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samedi 29 août 2015

Non-challenge des pépites 2014-2015 : terminus


Alors voilà l'année littéraire se termine, enfin quand je dis se termine, elle est pour la plupart oubliée depuis un moment, tournée que chacun est vers les stars éphémères de la rentrée de septembre, dont les livres circulent déjà depuis un moment, avant même d'être sur l'étal des librairies d'ailleurs.

C'est donc le moment M (le moment Modiano- celui où on revient sur ce qui est fini), que je choisis pour se souvenir encore un peu de l'année passée, avec les coups de coeur prévisibles et parfois inattendus des amis blogueurs qui une année de plus, se sont prêtés à ce non-challenge, avec enthousiasme et sincérité et je les en remercie. Et vu que la plupart d'entre ces livres seront oubliés dans 6 mois, je profite de cet entre-deux pour les rappeler à notre bon souvenir.

L'heure de la moisson d'été est donc arrivée avec les surprises et retournements de dernière minute, grâce à ce long été chaud qui aura permis à la plupart d'entre nous de finaliser des lectures prévues depuis plusieurs mois.

Et l'outsider qui revient au grand galop dans ce non-challenge est l'incontournable Jérôme Ferrari avec son Principe chez Actes Sud, qui, non content d'avoir obtenu le Goncourt il y a 3 ans, enthousiasme la clique des blogueurs , certes à contretemps mais avec efficacité. On sait qu'il est question d'Heisenberg et de mécanique quantique, mais on sait surtout qu'il s'agit de bien plus que cela finalement....En plus, ce ne sont que des blogueurs chers à mon coeur qui le plébiscitent: l'incontournable participant de ce non-challenge, j'ai nommé Jérôme le chouchou national, qui nous parle carrément d'un livre "vertigineux"; et on a envie de le croire quand on enchaîne avec la chronique de la douce et la loyale Philisine qui reste "épatée par la corrélation du fond et de la forme"; et d'autant plus quand Laure en rajoute encore une couche au sujet d'Heisenberg " cet homme ange ou démon, fou ou passionné, ami ou nazi".   Et encore, c'est sans compter la verve de ma Comète, en pause de blog et qui nous manque à tous, et qui note que non seulement "la langue de Ferrari est la beauté même" après avoir sauvagement lâché "captivant, poétique et tragique". Vous en voulez encore? Bon d'accord, c'est donc Papillon qui aura le mot de la fin "pour approcher la transcendance de la beauté, il faut lire ce roman". What Else les amis? Je lui prédis à ce tout petit roman de 160 pages de jouer les prolongations bloguesques dans l'année à venir. Ce sera d'ailleurs le cas Sous Les Galets ... 

Autre remontée de l'été, moins médiatique mais tout aussi réjouissante avec de la littérature italienne: Plus haut que la mer de Francesca Melandri chez Gallimard. C'est Kathel qui ouvre la danse pour nous parler d'un homme et d'une femme qui se croisent à bord d'un navire qui les emmène voir quelqu'un de cher, sur une île pénitentiaire "C'est l'une de ses histoires toutes simples, que vous avez envie de faire durer bien plus longtemps que leur 200 pages".  Et à Marilyne d'enchainer en nous rappelant qu'il y a "en filigrane cette période de l'histoire italienne que l'on appelle les années de plomb. Et des mots, ce que l'on fait des mots, avec les mots". Deux très belles chroniques donc, qui ne sont pas seules sur la Toile, et qui en ce qui me concerne, m'ont convaincue de le lire pour mon mois italien.
On enchaine deux coups de coeur de blogueurs avec des romans qui avaient eu les honneurs de notre Busnel national à La Grande Librairie, avec d'abord Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle chez Flammarion, un roman imaginé à partir de l'affaire Dubuisson, autour d'une lettre que Pauline aurait écrite de sa prison en 1953. Pauline, une jeune fille tondue (et courageusement violée par des hommes prétendant oeuvrer pour le Bien) à la Libération qui assassina son fiancé moins de 10 ans plus tard. Sylire parle "d'une immersion totale et d'un résultat remarquable". Si le sujet n'est pas gai, il a le mérite d'être magistralement traité et pour une fois qu'un homme tente de se mettre littérairement dans la peau d'une femme on ne va pas bouder notre plaisir.

