Le premier soir, à 22h07, une amie sur Facebook (oui je sais c'est moche, je passe ma vie sur les réseaux sociaux) n'arrivait pas à rentrer chez elle, à cause d'une rue bloquée à Paris. Le temps que l'Homme parvienne à s'extraire de sa nouvelle lubie (Face off: encore une émission qui porterait la responsabilité de notre divorce le cas échéant) et qu'il passe sur les chaînes d'info, à 22h30 on savait déjà que c'était des attentats terroristes.
Le deuxième jour, on s'est réveillé au son du glas et des 129 personnes abattues (sans distinction de sexe, de religion de couleur de peau, ni d'âge). Après la phase "textos tous azimuts" (on a tous quelqu'un à Paris ou pas loin: des Bretons qui ne trouvent pas de travail en Bretagne, des copines jurées Elle, une tante qui nous fait toujours une blanquette à tomber par terre quand on monte....bref, il y a eu le temps du harcèlement.) "L'un dans l'autre sur les 10 millions de Parisiens, vraiment ça aurait été étonnant que tu connaisses et tiennes à quelqu'un sur les 129" (les interventions pertinentes de l'Homme seront en italique pendant tout le billet).
Mais même en ne connaissant personne, même en n'ayant aucun proche à pleurer, on rentre dans la phase : perte de dignité. C'est quand même moche de pleurer devant ses enfants sans discontinuer. Je ne me suis juste arrêtée pour hurler sur Rayures qui ne trouvait pas ses chaussettes et qui allait être en retard à ses activités.
Le troisième jour, on se surestime, on résiste (enfin les autres surtout) : "Hors de question qu'on change quoique ce soit, on maintient les activités des enfants" (il est comme ça l'Homme, il tranche). Donc pendant que tout le monde emmenait mes filles à droite à gauche, j'ai sangloté en peignoir sur ma tablette devant les réseaux sociaux, à regarder les photos des disparus.
Finalement les 129 morts nous ressemblent dans ce qu'on a de plus viscéral, "oui enfin Galéa, notre dernier concert c'était en 2002" (ça c'est l'Homme; dès que j'ai 2 ou 3 réflexions métaphysiques il s'incruste, il fait le type éberlué, il m'énerve). Disons que si je n'étais pas névrosée et si je n'avais pas peur de la foule et des pièces borgnes, j'aurais pu leur ressembler ; "avec un chanteur français dépressif alors, où la moyenne d'âge serait plus proche de celle de ta mère, parce qu'à part ton vieux CD d'Iron Maiden, on ne peut pas dire que tu écoutes du métal en boucle hein. " (Dieu qu'il est pénible cet homme). Il y a les bières en terrasse aussi où j'aurais pu être un vendredi soir, "mouaich allez va pour le Scwheppes agrume à 18h, on va dire que tu seras crédible", mais j'aime me retrouver entre amis à refaire le monde dehors -parce qu'on fume même s'il fait froid : "mais à 21h tu piques du nez ma pauvre surtout si le lendemain on doit se lever à l'aube pour emmener Rayures à une compétition de l'autre côté du département". M'en fiche, même à 1000 km du Xe , c'est à la possibilité de vivre comme cela qu'on a touché, c'est le droit d'être libre et insouciant qu'on a fracassé. C'est cette possibilité, cette chance qu'on croyait évidente et inaliénable qui nous échappe maintenant.
Toute la journée je me suis dit qu'une information allait surgir du style: "tout l'état major a été arrêté, l'EI est complètement démantelé, dormez sur vos deux oreilles braves gens...". A la place, j'ai eu des copines qui faisaient tourner de prétendues informations sur un éventuel attentat dans ma ville.
