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samedi 28 mars 2015

Fil - AmeGraphique # 7

Je profite, complètement après coup (j'ai honte), du dernier thème proposé par le Petit Carré Jaune pour son AmeGraphique, pour vous emmener dans un petit village, dans lequel je me rend quand j'ai le temps et l'envie de prendre l'air.

Un village pas si petit que cela finalement, et même assez grand, bon, en fait c'est une mégalopole, mais on n'en voit toujours qu'une toute petite partie, selon l'endroit où l'on se tient, donc du coup, pour moi qui ai l'esprit étroit, ça reste un village...

C'est un espace sympa comme tout, on tient chacun un stand, disons une sorte d'échoppe, limite une paillote en fait,  souvent montée à la va-vite, qu'on décore selon son goût et ses couleurs, un peu comme nos chambres d'adolescents, dans une sorte de liberté esthétique étonnante (perso j'ai arrêté les poster de Vanessa et Patrick, j'ai tout misé sur le sobre). Dans nos stands, on y présente ce qu'on aime: des bouquins, des adresses de restaurant, des astuces de couture, des digressions personnelles, quelques photos de vacances ou vie de famille. J'ai envie de dire, c'est un peu au-tout-venant dans mon village....C'est vraiment l'esprit du souk en fait...

Donc, dans ce village étrange, on se balade tous avec une écharpe en travers du visage et un miroir dans le dos. En fait, on cache (un peu/beaucoup/parfois/tout le temps) une partie de sa figure tout en renvoyant aux autres une autre image d'eux même. Et ce qui est top (surtout pour moi), c'est que les filles quelconques jouent aux femmes fatales, les asociaux ont plein d'amis, les gros losers deviennent populaires, les taiseux tendent au bavardage. Tout cela offre des perspectives totalement vertigineuses non ?

On y va parce qu'on a trop de temps disponible ou parce qu'on en manque pour soi. On y va, bien que ce soit chronophage, pour déambuler dans les différentes travées. On regarde chez les autres, de près ou de loin,  avec admiration, jalousie, bienveillance ou indifférence. Il y a ceux qu'on aime, ceux qu'on aime moins et ceux qu'on adore. Sur la travée principale, on trouve les grands stands très fournis, très achalandés, construits en dur avec de beaux matériaux, dont le tenancier, qui est propriétaire , est là tout le temps. Bon et puis il y a aussi les paillottes louées, construites de bric et de broc, un peu au hasard de vieux meubles récupérés à droite ou à gauche.

Dans mon village de vacances, au début j'ai cru que tout le monde se ressemblait, et je dois dire qu'il y a surtout des femmes (pas de chance pour moi qui me suis toujours davantage entendue avec les garçons); avec le coin des profs, des retraitées et des femmes au foyer, chacun son espace, ses envies, ses discussions. Et puis non en fait, quand on s'aventure un peu plus loin dans le village, à peu à l'extérieur du centre, on y trouve d'autres quartiers, dont un vraiment étrange, avec des stands qui n'ont rien à voir les uns avec les autres. On entend des morceaux vraiment craignos des années 80', c'est abondamment fleuri été comme hiver, des filles se promènent en crinoline à côté de punks à chien qui n'ont toujours pas fini de lutter contre la société, il y a les falaises d'Etretat et des forets inquiétantes, des trucs en anglais littéraire à côté de plein de fautes d'orthographe en français. C'est étonnant, novateur même, un peu flippant quand même, car là dedans, personne n'a l'air bien en place non plus, faut pas se mentir (et après on s'étonne que j'y reste). 

En plus, tout le monde porte des noms étranges ou improbables, utilisent des sigles bizarres pour parler, et finalement bien qu'on soit tous différents, il semblerait qu'on aspire tous à un monde meilleur (quant à le définir, c'est une autre histoire car personne n'est d'accord avec personne).

Et puis il y a ceux qui sont partis du village, chacun à sa manière, mais qu'on n'oublie pas. Celui qui a fait son pot de départ en expliquant pourquoi il s'en allait, celle qui a brûlé son stand en partant et dont il ne reste rien, et  puis tous ceux qui laissent leur paillote à l'abandon, passant une fois de temps en temps, mais dont le coeur n'y est plus vraiment. 

Enfin, il y a tous les autres, les invisibles du village, ceux qui ont un badge de "visiteurs", ils sont là mais n'ont pas d'échoppe personnelle, ils passent d'un stand à l'autre, le plus souvent silencieusement (même si bien sûr il y en a toujours un ou deux qui parlent tellement fort, qu'on sait qu'ils sont là, je ne vise personne hein...). Ils forment le gros du village, mais on ne le sait pas.

Et nous, avec nos paillotes branlantes qui résistent au temps qui passe, est tous là, serrés les uns contre les autres, à s'échanger des titres de livres, des recettes de cuisine (enfin pas moi hein) ou des patrons de couture, à se raconter nos petites joies et nos grandes fiertés, à se laisser aller à des confidences honteuses où à des lamentations douloureuses. Tout le monde se tient là, dans ce village étrange, avec ses espoirs et ses attentes, en se serrant les coudes (malgré tout).

Soyons transparents, j'appartiens plutôt à l'équipe des bras-cassés avec les paillotes en location. L'équipe où il est question de ratages de haute volée, d'amours perdues, des deuils, de maladies dont on ne meurt pas toujours mais dont on ne guérit pas non plus. Dans mon équipe, il y a ceux qui ont un masque sur le visage et celles qui portent des perruques (et pas uniquement pour se dissimuler le visage). Il y a les fiertés qu'on partage, les combats de longue haleine qu'on soutient,  les bonnes nouvelles qu'on reçoit de gens qu'on ne savait pas aimer autant. 