Autre privilégié Busnelien qui a enchanté une blogueuse, c'est le discret Georges Picard et son Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place chez Corti. Un choix complètement décalé que nous devons à l'irremplaçable Margotte. Il s'agit donc d'une lettre échangée entre deux amis vieillissants et misanthropes (oh mon dieu....je me sens tout de suite comme public-cible là), dont Margotte nous promet "Une réflexion jubilatoire sur la société d'aujourd'hui, et entre autres, invite à se questionner sur les médias, et la pensée conforme qu'elle nous déverse à longueur de journée". Au passage je signale que le billet de Margotte est un petit bijou d'anticonformisme et de révolte qui ne fait pas de mal en ce temps de moutonnage aigu (#JdcJdr).

C'est ensuite Aifelle avec D'Argile et de feu d'Océane Madelaine aux Editions des Busclats qui nous revient avec un premier roman s'il vous plait, bâti sur une histoire de femmes, d'argile, de grand Sud, de démons qui resurgissent  et de nouvelle vie qui se dessine : "C'est l'histoire de deux Marie, celle d'aujourd'hui qui se raconte dans un cahier blanc et Marie Prat, potière du 19e siècle, évoquée dans un cahier rouge. Leur trajectoire va se croiser dans une cabane abandonnée au fond des bois." Peut-on vraiment résister au croisement de deux destins, des éléments et de la matière ?

Aifelle ne s'est pas arrêtée en si bon chemin, elle a dans la foulée, été emballée par La Petite lumière d'Antonio Moresco chez Verdier, où il est question de maison isolée dans des contrées rurales (dis donc Aifelle, tu n'aurais pas des envies d'ermites en ce moment?). Sauf qu'ici il y a une petite lumière qui brille au loin, une petite lumière à la recherche de laquelle un homme qui pourtant a décidé de se retirer du monde va aller : "Ce qu'il y trouve est assez fascinant. Le récit devient très intrigant, soulevant des questions, suscitant des suppositions. Différents niveaux de lectures peuvent  en être faits, le réalisme n'est plus de mise, c'est la métaphysique qui s'invite, le fantastique ou la fable." Vous cherchiez du fond ? des romans qui nous questionnent ? Aifelle a travaillé pour vous. 

Athalie, qui a blogué par intermittence toute l'année, participe avec Une Plage au Pôle Nord d'Arnaud Dudeck chez Alma Editeur avec un billet qui fait fondre mes hormones parce qu'elle nous parle avec enthousiasme d'un livre ou se rencontrent deux cabossés de la vie: une veuve à la retraite et un tout jeune chômeur, avec toute la tendresse qu'on peut imaginer:  "l'histoire en pointillée de deux béquilles l'une à l'autre indispensables et fragiles." Si le livre est à la hauteur du billet d'Athalie, il promet d'être un vrai bijou....

Phili la délicieuse, livre sa dernière pépite de l'année avec Les Arpenteurs de Kim Zupan chez Gallmeister. Un roman qui avait eu la chance d'être mis en lumière sur Inter (c'est juste pour toi MTG cette phrase). On est bien là dans une ambiance virile, à l'américaine avec un shérif, un "arpenteur", et un serial killer. Bref, des histoires d'hommes qui s'enfoncent, qui se dissimulent, qui se cherchent les uns les autres. On n'est visiblement pas dans le gai ni le feel-good, mais dans quelque chose de plus troublant et de davantage maîtrisé :  "Tout est réussi dans Les arpenteurs : la prose efficace et raisonnablement descriptive, des protagonistes suffisamment ficelés dont on suit le parcours, une intrigue qui tient la route jusqu'au bout. "

Papillon (qui a incontestablement eu la main heureuse cette saison) revient avec une dernière pépite bien peu présente sur les blogs Academy Street de Mary Costello au Seuil, avec une femme irlandaise et expatriée qu'elle nous propose de suivre pendant soixante ans , une histoire de fille, de femme et de mère. Papillon nous dit : "C'est un roman dans lequel on entre avec désinvolture comme dans une évidence, comme dans un jardin ouvert qui dévoile peu à peu son mystère, sa complexité, sa splendeur, un roman qui tout doucement vous saisit par un coin du cœur et ne vous lâche plus, et vous met de l'eau plein les yeux. Un roman poignant et magnifique."