La quatrième jour, on retourne travailler, on papote devant l'école, on prévient les enfants, on console les copines plus fragiles qui pleurent devant les grilles, on s'inquiète de la maîtresse et de cette heure de discussion obligatoire qui peut être un carnage. On reprend le cours normal de notre vie. Enfin on le croit, mais bon voila, voilà, nous, enfants des années 70-80, la guerre on en a jamais entendu parler que de loin, le grand truc bouleversant pour notre nation, c'est le comportement inexcusable de l'équipe de France en 2010 en Afrique du Sud, du coup, on ne sait pas bien comment réagir, donc on essaie de penser à autre chose, et quand on y arrive pas on pleure. Rayures me récite en boucle l'Albatros (son intonation n'est pas très loin de celle Malraux lors de l'entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon, parfois je me demande quand même si je ne devrais pas les mettre davantage devant la télévision, mes filles appartiennent à un autre siècle).
Le cinquième jour, on sature un peu des posts dégoulinants, du pathos gratuit et qui n'apporte rien, on supporte mal les témoignages pourris (du style : "je mangeais un panini dans le 18ème quand j'ai compris qu'il se passait quelque chose"), on a envie de claquer ceux qui connaissent quelqu'un dont la cousine avait un ami qui justement proposait deux places pour le Bataclan ce soir-là. On croit que c'est fini mais en fait non. C'est une gueule de bois qui dure et c'est pas si facile de passer à autre chose finalement. Et puis les termes ont été posés, l'état d'urgence déclaré, la psychose installée...et pendant ce temps, j'oublie d'aller chercher mes résultats de glycémie (diabète gestationnel or not ?)
Le sixième jour, l'assaut est donné à Saint-Denis, on se désole de la récupération politique indigne, des procès inutiles, des postures électorales, des experts qui viennent nous expliquer la situation, à coup de grands mots savants sortis tout droit de leur labo de recherche, ras le bol des émissions anxiogènes. On fait des polémiques sur tout et n'importe quoi: sur le drapeau français, le "pray for Paris", la Marseillaise, histoire de rester bien français quand même, pour l'unité et la tolérance on repassera. Numérobis a perdu son cache-coeur de danse, Rayures doit réviser les grandes dates napoléoniennes. J'ai vraiment envie de fumer. L'Homme verse sa larme devant Wembley en bleu-blanc-rouge.
Le septième jour, il y a les langues qui se délient, des racistes qui sortent du bois pensant qu'avec tout ça, ce n'est plus si honteux d'être extrémistes. Il y a des enfants, dans les cours de récréation, qui ânonnent fièrement les opinions politiques de leurs parents. On se serait bien passé de savoir ce que votent les gens de notre quartier, surtout quand ce sont des copains. L'impression que le sujet "attentat" fait vendre, toutes les émissions font leur "spécial"- qui n'apporte rien-, du journal de M6 à la Grande Librairie "il perd pas le Nord ton François, hein, il va pouvoir se régaler en littérature qui répare.....". Rayures nous montre sa choré de jazz dans le salon et se fracasse le genou sur le coin de la table basse.
Le huitième jour, on s'insurge des gens qui continuent comme si de rien n'était. Prise d'otage à Bamako pendant qu'un blog fait gagner des bons cadeaux (si on partage son post, like sa page et dépose un commentaire), "hé ho les gars c'est les mêmes méchants là ", c'est moi ou franchement c'est indécent ? Certains racontent encore leurs petits soucis quotidiens, (exemple : "la batterie de mon portage a lâché, sale semaine"). On croit que c'est fini, mais vraiment pas en fait. Une vague envie de vomir. "Tu ne supportes pas qu'on fasse comme si de rien n'était, mais tu ne supportes pas non plus qu'on en parle, tu veux quoi au fond?". Du silence. Et un peu de dignité aussi. Numérobis rentre de l'école avec deux invitations à des anniversaires.
Le neuvième jour, ça fait une semaine qu'on ne blogue plus, ni sur le sien ni sur celui des autres. Une impression latente de vacuité, je renonce à publier mon billet sur Tarte aux pommes et fin du monde. Bruxelles est une ville morte et en danger, Numérobis lit la clé de Fa plus vite que ses lignes de lecture.
