jeudi 2 mai 2024

La Quadrature des Gueux : Le sens de la fête

Nouveau point d'étape de la quarantaine : le sens de la fête. 

Que reste-t-il de nous quand il s'agit de faire la fête ? Je parle de la vraie fête (telle qu'on la concevait à 20 ans) : tenue de lumière, déluge d'alcool, gros son dans les oreilles, danse frénétique sur la piste.

Evidemment si on perd, comme moi, trop de temps sur Instagram, à scroller pour ne pas faire des tâches plus nécessaires comme étendre une machine ou payer la facture de cantine avant la date butoir, on se dit que là encore, on a raté le coche. Si j'analyse (avec toute la bonne foi qui me caractérise) comment se comportent les instagrammeuses quadragénaires, la tendance actuelle est dans l'esprit : "j'ai 40 ans et je sais encore m'éclater comme quand j'étais jeune". 

C'est le règne de (je cite) "l'adolescence avec une carte bleue", talons hauts sur les tables de Saint-Tropez, boules à facettes dans les appartements haussmaniens. Sauf que non (encore).

L'avant : les douloureux préparatifs

Avant même d'y aller, il faut reconnaître que nous n'avons plus le même élan qu'à nos 30 ans. On a beau dire, la robe à paillettes un peu trop courte est moins avantageuse à nos âges (rapport aux varices par exemple). 

Le polo chic (où pire la chemise faussement décontractée) ne rendent vraiment bien que les 20 premières minutes de la soirée, quand l'Homme rentre son ventre. 

Par conséquent, quand on arrive, très clairement, on n'a un peu moins la confiance que dans les années 2000. On se doute bien qu'on ne sera pas éblouissants comme naguère (oui, j'avoue on a tendance à embellir notre beauté d'autrefois). 

J'ai beau me faire des masques repulpants, mettre des patchs anti-cernes, me labourer le visage de fond de teint de luxe et de poudre matifiante, il y a toujours un moment où le rouge à lèvre file dans les ridules de la bouche et un autre où je cherche mes loupes parce que le DJ d'un soir me fera choisir, sur son portable, une chanson (dont le titre est trop petit).

L'état du foie : le moment de vérité

En plus, je dois reconnaître que l'Homme et moi même ne tenons plus aussi bien l'alcool qu'autrefois. C'est-à-dire qu'au bout du troisième verre, j'ai personnellement ma paupière gauche qui s'affaisse me donnant une allure de vieille pocharde, même quand je suis encore à peu près sobre. 

Quant à l'Homme, au moment où il se dit que c'est son dernier verre, il est déjà trop tard. Il a déjà fait d'un parfait inconnu son meilleur ami, avant de se prendre les pieds dans le tapis et de casser une lampe hors de prix (me forçant le lendemain à appeler l'assurance pour faire jouer la responsabilité civile).

La question de la danse : moderne ou ringarde ?

Mais le vrai point d'orgue reste la partie dansante de la fête. Je ne sais pas ce qui est le pire entre les soirées où les organisateurs passent des musiques de notre jeunesse où bien celles où les quadra se prennent pour des jeunes ? J'ai testé les deux. 

Chez les nostalgiques des années 90-2000, on se retrouve avec : 

  • des vieux morceaux de techno (où l'Homme me fait honte quand il est en plein revival des rave parties de ses 20 ans) ;
  • de la dance qui a mal vieilli (jouer le jeu sur Toxic comme autrefois est quand même ambitieux) ;
  • du reggae (je ne conseille pas, ça plombe un peu l'euphorie) ;
  • et du rock alternatif, où je me surprends à hurler en levant le poing Tostaki!, par réflexe.
Dans ces cas là, je vois bien que le coeur n'y est plus totalement et que j'ai perdu la fougue de ma jeunesse. Hurler "Antocial, tu perds ton sang froid" quand tu as passé des mois à préparer le Parcourup de ton aînée pour espérer l'école de ses rêves, tu te sens moyennement légitime dans ta contestation.

"Mais cesse de faire le point, serre plutôt les poings
Bouge de ta retraite, ta conduite est trop parfaite"

En fait, c'est à ce moment qu'on s'aperçoit qu'on est devenu ce qu'on dénonçait avant.

Bref. Voilà pour la fête entre quarantenaires nostalgiques.

Les fêtes intergénérationnelles : la possibilité du piège 

Mais le pire reste nos amis (de moins en moins nombreux) qui veulent rester à la page. En général, ils mélangent parents (moyenne d'âge 45 ans) et enfants (moyenne d'âge 20 ans), et là c'est carrément la 4ème dimension. En dehors du fait que je ne connaisse aucune musique et trouve leur manière de danser un peu bizarre, il y a mon groupe de copines un peu gênantes qui me hurlent "mais lâche toi un peu Galinette!". 