Céline participe pour la première fois à ce challenge avec le très médiatique Vernon Subutex de la très sulfureuse Virginie Despentes chez Grasset, qui a été plutôt bien accueilli par les blogueurs. Il est je pense inutile de rappeler l'histoire, il suffira de citer l'enthousiaste Céline, qu'on ne peut suspecter de parti pris, puisqu'elle reconnait dans son billet n'avoir pas été emballée par un autre titre de la romancière. Mais là, c'est l'engouement:  "Vernon Subutex c'est le roman d'une génération, celle de la fin du rock, un constat triste et amer mais non dénué d'humour. L'écriture de Despentes, vive et mordante, est sans concession et frappe toujours juste. "

Je termine cette saison avec Jérôme dont on pensait qu'il avait dit son dernier mot avec le Ferrari pour cette saison mais c'était sans compter Finir la guerre de Michel Serfati chez Phébus. Encore une histoire d'homme brisé, d'homme pendu même, dont le fils circonspect part à la recherche de l'homme qu'il fut, lors de cette période sombre de la guerre d'Algérie. Des thématiques dont on sait qu'elles sont chères à Jérôme : "Le texte est magnifique, il interroge sur la lâcheté, l’amitié, la trahison, sur la frontière ténue entre héros et bourreaux, sur l’idée de résistance, de responsabilité individuelle face à la soumission aux ordres de l’autorité « légitime ».


Cette année encore nous aurons été gâtés.
Merci à tous.
Je vous donne rendez-vous au 1er septembre pour le lancement de la saison 2015-2016

Un rappel des coups de coeur de l'année

Moisson du printemps




Moisson de la nouvelle année


Moisson de la rentrée



Récapitulatif des pépites 2014-2015

Aaliz (une petite cerise exigeante )
Mon combat, t.2, Un homme amoureux de. K. Ove Knausgaard

Aifelle (la photographe maritime que je jalouse)
Dans la gueule du loup de M. Levi-Strauss
D'Argile et de feu d'O. Madelaine
- La Petite Lumière d'A. Moresco

Anne (qui chapitre chez ELLE)
Le Violoniste de M. Borrman

Asphodèle (la grande prêtresse)

Athalie (qu'on a failli perdre en route mais qui est revenue quand même)
- Une Plage au pôle Nord d'A. Dudeck

Céline (la blogueuse bruxelloise d'enlivrez-vous)
- Vernon Subutex de V. Despentes

Christiane (non-blogueuse mais bienvenue quand même)
La couleur du lait de Nell Leyshon

Comète (en pause de bouquins garnis et dont on attend le retour avec impatience)
Autour du monde de Laurent Mauvignier
- Le Principe de J. Ferrari

Estelle (entre crochet, pouponnage, train et enseignement)
Retour à Little Wing de N. Butler
L'Ecrivain national de S. Joncour

Jérôme (avec ses quatre femmes entre deux berges)
Je refuse de P. Petterson
Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé
- Finir la guerre de M. Serfati
- Le Principe de J. Ferrari

Kathel (expressément lettrée)
Aucun homme ni dieu de William Giraldi
- Plus haut que la mer de F. Melandri

Laure (du MicMélo littéraire et chroniqueuse chez les Bibliomaniacs)
- Le Principe de J. Ferrari

Laurie (que je découvre avec plaisir)
Une vie à soi de L. Tardieu

Laeti (la bulleuse de la blogo)
Jacob, Jacob de Valérie Zenatti
Les corps inutiles de Delphine Bertholon

