Pour commencer cette nouvelle année, j'espérais avoir l'Homme en traître et lui imposer, mine de rien, la version longue de l'émission. Mais c'était sans compter le journal local, l'espèce de Bible du matin, que tout le monde lit avidement pour savoir quoi penser du monde, et qui a fait un article sur le nouveau format de l'émission. L'Homme l'a lu bien sûr (entre les faits divers et les travaux du tram), inquiet et circonspect. Ca l'inquiète toujours les phrases du genre "Transformer le pays en une nation de lecteurs", il s'imagine déjà être obligé de lire Tristan et Yseult en ancien français à la lueur d'une bougie. Dépité, il a soufflé "punaise, Doudoune (oui vu mon état actuel, c'est le seul surnom qui me convienne encore), une demi-heure de plus, ce n'est pas rien quand même...tu penses tenir aussi tard ?" (on notera au passage la petite allusion à mon nouveau rythme de marmotte roulante, soufflante et ronflante, à cause d'un rhume qui s'accroche à moi comme à une bernique).
C'est ainsi que mon rhume, l'Homme et moi étions prêts à découvrir ce nouveau format plein de promesse, avec un François qu'on imaginait détendu et bronzé après des vacances bien méritées. Clairement, il manquait une bonne bière pour attaquer ce nouveau challenge conjugal, tout en nous lamentant sur le fait qu'on n'ait pas eu le temps de déménager avant l'arrivée du bébé.
A l'annonce des invités, j'entends un grognement à ma droite "
c'est pas un peu toujours les mêmes les gens qu'il invite ?". Bah si, mais bon, c'est pour lancer la nouvelle saison. Nouveau générique, nouveau logo, nouvelle musique mais, on garde le même jeu de mèches ET de lunettes.
ET surtout nouvelle pastille d'ouverture: la gazette de La Grande Librairie. Je trouve l'idée extra, si elle est menée sans langue de bois, on devrait se régaler. Bien sûr, hommage oblige, on n'échappe pas à la sauce Charlie (filon tellement inépuisable que ça met mal à l'aise, tant on s'interroge sur certaines motivations), un petit point sur le nouveaux jurés du Goncourt (Despentes et Schmitt), trois mots sur Angoulême et les sélectionnés qui se retirent pour cause de manque de parité. Oh punaise....Le tome 6 du Trône de fer est reculé après la sortie du film....L'Homme est à deux doigts du malaise cardiaque, du coup, il est encore bloqué quand on parle de Boulez. Je valide cette nouvelle rubrique: concise, intéressante, et finalement assez exhaustive. Oui la littérature c'est aussi de l'actualité.
C'est après que ça se gâte.
Jean d'Ormesson en parrain de l'émission, 4 mois après celle qui lui était exclusivement consacrée, alors qu'il y a tant d'auteurs qui auraient pu faire le job...ça coince ! L'Homme maugrée dans son coin. Pourtant, il est sympa d'Ormesson, il donne confiance dans l'avenir, joyeux dans sa posture, rassurant sur le temps qui passe, bienveillant à l'endroit de Virginie Despentes. Le problème, c'est que tout ce qu'il dit, il l'a déjà dit, le problème c'est qu'il ne parle que de lui, lui, lui et de sa noble famille. Le problème c'est qu'il s'écoute parler. Et ce qui ne prend pas c'est ce faux procès : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (Love Aragon), un énième livre qui le met en scène avec "sa mythologie personnelle" comme dit François. (jeu de lunettes).
L'Homme est au bord du craquage: "il raconte ça parce qu'il a déjà raconté tout le reste non ?". Oui merci l'Homme mais j'écoute. En fait Jean d'O trouve ringard l'idée d'écrire ses mémoires (Chateaubriand appréciera d'outre-tombe), donc ce ne sont pas des mémoires qu'il écrit, ce sont des souvenirs (nuannnnnnnnce). "Vous plaidez coupable de quoi Jean d'O ?" Réponse tellement longue qu'on a oublié la question. En fait Jean d'O s'excuse d'avoir eu trop de chance (un peu à la manière de Colombe Schneck qui s'excuse d'avoir été tant aimée, même moi je commence à m'exciter là en fait). "Même la guerre je l'ai traversée en 1ère classe". Ouaich et sinon? Nan parce que c'est bien de s'excuser d'être privilégié, mais là ça ressemble davantage à une sorte de frime en fait. "Regrettez vous de vous être attaqué à la famille?". Jean d'O est catégorique : il ne s'exprimera pas là dessus...il a déjà écrit assez de livres là-dessus. "Je suis un menteur et un traitre". "Je suis le modèle de ce que Bourdieu condamnait...un héritier, un anarchiste de droite". Oui, oui, oui mais STOP.
