jeudi 29 mai 2014

Je suis interdite

Anouk Markovitz, Je suis interdite,
J-C Lattès, 2013, 350 p.
Dans Je suis interdite d'Anouk Markovitz, les femmes sont des ventres avant d'être des esprits. 

Le roman commence avec l’horreur de la traque et l’assassinat massif des juifs d’Europe de l’Est, dont deux enfants rescapés, Josef et Mina, issus tous les deux de familles juives hassidiques seront le fil conducteur. 

Mais ce n'est pas un livre qui pleure le sort des juifs, c'est un roman qui dénonce l’orthodoxie religieuse (en l'occurrence les hassidiques). On y trouve des personnages masculins qui ont peu de chance d’être aimés par un lecteur et aucune d'être appréciés par une lectrice. La palme revient à Zalman (le père de famille qui recueille Josef et Mina), qui est aussi inquiétant qu’obtus, à la fois dictateur domestique et détenteur de la vérité universelle.

Le Rebbe (chef spirituel des hassidiques) se défend bien aussi, puisqu'il négocie, en pleine traque,  son sauvetage en laissant ses ouailles à leur sort. Markovitz montre à quel point même cette trahison des siens est pardonnée par une communauté aveugle qui y voit une volonté divine. 

Parce que dans cette communauté mal connue (de moi en tous les cas), il n'existe ni libre-arbitre ni liberté individuelle. Markovitz dénonce un fondamentalisme qui va jusque dans la couche conjugale dicter sa loi (d'où le titre). Et si les femmes ont le droit d'apprendre, ce qui est déjà un privilège, c'est uniquement la pensée unique dispensée dans des établissements encadrés et sans aucune ouverture sur le monde.

Une fois devenus adultes, Josef et Mina se marient. Et c'est à ce moment que j'ai senti bouillir un fond de colère. Parce que Mina  se croit stérile dans une communauté qui ne fait de la femme qu'un moyen de s'agrandir. Mina était tellement passive face à la tradition que je lui préférais de loin son amie Atara, fille de Zalman (pauvre enfant!). La jeune Atara va en cachette à la bibliothèque, lit les journaux dans l'ombre, essaie de comprendre le monde. Mais elle fuit la communauté et disparaît du roman. Même si on la retrouve à la fin, on ignore tout de son parcours. 

Le problème chez Markovitz, c'est qu'il n'y a pas de réconciliation possible :Mina est le ventre et Atara l'esprit.

Il manque malheureusement quelque chose dans ce roman, un supplément qui m'aurait permis de m'attacher aux personnages, de me relier à eux. La froideur, la description chirurgicale des us et coutumes hassidiques, la colère et la rage de la romancière sont telles que je suis restée en dehors de l'histoire. Pourtant, Je suis interdite (qui n'a aucune chance de gagner le prix) fait partie de ces ouvrages importants qui dénoncent le sort des femmes dans les communautés repliées sur elles-mêmes et je comprends que Fleur, à contre-courant de la plupart des jurées Elle,  en ait fait un coup de coeur (parce que même deux mois après l'avoir achevé, j'en garde encore un souvenir très précis).

samedi 24 mai 2014

Les blogueurs et moi (attention billet guimauve)

Le mois de mai court à sa perte, et je me dis que c'est l'heure de mon petit bilan des ratages et autres rendez-vous manqués qui sont depuis quelques temps ma marque de fabrique.

D'abord, j'ai ouvert mon blog trop tard (de la même manière que j'aurais du naître au début du siècle dernier). Suite au billet de Karine, j'ai lu avec avidité, jalousie et remords les billets nostalgiques des blogueuses. Et bien sûr, je me dis que j'ai manqué quelque chose ... Mais Liliba a mis la photo de mon colis SWAP (et ça ma belle, c'est un beau geste quand on sait à quel point notre échange était déséquilibré). Et sur un blog qui fêtait ses 5 ans,  je m'aperçois qu'en arrivant même après la bataille,  même après tout le monde, j'ai gagné l'amitié de certaines...et ce n'est pas rien...