Marilyne (de lire et merveilles)
- Plus haut que la mer de F. Melandri

Margotte (la petite Bretonne sauvage qui se cache dans les bois quand elle le peut)
Maxi Vav' (qui n'arrête jamais de s'abîmer les yeux)
La Peau de l'ours de Joy Sorman
Price de Steve Tesich
Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé
Les Grands de Sylvain Prudhomme
L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage d'Haruki Murakami

Mina (l'intransigeante marquise du plat pays)
Dans le bleu de ses silences de Marie Celentin

Mior (ancienne jurée ELLE, adepte et initiatrice du slow-blogging)
L'idée ridicule de ne jamais te revoir de Rosa Montéro

Papillon (présidente en chef des Reinhardtophiles et des Bellosiens)
Price de Steve Tesich
Autour du monde de Laurent Mauvigner
L'Amour et les forêtd'Eric Reinhardt
- Academy Street de M. Costello
- Le Principe de J. Ferrari

Philisine Cave (la merveilleuse)
- Les Arpenteurs de Kim Zupan
- Le Principe de J. Ferrari

Sylire (la vie est un roman, la sienne est en Bretagne)
- Je vous écris dans le noir de J.L. Seigle

Valérie (Blogueuse Itinérante)
- Meursault Contre enquête de Kamel Daoud
- Le Puits d'Y-Repila

Vio (qui a disparu de la blogo sans préavis)
La Condition pavillonnaire de S. Divry
Tristesse de la terre d'E. Vuillard

mardi 18 août 2015

Du côté de chez Swann (Proust, la Recherche et moi)

Marcel Proust, Du côte de chez Swann (1913)
folio (2013), 706 p.
A toi l'ami qui hésites à te lancer dans la Recherche, parce que Proust n'a pas nécessairement bonne presse, parce que "Les classiques c'est ennuyeux et peu divertissant", parce qu'on craint de longues descriptions introspectives avec un langage d'un autre temps, je t'offre ce billet.  Alors que la rentrée littéraire annonce son grondement de nouveautés, aussitôt lues aussi vite oubliées, je te promet du durable. A toi qui as le vertige quand tu vois un pavé de 600 pages, tente de lire ce billet-fleuve jusqu'au bout. 

Galéa a testé Proust en s'immergeant dans le premier tome, inquiète et circonspecte de ne pas aimer et de passer ainsi à côté de ce que les gens cultivés considèrent comme un chef d'oeuvre du siècle dernier. Me voici donc journaliste d'investigation littéraire, en mission sur le terrain, avec tout le matériel nécessaire :  canapé, bol de thé , enfants vendus aux voisins (oh ça va je rigole, elles jouaient aux Kappla), radio éteinte, Iphone mis sur silencieux (Yes I can). En temps normal, il y aurait eu un cendrier et une cigarette, mais les temps changent....(ce billet vous est quasiment offert par la Sécurité Sociale d'ailleurs). 

Soyons honnêtes Proust est éblouissant, même en 2015.

Mais jouons franc-jeu.

Certes, il faut une bonne trentaine de pages pour y rentrer, bien sûr il y a des réflexions métaphysiques sur plusieurs pages, oui il observe la nature et les fleurs de manière tout à fait détaillée (le passage sur les clématites est assez déroutant pour qui n'y connait rien en botanique), oui parfois on aurait presque la tête qui tourne tellement on est dans un autre monde. Evidemment la langue est désuète avec des imparfaits du subjonctif (qui moi me font frissonner, on ne renie pas sa nature l'ami), d'accord, ils ont tous les prénoms de nos grands-parents, oui, c'est vrai les phrases font parfois 15 lignes avant qu'un point ne vienne se poser.

Tout ça c'est vrai.

Et pourtant, on ne s'ennuie pas si on accepte de se laisser emmener là-bas.