Parmi elle, Mélanie, 46 ans, qui se déhanche avec l'énergie du désespoir en prenant des poses lascives ; histoire de dire qu'elle n'a rien à envier aux petites jeunes. À moins d'avoir 2 grammes dans chaque poche, c'est malaisant. Parfois, mes copines se mettent à plusieurs et font quasiment un spectacle au reste de l'assemblée entre deux selfies postées sur Insta : 

#délirercommeà20ans 

#Lajeunesseestdanslatete. 

Evidemment, il y a toujours un petit malin (généralement un jeune de 20 ans en deuxième année de droit) qui va passer la Macarena, en pouffant de rire, et que mes copines vont prendre pour un hommage, alors qu'il se moque d'elles (je le sais, car j'ai été ce jeune) : un moment assez humiliant pour ma génération.

Les figures de la fête : florilège de quadra

Mais la fête n'existe que par les autres invités. On a tous le bon copain qui garde sa casquette toute la soirée. Au début ça faisait surfeur à la cool, et après on s'aperçoit qu'il n'assume pas sa calvitie hétérogène.

 Il y a aussi forcément le Beigbedder de province qui regarde les jeunes s'amuser et meurt d'envie d'être parmi eux. À base de grands discours intellectuels et de mains baladeuses,  il ressemble à cet oncle lourd ou au père gênant d'une copine qui, il y a 30 ans, tentait de se la jouer bande de jeunes. En général, il finit par proposer d'aller fumer un pétard en toute décontraction.

Et puis il y a les couples. À plus de quarante ans, la grosse fête c'est un peu quitte ou double :

  • il y a ceux qui ont un regain d'attraction l'un pour l'autre alors qu'ils ne se sont pas touchés depuis trois mois (on valide) ; 
  • ceux qui finissent la dispute commencée dans la voiture en venant (on compatit) ;
  • les goujats désinhibés par l'alcool qui ne craignent plus la crise de Bobonne quand il tente un rapprochement avec tout ce qui a une jupe (on condamne), 
  • les épouses fatiguées qui racontent leur vie à la première oreille attentive située loin des baffles (on fuit- et c'est toujours sur moi que ça tombe).

C'est en général le moment où j'apporte un verre de coca à l'Homme en luttant contre le sommeil. 

Bref, le constat est sans appel : nous avons vraiment essayé, mais je crois qu'on a tellement pratiqué la fête à 20 ans qu'on en a fait le deuil malgré nous. C'est pas instagrammable, ni très politiquement correct, ni glamour, ni fun, mais je crois qu'on s'ennuie aux soirées.

L'après : la difficile récupération

Sans compter que le problème majeur reste le lendemain de la fête. Il nous faut entre 3 et 4 jours pour récupérer d'une grosse soirée (et encore uniquement si on se couche tôt et qu'on mange du brocolis le lendemain). Alors qu'à 20 ans, même si on avait fini par vomir d'ivresse, après une matinée comateuse, on allait manger, encore vaguement éméché, le poulet frites du dimanche midi chez des adultes responsables. 

Sauf que maintenant, c'est nous qui préparons le poulet (enfin quand je dis nous, c'est l'Homme). Et si on a très peu dormi c'est parce qu'on a peur que Rayures rentre seule, donc on va pitoyablement la chercher au milieu de la nuit, "au cas où". C'est à présent elle qui raconte, la voix pâteuse et le teint gris, les 18 ans de son meilleur ami. Elle n'a dormi que 3h mais reste sublime parce que quand tu es jeune, la gueule de bois est élégante. 

Pour résumer, la deuxième adolescence déglinguée des 40 ans, on est complètement passé à côté. Je regarde donc avec un mélange de jalousie et d'incrédulité (surtout de jalousie) celle des autres. Nous nous contentons à présent des bières entre copains en terrasses, d'apéros improvisés dans des appartements mal rangés ou de pique-niques à la tombée de la nuit en été. 

La quadrature du gueux, sur la question de la fête, c'est finalement de se dire qu'on ne peut pas être et avoir été 

(et peut-être n'est-ce pas si grave quand on n'a bien profité).

jeudi 25 avril 2024

La Quadrature des Gueux : l'enfant prodige

J'inaugure une nouvelle rubrique sur ce blog : La Quadrature des Gueux. 

