, mais je fais partie des gens chez qui résonnent ces mots. Évidemment, son œuvre, parce qu'il faut bien appeler ainsi l'ensemble de ses romans, a des clefs qu'il faut chercher et comprendre. C'est pour cela que mon adorable petite sœur m'a offert à Noël Dans la peau de Patrick Modiano, et que je suis attentivement un blog qui lui est consacré. 

 Mais toutes ces exégèses ne sont pas forcément nécessaires, on peut (je dirais même on doit) aimer un roman pour lui même. J'ai lu pendant plus de dix ans Modiano sans reconnaître aucune allusion et pourtant j'étais enchantée, et je le suis toujours, par son écriture sobre, sa perpétuelle quête d'identité, sa nostalgie d'une époque qu'il n'a pas vécue, l'ambivalence de ces personnages perdus.

Tous les Goncourt n'ont pas nécessairement été mérités (à mes yeux), mais celui-là lançait la carrière d'un romancier qui , à défaut de faire l'unanimité, et surtout sans être un personnage médiatique, compte dans le paysage littéraire français. Merci à Laure de m'avoir permis de le refaire surgir.

PS: Si un blogueur décide un jour de lancer un Challenge Modiano, je serai son premier soutien et contributeur.
 
Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures (1978), folio, 2004, 251 p.