Ca commence par les souvenirs d'un petit garçon de la haute bourgeoisie du XIXe siècle. Si roturier et tellement confortable. On a tout : la maison, la grand-mère, les arbres du jardin,  la domesticité, le besoin de sa mère et l'immense solitude de l'enfance...et le mystérieux voisin Swann. De mon point de vue, personne, mieux que Proust, n'avait jusqu'à présent, reproduit avec autant de précision les tourments banals de l'enfance et du début de l'adolescence.

Les vieilles dames sont totalement incontournables. Tante Léonie qui ne bougera plus de cette fenêtre d'où elle observe les allées et venues de Combray, est un pur délice. Léonie c'est un roman à elle toute seule, d'autant que le coup de la madeleine, c'est chez elle à Combray.  La grand-mère du petit Marcel, mérite aussi le détour, tellement elle est originale, vive et déterminée pour l'époque "En réalité, elle ne se résignait jamais à rien acheter dont on pût tirer un profit intellectuel" (p.94) (voilà, comme moi, quand je considère qu'un robot ménager ne PEUT pas être un cadeau). 


Et au delà des personnages, Proust c'est un peu le peintre des castes de la société du XIXe siècle, et alors là, il est d'une méchanceté et d'une lucidité sur ses contemporains, tout à fait réjouissantes pour quiconque a un mauvais fond (Galéa pour vous servir). Une mention spéciale évidemment pour le concept du "snob" (non, pas le notre, celui du XIXe siècle, le roturier qui espérait fricoter avec la particule). Et on en un un spécimen de très haute volée, j'ai nommé Legrandin:   "il aimait beaucoup les gens de châteaux et se trouvait pris devant eux d'une si grande peur de leur déplaire qu'il n'osait pas leur laisser voir qu'il avait pour amis des bourgeois..." (p.204). Legrandin, c'est le snob collector, à côté duquel il serait dommage de passer.

Dans cette première partie, tout est juste, vrai, pensé, limpide : "notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres" (p.69). Il y a le regard d'un petit garçon et les réflexions de l'écrivain, tout est mesuré et pesé.

Mais on a à peine le temps de s'y habituer, qu'on passe à la deuxième partie : "Un amour de Swann". Et là on pénètre dans la vie intime du mystérieux voisin Swann. Mais pourquoi personne ne m'avait dit que Proust était si critique avec ses contemporains, je me serais jetée dessus plus vite. Une chose est sûre: rien n'a changé en 150 ans, et c'est réjouissant.

Je te promets donc un Dr Cottard bête à manger du foin et convaincu d'être spirituel, un couple Verdurin  riche, vulgaire et globalement inculte, de ces gens qui s'entourent d'une cour qu'ils nourrissent pour avoir l'impression d'être le centre du monde, en régnant sur un petit monde de pique-assiettes qui se disputent leurs faveurs. Je te promets de l'artiste flatteur et de la courtisane vénale. 

Et surtout, dans cette deuxième partie, j'y ai trouvé du bouillant et du sensuel. 

Mais oui, ça on ne m'en avait pas parlé non plus, mais l'histoire de Swann c'est quand même celle d'un type chic et classe qui a une grue dans la peau. Alors forcément avec Proust, c'est joliment dit et écrit, on joue sur la suggestion, il faut avoir un peu d'imagination et des hormones qui travaillent. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit quand même. La relation entre Swann et Odette de Crécy est avant tout l'histoire d'une passion physique (c'est Proust qui le dit), aussi suggestive que tragique. Il y a ce qu'il raconte, et surtout ce qu'il suggère -bien qu'enrobé dans des mots tout à fait décents. C'est bien cette volonté de possession, de soumission et de jalousie maladive qu'il nous décrit (mais avec élégance évidemment, le vrai talent, c'est savoir parler de tout ça avec le champ lexical d'un khâgneux qui n'a jamais approché une fille).