Sinon, dans la série "le timing : toute une histoire", j'ai encore failli manquer un rendez-vous.  Au mois d'avril, j'ai été frappée par une crise aiguë de britannitude, et  voilà que j'apprends (après avoir publié mes billets sur Maisie Dobbs et Le Manoir de Solomons) que le mois anglais est une institution de la blogo (merci leader de m'avoir prévenue). Organisé par Titine, Cryssilda et Lou, il commence en juin (ce qui veut dire que je suis complètement passée à côté l'année dernière alors que je bloguais déjà...il est même possible, maintenant que j'y pense, que ma découverte d'Expiation date du mois anglais 2013...comme quoi, ma faculté à faire les liens dans la vie reste assez poussive).


Bref, il s'en est fallu de peu que je britannise toute seule quand toute la blogo lirait anglais ensemble. J'ai donc échappé au comble de la loose. Je range mon logo de comtesse douairière (que je ressortirai en juillet) , et je me prépare à penser, lire et bloguer anglais pendant tout le mois de juin. Et vu que j'ai plein de temps disponible en ce moment, je me suis jetée sur la proposition des organisatrices de concocter un logo de cette 3ème saison. Ni une, ni deux, sur mon mini balcon où je fume frénétiquement entre deux bagarres, j'ai pensé juin (donc chaise de jardin...enfin de balconnet), j'ai pensé livres (donc livres), j'ai pensé anglais (ouf, j'avais une théière). Evidemment j'ai quand même réussi à glisser contre mon gré un intrus là dedans...bref


Je britanniserai donc avec Jeanette Winterson (offert par mon amie ZAP), J-K Rowling (l'hyper star de Rayures), Jane Austen (il n'est jamais trop tard), Ian McEwan et probablement Agatha Christie...enfin tout cela dans un monde parfait évidemment, parce qu'on n'est jamais à l'abri d'un imprévu...ni d'autres choses d'ailleurs, donc je reste prudente sur mes objectifs...

Et bizarrement,  pendant cet étrange mois de mai, je me suis demandée si je n'étais pas dans une période de chance.

D'abord, alors que même à la kermesse de l'école, on arrive à ne remporter aucun lot, j'ai gagné chez George un sublime ex-libris de chez Leuchtturm 1917. Le nom est imprononçable, mais l'idée ressemble au Moleskine. Je l'ai reçu, ouvert et découvert en poussant des cris de joie, et je ne me suis pas privée de narguer les autres participantes malheureuses sur Facebook (oui je sais c'est mal).


Je comptais l'offrir dans un élan de générosité et, là je suis à deux doigts de changer d'avis (chassez le naturel....). C'est un très bel objet, vraiment. Parce qu'il est classe, parce qu'il est beau, parce que le gris est ma couleur préférée (ce qui en dit long sur mon tempérament joyeux), et parce que je sens qu'il va me rendre plus intelligente, j'envisage de le garder égoïstement pour moi. Je suis en plein dilemme cornélien en fait...


Mais ma chance ne s'arrête pas là, j'ai aussi gagné un exemplaire d'Eddy Bellegueule à un concours twitter par le Seuil. Incroyable quand on sait à quel point je ne comprends rien au fonctionnement de ce réseau social.  Je saurai bientôt si c'est en version papier ou audio (sachant que je ne lis jamais avec les oreilles). L'heure est donc venue de savoir dans quel camp de la blogo je me situe. 

Et puis,  je suis devenue accroc à l'actualité des blogueurs (ce qui inquiète sérieusement l'Homme qui trouve que je délaisse un peu mes amis réels)  : Estelle est revenue parmi nous après nous avoir fait une grosse frayeur (hein George?),  j'ai découvert une ultra-modeuse hyper calée sur les livres de la guerre froide,  j'en ai contaminé une autre avec ma loose légendaire (pardon Sophie). Et pendant que je souhaitais à Rayures son anniversaire sous des trombes d'eau (un 19 mai sur la Côte d'Azur...no comment, c'est génétique), une blogueuse à la plume lumineuse, à l'autre bout de la France, donnait naissance à son quatrième fils. Et c'est un blogueur né un 19 mai aussi qui m'a annoncé la nouvelle. Quand je vous dis qu'il y a des liens invisibles mais réels sur la Toile...