Comme celle du cercle, la quadrature des gueux c'est l'insoluble problème du temps qui passe. Je note que le roman de la quarantaine reste toujours monopolisé par des quadragénaires successfull, bien éloignés des préoccupations des lambdas de ce bas-monde. Avec ma copine Claire, par exemple, on s'étonnait qu'aucune star ne s'attarde sur le fait qu'il n'est plus possible de faire un pas, sans croiser un parent d'enfant prodige. 



L'incontournable accessoire d'une quarantaine réussie : l'enfant surdoué

Dans la classe moyenne de province, je dirais que le génie en bas-âge est l'équivalent de la montre de luxe chez les grands bourgeois. Depuis dix ans, pour quiconque fréquente - contraint et forcé - des parents, il n'a pu échapper à la tendance de l'enfant précoce. Également nommé HPI ou surdoué, ils sont partout :  dans les classes, les parcs, les activités, les fils Whatsapp, les posts Insta. Séguéla disait que si tu n'avais pas une Rolex à 50 ans, c'est globalement que tu avais raté ta vie; et bien si tu n'as pas un enfant HPI à 40 ans, c'est pareil. 

Avoir un enfant normal (pardon, je voulais dire neurotypique), c'est une faute de goût, le fashion faux-pas. 


50% de mon entourage immédiat a enfanté un génie, alors que les surdoués sont censés représenter 5% de la population

Est-ce moi qui les attire ? Aux goûters d'anniversaire, compétitions de judo, au jardin public où à la kermesse de l'école, je suis celle avec qui on engage la conversation (alors que je ne fais rien pour ça, Claire peut en témoigner).  Par exemple, alors qu'une petite fille se roule par terre parce qu'elle a perdu au chamboule-tout,  sa mère m'explique  doucement : "c'est parce qu'elle est HPI tu sais". Le tutoiement direct,  passe encore. Mais le ton de la confidence pour dire que sa gamine est plus intelligente que les autres, ça me laisse pantoise. Moi, bêtement, je pensais juste qu'elle faisait une crise parce qu'elle n'avait pas eu le lot qu'elle voulait. Mais non, c'est parce qu'elle est supérieurement intelligente et que forcément c'est plus compliqué de gérer ses émotions.

Pardon ? Personnellement, il ne me serait jamais venu à l'esprit que si Duracell était réfractaire à toute forme d'autorité, ce serait à cause d'une capacité d'abstraction extraordinaire. C'est juste qu'elle est la plus têtue d'entre-nous (et croyez moi, je ne m'en vante auprès de personne).

Mais cette mère n'est pas seule ; elles sont pléthores (ou bien, sans le savoir, je ne fréquente que l'élite, c'est possible aussi). Est-ce propre à ma génération ? Est-ce circonscrit au sud de la France? Mais à quel moment explique-t-on l'arrogance, l'impolitesse, les crises de nerfs ou la violence par l'intelligence ultime. Comme si c'était un handicap qui légitimerait l'absence de respect des règles, de contraintes, d'empathie et de frustration. Ça y est je suis devenue aigrie et réactionnaire (continuez sans moi, je vais vous ralentir).

L'impossibilité d'échapper aux mères des génies

Mais comprenez-moi bien, chaque journée d'école, chaque sortie pédagogique, chaque goûter d'anniversaire je rencontre une mère d'HPI. Comme si j'étais celle à qui on pouvait raconter ça, comme si ça m'intéressait en fait.

Il y a celle qui me dit d'un ton un peu condescendant  : "il y a précoce et précoce, nous c'est vraiment le précoce++++". Et la maîtresse n'a manifestement pas compris que son fils s'ennuie terriblement avec le reste de la classe (du coup c'est une vraie purge le gamin, j'ai failli lui dire mais elle le savait déjà). À la rentrée, elle transmettra le bilan WISC avec le fameux chiffre magique qui déchire sa race. "Je n'ose même pas te le dire, même le psy n'a quasiment jamais vu ça". En gros, ça me ferait trop de mal quoi vu que je suis un peu bas du front (elle a fini par me le dire quand même en me faisant promettre de ne pas l'ébruiter, évidemment j'ai envoyé un texto à Claire dans la foulée). Ensuite, elle m'a laissé admirer son enfant de 6 ans qui récitait la table de 7,  qu'il a bien évidemment appris tout seul "parce qu'il a une passion pour les multiplications". Quand il a attaqué le 7x8, j'ai vaguement espéré une faute (je sais c'est mal), mais il la connaissait sur le bout des doigts.