Et au delà de la madeleine de Proust, il y a la petite phrase de Vinteuil, une phrase musicale bien sûr, inventée par Proust pour les besoins de son roman, mais qui donne des pages sur la musique que même les non-mélomanes lisent le coeur serré, parce qu'on a tous connu ça, quand les compositeurs font surgir des choses qu'on ignorait avoir au fond des tripes (moi c'était sur Biolay en ce moment, mais à la limite c'est une question d'époque).

Et puis la troisième partie est  destinée aux futurs fans de Modiano. On revient à Marcel enfant, qui découvre les émois de l'adolescence, et les premières amours contrariées (ah Gilberte qu'il cherche des yeux au parc....). Et Proust comme Modiano, se joue d'une géographie approximative (dans la quelle Nice est encore et toujours une ville vénéneuse), et d'une réalité aléatoire qui nous offre ce que la littérature nous promet de meilleur : l'impression d'avoir retenu, quelques instants, le temps qui passe. 


Passage réussi donc pour ce premier volume, qui m'intronise dans la clique des fans et des puristes.

Ce billet sera ma participation classique chez Miss Léo (au cas où elle retrouve le chemin de son blog) pour le mélange des genres et mon deuxième pavé de l'été chez Brize. 

Je dédie ce billet à MTG qui tergiverse à le lire mais également à Lux l'insulaire, fouineuse professionnelle depuis 1981, et petite soeur de son état. Elle savait que je cachais un truc, je savais qu'elle finirait par trouver ce que c'est. Ma soeur, elle aurait du être détective et vu qu'elle envisage vaguement Proust, ce billet est aussi pour elle. 

Fournisseur de ce billet: Rayures l'imprévisible, qui me l'a offert (avec les sous de mon père) pour mon anniversaire (après avoir lu le Fantôme du Petit Marcel qu'elle a adoré). 

La boucle est bouclée. 
C'était Galéa en direct des grands classiques français
A vous les studios. 

samedi 15 août 2015

Renversant : photo du mois # 8

Renversant, c'est le thème choisi par Carole en Australie (rapport à l'autre hémisphère), je m'étais dit que ce serait trop facile, j'avais plein d'idées et puis non, c'est au dernier moment, le 14 dans la matinée que j'ai trouvé l'idée in-extremis, désoeuvrée dans un parc vide (rapport à une mini pluie ridicule qui n'a rien rafraichi du tout).

Heureusement, Carole avait vaguement parlé d'une histoire de tête en bas...


Morale de l'histoire: j'ai beau être névrosée, phobique, anxieuse, parano et froussarde, j'en ai deux qui resteront toujours les filles de leur père. Des casse-cous qui adorent la vitesse, les suspensions diverses et variées, les jeux dangereux ou interdits, toujours à l'affut d'une expérience risquée, toujours prête pour un séjour aux Urgences. 

Les mystères de la génétique sont renversants.

Allons voir comment mes petits camarades ont interprété ce thème aoutien. 

KK-huète En Bretannie, DelphineF, Loulou, Laulinea, Arwen, Lyonelk, François le Niçois, Autour de Cia, Tuxana, Rythme Indigo, Julia, Calamonique, Frédéric, El Padawan, magda627, princesse Emalia, Lavandine83, Fanfan Raccoon, Testinaute, Un jour, une vie, CécileP, Estelle, A'icha, Les bonheurs d'Anne & Alex, Cara, Xoliv', Iris, Alban, Akaieric, Gilsoub, Sinuaisons, Canaghanette, Woocares, J'habite à Waterford, Dame Skarlette, Cocazzz, Suki, Renepaulhenry, Nicky, Lau* des montagnes, Philisine Cave, Milla la galerie, Josette, Céline in Paris, Guillaume, Dr. CaSo, Xelou, MauriceMonAmour, Thalie, La Fille de l'Air, Mamysoren, Pixeline, Pilisi, BiGBuGS, Giselle 43, Noz & 'Lo, Aude, Krn, Chat bleu, Galéa, Carole en Australie, Luckasetmoi, Lavandine, Les Filles du Web, Dom-Aufildesvues, Champagne, Laurent Nicolas, Cricriyom from Paris, Christophe, Philae, Loqman, Kenza, Koalisa, Rosa, Homeos-tasie, Nanouk, Alexinparis, Morgane Byloos Photography, Memories from anywhere, Eva INside-EXpat, Blogoth67.

