Claudie Gallay, Une Part de ciel Actes Sud, 2013, (445 p.) |
Claudie Gallay est la romancière préférée d’une
amie-libraire chère à mon cœur, donc quand Sylire a proposé de parrainer
quelqu’une pour l’opération Price Minister, je me suis précipitée sur l’occasion
et j’ai commandé Une Part de Ciel quasiment
les yeux fermés.
Une Part de ciel fait
parler Carole, une looseuse comme je les aime. La quarantaine, fraîchement
abandonnée par son mari, elle revient dans son village de montagne, un endroit
dont on ignore si elle se sent chez elle ou chez les autres. Elle revient parce
qu’elle pense que son père va y revenir aussi. C’est donc l’histoire d’une
attente qu’elle partage avec son frère Philippe (une sorte de notable
forestier) et sa sœur Gaby (un quasi cas-social dont on ne prononce pas le
nom).
Effectivement, Une Part
de ciel c’est un roman sur l’attente. Absolument tout le monde attend dans
ce livre. Les montagnards attendent la neige, la fratrie attend le retour du père, Gaby attend que son Homme sorte
de prison, Diego attend que son puzzle délivre son image, la Baronne attend une
réponse pour son chenil, Carole attend tous les matins que la serveuse batte
ses draps dehors, Frankie attend son nouveau Juke-box, la Môme attend de
partir, le petit Marius attend sur le tourniquet, sans savoir quoi exactement…
Bref, tout le monde attend. D'habitude, ça m’exaspère... mais pas là. On le sait un livre sur l’attente, c’est un livre sur le passé. Quand l’action n’avance pas, c'est qu'elle a déjà eu lieu. Les événements ne
se produisent pas, ils se sont déjà produits dans Une Part de ciel. Cela ne marche pas toujours (genre…, le Kasischke par exemple - humour-), mais là c’est une belle réussite.
J’ai aimé l’ambiance, la lenteur, j’ai aimé qu’il ne se
passe pas grand-chose au présent. J’ai été touchée par les aspérités rurales
des montagnards, par l’ambiance de village en huis-clos, par cette communauté
de l’entre-deux, encore dans les coutumes du passé. J’ai aimé la rudesse du
climat, la rusticité des habitants, les histoires passées. J'ai été touchée par ce qu’il reste
de l’enfance, et par les stigmates des traumatismes familiaux.
J’ai beaucoup aimé les arrière-plans et les second
rôles : Diego est un personnage merveilleux (un cuisinier qui écoute
Mozart, qui cherche le beau partout, un patient généreux), Jean (le plus ou
moins premier amour de Carole, plus ou moins séducteur, plus ou moins franc),
Sam (le vieux quincailler)…bref c’est très réussi.
Malgré tout cela, ce n’est pas un coup de cœur absolu.
A cause de style d’abord. Trop de passé-composé nuit à la
beauté d’une phrase, il faut le savoir. Et là, il y a beaucoup trop de passé-composé.
Ce n’est pas parce que l’histoire se déroule chez les gens simples qu’on est
obligé d’écrire « la serveuse à
Frankie » , ou du finir certaines phrases par « j’ai dit ». Ce n’est pas nécessaire
et ça heurte certains psychorigides dans mon genre.
Ensuite, il y a deux ou trois invraisemblances…. bon des
détails. Comment l’Oncle, qui a globalement l’âge du père, c’est-à-dire au
moins une bonne soixantaine d’années (voire plus, vu que c’est l’aîné), peut-il
avoir trois garçons dont le dernier n’a que 7 ou 8 ans ? Pourquoi Carole
dort-elle dans un gite et non pas chez son frère ? En ville, cela se
comprend, mais en campagne, c’est rare de ne pas accueillir une sœur chez soi.
Détails, détails… ça ne gâche rien.
Sans dévoiler la fin, qui est vraiment poignante, je me
demande si Claudie Gallay a pensé à Modiano et Rue des boutiques obscures quand elle a imaginé la chute de son
livre. Moi, cela m’est immédiatement venu à l’esprit, et c’est naturellement un
compliment dans ma bouche (sur mon clavier plus exactement). Soit c’est un hommage à Modiano, soit c’est une idée
talentueuse partagée par hasard…
Merci à ma marraine Sylire qui l'a chroniqué aussi, à l’opération Price Minister (livrée avec les messages délicieux d’Olivier Moss), et aux éditions Actes Sud.
Cette lecture se voulait commune avec Enna et Jérôme, vu comment nous étions un peu pressés par le temps (surtout Jérôme et moi), nous l'avons rebaptisée : lecture commune des pieds nickelés (il est donc possible que tout ne soit pas instantané...)