Et puis il y a les échanges spontanés que seul Facebook permet, au hasard du post d'un ami commun, on se retrouve à se dire les choses franchement et sans enrobage. Et c'est Stephie qui pendant une soirée m'a expliqué deux ou trois aspects que j'ignorais concernant les blogs, les blogueurs et les éditeurs. J'ai compris (grâce à elle) que finalement certains blogueurs littéraires n'étaient plus des lecteurs lambda. Merci à elle (mais j'y reviendrai quand même dans un prochain billet, parce que ça me perturbe cette histoire).


Ca me fait penser qu'il serait temps de mettre le challenge des pépites à jour, avant que la rentrée littéraire ne pointe le bout de son nez. 


Enfin, loose un jour loose toujours, je fais une déclaration d'amour à un romancier qui ne le saura jamais, et ce sont les auteurs dont je critique vertement le livre qui tombent par hasard sur mon blog. D'ailleurs, l'un d'entr'eux, même s'il écrit des pages bien violentes qui me font faire des cauchemars, s'est révélé carrément fairplay et à l'écoute de son lectorat. Pendant une soirée, je me suis sentie importante...merci M. Manook, mon égo en avait bien besoin. 

Voilà.

En cette veille de fête de mères (ou Enna courra son marathon solidaire jusqu'au bout), alors que je m'apprête à recevoir comme toujours des choses fabriquées avec amour par mes filles qui ne brillent pas en motricité fine, je me dis que si IRL il y a encore deux ou trois choses qui coincent (comme par exemple la remise des prix Elle auquel je ne pourrai pas me rendre), sur la Toile, j'ai quand même beaucoup de chance!

En conclusion, j'ai la win virtuelle (et finalement c'est déjà beaucoup).

dimanche 18 mai 2014

Yeruldelgger

Ian Manook, Yeruldelgger
Albin Michel, 2013, 400 p.
J’aurais pu l’aimer, et peut-être même l’adorer, ce policier. Mais non en fait. 

Pourtant, il surfe sur une tendance historique importante : the global history qui, même si elle appartient à mon ancienne vie, me tient encore à coeur. Manook réfléchit à  l'histoire à parts égales entre Orient et Occident, avec chacun ses monstres et ses héros mal connus de l’autre. Comme point de départ c'est louable. 

Donc vouer un culte à Hitler en Mongolie, c'est aussi et surtout ignorer l'entendue de l'horreur qu'il a déclenchée en Europe (avec un petit parallèle avec Gengis Khan). Et là, je me suis dit "punaise, c'est du lourd, là, le type il est solide". En plus, tout en mesure, il nous rappelle que certaines traditions sont nécessaires pour garder son identité profonde mais que le nationalisme reste un principe dangereux. Bien bien bien. 

Il dénonce la manière dont on saccage des terres et des usages ancestraux pour le loisir (d’ailleurs, j’espère que le livre ne sera pas traduit en Corée, parce que les Coréens pourraient vraiment mal le vivre. Manook, les Coréens il les déteste.)

Yeruldelgger est bien ficelé, sans être surprenant: page 116 j’avais compris qui était le premier policier corrompu, j’ai eu une petite surprise pour le second, mais aucune sur le fin mot de l’histoire. Les grands thèmes du polar sont bien tenus ; les pires bourreaux ont été des victimes qui ont perdu une part d’humanité, le cours de l’histoire échappe aux hommes, les gens bêtes sont pratiques pour que les gens intelligents arrivent à leurs fins, une famille ressort fracassée par un crime, avec en prime un petit laïus sur les ressources naturelles et la cupidité des hommes…

Pas mal, pas mal

Seulement voilà....

Moi, je suis une chochotte et mon seuil de tolérance à la violence littéraire a été dépassé dès la page 28 : le cadavre d’une enfant (qui a l'âge de la mienne), trois corps lacérés et mutilés post-mortem avec les descriptions détaillées de tout cela ; déjà, j'ai failli vomir. J'ai cru que c’était terminé,  mais non, 10 pages plus loin, on assiste à la description (qui dépasse la limite du supportable, la preuve: l'enquêteur Yeruldelgger vomit lui) de deux nouveaux corps suppliciés dans une mise en scène hideuse. 