mardi 11 août 2015

Une fille, qui danse

Une fille, qui danse de Julian Barnes
The sense of an ending 2011
Traduction J-P Aoustin
Folio, 2014, 212 p.
(Le ventilateur en fond d'image, c'est fait exprès...)
Alors qu'ici on se demande encore, et avec angoisse, si un jour on remettra un pull, je reviens avec une bonne petite claque à l'anglaise qui met quand même un peu mal à l'aise. Je me laisse encore quelque semaines pour savoir si je l'ai aimé.

Donc c'est l'histoire d'un type,  Tony, la soixantaine, globalement "moyen" en tout, qui se souvient de la fille dont il était amoureux vers 20 ans qui s'amouracha ensuite de son copain Adrian, une sorte de génie, qui se suicida quelques mois plus tard.

Déjà premier point: le prénom. Après Adria dans Confiteor, notre Adrian chez Barnes est hyper intelligent, il comprends tout plus vite que les autres, dénoue la complexité de la vie etc... Du coup je m'interroge quand même sur ce prénom en littérature. Fin de la parenthèse. 

Donc à 60 ans, un événement pousse Tony à rebrousser le fil de l'histoire, à essayer de comprendre a posteriori ce qu'il s'est passé, le pourquoi du comment du suicide d'Adrian. Et le lecteur l'accompagne.

"Quand on est jeune, on invente différents avenirs pour soi-même; quand on est vieux on invente différents passés pour les autres" (p.118)

Pendant tout le déroulé, il y a quelque chose de McEwan dans ses souvenirs de la vie sexuelle d'un étudiant anglais dans les années 60, c'est lent sans être ennuyeux, bref ça ressemble au cours d'une vie moyenne. Celle de Tony. Il y a quelque chose d'assez plaisant à parcourir avec lui ses périples de jeunesse. 

La pierre angulaire du récit, c'est bien sûr son week-end chez les parents de Véronica, la copine en question donc, qui va marquer sans doute la manière dont il va fixer les choses dans sa mémoire. J'ai complètement adoré ce passage et les suivants qui ne sont pas sans faire penser à Bello d'ailleurs et à certaines réflexions dans les Producteurs. Il est certain qu'on s'invente un passé, qu'on le fige d'une certaine manière, pour qu'il soit confortable pour nous et notre conscience.

" L'Histoire ce ne sont pas les mensonges des vainqueurs (...) Ce sont plutôt les souvenirs des survivants, dont la plupart ne sont ni victorieux, ni vaincus" (p.86)

Je ne vais pas déflorer la chute, mais forcément, elle nous pousse à relire le roman, ou du moins à le parcourir rapidement de nouveau, pour vérifier si tout se tient, car on n'a quand même rien vu venir.  La fille, qui danse ne danse pas vraiment. C'est vaguement malsain, plutôt bien trouvé, complètement tragique et finalement évident. 

C'était une participation à ma Year in England chez Titine.

Fournisseur de ce billet: ma librairie indépendante.

[Il fait 31 degrés,  il n'y a pas d'air, je suis censée faire un grand vide avant la rentrée, mais je larve sur le canapé, les jambes surélevées pour éviter la phlébite...si vous voulez du glamour, n'hésitez pas, je suis à votre disposition]