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C'est bien ce mea culpa, sauf qu'on est en crise Jean, et que ce n'est pas avec ce genre de discours que la littérature va descendre de son piédestal et toucher le plus grand nombre, tu vois. ET puis franchement tout ça, ça n'a rien à voir avec la littérature, même si tu as une personnalité et un parcours passionnants, franchement tes propos sont globalement déplacés. L'Homme a sorti son
Trône du fer, "
j'en ai un peu marre du nombril des auteurs, surtout quand ils sont vieux et égocentriques". L'Homme, le "
je" et le "
moi", il n'en peut plus, il sature...La tendance des grands privilégiés à s'étaler sur un plateau, ça l'énerve autant que ceux qui viennent laver leur linge sale. L'Homme son truc, c'est la SF, les mondes imaginaires, les polars gores, les intrigues haletantes, les trucs magiques..Alors là il souffre autant que quand je me passe, certains dimanches de désoeuvrements, les rediffusions des R
adioscopies de Jacques Chancel avec des invités cabochards...Le problème c'est que moi aussi, j'ai du mal. Du mal à croire à la prétendue auto-flagellation du vieil écrivain sympathique, qui se présente comme une icône- rien de moins- une marque -à l'égal de Schweppes - qui se vante du rajeunissement de son public. Du mal avec la complaisance vraiment outrancière de François. Du mal aussi avec l'image pleine de naphtaline et de suffisance que donne la littérature dans ses moments là. Et pour la fiction on repassera.
Je continue mon test toute seule car l'Homme a décroché. Je mise beaucoup sur le nouveau format de la pastille en librairie, J'imagine un portrait de quartier, un parcours de libraire, une visite des lieux, un moyen de montrer qu'une librairie s'intègre dans un ensemble, dans une communauté d'une ville ou d'un village. J'espère voir le libraire boire son café avant d'aller ouvrir sa grille, me balader dans les rayonnages, qu'on nous montre par exemple le stock d'éditions poche, les tables d'actualités, les beaux livres. J'attends que le libraire s'exprime sur ses choix de mise en place...bref je misais beaucoup sur le type qui n'habite pas très loin ou qui serait en transit, et qui aurait envie de découvrir cet endroit. En plus c'est à Lyon, une ville que j'aime d'amour fou. Bon de ce côté là, c'est une déception: rien de nouveau, pas de visite, pas plus pas moins qu'avant : un libraire qui présente un livre sur fond de rayonnage.
On enchaîne direct sur Edouard Louis : "oh Galéa ce n'était pas ton coup de foudre la dernière fois, ton Normalien ?". Si, sauf que ce n'est plus mon normalien...mais bon. Là aussi, si on veut une histoire, ce sera celle d'Edouard Louis, pas de celles qu'on invente. Edouard Louis n'a pas tellement changé, si ce n'est qu'il ne porte plus d'appareil, mais a enfilé une chemise bleue, il s'exprime avec plus d'aisance, mais je ne retrouve pas vraiment son immense sincérité et fraicheur de la dernière fois. Sans doute parce que les médias sont passés par là. Et là, après Jean d'O qui vraiment a eu trop de chance, c'est l'histoire d'une nuit d'horreur, celle de Noël 2012, où Edouard Louis a été violé, battu, menacé et volé. "Un récit autobiographique raconté par votre soeur" rappelle François. La vérité c'est que j'ai mal pour lui à chaque fois que François revient sur le viol. Et je comprends à demi-mots que sa soeur, une invention narrative, va utiliser le langage des pauvres, celui qui fut le sien enfant. Je me demande s'il amorce une réconciliation avec ses origines picardes et prolétaires ?