Dans mon village, sans me vanter, je crois pouvoir dire qu'il y a beaucoup de personnes à la fois décalées et généreuses, généralement incasables et indéniablement attachantes. 

Bienvenue donc à Oblog-sur-Toile, le seul village de l'univers qui ne tienne que par un fil.


Il faudra à l'occasion que je vous parle du bar du village, chez Fanch' le Breton (niveau alcool c'était soit un breton soit un Polonais, bon, finalement on a privilégié une langue commune). Le bar, chez Fanch' le Breton donc, se situe quelque part entre les Bisounours, la cour de récréation et la foire d'empoigne. Entre nous, quand on va au bar, on dit qu'on va chez FB...je reviens bientôt vous en parler.

jeudi 26 mars 2015

Non challenge des pépites : le point du printemps

Vous n'avez pas pu aller au Salon de Livre de Paris? Votre radio préférée est en grève? Vous avez trop chaud en collants mais trop froid sans manteau? Vous n'aimez pas les intersaisons? Un beau gosse vous a donné 5 ans de plus que votre âge en pensant vous faire un compliment? Les infos vous rendent dépressifs ? 

Il est donc temps de faire le point de printemps pour le non-challenge des pépites.

Que vous dire les amis? Où sont les enthousiasmes de l'année dernière? Les grandes unanimités autour de grands livres? Point de grandes envolées dans cette saison, il faudra nous y faire. Avec pourtant plus de participants et de participations, mais aucun livre ne se dégage aussi nettement que l'an dernier (et là, je me dis: mais que vais-je donc lire cet été et l'année prochaine?).


Malgré tout, le Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé chez Delcourt se hisse dans le peloton de tête avec le billet d'Eva qui s'ajoute à celui de Jérôme :  "Fabien Toulmé est très sincère, parfois brutalement honnête, il ne cache rien de ses larmes".  On rappelle qu'il s'agit du chemin personnel d'un papa qui se retrouve à devoir accepter d'avoir une petite fille trisomique. Ce roman graphique rejoint donc Price, Autour du Monde, et la Peau de l'ours qui sont, contre toute attente, ceux qui jusqu'à présent recueillent le plus de voix (2 précisément...on ne rigole pas merci).

Eva ne s'arrête pas là, puisqu'en deux mois elle remplit son quota de participation au non-challenge en y ajoutant Les Grands de Sylvain Prudhomme chez Gallimard qui nous emmène en Guinée Bissau avec un balayage sur 30 ans d'un pays en pleine mutation, sur fond de musique: "C'est un beau roman, extrêmement bien écrit, qui évoque l'amour, l'espoir, l'histoire la musique, de façon captivante. Un magnifique moment de lecture".


Enfin Eva termine son non-challenge avec un auteur que j'aime beaucoup et dont j'ai trouvé la dernière sortie peu médiatisée, j'ai nommé L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage d'Haruki Murakami chez Belfond. On y retrouve le lycée comme pierre fondatrice de notre avenir d'adulte, les grandes solitudes adolescentes, et le moment où on doit se retourner pour régler ses comptes avec ses démons de jeunesse, même si je suis étonnée que Murakami n'y ait pas mis, comme à son habitude, une petite touche de surnaturel. Et j'ai d'autant plus hâte de me jeter dessus quand je lis : "C'est un roman passionnant, qui réussit l'équilibre entre suspense et introspection, dépression et espoir, flash-backs et temps présent. C'est très bien écrit, et c'est un magnifique portrait d'un homme qui revient à la vie".




Dans les nouveaux venus, tout aussi inattendus que les autres, notons La route de Beit Zera d'Hubert Mingarelli chez Stock, qui a littéralement enthousiasmé notre Margotte nationale et préférée. Je vous dit lac de Tibériade, tendresse, un vieil homme juif qui écrit à son fils, un jeune Arabe qui croise son chemin, une vieille chienne malade..."c'est une ode à la tendresse humaine et à la fraternité dans ce qu'elle a de plus fragile", nous dit Margotte, "en 157 pages, il traite avec beaucoup d'humanité du conflit israélo-palestinien, mais presque sans le dire"...Tout le billet de Margotte est à l'avenant. En ce qui me concerne, je suis absolument convaincue.


La délicieuse et tempétueuse Mior fait son entrée dans ce non-challenge, par la grande porte et grâce à son libraire, avec la déjà très plébiscitée Rosa Montéro qui s'attaque à un monstre de notre patrimoine scientifique français, Marie Curie, dans L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir chez Métailié. L'histoire d'une romancière qui a perdu son mari et qui écrit sur Marie Curie qui avait aussi perdu le sien, et comme nous le dit Mior avec son franc-parler habituel "voici en peu de mots la genèse de ce texte qui se penche sur le veuvage- un sujet plutôt casse-gueule et à ce titre pas si souvent abordé, et plus largement la perte. Le tout en vous filant une patate d'enfer, ce qui est tout de même fou!!. C'est vivant, c'est brillant, c'est éminemment digressif et passionné, quel plaisir!" Sachez, chers amis, que Mior a plutôt le coup de coeur difficile, apprécions donc sa pépite.


Une non-blogueuse, mais lectrice passionnée, Christiane, a décidé de pépiter elle-aussi, et propose de mettre en avant La couleur du lait de Nell Leyhson chez Phébus, qui raconte l'histoire d'une jeune domestique, placée dans une famille de pasteur, qui va apprendre à lire et écrire pour finalement livrer au lecteur "une implacable confession". C'est donc officiel, ce non-challenge est aussi ouvert aux non-blogueuses, Val avait ouvert la porte, Christiane ne l'a pas refermée en passant. ET c'est peut être aussi bien ainsi.