Mais surtout, il y a dans ce livre une violence envers les femmes, les jeunes filles et les fillettes qui dépasse l’utilité littéraire, et que je n'ai pas trouvée forcément nécessaire. Entre les viols décrits sur plusieurs pages, ceux qui sont racontés, ceux qui sont suggérés, le lecteur doit se rendre à l’évidence : dans ce roman les femmes sont à la merci des hommes. Aucune figure féminine qui ne soit pas une potentielle victime. Et la seule femme courageuse et vaillante du livre, Oyun, prend très cher avec des détails qui ne peuvent être inventés que par un homme qui se complait quand même dans cet exercice.  


Ian Manook (qui serait le frère d'un juré d'une émission musicale populaire reconverti en animateur radio sur Inter) est pour le coup l'Homme qui n'aimait pas les femmes. Et franchement, bien que je ne sois pas spécialement féministe (ce qui désole ma mère) cette part-là a été trop envahissante pour que j’en aime le reste.

Participation aux challenges d'Asphodèle A tous prix (prix des lecteurs 2014 quais du polar, prix 20 minutes), et de Liliba Thrillers et polars. 

mardi 13 mai 2014

Sophie, son marathon et un blog

Je n'aurais jamais blogué sans Sophie-la-styliste-mais-pas-que.

Au creux du creux de ma période de loose (2012 forcément ), je passais un temps infini sur les blogs des autres, désoeuvrée, aigrie et passablement remontée contre la terre entière (bref la copine idéale dont tout le monde recherche la compagnie). A l'époque je courais 30 km par semaine, histoire de me détendre (en fait, j'échafaudais le plan idéal pour me venger d'un vieil universitaire qui m'a gâché la vie).  Au hasard de mes pérégrinations, je suis tombée sur le blog de Sophielastytliste, que j'ai suivi assidûment pendant plusieurs mois  en sous-marin. 

Ce qui est bizarre c'est que Sophie est mon absolue antithèse, et son blog reflète un monde diamétralement opposé au mien. Elle a deux fois et demi plus d'enfants que moi et n'oublie pas le bonnet de bain le jour de la sortie piscine. Sophie est femme de militaire quand mon homme retient de ses trois jours la découverte de son daltonisme. Sophie a des convictions religieuses quand je peine à avoir foi dans le genre humain. Sophie coud comme une reine alors que je sabote tous mes ourlets. Sophie fabrique des robes de mariées quand je fais des crises de spasmophilie dans les cérémonies. Sophie ne connaît pas le stress alors que l'anxiété est ma meilleure compagne.

Bref, entre elle et moi ce n'était pas gagné, et pourtant, il y a deux choses qui nous rassemblent: la lecture et la course (en fait il y en a beaucoup plus, mais ça on le sait après). 

Un jour d'octobre 2012, elle publie un billet merveilleux sur La grande course de Flanagan. C'est là que je me souviens subitement qu'il y a des livres qui changent la vie, que le pouvoir des mots ça existe, que parfois l'encre et le papier modifient le cours d'une existence. Je découvre aussi que partager ce qu'on lit, ça rend heureux.

Ni une, ni deux, tout dans la mesure, j'ouvre un blog et je me dissimule sous les galets.

Je commente le sien. Elle marraine le mien (oui c'est ma toute première visiteuse).

En octobre 2012, je cours beaucoup et elle publie trois fois par semaine. En mai 2014, elle prépare un marathon et blogue quand elle se brûle. Je me traîne toujours le dimanche matin sur 10 Km mais suis devenue blogo-addict. Entre temps, j'ai acheté une machine à coudre, j'ai cousu des choses plus ou moins portables, réalisé mes premières Gengi (dont Sophie m'offre les patrons)

Et surtout, on s'est rencontrées, et sans mentir, c'est fou ce que certaines blogueuses ressemblent à leur blog (je dis ça , je dis rien, mais on ne peut pas mentir longtemps sur soi quand on tient un blog). Vu que je n'ai rencontré qu'elle comme blogueuse, j'ai 100% d'expériences positives en rencontre IRL.

Alors pourquoi ce billet?

Parce qu' un nouveau blog est né. Un blog éphémère pour un marathon solidaire.

Deux ans après la lecture du McNab, Sophie va s'enfiler la distance mythique en courant le marathon de Toulouse le 26 octobre prochain. Et comme le véritable esprit du sport c'est de se dépasser soi-même sans oublier les autres, Sophie n'avalera pas les kilomètres que pour elle. 


