lundi 18 septembre 2023

La fée carabine - Daniel Pennac

Je continue la saga Malaussène de Pennac avec le deuxième opus : La Fée Carabine

Et mon enchantement ne faiblit pas. J'aime toujours autant le fond et la forme, l'absence de manichéisme, la peinture de la laideur des hommes et de la beauté improbable des choses. La recette est la même que dans "Au bonheur des ogres". Une enquête criminelle à Paris. Cette fois les victimes sont de vieux messieurs entraînés dans la spirale de la drogue et des vieilles dames qui se font égorger à domicile. Le roman s'ouvre sur l'une d'elle, armée, qui abat d'un coup de revolver le jeune flic facho qui devait la protéger. Évidemment Benjamin Malaussène est le suspect idéal (comme toujours) et l'enquête se révèle réjouissante.

La fée Carabine-Pennac

La vieillesse comme vous ne l'avez jamais lue

La vieillesse racontée par Pennac est irrévérencieuse et déglinguée. Dans ce volume, les vieillards, victimes de dealers mystérieux, sont en cure de désintoxication chez Malaussène, avec les enfants pour infirmiers. Les vieilles dames, des veuves qui veulent défier l'éternité, s'accrochent à chaque jour de vie supplémentaire. Ce que dépeint Pennac, ce sont les Anciens des années 80': vieux vétérans de la Grande guerre, les exilés, les traumatisés du XXe siècle. Un troisième âge parsemé de noms de famille exotiques loin de l'image d'Épinal de l'Ancien respectable. Il y a beaucoup de cruauté dans la description de leur décrépitude:

"si les morts ont une couleur, la peau de ce type avait cette couleur-là. Une peau décollée dans laquelle flottait un squelette suraigu" (p.38)

Et beaucoup de tendresse aussi. Chez Pennac, il en va des anciens comme des autres, on trouve des gens formidables, des petites raclures : et d'autres qui sont à la fois l'un et l'autre. Il y a chez tous ces petits vieux, un reflux de guerre froide, de conflit serbo-croate, des parties d'échecs disputées en parlant politique, des entraînement au tir chez les flics et les vieilles dames. Il y a la question de la mémoire, des souvenirs plus ou moins avouables, des choses irrattrapables de l'Histoire.

La cupidité comme on l'a toujours connue

Avec l'enquête bien sûr on a encore une belle galerie de policiers: du gros facho jusqu'au coeur pur; avec tous les autres personnages en nuances de gris. Il y a le racisme bien sûr, la corruption aussi. Mais le fond du fond du livre, c'est la cupidité. Toute l'enquête tourne autour de conflit d'intérêt, de l'immobilier et de la drogue. Il y a de tout, des notables drapés dans la respectabilité, des policiers corrompus jusqu'à l'os, des petits bourgeois qui cherchent une manière d'exister. C'est un livre qui sent la drogue et l'appartement vide.

Pennac n'édulcore rien des dégâts collatéraux, des moyens utilisés pour arriver à ses fins : les journalistes enlevés, les tortures, les vies qui valent moins que des francs, le décrépitude d'une société pourrie par ses élites, la sacro-sainte rentabilité du mètre carré parisien dans les 80'. 

Je me dis que Pennac devait être un sacré rageux quand il avait mon âge. Son roman dénonce et console. Le ton de la farce camoufle la violence du propos; l'usage de l'humour dissimule l'empathie du narrateur.

L'anti-héroïsme comme on l'aime

Le lecteur est très bien servi sur le plan des anti-héros. Il y a d'abord Thérèse, qui est absolument délicieuse: physique ingrat, absence d'humour, grande chose dégingandée, ésotérique et presque sinistre. Elle lit les lignes de la main des vieux et leur offre un supplément d'espoir, et parfois un supplément de vie. Thérèse c'est l'âpre générosité, la Cassandre magnifique. 

"Thérèse a entrepris de mettre au point un véritable horoscope du troisième âge. Un truc pour les journaux qui donnerait aux vieux des nouvelles de leurs lendemains immédiats" (p.181)

Mais on est gâtés, parce qu'on a aussi un duo de policiers absolument exquis. Van Thian, un vieil asiatique hypocondriaque et dépressif et Pastor, un jeune orphelin bizarre et ambigu. Le premier se travestit en vieille dame pour les besoins de l'enquête, le second sait mystérieusement extorquer des aveux aux prévenus :

"Les manières douces, les pull-overs, le subjonctif et l'inaptitude à l'argot que la famille avait légué au gamin, n'était pas du tout du goût de Thian. Pourtant Thian aimait Pastor..." (p.67)

En vérité, des héros il y en a pas mal dans ce roman ; et pas forcément où on le pense. Mention Spéciale au joueur d'échecs, le Yougoslave Stojilkovicz qui arme, promène et entraîne les petites vieilles puis entreprend de traduire Virgile en serbo-croate. Dans ce roman, la littérature, qui ne se prend jamais au sérieux, est présente à chaque instant et sous les apparences les plus improbables (du libraire possédé à l'éditrice cinglée en passant par l'auteur qui voudrait le devenir). 

J'ai rencontré Pennac pile au bon moment et je me réjouis d'avance de dévorer le tome suivant.

 La Fée carabine, 1987, folio, 2021, 340p.

7 commentaires:

  1. J'ai découvert la saga Malaussène en 5ème quand je me suis fait opérer de l'appendicite. Un véritable régal, j'ai dévoré tous les tomes jusqu'au dernier... qui m'a malheureusement déçue :-(. Mais comme toi je me suis régalée avec cette famille hors norme. Plein de bises copinette et profite bien de la suite!

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  2. Lu il y a... hum... 30-35 ans ? je me souviens l'avoir aimé mais ai l'impression de le redécouvrir complètement en lisant ta chronique (même si certains personnages me rappellent vaguement quelque chose)... Peut-être une relecture en vue... ;)

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  3. Tu me rappelles à quel point j'ai pu aimer ces deux premiers volumes qui dézinguaient à tout va. J'étais assez rageuse moi-même comme tu dis pour adorer ça. Et les personnages .... on était loin du politiquement correct d'une certaine littérature.

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  4. Il vous en reste encore pas mal à découvrir! La saga en est aujourd'hui (2023) à 8 tomes écrits par Pennac, + un pastiche plus ou moins "officiel"...
    Amusez-vous bien ;-)
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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  5. Bonjour Galéa, moi, c'est mon ami Ta d loi du cine (grand lecteur devant l'éternel) qui m'a fait découvrir Daniel Pennac et je l'en remercie. J'ai lu tous les Malaussène (sauf le dernier) et je l'en remercie. C'est drôle, brillant et bien écrit. Et cette famille est bien attachante. Bonne journée et très bonne année 2024.

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  6. comme je t'envie de découvrir seulement la série, j'adore la galerie Malaussène, tu verras... mais prends ton temps, savoure, Pennac n'écrit pas assez à mon goût !!!

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