J'envisage qu'on se retire tous dans la montagne, on fera l'école à la maison et je trouverai bien une sage-femme un peu baba-cool avec des fleurs dans les cheveux, qui me fera les monitoring du dernier mois avec un verre de cantine Duralex et un vieux tendeur. Elle m'accouchera à l'ancienne avec des encens, en jouant des airs sympas à la guitare. Nous aurons notre potager, et nous serons totalement autosuffisants (de toutes manière vu le nombre d'amis qu'il va nous rester après l'arrivée de My Third, c'est juste de l'anticipation). J'apprends que la saison 6 de Dowton Abbey reprend le 5 décembre, je rajoute une box dans mon organisation en ermitage.
J'envisage qu'on se retire tous dans la montagne, on fera l'école à la maison et je trouverai bien une sage-femme un peu baba-cool avec des fleurs dans les cheveux, qui me fera les monitoring du dernier mois avec un verre de cantine Duralex et un vieux tendeur. Elle m'accouchera à l'ancienne avec des encens, en jouant des airs sympas à la guitare. Nous aurons notre potager, et nous serons totalement autosuffisants (de toutes manière vu le nombre d'amis qu'il va nous rester après l'arrivée de My Third, c'est juste de l'anticipation). J'apprends que la saison 6 de Dowton Abbey reprend le 5 décembre, je rajoute une box dans mon organisation en ermitage.
Le dixième jour, c'est journée sans radio. On se fait plaisir avec quelques acteurs télé oubliés de tous qui livrent leurs impressions "en tant qu'artiste et parisien", un vieux cabot se prend pour Jean Jaurès et s'exprime avec emphase, une chanteuse -qui ne vend plus de disque depuis 10 ans- tente de ressusciter sur la scène médiatique grâce à des textes hyper intimes sur les attentats. Tout le monde a un avis sur tout, même ma boulangère qui m'explique ce qu'il faudrait faire en Syrie et comment gérer la jeunesse qui se radicalise. On se moque, on brocarde mais le coeur n'y est pas...Rayures m'avoue avoir foiré son évaluation sur Napoléon "j'avais oublié la date de Waterloo". L'Homme décline ma proposition de vie naturelle et protégée. Les 60 ans du Masque me passe au dessus de la tête, même plus envie de les critiquer, je n'écoute pas l'émission. My Third se prépare les JO 2032 dans mon ventre, essentiellement entre 2 et 4h du matin, du coup j'ai hyper bonne mine.
Le onzième jour, on rallume l'ordinateur (et on s'aperçoit que depuis le début du billet, on a fait tout ce qui nous énerve chez les autres). #CohérenceQuandTuNousTiens
Le onzième jour, on n'a pas tellement le choix: la vie continue.
On accepte que, pendant quelques temps, la vie ne soit plus tout à fait comme avant.
On accepte que, pendant quelques temps, la vie ne soit plus tout à fait comme avant.
On va accepter que ce qui est le plus précieux à nos yeux est infiniment fragile.
On se dit qu'on va un peu plus prendre soin des gens qu'on aime.
Les enfants gâtés que nous sommes viennent de se prendre une sacrée claque : nous qui avons connu les rave parties, les restaurants où on pouvait fumer, les boites de nuit sans capitaine de soirée, la techno, Nirvana, où le truc le plus politique qu'on ait fait, c'est sécher le lycée en 95 pour aller manifester (sans comprendre quoique ce soit aux enjeux de l'époque, mais on n'avait pas réviser son latin).
Même si la plupart de notre jeunesse triomphante est rangée des camions en banlieue - ou pire, en province- croulant sous les obligations domestiques d'anniversaires et activités diverses et variées, même si on est souvent bien trop fatigués ou trop mal organisés pour sortir le soir, n'empêche que cette vie là, celle qui a été la cible du vendredi 13, ça a été la notre à un moment (et on comptait bien remettre ça un jour futur).
Alors le onzième
jour, on va essayer d'être un peu moins égoïste, un peu moins pleurnichard, un peu plus attentif, plus tolérant aussi et retrouver sinon un peu de légèreté, au moins un peu d'humour, ce qui, en l'état actuel des choses, serait un minimum de politesse.
jour, on va essayer d'être un peu moins égoïste, un peu moins pleurnichard, un peu plus attentif, plus tolérant aussi et retrouver sinon un peu de légèreté, au moins un peu d'humour, ce qui, en l'état actuel des choses, serait un minimum de politesse.