Notre Laeti (et ses bulles d'air) intègre ce non-challenge avec non pas une mais deux pépites. Elle nous chronique d'abord (et pour mon grand plaisir) Jacob, Jacob de Valérie Zenatti aux éditions de l'Olivier. Rappelez-vous, cette histoire d'un jeune séfarade algérien, Jacob le doux, Jacob le tendre, qui s'embarque pour participer au débarquement de Provence: "Le lecteur est confronté à plusieurs émotions: il traverse la fureur des événements de l'époque, passe ensuite à la douce naïveté de Jacob, pour repartir dans la désolation la plus paralysante d'une maman qui chercher partout après son cadet". Pas mieux Laeti. 

La deuxième pépite de Laeti a beaucoup été vue sur les blogs récemment : Les corps inutiles de Delphine Bertholon aux Editions de l'Olivier. Un roman qui évoque l'agression sexuelle d'une jeune fille de 15 ans, le repli sur soi, la volonté de ne plus ressentir, puis la femme qu'elle est devenue 15 ans plus tard. Je dois reconnaître à Laeti un billet vraiment bouleversant "Mais quel sens du détail incroyable ! Delphine Bertholon pense à tout lorsqu'elle ôte le sens du toucher à son héroïne. Du coup, elle arrive à questionner les autres sens du lecteur qui restent continuellement en alerte, pour avancer à tâtons dans cette incroyable histoire. C'est une maîtrise inconditionnelle des mots et de la mise en scène, du suspens." 

Mina nous rejoint aussi pour cette saison du non-challenge, avec le gros pavé d'un petit éditeur Dans le bleu de ses silences de Marie Celentin chez Luce Wilquin, qui n'est rien de moins qu'une fresque historique à l'époque des Ptolemée à Alexandrie au IIIè siècle av- JC, dont le point de départ est une certaine Bérénice, princesse pion de l'échiquier politique antique. A partir d'elle, l'auteur a monté un roman historique inattendu et audacieux  "L'humanité est l'une des caractéristiques qui fondent la modernité (...) au delà de l'époque choisie qui pourrait paraître lointaine ou peu attrayante. Les préoccupation des personnages sont certes ancrées dans leur temps et varient en fonction de leur condition sociale, mais elles n'en sont pas moins universelles (...) Marie Celentin n'hésite pas à jouer de la diversification, tant dans les registres d'écriture (...) que dans les genre (intrigues policières, de Cour, amoureuses, familiales ou encore romand d'aventure) (...) tout est parfaitement maîtrisé et servi par une très belle écriture". J'ai envie de dire, what else ?

Enfin nous terminons ce point de printemps avec Kathel qui nous rejoint in extremis avec Aucun homme ni Dieu de William Giraldi chez Autrement, un roman qu'on a déjà vu chez plusieurs blogueuses enthousiastes, qui à mon avis, n'étaient pas si loin de la pépite. Bon visiblement, âmes sensibles s'abstenir, parce qu'on est dans le sombre et le dur. Là, il est question de loups inquiétants, de paysage désolé, des enfants disparus, et surtout d'hommes et femmes (d'après ce que je comprends) visiblement de l'autre côté de la ligne : "Quand un auteur réussit à mélanger à la perfection une histoire qui nous attrape et ne nous lâche plus, des personnages peu communs, une écriture pleine de sensibilité et de force, que demander de plus? Une paysage à la rudesse extrême? On l'a aussi".  Quand Kathel s'enthousiasme, elle ne fait pas semblant.


Merci à tous de vos participations
On n'oublie pas les précédentes moissons pour autant ;-) 
et avant de vous laisser avec les récapitulatifs, 
je vous souhaite une belle fin de semaine et bon début de printemps (humour du Sud...).


Moisson de la nouvelle année


Moisson de la rentrée



Récapitulatif des pépites 2014-2015

Asphodèle (la grande prêtresse)

Aifelle (la photographe maritime que je jalouse)
Dans la gueule du loup de M. Levi-Strauss

Aaliz (une petite cerise exigeante )
Mon combat, t.2, Un homme amoureux de. K. Ove Knausgaard

Laurie (que je découvre avec plaisir)
Une vie à soi de L. Tardieu

Margotte (la petite Bretonne sauvage qui se cache dans les bois quand elle le peut)
La peau de l'ours de Joy Sorman
La route de Beit Zera d'Hubert Mingarelli

Vio (qui ne lit que sur un banc)
La Condition pavillonnaire de S. Divry
Tristesse de la terre d'E. Vuillard

Estelle (entre crochet, pouponnage, train et enseignement)
Retour à Little Wing de N. Butler
L'Ecrivain national de S. Joncour

La Comète (avec ses hommes entre deux bouquins garnis)
Autour du monde de Laurent Mauvignier

Jérôme (avec ses quatre femmes entre deux berges)
Je refuse de P. Petterson
Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé

Maxi Vav' (qui n'arrête jamais de s'abîmer les yeux)
La Peau de l'ours de Joy Sorman
Price de Steve Tesich
Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé
Les Grands de Sylvain Prudhomme
L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage d'Haruki Murakami

Papillon (présidente en chef des Reinhardtophiles)
Price de Steve Tesich
Autour du monde de Laurent Mauvigner
L'Amour et les forêtd'Eric Reinhardt

Valérie (Blogueuse Itinérante)
- Meursault Contre enquête de Kamel Daoud
- Le Puits d'Y-Repila

