J'ai acheté la trilogie 1Q84 d'Haruki Murakami, quelques semaines avant qu'elle ne sorte en poche. Ce sont des choses qui arrivent. Il m'a fallu plusieurs semaines pour savoir ce que j'en pensais vraiment.
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Haruki Murakami,
1Q84, Livre 1, avril-juin
Belfond, 2011, 534 p.
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1Q84 est impossible à résumer sans trahir sa singulière ambiance .
En 1984, Tengo, un surdoué de maths devenu prof, et Aomame, instructrice sportive, pénètrent sans le savoir dans une année parallèle. Dans ce monde, finalement nommé 1Q84, deux lunes brillent la nuit. En 1Q84, Tengo est devenu le nègre d'un chef d'oeuvre (plutôt d'un best-seller). En 1Q84, Aomame est une tueuse à gages, à la solde d'une vieille dame, qui élimine les hommes qui violentent les femmes.
1Q84 est une trilogie extrêmement dense dans laquelle surgissent plusieurs histoires qui s'entremêlent. Je ne peux pas trop en dire de peur de gâcher le plaisir des futurs lecteurs. Disons qu'1Q84 fait surgir le Tokyo des années 80', d'inquiétantes sectes, des hommes violents, un hôpital déprimant, le fantôme des collecteurs de redevances audiovisuelles, un bébé lune, des classes préparatoires, une vieille femme richissime, des scènes de sexe, un détective privé doué d'une grande intelligence qui a perdu son âme...Je l'ai dit 1Q84 est une trilogie extrêmement dense, dans laquelle tout est remarquablement articulé et lié.
Pendant la lecture des deux premiers volumes, j'ai crié au génie.
J'ai adoré la naissance d'un roman dans le roman, La Chrysalide de l'air, dont une jeune fille dyslexique, lunaire et éthérée, trop parfaite pour être humaine, a mystérieusement jeté la trame. Tengo met le récit en forme. Paradoxalement, en endossant le costume du ghost writer, il devient écrivain. Comme toujours Murakami intellectualise la naissance d'un roman.
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1Q84, Livre 2, juillet-septembre, Belfond, 2011, 526 p.
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C'est aussi un livre sur l'intelligence au sens le plus large du terme, celle qui englobe l'âme et le corps. Tengo incarne l'esprit, Aomame le corps. J'aime le culte du corps chez Murakami, cette obsession japonaise de la maîtrise de l'ensemble de soi.
On l'aura compris, 1Q84 fait des clins d'oeil à 1984 de George Orwell comme un effet de miroir. Murakami écrit au passé ce qu'Orwell préjugeait de l'avenir. Les little people donnent la réplique à Big Brother et apparaissent comme les artisans souterrains du monde parallèle.
Mais voilà, le troisième volume ne m'a pas rassasiée. Davantage axé sur le fantastique, le dernier livre fait bouger les frontières de la morale, de la conscience et du vraisemblable. J'ai eu le sentiment qu'1Q84 avait dépassé ma limite du compréhensible, je n'en dirai pas plus.
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1Q84, Livre 3, octobre-décembre, Belfond, 2011, 530 p.
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Je n'ai pas trouvé de réponse aux deux premiers volumes : certains évènements n'ont pas d'explication, des personnages disparaissent subitement. Peut-être ne faut-il pas chercher, dans l'année 1Q84, à refermer toutes les portes des deux premiers livres. Sans doute, suis-je trop occidentalisée à toujours vouloir boucler la boucle.
L'écriture de Murakami est extrêmement accessible. Si l'histoire est extrêmement complexe, son style est fluide, simple, clair. J'ai dévoré la trilogie. Le roman a déjà été maintes fois commenté sur la blogosphère, aucune critique ne ressemble aux autres, la mienne n'en est qu'une de plus. Chacun y a trouvé une résonance différente.
La trilogie de Murakami reste une oeuvre importante, parce qu'elle fait réfléchir, sortir du cadre, parce qu'on y pense longtemps après. C'est finalement un roman non identifié, entre le fantastique, le thriller psychologique, la saga poétique, l'analyse intellectuel et la peinture d'une période.
1Q84 n'a absolument rien à voir avec ce qu'on a lu avant. Murakami est une catégorie littéraire à lui tout seul. Qu'on l'apprécie ou pas, il apporte quelque chose de nouveau dans le monde des livres.
J'appartiens à ceux qui regrettent qu'il n'ait pas eu le prix Nobel le mois dernier.