Il y a aussi celle qui me confie sans l'ombre d'une gêne: "elle est extraordinaire, elle a l'oreille absolue et comprend déjà le principe des invariants (un truc de math assez ardu manifestement)". Alors que moi chaque soir, je me bats avec Duracell pour qu'elle solfie (oui on dit comme ça), avec difficulté, la ligne de la clé de fa (car son prof de solfège me fait peur j'ai toujours peur qu'il me mette un mot dans le cahier). À chaque fois, je pense à cette enfant prodigieuse qui fait de la lecture de notes pour se détendre après avoir réfléchi à la disparition des dinosaures. 

Mais il y a aussi celle qui m'explique calmement que si son fils méprise ma fille c'est "juste parce qu'il va tellement plus vite que ceux de son âge, je ne peux pas le punir parce qu'il s'intéresse à tout quand même". Certes. Mais était-ce vraiment la peine que son gamin coupe en deux un verre de terre en ricanant, sous les yeux scandalisés de ma Duracell, pour lui faire un cours de SVT sur les lombrics, alors qu'elle ne lui avait rien demandé? 

Partout où je vais avec Duracell,  il y a cet "enfant prodige" qui quelque part permet aux quadra un peu losers sur les bords de se dire qu'ils ont fabriqué quelque chose (heu pardon quelqu'un) de mieux, de plus performant que les autres. Après je comprends qu'on ait besoin de mettre un peu de paillettes dans sa vie. C'est vrai qu'entre deux allers-retours à la piscine, la conjugaison du verbe aller, le laborieux brossage de dents et les épidémies de poux, an a tous besoin d'un peu de joie. 

A défaut de s'acheter une Porsche Cayenne pour frimer devant l'école, je peux comprendre que des parents paient un WICS quelques centaines d'euros (400 environ sur la côte d'Azur) et brandissent à qui veut l'entendre qu'ils ont un génie à la maison (avant de sous-entendre qu'ils en sont peut être un aussi car ils se reconnaissent tellement en lui !) Personnellement j'ai senti mes limites en math dès la 4ème, donc je n'ai aucune chance de me reconnaître en quoique ce soit dans l'enfant surdoué.

L'avantage d'être une vieille mère

Mais, vu que j'ai eu Duracell au crépuscule de ma trentaine, je suis incontestablement une vieille mère (les autres mères sont encore fraîches sans pli dans le cou ni signe de pré-ménopause). Par conséquent, j'ai de l'expérience, de la mémoire (et un mauvais fond évident). Au coeur de ma quarantaine, je crois pouvoir affirmer après 15 ans de sorties de crèches, d'école, de collège et de lycée, que le HPI, c'est le lot de consolation des quarantenaires en mal d'estime d'eux-mêmes. 

Et puis bon, Claire et moi avons du recul. Les enfants proclamés précoces par leurs géniteurs il y a une dizaine d'années sont presque des adultes maintenant. Et peu d'entre eux ont survécu au mythe d'Einstein. La cruelle réalité les a rattrapés. Peu d'entre eux ont encore une chance de devenir neurochirurgien, astronaute ou prix Nobel de physique. Et pourtant on continue de les aimer ; même quand le parcours universitaire est chaotique, même quand ils ont des fréquentations contestables, même quand leur nouveau style vestimentaire les désavantage. 

L'enfant prodige : un business inventé pour faire rêver les gueux?

Sans vouloir faire ma Bourdieu du pauvre, la vraie différence entre les enfants ne sera jamais vraiment le score du QI. À toi, le trentenaire naïf qui a cru déceler chez ton enfant les symptômes du génie, garde tes 400€. Ce qui distinguera ton enfant de la masse, ce sera la force de travail, le respect les contraintes, l'adaptation aux règles, la connaissances des codes et des implicites de l'excellence. Et quand on ne peut pas compter sur le réseau de papa ou la fortune de maman, il faut miser sur beaucoup de travail et un peu de chance aussi. L'intelligence devient ce qu'on en fait. 

Et puis franchement, Claire et moi nous demandons si nous, parents, ne devrions pas plutôt nous glorifier de l'empathie, la fantaisie, la gentillesse ou l'humour de notre progéniture. Vu l'état du monde actuel, je me demande si l'enfant qui partage spontanément son goûter à 16h n'est pas plus précieux que celui qui nous explique l'organisation du système solaire.

Bref, vive les enfants farfelus au QI inconnu.

C'était Galéa, en direct de la Quarantaine rugissante, 
À bientôt pour un nouveau point d'étape. 

La Quadrature des Gueux : Le sens de la fête

Nouveau point d'étape de la quarantaine : le sens de la fête.  Que reste-t-il de nous quand il s'agit de faire la fête ? Je parle d...