Anne (qui chapitre chez ELLE)
Le Violoniste de M. Borrman

Mior (ancienne jurée ELLE, adepte et initiatrice du slow-blogging)
L'idée ridicule de ne jamais te revoir de Rosa Montéro

Christiane (non-blogueuse mais bienvenue quand même)
La couleur du lait de Nell Leyshon

Laeti (la bulleuse de la blogo)
Jacob, Jacob de Valérie Zenatti
Les corps inutiles de Delphine Bertholon

Mina (l'intransigeante marquise du plat pays)
Dans le bleu de ses silences de Marie Celentin

Kathel (expressément lettrée)
- Aucun homme ni dieu de William Giraldi


jeudi 19 mars 2015

Les Eclaireurs

Antoine Bello, Les Eclaireurs (2009)
Folio, 2012, 489 p.
(qui dit LC avec Miss Léo, dit photo genre Miss Léo..
et vu que je n'ai pas de chat...)
Juste le temps d'une parenthèse islandaise avec Olafsdottir (et encore en est-ce vraiment une puisque Sliv est de Reykjavic?), le temps de débattre avec ma clique s'il y a -ou pas- un message libéral dans les Falsificateurs (je suis dans le camp du non), et je me suis retournée vers le tome 2, les Eclaireurs, ferrée que j'étais par les aventures du Consortium de Falsification du Réel.

Alors soyons transparent, je l'ai moins dégusté que le premier. D'une part parce que je n'avais plus l'effet de surprise (comme le dirait Attila), et d'autre part parce que mon intérêt pour l'actualité mondiale s'est arrêté en 1947 (je n'ai pas résisté à l'avènement de la Vème République). Depuis je suis le cours du monde de loin, hormis des événements ultra-traumatisants comme le 11 septembre.

Et justement, c'est bien avec le 11 septembre que s'ouvre ce roman, le jour où (pas de chance pour eux quand même) Maga et Youssef (les deux amis de Sliv) se marient au Soudan.

La quasi totalité du roman se déroule (grosso modo) entre l'attentat de 2001 et l'entrée en guerre de de l'Amérique contre l'Irak autour de cette histoire d'armes de destruction massive qu'on supposait que Hussein dissimulait dans son pays . Cela m'a rappelé les interminables conversations de cette époque, et je dois dis que j'ai vite saturé des diamètres des tubes, des containers d'uranium enrichi, de Bush, de Colin Powell etc...bien que Bello ait quand même réussi à marquer un point avec moi, en citant Kepel p.69 (cet universitaire qui nous donne l'impression d'être intelligent et de tout comprendre ).

Donc la trame des Eclaireurs s'organise autour de la possibilité de cette entrée en guerre (dont on connait l'issue), alors même que Sliv et ses amis se demandent quelle part le CFR aurait tenu dans le 11 septembre et s'il n'y aurait pas un traitre dans le Consortium... L'auteur en profite pour brosser une sorte de peinture de l'Amérique et du peuple américain, pas des plus tendres, assez pathétique sans être caricaturale, qui quand même, n'est pas très loin d'évoquer la lente décadence des institutions et  l'effritement des piliers fondateurs d'une nation. 

Mais ce qui est le plus palpitant pour moi est bien sûr ailleurs. 

D'abord, le personnage de Sliv me plait de plus en plus, avec une délicieuse  mélancolie venant avec l'âge et qui ne gâche rien: "J'avais perdu le contact avec presque tous mes anciens camarades et - pour quoi ne pas l'avouer?- je ne résiste jamais à une bouffée de nostalgie" (p.35). Dans mes bras Sliv! c'est un art de ne pas résister au souvenir triste du temps passé. On retrouve aussi Maga-la-douce et Youssef-l'intransigeant, Gunnar-le-mystérieux et Dgibo-le-chaleureux, Lena-la-glaciale et ...une nouvelle arrivée : Nina-l'idéaliste,  qui est absolument délicieuse !

Je défie n'importe quelle personne qui a, un jour, fréquenté une université en Sciences Humaines de ne pas la connaître: mais si rappelez vous, cette fille qui s'insurge contre toutes les inégalités de l'univers, qui croit changer la donne en descendant dans les rue ou en faisant tourner des pétitions, mais si!, celle qui voit le monde en noir en blanc et qui nous fait culpabiliser de penser à nous. Nina est merveilleuse, et pour moi, elle incarne la grande réussite, discrète mais prégnante, de cet opus. De la même manière que Mathilde avait été mon numéro complémentaire du tome 1, Nina est mon bonus du tome 2. J'aime les arrières-plans soignés.

Et je défie n'importe quel lecteur de ne pas hurler de rire sur la scène pp. 34 à 40. Parce qu'au delà du ridicule de ses convictions inébranlables, le personnage de Nina pose la question de savoir, si après 30 ans, on peut se vanter d'avoir encore ce nécessaire fond de révolte aux injustices. (Enfin celles qui ne nous concernent pas directement). Sliv (comme le lecteur d'ailleurs) a peut-être besoin de Nina pour ne pas finir complètement cynique.

Mais surtout dans les Eclaireurs, on apprend la finalité du CFR et cela n'a pas de prix; sans rien déflorer (c'est difficile du coup), je peux dire que le dénouement est à la fois philosophique et humaniste. Bello réussit la prouesse de nous dire que les convictions des uns et des autres, aussi contradictoires et radicales soient-elle, nous protègent les uns et les autres. Il nous le dit, mais intelligemment, sans nous l'amener sur un plateau. Ceci dit, comme chacun sait, je fuis les bons sentiments, Bello ne semble pas être non plus un naïf sur le genre humain. Il nous montre que les ego surdimensionnés ne sont pas seulement pénibles, ils sont aussi dangereux. Peut-être que la vraie gangrène du monde c'est la vanité finalement...