Comme d'habitude, elle ne choisit pas la facilité. Elle défend la cause des femmes de militaires. Bon,  alors c'est sûr que dans un pays qui ne considère pas exactement les soldats comme des héros, c'est limite punk comme cause. Au mieux, on a une vague idée de qui sont les femmes de militaires, au pire on est confortablement installé dans ses a priori (obtuse comme je suis, je vous laisse imaginer de quel côté j'étais...mais ça c'était avant).  Et pourtant, Sophie, elle y va, elle y croit et elle assume. Elle espère dépoussiérer l'image...
et ça c'est ma copine à moi, fidèle à ses convictions.


Oui c'est vrai, si elle avait couru un marathon pour changer la couleur de la carte vitale, je l'aurais soutenue pareillement. Mais là, Sophie court pour "un mari militaire. Des hommes blessés. Des familles endeuillées."

Elle est de celles qui sont généreuses sans s'en vanter, qui vont au bout des choses sans s'écouter, qui bousculent aussi un peu nos idées reçues. Des gens comme elle sont précieux, sur la blogosphère et dans la vraie vie.

Je pourrais vous raconter plein de choses sur elle, sur sa manière de courir, sur des personnes qui lui sont chères et qui restent associées à sa démarche...mais j'en ferais trop donc le mieux est d'aller sur son nouveau blog (qui racontera sa préparation et détaillera les actions de son association) et surtout de la soutenir chacun à sa manière.

dimanche 11 mai 2014

Témoin de la nuit

Kishwar Desai, Témoin de la nuit,
Edition de l'Aube, 2013, 229 p.
Vous sentez votre girl power en berne en ce moment? Vous avez envie d'un truc un peu exotique, genre un polar indien....Bon, j'ai ce qu'il vous faut: Témoin de la nuit de Kishwar Desai. 

En trois mots (histoire de planter le décor) c'est l'histoire d'une famille qu'on retrouve sauvagement assassinée dans sa belle demeure indienne (oui on est dans la caste dominante). Seule, une adolescente de 14 ans a survécu au carnage: Durga. Certes,  ça commence un peu dans le sang (mais bon, le genre veut ça).

Alors, avant toute chose, il faut savoir qu'il n’y a aucune mesure dans ce livre, tout est énorme. Le nombre de victimes, ce que subissent les femmes dans les milieux privilégiés en Inde, la personnalité borderline de l’enquêtrice sociale. Franchement, quand nous (enfin moi surtout), on se plaint de la différence de salaires ou du partage inéquitable des tâches ménagères, dans Témoin de la nuit, on parle de nourrissons filles qu'on enterre pour s'en débarrasser. Forcément, après on relativise (surtout quand on n'a que des filles).

L'enquêtrice est à la fois vaguement cougar, clairement alcoolique, totalement névrosée, tout de suite elle m'a plu, quoiqu'encore une fois, ce soit très excessif tout ça (même moi, j'ai trouvé qu'elle fumait vraiment trop, et que 10h du matin, c'est un peu tôt pour ouvrir un bière).

 Et pourtant, tout fonctionne bien. Le récit alterne entre le journal de Durga et les investigations de l’enquêtrice, les personnalités disparues se révèlent dans toute leur horreur, la violence est partout tout en restant supportable et utile (ce qui est rare dans le genre), bien sûr, la police est corrompue, la jeunesse débauchée, on trouve des hôpitaux pour des aliénées qui ne le sont pas, la lutte des castes est sous-jacente, l'Angleterre apparaît par touches (Commonwealth oblige)..

Bref, le déroulé de l’énigme est efficace, les personnalités des individus ont de beaux retournements et j’ai trouvé la fin réussie et bien menée, avec un petit frisson d'effroi à la dernière page (j'ai même du demander à une collègue si j'avais bien compris le dénouement).

Certaines jurées se sont plaints quand même d'un style assez moyen, mais moi je ne m'en suis pas trop aperçue finalement, je l'ai avalé d'une traite.

On peut reprocher un certaine démesure, c'est presque trop beau de résoudre une enquête de cette manière, mais finalement, ça m'a convenu, j'ai passé un bon moment de lecture (bien que j'ignore ce qu'il m'en restera dans quelques temps), et je me suis dit aussi que c'est bien de se souvenir que le sort des femmes n'est pas égal sur la planète (c'est important pour ma mère que j'ai conscience de tout ça, elle regrette un peu mon absence de militantisme féministe).