samedi 1 août 2015

Moi après mois

Chez Moka
Arrêter de fumer, de boire et de courir/ Une partie de moi est restée en mai avec mon grammage en nicotine, goudron, kérosène, mes bouffées d'endorphines euphorisantes, mes gamma GT du soir et mes litres de caféine / "Maman, elle crie pour tout, elle pleure pour rien, elle s'endort n'importe quand"/ Ne ressembler à rien pendant des semaines/ Lutter contre les nausées du matin jusqu'au soir/ "Je te jure l'Homme je préférerais vomir que de supporter ça toute la journée"/ Mon tri-test qui se perd entre le laboratoire et le cabinet (WTF) / "Madame je ne peux pas vous donner les résultats, vous devez appeler votre gynécologue"/ Tête de la secrétaire: que dois-je comprendre punaise? / Ma lecture de Toulmé est encore trop récente/ Nan je ne psychote pas...par contre qu'est ce que je pleure/ "Le problème avec tes hormones, c'est ton absence totale de filtre social, déjà que bon....enfin, bref, je te jure ça devient vraiment délicat"/ L'Homme qui n'en revient pas de ce que je me permets : les mots qui sortent tout seuls / Le cortège des Cassandre qui vous donnent par le menu toutes les choses horribles qui peuvent encore arriver / Avoir peur de tout, tout le temps...et pour toujours / La liste des interdits alimentaires qui s'allongent d'une année sur l'autre / N'en respecter aucun/ "Attends déjà je ne fume plus, je ne peux pas en plus me priver de fromage et de saumon gravlax / Avoir une bonne raison d'être fatiguée/  "Serai-je plus suivie vu mon âge ? " "Votre problème, ce n'est pas l'âge c'est votre profession" / Repos forcé / Tiens je vais attaquer Proust du coup / "Votre gynécologue ne pourra vous recevoir aujourd'hui, il a du partir précipitamment en vacances ?/ Que doit-on comprendre par "précipitamment" ? / Un gynéco en burn-out c'est possible ça ? / "Au moins, tu vas pouvoir en parler sur ton blog"  a dit l'Homme, résigné / L'émotion contenue de ma mère, la fierté -pas contenue du tout- de mon père, l'euphorie des filles, le regard de l'Homme, les voeux de ma soeur, la bienveillance des copines d'ici et d'ailleurs /  Bref: il y a comme du changement sous les galets.

PS 1: Mea Maxima Culpa.

A toi, la femme enceinte malade à qui j'ai affirmée que la fatigue était dans ta tête, à toi à qui j'ai dit un jour, arrogante dans mes 30 kg de graisse "tu sais les nausées, c'est comme un dimanche où on aurait abusé de la raclette, va marcher un peu ça va passer", à toi à qui j'ai reproché d'abuser de t'arrêter de travailler à 2 mois : pardon. Je suis aujourd'hui punie. La grossesse n'est pas une maladie mais elle peut rendre malade, parfois.

PS 2: Message très personnel

Je ne peux faire ce billet sans avoir une pensée pour tous ces amis, qui de près ou de loin, connaissent le chemin de croix du bébé. J'appartiens à la génération qui doit parfois se battre pour avoir des enfants (après nos mères qui craignaient toujours le bébé non désiré, quel comble !). J'ai donc une pensée sincère et émue pour ces enfants perdus ou qui ne viendront plus, pour ces femmes qui ont gagné un combat contre une maladie terrible qui leur aura pris tout leur matériel, pour ces couples en attente ou qui ont renoncé. Depuis le début de cette grossesse - qui sera sans doute ma dernière - j'ai dans un coin de ma tête et de mon coeur les embryons congelés, les injections d'hormones, les espoirs qui récidivent, les tests, les environnement médicaux, les petites douleurs et grandes tragédies, les années qui passent,  car ce qui n'est plus si "facile" et "naturel" que cela à avoir un enfant. Je mesure ma chance (tout en croisant les doigts quand même), et remercie pour leur gentillesse à mon égard ceux qui se reconnaîtront (et les autres bien sûr).


Sur ce, je ne vais non plus trop me perdre en bons sentiments (ha ces hormones !!! faudrait pas croire qu'on n'arrête d'être égoïste du jour au lendemain), et je vous donne rendez-vous dans un mois, avec un florilège des meilleurs phrases entendues depuis 3 mois et je peux vous dire qu'entre la bêtise crasse, la méchanceté banale et les regrettables maladresses, on n'est jamais déçu par les gens ;-)

Une nouvelle manière de s'étaler sur une idée de Moka :-)