Je ne veux rien dire de trop, mais si le coeur du livre m'a moins emballée que le premier, le dénouement lui est en revanche très supérieur, avec toujours pas mal de suspens, de retournements improbables  mais crédibles, de l'humour comme je l'aime et du fond dans le propos.

Ce tome dont il est difficile de parler en respectant celui qui ne l'a pas lu est une lecture que je suis heureuse de partager avec Miss Léo (que je ne félicite pas d'avoir triché à mon énigme de dimanche...c'est moche Léo).
Je reviens bientôt avec les Producteurs (en courant derrière ma clique) , troisième et dernier tome de la série dont je redoute autant que j'attends l'ultime dénouement...
Résolution de la photo du mois (j'en profite)
 Oui c'était bien le cadran solaire  sur un front de mer nommé Rauba Capéu
(là où les chapeaux s'envolent dans le texte)
Photo prise après l'orage quand le soleil revient et fait briller les chiffres mouillés
(Fin de la minute #JeMePrendsPourlOfficeDuTourisme)



dimanche 15 mars 2015

Qu'est ce que c'est ? Photo du mois # 3

La photo du mois rivalise d'imagination dans ses thèmes.

Ce mois-ci, le thème était "qu'est ce que c'est?",  c'est à dire que celui qui regarde la photo doit se poser cette question. Autant dire tout de suite que l'inspiration a été lente à venir (si tant est qu'on puisse affirmer qu'elle soit là). J'ai même failli me mettre en pause tellement j'aime le figuratif. Et puis finalement, je ne suis dit que c'était bien parfois de se creuser là tête autrement que pour s'énerver.

Alors je vous laisse essayer de deviner ce que c'est


Dans ma grande bonté, je vous donne des indices (parce qu'au fond je suis une fille sympa comme tout) :
- il est là où les chapeaux s'envolent, et plus beau encore après l'orage.
- il a autant à voir avec le temps qu'il fait qu'avec le temps qui passe.
- il a reçu le prix des trophées de l'aménagement urbain.

Je donnerai la résolution de cette énigme digne d'un polar exaltant dans mon prochain billet (sauf si j'ai préjugé de mes capacités à créer un mystère et que tout le monde comprend tout de suite de quoi il s'agit).

Et en attendant, je vous laisse aller voir comment mes camarades ont répondu à ce défi de taille.

Estelle, Josiane, Chat bleu, Marie, Lau* des montagnes, Ava, Eva INside-EXpat, CetO, Lyonelk, Woocares, Philae, MauriceMonAmour, Blue Edel, Tambour Major, Alice Wonderland, Journal d'une Niçoise, Philisine Cave, Laulinea, KK-huète En Bretannie, Lavandine83, Destination Montréal, Autour de Cia, Laurie, Fanfan Raccoon, Rythme Indigo, Tuxana, Salon de Thé, A'icha, Sinuaisons, La Fille de l'Air, Pilisi, Alban, Agnès, Tataflo, Voyager en photo, Luckasetmoi, Loulou, Chloé, Frédéric, Josette, Christophe, Krn, Céline in Paris, Pixeline, Arwen, Isaquarel, Guillaume, Memories from anywhere, Claire's Blog, Nicky, Akaieric, Koalisa, Lecturissime, Homeos-tasie, Alexinparis, Les bonheurs d'Anne & Alex, Champagne, Renepaulhenry, Blogoth67, Rosa, Testinaute, Eurydice, Cara, Agathe, Iris, Morgane Byloos Photography, MissCarole, Dame Skarlette, El Padawan, Mamysoren, Yvette la Chouette, Aude, François le Niçois, Céline, MyLittleRoad, CécileP, Dr. CaSo, Brindille, Suki, My Little Reflex, DelphineF, Gilsoub, Kenza, princesse Emalia, Thalie, Giselle 43, Galéa, Lavandine, Marmotte, Sandrine, Milla la galerie, magda627, Utopique-Lily, Nanouk, BiGBuGS, Bestofava, Xoliv', Laurent Nicolas, Mimireliton, Julia, Amy, Calamonique.

Un très bon dimanche à tous.

jeudi 12 mars 2015

Carte(s sur table): AmeGraphique

Quitte à parler "cartes" ce jeudi, autant les mettre sur la table et arrêter de se mentir.

Entre mon blog et moi, en ce moment, c'est compliqué (en plus j'ai pris un an récemment, et à chaque fois je me souviens ce que je ne serai jamais : astronaute, Bree Van de Kamp, championne olympique de ski, Isadora Duncan), donc bon autant être transparente.

Pardon, ce sont des cartes Reine de neiges, ce n'est pas trop dans l'idée du billet
 (mais une amie a emprunté le tarot pour prédire l'avenir et le jeu traditionnel n'a pas résisté à la dernière belote que j'ai perdue)

Sans avoir une vie totalement passionnante, ni la mission de sauver le monde, sans travailler dans une multinationale qui m'envoie aux 4 coins de la terre négocier des contrats importants, j'ai quand même des journées bien remplies. Un travail, et même deux , qui prennent du temps, des enfants moyennement calmes (voire pas très mal élevés selon certaines sources), une maison constamment en bazar, du repassage en retard, des collants à repriser, et moi aussi je souffre de phobie administrative pour tout dire...oui je sais, rien de très original, sauf que moi j'ai un autre handicap, et de taille : je suis l'anti-ménagère-désespérée. Je ne sais pas gérer la logistique. Je me noie quand il faut faire une valise, je suis en retard tout le temps, j'oublie les anniversaires des copines et le pique-nique en sorties scolaires. Bref je manque d'organisation, de rigueur et de volonté, et on va dire que ça se ressent virtuellement quand même.