Et hop, une participation supplémentaire au challenge thrillers et polars chez Liliba

mercredi 7 mai 2014

Le manoir de Tyneford

Natasha Solomons, Le Manoir de Tyneford
Le Livre de Poche, 2014,  519 p
The novel in the volia, 2011
(trad. Lisa Rosenbaum)
Pourquoi Le Manoir de Tyneford m'a-t-il plu à ce point?

Sans doute l'ai-je lu au bon moment (sous une pluie fine et froide dans le Doubs), juste après Maisie Dobbs qui m'avait mise dans l'ambiance britannique de la Première Guerre (il venait presque naturellement derrière). 

Une semaine après l'avoir terminé, j'y repense encore, émue et ravie, et je me retiens de ne pas acheter tous les autres romans de Natasha Solomons. 

En fait je crois que j'ai adoré ce roman parce qu'il réunit tout ce que j'aime de la britannitude (c'est là que je vois que c'est ma nature profonde de lectrice).

Evidemment, l'histoire était faite pour moi (vu que j'ai vécu ma vie antérieure dans les année 40'): Elise est une Autrichienne juive de 19 ans, elle quitte Vienne à la fin des années 30' et part en Angleterre faire la femme de chambre (le temps que les événements se calment). Globalement c'est l'histoire d'un manoir anglais pendant la seconde guerre Mondiale.

 Pour dire le vrai j'en ai lu plein des histoires comme ça (rapport à mon ancienne vie), mais Elise est un merveilleux personnage. Elle est juive mais ne connaît aucune de ses prières (même pas son Kaddish). Elle vient d'une famille intellectuelle viennoise mais son vrai questionnement intérieur, c'est la nourriture. Elise est grosse quand sa soeur et sa mère sont fines et belles. Elise est la seule à n'avoir aucune oreille quand tout le monde excelle en musique. Elise se retrouve seule à Tyneford, et parle un anglais épouvantable ...

En fait Elise c'est l'authentique looseuse des années 40'. Rien que pour cela, j'aurais pu l'aimer ce roman.

Ensuite il y a du Menderley dans Tyneford et du Maurier chez Solomons. L'incipit fait clairement référence à Rebecca (et c'est confirmé page 330). Moi, j'arrive à avoir les larmes aux yeux, rien qu'à la lecture de la première page. Je crois que les Anglais, mieux que les autres, savent parler des belles demeures. J'ai adoré Tyneford, avec bien sûr un majordome qui ressemble à s'y méprendre à Carson de Downton Abbey, l'ambiance est la même. Sauf que Tyneford est au bord de la mer, qu'en contrebas de la maison, il y a les casiers de pêche, des bateaux amarrés, il y a la baie sauvage, la mer et les arbres. 

Et puis, en vrac (parce que ce billet va vraiment être trop long) il y a les deux Mr. River, aussi fantasmants l'un que l'autre (la vingtaine vigoureuse et insouciante pour le fils, la quarantaine sombre et attirante pour le père), un manuscrit dissimulé dans un alto (the novel in the volia), des souvenirs viennois douloureux, un magnifique personnage de mère, des romans brûlés en Europe, une soeur réfugiée aux Etats-Unis. Il y a aussi la question de l'identité, de la communauté, la violence de la haine, des avions qui bombardent, des Anglais qui résistent, des comtesses méchantes, des WAAF hébergées au manoir, des villageois attachés à Tyneford, des soeurs qui correspondent......

C'est un roman qui a le mérite de ne tomber dans aucun excès, pas de surcharge de fiction, ni de rebondissements artificiels pour garder le lecteur en haleine. On nous parle de la fin d'un monde, de la disparition des lieux, de la création, du désir de l'autre, des instants fugaces du bonheur, de la guerre, du deuil, de la peur, de la faim, de la loose...

En plus, je dois dire qu'il est remarquablement écrit et traduit par Lisa Rosenbaum, c'est à la fois grave et drôle
Tout est fin et pesé.