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"Le livre est une tentative de récupérer ce que j'ai vécu" souffle Edouard en articulant bien. En fait, il me touche une fois de plus "nos vies seront toujours racontées par les autres". Il y a chez ce jeune auteur une telle brisure et une telle faille, que quand il parle, on ne peut douter de sa sincérité. Je déplore l'intervention de Jean d'O, beaucoup trop cabotin sur ce coup. Il gâche un moment que je trouvais touchant pour une remarque globalement inutile. Je ne sais pas ce que deviendra cet Edouard Louis, je crains malgré tout que se servir de la littérature pour vider son sac ne répare pas, je crains qu'il paie très cher plus tard de s'être à ce point exposé, je lui souhaite un jour d'écrire des romans, des fictions qui s'éloigneront de lui, de sa personne pour véritablement créer quelque chose. Maintenant que ses connaissances théoriques sont remarquablement établies (le nombre de références citées est impressionnant: de Foucault à Proust), on le sent quand même enchaîné à quelques choses qui le blesse et prisonnier d'un engrenage à déverser qui le consume (mais cela n'engage que moi).
On passe à la caution féminine de l'émission : Cecile Ladjali ("elle est déjà venue non ?" oui l'Homme). Cécile, toute de noir vêtue, un peu fatale, un peu rigide, une expression impeccable, un rictus étrange de la bouche. En général, elle me plaît bien, et je me dis qu'elle doit être vraiment chouette en professeur de français. Illettré c'est le titre de son roman (yeahhhhh un roman!!!!). Evidemment c'est l'histoire de Léo, un analphabète.
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Et alors là, moment d'extase personnelle : superbe envolée lyrique sur l'écriture comme résilience, écrire pour tenir debout, écrire pour braver la mort. Suivie d'une ode à la syntaxe et à la grammaire (j'hyperventile en me gavant de réglisse).
Cécile est merveilleuse ... mais l'Homme ne s'en rend pas compte, et François non plus visiblement car il l'interrompt sans arrêt. Etrangement, quand un auteur parle d'un personnage, il est drôlement plus intéressant qu'un auteur qui parle de lui, sans doute grâce à une passion, un sens tragique, une beauté créatrice. Je suis archi fan de Cécile. "nous avons la chance d'être riches de mots", elle nous parle de "ghettos linguistiques" et de cette misère là.
François manque de l'élégance la plus élémentaire : il se moque de son "monologue grandiloquent sur l'illettrisme", il tourne un peu en dérision la seule romancière du plateau (sans forcer le trait non plus, c'est plus subtil et plus efficace pour calmer quelqu'un qui s'emballe). Moi je me serais énervée avant. En fait François n'est pas jaloux que des beaux gosses qui écrivent des romans qui se vendent, il est aussi jaloux des beaux débits, des discours passionnés, du fait que les autres invités boivent les paroles de l'écrivaine. Et franchement, il est vraiment à la limite de la méchanceté, ce qu'il ne se serait pas permis avec Jean d'O, bien sûr. Aurait-il peur qu'elle lui fasse de l'ombre tellement c'est intelligent ce qu'elle dit? tellement elle remet la littérature à sa juste place: une chance pour ceux qui y ont accès?
"
Elle était top hein?" dis-je à l'Homme.
"
Aucune idée, je n'ai pas écouté".
Texto de
MTG pour savoir si l'Homme a tenu le coup...je me sens seule au monde, je reprends des chocolats à la guimauve.
En tous les cas, dur dur pour Marc Trévidic de passer après cela. "
Punaise, un juge ? un juge anti-terroriste en plus...". Tiens l'Homme émerge de son livre. Marc Trévidic, c'est la caution "actualité" de l'émission, le côté commémoratif. Sauf que quand on lui demande s'il est ou a été Charlie, il répond que "oui", il est contre la violence. Marc, ce n'était pas la question. Certains n'étaient pas Charlie l'an dernier, mais n'étaient pas pour autant pour le terrorisme...mais passons. Le débat Charlie était un peu plus complexe que ça quand même. Dans
Alham (un roman yeahhhhhhhh) c'est l'histoire d'un frère et d'une soeur qui choisissent chacun un chemin différent: l'extrémisme fondamentaliste pour le frère, l'humanisme pour la soeur. Tiens l'Homme lève la tête: "
il doit se baser sur tous les dossiers qu'il a du traiter". Nan? Tu crois ?!! (Sherlock l'Homme). La perspicacité de ma moitié ne tient pas longtemps : "
Tu crois qu'il sest fait botoxer?". Je ne vois ni le rapport ni le fondement de sa question, et ne me donne plus la peine de répondre. "U
n roman qui confronte la création artistique et l'intégrisme". Le propos du juge me plait L'intervention de Jean d'O (encore?!) nettement moins. J'aime l'ode à la fiction de Trevidic. Et là, moment de gloire, François pose LA question de l'homme : "
vous êtes vous inspirés de vos dossiers pour créer vos personnages?". Finalement l'Homme pourrait présenter LGL. De mon côté je salue le très beau propos du juge sur les vertus du roman qui va plus loin et qui touche plus que l'essai, les statistiques, les événements et les faits, qui touche à une sorte de vérité. J'applaudis avec mes deux mains et engloutis les dernières papillotes de Noël.