Et puis il y a autre chose : j'ai du mal avec les communautés, quelles qu'elles soient, même les plus cool. Je déteste les groupes. Les discussions entre mères de famille (groupe sorties-d'école) me rendent dépressive depuis le jour où, en toute innocence, j'ai confessé n'avoir pas acheté le Babycook (recommandé "produit de l'année" par la revue Parents que je ne lis pas). Il paraîtrait que j'aurais pu rater (oui rater!!) la diversification alimentaire des enfants à cause de ça (je vous rassure, mes filles savent quand même tenir une fourchette et mâcher des carottes- ça n'a pas été facile, mais on y est arrivées). En vrai, je ne me sens pas proche de quelqu'un parce qu'on a des points communs ou des enfants du même âge (ce qui est incontestablement une barrière sociale). 

En fait, c'est pareil avec la blogosphère littéraire. Il faut se rendre à l'évidence, je ne suis pas une blogueuse littéraire, j'ai bien essayé, mais non en fait. Trop égocentrique, trop évaporée, pas assez concentrée... Je ne vais pas vous refaire le coup d'Yvonne, mais voilà, j'ai le sentiment que je ne suis pas tout à fait à ma place. Il y a eu beaucoup de blogs qui ont fermé ces derniers mois et je ne parle pas de ceux qui végètent et qui publient une fois par trimestre. C'était des blogs que j'aimais, auxquels je m'identifiais...du coup, voilà, la motivation n'est plus trop là. Et, soyons honnête, je ne m'offusque pas de n'avoir pas eu mon accréditation au Salon du Livre, parce que je ne l'ai pas demandée sûrement, mais surtout parce que je ne me sens pas prescriptrice, ni professionnelle de la littérature, ni même intégrée dans un quelconque circuit du livre. Je lis des livres mais mais je n'appartiens pas au monde littéraire (qui, en plus, ne m'attire pas franchement). C'est là que je me suis rendue à l'évidence: je ne suis pas une blogueuse littéraire.

Et puis il y a  aussi cette rentrée pas franchement passionnante, où je ne retrouve pas l'engouement formidable de l'an dernier où Kerangal, Goby Lemaître ou Cabré faisaient vibrer les foules, où Edouard Louis divisait la blogo, ou Kasischske me poursuivait jusque dans mon sommeil (en mal bien sûr). Et puis il y a ces semaines énervantes où beaucoup chronique le même titre (ce qui me permet de ne pas l'acheter - ni le lire d'ailleurs) alors que j'attends autre chose, de moins actuel mais de plus enthousiaste. Peut-on être un blogueur littéraire quand on ne suit plus tellement l'actualité ? 

Je n'aspire à aucune influence ni popularité, je n'ai pas spécialement besoin qu'on m'aime (enfin disons que je ne me fais plus trop d'illusions surtout), je ne regarde pas mes statistiques (car à mon avis la moitié vient de robots), je ne cherche aucun référencement. Je ne veux pas non plus être copine avec les écrivains parce que  (lâcheté un jour...), je n'ose pas lire les livres des auteurs-amis que j'ai sur Facebook, de peur de trop en attendre, d'être déçue et de montrer ma face sombre. 

En plus j'ai adopté un principe que je déteste, je fais le tour des blogs à partir des commentaires laissés sur le mien, ce qui peut ressembler à un renvoi d'ascenseur, et je sais que c'est mal, et ce n'est pas ce que je veux. Mais je n'ai pas assez de temps pour une autre stratégie, alors ça m'est apparu comme la solution la plus simple et la plus correcte. Le problème c'est que du coup il y a ces commentaires de convenance, genre "je suis passé hein", dont on comprend parfois que le billet n'a pas été lu, qu'on fait juste partie de la tournée. Et honnêtement, pardon, mais je ne blogue pas pour ça.

Je n'attends rien de ce blog qu'une soupape de décompression (et un moyen détourné de me regarder le nombril évidemment), ...mais, comme tout le monde, j'écris pour être lue, même si on est pas d'accord avec moi (ce que je trouve toujours étonnant mais bon, je suis sur le chemin de la tolérance). Je ne supporte plus ces pratiques qui consistent à faire semblant d'aller chez Untel pour être sûr qu'il passe chez soi après. J'ai du retard dans les billets des autres, mais les chroniques que je commente, je les ai lues et attentivement (ce qui n'implique pas nécessairement un commentaire pertinent de ma part- vouloir n'est pas pouvoir) , et quand par hasard je saute un paragraphe (c'est petit un iphone finalement) je me mortifie (hein ma Comète?!).

Dans "partage" (le grand mot de la blogo et des réseaux sociaux), il y a la notion de partager ce qu'on lit et ce qu'on aime mais aussi de s'intéresser à ce que lisent les autres.

Ceci dit, aujourd'hui c'est "cartes sur table",  pas "adieu les amis". Ce n'est pas un billet pour recevoir des commentaires d'amour qui me diraient combien je suis chouette et indispensable  (même si c'est toujours plus agréable que d'entendre qu'on est psychorigide et pénible). Cartes sur table pour surtout me justifier (trop longuement comme toujours) de ma lenteur à répondre aux commentaires (j'essaie de ne pas dépasser un mois), de ma négligence à mettre à jour le non-challenge (je suis en plein dedans) et le fait de lire les billets des autres 2 semaines après leur parution.

