Ce soir, je suis invitée à la remise du prix des lectrices de Elle.
Alors, j'aurais pu vous raconter que ce matin, je suis allée jusqu'à Marseille rejoindre mon amie Dominique pour prendre le train toutes les deux vers Paris. Vous auriez rigolé en sachant qu'à Lyon je serais descendue sur le quai pour fumer une cigarette, et que Dominique m'aurait hurlé de remonter vite dans le wagon sous peine de passer ma soirée dans la capitale des Gaules.
Je vous aurais ensuite rapporté ma surprise à la vue du beau temps parisien (avec une petite digression sur les terribles a priori des sudistes qui remontent au Nord de la Loire). J'aurais sans doute fait une crise de panique dans le métro, en admettant avoir pris le bon. Mais Dominique m'aurait rassurée et remise dans la bonne direction bien sûr.
Et nous serions (peut-être) arrivées à l'heure chez Ladurée où une poignée de jurées se séraient réunies pour faire connaissance avant les tables rondes. Là je me serais ruinée en prenant une salade à un prix ahurissant tout en jaugeant, version IRL, toutes ces filles avec lesquelles je discute (ou me dispute) depuis presque un an. J'aurais découvert des couleurs de cheveux, des tailles, des grains de voix que je n'imaginais pas. Et puis, je me serais sûrement fait le complexe de la provinciale, qui n'a pas compris que pour un cocktail on met une tenue un peu habillée, et je me serais dit (en voyant les chaussures à talons et les robes distinguées) que j'aurais quand même pu faire un effort (surtout que ma mère me l'aurait dit avant de partir).
Et vu que j'aurais répondu à l'invitation de Elle, j'aurais su, une semaine avant, quels auraient été les lauréats. J'aurais donc préparé mon petit laïus pour
M. Manook en lui disant quand même qu'il n'avait pas été très discret, puisque dans son commentaire du 19 mai sur mon blog, on se doutait quand même que
Yeruldelgger serait le lauréat
dans la catégorie polar.
J'aurais probablement amené avec moi mes exemplaires de
Vendredi Soir et
Stallone pour que
Emmanuèle Bernheim me les dédicace, puisque j'aurais été au courant que
Tout s'est bien passé avait remporté
la catégorie Document.
Mais surtout, j'aurais su que ce que je craignais était arrivé, que le
K avait raflé l
e prix du roman.
Moi qui ai aimé presque tous les gagnants des romans du prix Elle ces 10 dernières années, c'est un livre que je déteste qui l'emporte l'année où je suis jurée. Ce n'est plus de la loose, c'est de l'Art.
Je me serais excitée toute seule, mauvaise perdante que je suis.
Enna, Natalie,
Coralie,
Pascale et
Eva m'auraient un peu disputée, en me disant que vraiment que je n'étais pas fairplay, qu'il fallait se ranger à l'avis de la majorité. Certaines m'auraient même peut-être carrément ignorée, voire trouvée terriblement lourde. C'est là que je leur aurais expliqué que même à la belote j'ai du mal à perdre et que je me suis fâchée avec mon cousin-presque-frère le jour où, en tant que partenaire, il a pris à pique sans le valet (ni le 9 d'ailleurs). Il a fallu du temps ensuite pour qu'il accepte d'être mon témoin de mariage et le parrain de ma fille.
Sans doute aurais-je crié au complot, à la falsification des résultats, j'aurais essayé de rallier à ma cause, Martine, Mathilde, Dominique et
Marjorie pour ne pas être trop seule.
Et puis nous serions toutes parties aux tables rondes, moi empestant le tabac froid et avec ma mine des mauvais jours. A partir de 18h, j'aurais appelé chez moi toutes les 30 mn pour vérifier ce qu'auraient mangé les filles, l'avancée des devoirs et l'heure du coucher....jusqu'à ce que j'abuse du champagne.
Ensuite, il y aurait eu la photo des jurées sur les marches, que j'aurais montrée à ma soeur aînée ce week-end, histoire de frimer un peu devant mes nièces. Je me serais mise à côté de mes copines préférées, en sortant toutes mes dents et en priant pour que mon nouveau fond de teint (une escroquerie sans nom) tienne jusqu'au soir.
J'aurais peut-être, dans l'euphorie de l'alcool, tenté de transmettre à Olivia de L. les félicitations d'Attila sur son récent prix de meilleure journaliste littéraire. Et si j'avais eu l'alcool mauvais, j'aurais peut être agressé l'éditrice de Kasischke, en évoquant une théorie du complot. (Personne n'a prévenu Laura que je ne venais pas, du coup elle est restée aux US).
Je sais en fait que nous serions restées entre jurées, je ne crois pas que je me serais mêlée au gratin littéraire parisien (déjà rien que ma tenue aurait été un obstacle). Vaguement mal à l'aise, j'aurais rigolé avec mes copines, tenté de reconnaître quelques vedettes de la littérature, et je suis presque certaine que les affinités virtuelles auraient été fidèles à l'IRL.
Et puis repue de champagne et de petits fours, je serais rentrée chez une blogueuse qui aurait eu un bout de canapé à m'offrir (ou chez ma tante en banlieue qui veut m'engraisser dès qu'elle me voit, ou chez mes cousins et amis déjà serrés avec leurs enfants dans leurs appartements intra-muros, mais qui m'auraient fait une petite place "pour une fois que tu montes").
Et au retour je vous aurais régalé d'un délicieux billet d'envoyée spéciale, plein de mauvaise foi, ou Kasischke en aurait pris pour son compte, et dans lequel j'aurais brossé le portrait de certaines jurées (enfin celles qui m'auraient supportée jusqu'au bout).
Mais en fait, je ne me suis disputée avec personne car, dans la vie, on est moins libre qu'on le croit de se fritter avec autrui.
En réalité, aujourd'hui, je suis restée chez moi, j'ai reçu, dès l'aube, des textos de Dominique qui était sans moi dans la rame du train. J'ai travaillé toute la journée en faisant la tête, mais non sans échanger avec
Valérie- privée de cérémonie pour cause d'oraux du bac- des petits mots de soutien. Nous serons vraiment restées jusqu'au bout la fayote et le
leader. Finalement, l'école m'a appelée pour récupérer Rayures qui fait une grosse crise d'asthme (vivent les pollens). Donc je pense que le cosmos m'a envoyé un message clair: ma place était chez moi (n'est pas
Clémence?)
Sauf que je reçois, tous les 1/4 d'heure, un petit texto de jurée, avec une photo, un petit mot gentil, une blague, et en plus Marjo et Dominique (qui réconcilieraient n'importe qui avec le genre humain) me font vivre la cérémonie en live (avec photos et commentaires). Ma coupe est donc vide....
...mais j'y suis un petit peu quand même...
Bien sûr, je vais attendre demain pour savoir qui sont les heureux lauréats, j'espère ne pas avoir une mauvaise surprise...