Texto de MTG: pro d'Ormesson (tu crains)
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Attention François remet ses lunettes pour nous annoncer sa surprise : Gérard Oberlé. Pastille découverte: un grand monsieur chauve récite des vers dans un manoir. L'Homme a eu peur, il est parti fumer. Visite haut de gamme : superbe bibliothèque "
bardé de livres comme un rempart contre la connerie du monde". J'aime. Un manoir, le Morvan, des livres anciens, incunables, éditions originales du XVIIe siècle et autres choses précieuses qui rendent jaloux...bref un type qui a la vie dure. Anecdote avec Jim Harrison qui a donné naissance à un roman. Je découvre un personnage récurrent créé par Oberlé...Chassignet. "
Bonnes nouvelles de CHassignet" dont François nous enjoint à faire un best-seller. Je note dans un coin de ma tête, j'aime cette respiration, ce rendez-vous devrait me mettre en joie.
Jeu de lunettes, donc: nouvelle surprise !!!! Les 20 ans de la mort de Mitterand (j'avais 16 ans j'étais en 1ere littéraire dans un lycée paumé au fin fond de l'Ardèche, je buvais du pastis le samedi soir - parce que ça saoule vite-, que je vomissais avant 6h le dimanche, j'étais amoureuse et avait une super bande de copines délurées avec des foies de compétition...bref, le bon temps). Je termine ma tisane aux plantes.
Et attention, un face-à-face entre deux journalistes qui viennent chacun vendre leur bouquin sur Mitterand (vive le commerce de la commémoration). Georges-Marc Benamou vs/ Jean-Joël Jeanneney autour de la question : "Mitterand était-il un grand écrivain" (sachant, que chez nous, les gens du peuple, un écrivain c'est quelqu'un qui vit de la vente de ses livres...mais bon, c'est une réflexion de la base).
Vu que Benamou a TOUT relu ce qu'a écrit l'ancien président, la réponse est claire : "on est face à un authentique grand écrivain". Même si Benamou nous précise que "ce n'était pas un écrivain de l'imagination". Ah bon ? c'est possible alors ? Comme un musicien sans oreille finalement, où un maçon manchot. On apprend que Mitterand avait une fascination de l'Italie et de la Renaissance, trois mots sur les Médicis, Machiavel. D'accord. On apprend aussi qu'il a failli faire un livre sur le coup d'état de Napoléon III, (j'ai complètement perdu l'Homme en route - d'autant que nos familles n'étaient pas du même côté en 1981). Benamou, il est fan de fan de Mitterand. La vérité c'est qu'on s'ennuie un peu : Cecile a l'air ailleurs, Trévidic semble penser à autre chose, Edouard Louis a le regard fixe, seul d'Ormesson participe et se régale visiblement de l'évocation des vieux souvenirs.
Petit sursaut lors de la sentence de Jeanneney : "aimer la littérature ne suffit pas à être écrivain" (ça c'est sûr, sinon la blogo entière se déclarerait auteur). Intervention de Jean d'O (punaise de punaise, il ne s'arrête jamais) : Mitterand n'était pas écrivain. Benamou va s'étrangler, on le sent en souffrance. Les 3 autres auteurs sont ailleurs, perdus dans un autre espace temps. Jeanneney traite Mitterand de vhichysto-résistant: "un type qui qui est passé par Vichy avant de comprendre, au bout de 3 ans, qu'il valait mieux passer dans l'autre camp". Punaise, ça dérive. On n'est plus du tout dans la littérature, Jean d'O et Benamou se disputent ce qu'a dit réellement Mitterand lors de la dernière nuit à l'Elysée (tout en s'envoyant des fleurs complaisantes). L'Homme se fait un bol de céréales "je me demande si je n'ai pas un peu grossi avec toi quand même"...Minute conjugale intense, générique de fin.
Bon...la Grande Librairie nouvelle version, c'est moins de fiction, plus d'actu et quelques trouvailles intéressantes. On mise beaucoup sur une émission qui accueillerait "des romanciers de l'imagination. On espère aussi qu'elle mettra en lumière des auteurs, des romanciers, plus ou moins connus...
C'était Galéa et l'Homme, pour vous servir.