Sous les galets devient donc officiellement un blog sans cohérence, étiquette ni certitudes, et rejoint la tête haute les autres blogs bizarres et mal définis, qui passent du coq à l'âne sans préavis et qui coupent les cheveux en quatre. Je continuerai à poster un billet littéraire par semaine (...bon...disons tous les 10 jours) parce que ça reste la chose dont j'ai le plus envie de parler.

Et je n'oublie pas que, sans y appartenir, la blogo littéraire m'a beaucoup apporté en tant que lectrice et, oserai-je dire, en tant que personne (oui carrément! là d'un coup je monte la barre). Je ne compte plus les romans formidables à côté desquelles je serais passée sans elle, les fou-rires devant la Grande Librairie (ou Top Chef), les cadeaux impromptus et les colis d'anniversaires, les petits mots qui touchent et les tâclages vachards, les disputes fondamentales au sujet de la fin de Confiteor et les accrochages vains sur les Services de Presse, les moments de concorde pour une belle cause, les anomalies musicales des uns et les apéritifs en simultané des autres (Despé, Martini, Rosé Pamplemousse...les intéressées se reconnaitront).

Finalement,  sans les blogueurs, ex-blogueurs et commentateurs professionnels, je serais un tout petit peu moins débordée (et encore ce n'est pas sûr) mais beaucoup moins heureuse, car sans en connaître quasiment aucun IRL, ils ont maintenant une place plus si petite que cela dans ma vie (minute émotion...attention je me guimauvise).

Tu avais raison MTG, ce qu'il reste, c'est ce qu'il y a en dehors du blog, mais sans le blog nous serions privés de cela ;-)

C'était ma participation-fleuve à l'AmeGraphique du Petit Carré Jaune qui, je l'espère, me pardonnera cette digression aussi peu photographique que littéraire.

dimanche 8 mars 2015

Les Falsificateurs

Antoine Bello, Les Falsificateurs (2007)
Folio, 2012, 588 p.
Vous en avez assez de la "littérature de l'intime", de l'autofiction, de l'ultra réalisme un peu dépressif? Vous n'avez plus envie de vous coltiner les états d'âme de Pierre, Paul  ou Jacques, ni de lire et relire les récits d'enfance ou les portraits des parents (excepté Modiano bien sûr). Vous avez envie d'action, d'intrigue, d'une galerie de personnages, d'un fond de connaissances solides?

J'ai ce qu'il vous faut les amis: les Falsificateurs, tome 1 d'une trilogie ahurissante.

D'abord, je vous promets un bon narrateur/personnage principal, du genre dont j'aurais pu tomber amoureuse si j'avais été plus jeune car Sliv (malgré son patronyme imprononçable) a à peine trente ans, il est islandais (donc exotique), et brillant (donc attirant). En plus d'avancer sans certitude ni cohérence (ce qui me le rend infiniment sympathique), je pense qu'il est tout à fait convenable physiquement (ce qui, on est d'accord, ne gâche rien à l'affaire).

Mais ce qui est génial dans les Falsificateurs c'est que Sliv intègre le CFR (Consortium de Falsification du Réel), oui oui une organisation mondiale qui modifie l'Histoire et le Souvenir en falsifiant les sources. Alors forcément, quand j'ai lu sources (attention digression personnelle), j'ai carrément eu une montée d'adrénaline, parce que les sources j'en ai gouté pendant des années, ça a été mon leitmotiv pendant dix ans, j'entends "sources", je pense corpus primaire et secondaire, je lis sources et je tachycarde. Parce que les sources sont ce qui nous reste du passé, les sources attestent d'une vérité invérifiable sans elles. Les sources, c'est le patrimoine de l'humanité, notre mémoire collective. Punaise, c'est un roman qui parle  d'un groupe de personnes qui créent, qui modifient, qui transforment les sources. Et ça c'est génial, tous les thésards en histoire devraient lire ce livre avant de postuler pour leur bourses de thèse, c'est moi qui vous le dis. Les Falsificateurs c'est un livre sur le mensonge...et franchement c'est délicieux.

En plus, c'est pointu comme projet, parce que Bello a l'air d'en connaître un rayon, on passe des cartographies anciennes des nouveaux continents (oh mon Dieu j'ai des vapeurs) à l'ordre géopolitique du XXe siècle (là j'avoue j'ai du me concentrer). Et puis, il y a deux ou trois taclages universitaires, certes discrets, mais que j'ai appréciés à leur juste valeur.

Bello nous enroule tout ça autour d'une galerie de personnages assez réjouissante, avec une Léna femme fatale, ambitieuse et froide (du genre de la fille au lycée dont on veut être la copine avant qu'elle nous fasse comprendre qu'on est pas assez cool pour elle). On y trouve aussi des bandes de copains, un peu dans l'idée de l'auberge espagnole, sauf qu'ils sont tous hyper brillants, carrément éthiques et franchement sportifs, un groupe de copains dont on aimerait faire partie tellement ils sont chouettes (j'ai même eu ma larme à la fin). Seul bémol improbable pour moi : personne ne fume là dedans et j'ai trouvé ça dommage...mais passons. Même les patrons du CFR sont formidables, tout en duplicité et humanité.