Ce livre, je l'attendais depuis 6 mois, heureusement qu'Aifelle (une fois de plus) et Théoma m'ont mise sur son chemin. Keisha l'aimait déjà depuis l'année dernière. Je n'en reviens toujours pas d'être aussi emballée j'en ai déjà acheté plusieurs que je vais offrir, en espérant qu'il continuera à plaire....en tous les cas, il a eu le prix des lecteurs du Livre de Poche pour l'année 2014. Je l'agrège donc au challenge  A tous prix d'Asphodèle, en me réjouissant que le jury du Livre de Poche ait si bon goût....

samedi 3 mai 2014

Maisie Dobbs

Jacqueline Winspear, Maisie Dobbs
Livre de Poche, 2012, 382 p.

Bon, j'avais prévenu: je termine ces vacances de Pâques en pensant anglais, en dormant brittanique, en réfléchissant insulaire. J'écoute Kensington Square de Vincent Delerm, pleure sur la mort du King Arthur de Purcell, j'infuse mon thé dans une théière, je ne jure plus en public, je soutiens Lady Edith dans son émancipation et je me tiens droite...


En plus, il me fallait un policier pour le challenge de Miss Léo et j'en voulais un qui soit dans l'ambiance Me, Darcy & I. J'avais LE livre ton-sur-ton avec le blog de Miss Léo: Maisie Dobbs de Jacqueline Winspear, offert (entre autres choses merveilleuses) par Valérie qui l'avait aimé.


Maisie Dobbs est une trentenaire des années 20' (what?) détective privée à Londres (Good!) . Oh my God! mais c'est du sur mesure pour la fan de l'entre-deux-guerres que je suis (c'est mon côté branché). 

En trois mots Maisie Dobbs doit enquêter sur une ferme qui accueille les défigurés de 14-18. Alors, on ne va pas se mentir, ce n'est pas l'intrigue qui fait le sel de ce roman, c'est tout le reste. 


On assiste aux atroces événements de la Première Guerre Mondiale, on observe la vie quotidienne des aristocrates et de leurs domestiques, on écoute à la porte d' un obscure cabinet  d'investigations londonien. Un peu de dialogue, quelques flash-backs, des considérations psychologiques (mais point trop n'en faut non plus). 

Tout y est, le compte est bon. 

Une lady qui veut se donner bonne conscience, une fille d'employée brillantissime, un médecin légiste qui fait de la psychanalyse à ses heures perdues, des histoires d'amour socialement impossibles, des passions brisées par la guerre, des éclats de Shrapnel, un assistant dévoué, des rescapés traumatisés, quelques amitiés féminines, des hommes défigurés mais pas seulement .... 

Ce premier opus de Maisie Dobbs c'est aussi et surtout ce qu'il reste d'une époque après de graves bouleversements. La plupart des continentaux ignorent les ravages d'une guerre même dans un pays qui n'avait pas ses frontières attaquées.


Je l'ai aimé Maisie parce qu'elle incarne une génération de femmes et le frémissement d'un nouvel ordre social. Contrairement à l'énigmatique Miss Marple de l'indétrônable Christie, Maisie Dobbs a un passé, des fêlures, des faits d'armes. Ce qu'on découvre dans ce premier opus, c'est comment Maisie Dobbs devient détective privée. 

Et c'est réussi, quoique je n'aie pas trouvé le style très brillant (ou bien la traduction...) ni l'enquête palpitante. Mais les rebondissements sont ailleurs. Il y a cette atmosphère que les fans de Downton Abbey adorent, cette période d'entre deux drames qui marque la fin d'un monde.  Je pense que ce premier tome servait à camper Maisie et les suivants devraient davantage se concentrer sur les enquêtes. J'attends donc avec impatience de lire le deuxième tome traduit en français, il en reste 6 autres derrière. 

Ma Britannitude va crescendo, je vous parle tout bientôt d'un authentique coup de coeur.  Du coup, je me suis carrément fait un logo personnel avec ma nouvelle lubie (j'aurais pu choisir de jeunes filles fraiches et pétillantes, j'ai préféré la comtesse douairière, on ne me changera pas) 

See you soon friends
Lady Galéa



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Nouveau point d'étape de la quarantaine : le sens de la fête.  Que reste-t-il de nous quand il s'agit de faire la fête ? Je parle d...