Et pour moi qui ne prends pas l'avion, j'ai voyagé, par procuration,  de l'Islande à l'Argentine, des confins de la Sibérie aux plaines africaines....mais combien de vies a vécues Bello pour arriver à être aussi crédible partout? Je rajoute une mention spéciale pour la scène où Sliv, en pleine perditude (oui je ne dis plus loose parce que c'est incorrect, ni lose parce que je ne m'y fais pas), donc je disais, quand Sliv en pleine perditude rend visite à sa soeur Mathilde , bien mariée, bien logée, et qu'il se rend compte, en les observant elle et son mari que même au creux de la vague, la vie normale ne l'intéresse pas franchement, et qu'il vaut mieux se perdre dans certaines incertitudes que d'accepter une vie étroite, sans fantaisie ni adrénaline. Et ça a été mon pacte d'amour littéraire avec Bello.


Les Falsificateurs, c'est audacieux (ça va loin quand même),  drôle (dès le deuxième paragraphe je gloussais), c'est érudit (on sent le boulot en amont), c'est haletant (sans dévoiler l'histoire il y a des retournements vraiment parfaits), c'est littéraire (enfin un roman truffé de dialogues haut de gamme) et c'est mené d'une main de maître. 

Aucun doute, j'ai trouvé mon nouveau chouchou, il est possible que je sois monomaniaque dans les semaines à venir, vous me pardonnerez. Je finis le tome 2 et je vous dis dans la semaine si je me jette, tout de suite ou pas, sur le tome 3 qui sort jeudi. Car, comme le dit Léna-le-bloc-de-glace:  "Noyez vos lecteurs dans les détails qui leur feront oublier que vous leur cachez l'essentiel" (p. 279). Et effectivement, on attend fébrilement que Bello nous livre cet essentiel: la finalité du CFR.

Merci Attila-d'amour (oui c'est la journée de la femme tu mérites aussi des égards) d'avoir été lourde si longtemps pour que je me jette sur cette trilogie.

dimanche 1 mars 2015

Un pédigrée-Modiano

Le propre des gens géniaux c'est d'être l'exception à nos principes

Pouvais-je vraiment ne pas participer au Blogoclub de Sylire consacré à Modiano ce trimestre-ci? Non. Mais c'était sans compter une panne de réseau, une valise mal faite, une balade tardive...bref. C'est en bonne dernière et un peu honteuse que je rejoins la troupe. 

C'est le cas d'Un Pédigrée dont, a priori, je déteste le postulat de départ (raconter sa vie et son enfance malheureuse...alors que je déteste l'autofiction et les gens qui se répandent sur leurs malheurs passés). Mais ici, ça me touche plus que je ne saurais le dire.

Un pédigrée-Modiano
Un Pédigrée de Modiano 2005, folio 2006, 127 p.

"J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne" (p.45)

Un Pedigree c'est l'histoire d'un petit garçon qui n'en a pas justement 

C'est l'histoire d'un enfant de personne et de nulle part au fond, un enfant presque seul au monde, né de parents égoïstes et peu aimants, qui le sont devenus presque par hasard. C'est le récit douloureux d'années sombres et pluvieuses, de pensionnats à la discipline de fer. C'est le récit d'un petit dont on se débarrasse, qui n'est protégé de personne entre une mère-actrice qui ne percera jamais et un père englué dans diverses affaires.

En fait c'est une histoire archi-glauque, parce qu'il y a l'absence d'amour, mais aussi la pauvreté, la limite de la légalité, mais tout ce mélodrame devient, sous la plume de Modiano, poétique, brumeux et élégant. Une tristesse magnifique. Les quelques lignes touchant à la mort de son frère sont bouleversantes de retenue. 

Chez Modiano, on évite le roman noir

Ce n'est pas seulement triste, c'est aussi un peu glauque. Car dans ce livre, il est question de grand banditisme, de brigands, de braquage, d'assassinats. Mais Modiano est un auteur qui, sous le filtre de ses mots, donne ses lettres de noblesse aux situations pathétiques, violentes ou indignes.

Et surtout, on sent qu'il aurait pu en dire bien plus, on sent qu'il aurait pu régler ses comptes comme d'autres auteurs se plaisent à le faire, en vomissant sur la place publique la haine des leurs... mais lui n'en est pas là, et si on comprend l'idée générale, on n'a pas besoin de voir le fond de ses poubelles, car littérairement, il a bien compris, que c'était inutile.

"Parfois, comme un chien sans pedigree et qui a été un peu trop livré à lui-même, j'éprouve la tentation puérile d'écrire noir sur blanc et en détail ce qu'elle [ma mère] m'a fait subir, à cause de sa dureté et de son inconséquence. Je me tais. Et je lui pardonne" (p. 90)

De cette enfance, sont nés tous les personnages

Dans Un Pédigrée, Modiano parle d'une période vécue en transparence, à une place qui n'était pas la sienne. C'est ici que naissent tous les protagonistes à venir. On y retrouve le couple Niels de Dimanches d'août, une Daragane qui rappelle son dernier opus. On y croise les belles jeunes femmes qui s'occupent d'enfants abandonnés. On frôle l'affaire Ben Barka de l'Herbe des nuits. On devine les futures meurtrières, les éternelles adolescentes disparues dans la nuit de l'Occupation. On entrevoit les hommes troubles, les voleuses, les maître-chanteurs, les affairistes véreux. On plaint les si braves garçons abandonnés dans des pensionnats, les contours d'Annecy. Et toujours les identités troubles, les rues de Paris; les disparus d'un temps dont on doute qu'il ait existé.

Je ne sais pas si Un Pédigrée peut plaire à des lecteurs qui n'aiment pas spécialement Modiano, mais chez moi, c'est un livre qui fait surgir une immense émotion. Je ne sais pas si Modiano aurait été cet écrivain magnifique sans l'infinie tristesse de son enfance.

Oserai-je dire qu'à titre personnel j'aurais perdu beaucoup s'il avait été plus heureux, mieux né et davantage entouré?