Hier soir, nous étions encore sous les effets de la pleine lune (j'en profite d'ailleurs pour vous livrer telle-quelle la réflexion de l'Homme : "avec toute l'eau que tu as dans le corps, c'est sûr que ça a du jouer sur toi" (ouaich, sauf que c'est lui qui a été invivable), donc nous étions encore sous cet effet lunaire quand François (qui s'est fait couper les cheveux) nous a promis une émission "très addictive".
Malgré ce programme réjouissant, on a réussi à rater les portraits (suite à une sombre histoire de journal intime planqué sous un matelas par une enfant qui ne sait pas lire). L'Homme a quand même réussi à saisir dans l'introduction une vague histoire de fellation : "j'ai bien entendu?" dit-il, soudainement intéressé par l'émission littéraire. Je n'ai pas répondu évidemment, vu que j'étais occupée à expliquer qu'une enfant qui ne sait pas lire ne PEUT pas déchiffrer les secrets qu'a écrits sa soeur dans son journal intime.
Le temps que les esprits se calment (et que notre plateau repas soit prêt, j'étais à deux doigts de l'hypoglycémie) on est arrivés juste à temps pour découvrir les visages des invités, et alors là j'ai eu le droit à tous les sarcasmes. Sur Héléna Marienské, l'Homme m'a garanti la connaître, et a été grandement soulagé quand il a appris que c'était une ancienne coco girl. Le gros plan sur Nicolas Fargues n'a pas arrangé mes affaires (beau gosse trop bronzé, limite mannequin), "rha la la, paie ton plateau ce soir", et c'est sur Emmanuelle Pirotte (jolie brune naturelle et piquante ET fille de poète) qu'il a conclu "Dis donc, ce soir c'est amour, gloire et beauté à La Grande Librairie" avant de ricaner bêtement et de marmonner (genre pour lui) "Nan mais je comprends hein, vive les exigences culturelles, c'est vrai qu'ils sont plus beaux que dans Storage Wars"....
Nous en étions là (enfin lui surtout, car moi je me concentrais sur le fond des propos) quand Claudel a rattrapé l'ensemble avec son débardeur rouge sous veste sombre et une calvitie rassurante. Bref un écrivain, un vrai (on lui pardonnera sa blague de début d'émission qui commençait par "depuis que j'ai arrêté ma carrière de porn star et que je me suis mis à la littérature..." ce qui a permis à l'Homme une crise d'hilarité un peu déplacée de mon point de vue). Ok les gars, allez, on va mettre ça sur la pleine lune. Et Claudel, quand il vient ce n'est pas pour rien, il a plein d'actualités ("donc des trucs à vendre", dixit l'Homme - quand je vous dis qu'il est pénible...) : une BD qui s'attaque au Rapport de Brodeck, ses anciens romans sortis en poche etc...mais le sujet du jour c'est De quelques amoureux des livres ....chez Finitude.
Sous ce titre ahurissant de longueur se cachent des nouvelles...mais dont on ne parle pas tout de suite car Busnel tente pitoyablement de lui soutirer des informations sur le Goncourt en lui faisant croire qu'il est punk, "elles sont grosses ses ficelles à Busnel" (je sens que l'Homme va me commenter toute l'émission sur ce ton). Sans surprise, on découvre que Caudel est un punk version soft, et qu'il ne dira rien, malgré François qui ne le lâche pas en posant la question de diverses manières au sujet des Prépondérants (qui a eu le prix de l'Académie) avant de conclure, résigné : "Philippe Claudel, pour vous qu'est ce que c'est un bon Goncourt ?" Réponse langue de bois (mais l'un dans l'autre, que dire d'autre?). On enchaîne sans transition sur un hommage au père d'Emmanuelle Pirotte (qui visiblement l'a lancé sur la scène littéraire): classe, émouvant et imprévu (on sent quand même un retour de lune).
Du coup, il ne restait pas énormément de temps pour parler du livre, et c'est bien dommage parce que ça m'a parlé tout de suite: des portraits de gens qui ne sont jamais devenus écrivains pour diverses raisons. Mais j'adore!! un livre sur les ratés de la plume en fait. Ricanements à côté de moi, je fais abstraction d'un mari au top de sa forme. Parce que Claudel, il aime les ratés, les créatures perdues, les arrogants qui n'y arrivent pas. Il aime les grains de poussière qui empêchent des gens géniaux de devenir des immenses écrivains. Nouvel hommage, à sa femme cette fois-ci, à qui il doit tout (j'aimerais que l'Homme ait les mêmes réflexes quand il réussit une sauce mais bon). "Pourquoi ne devient-on pas écrivain?", conclut l'ami François: mauvais, timing, mauvais éditeur, un mauvais conseil, manque de chance, mauvais entourage...bref, bref, la lune aussi doit avoir son rôle. Pour Marienské c'est simple: "il faut avoir le culot de se dire écrivain", mine de rien il y a sans doute du vrai dans ce qu'elle dit.
On passe du coup au premier roman d'Emmanuelle Pirotte, Today, we live au Cherche-Midi, et là ça ne rigole plus (l'Homme désespéré n'a plus de blague naze à sortir du chapeau). Il s'agit du couple improbable composé d'une petite fille juive de 7 ans et d'un SS infiltré dans l'armée américaine, qui doit l'exécuter mais qui l'épargne, tout cela en plein coeur des Ardennes en 1944. Top Ambiance. Un Mathias bien flippant donc, machine de guerre de 3ème Reich, qui tue massivement et sans idéologie. Troisième hommage de l'émission: Emmanuelle parle de son compagnon et de cette histoire écrite à 4 mains (ils sont tous très très love ce soir,).
Emmanuelle se pose la question qu'on se pose tous "qu'aurais je fait dans les années 40?" une question dont elle avoue qu'elle la tourmente jusqu'à l'obsession. Elle m'est immédiatement sympathique, on est de la même génération, on a les mêmes névroses. Ouh la le mot "sorcellerie" est prononcé, réaction immédiate de l'Homme (je rappelle qu'il pense avoir des origines magiques #FamilleEnSoldes), l'homme qui se prend pour ex expert es-esotérisme : "oui mais enfin le coup du rebouteux, c'est dans tous les coins ruraux, d'ailleurs mon arrière-grand-mère, les gens venaient de très loin pour se faire soigner" (très loin en langage breton, c'est 30km dans les terres). Malgré tout, quelque chose me plait dans cette errance entre un semi-monstre et une petite fille qui voit chez lui d'autres choses, au milieu des arbres. Je peux comprendre le gros coup de coeur de Busnel (il ne nous fait pas le coup de diamant brut, mais vraiment on n'est pas loin).
Théoriquement à la pastille librairie, je finis vite mon assiette, et je souffle, mais là l'émission mérite d'être vue rien que pour ce libraire algérois qui raconte en quelques secondes comment, dans les années 90, tenir une librairie était un acte politique, un acte de résistance, un parti-pris dangereux. Les hormones aidant, il m'a émue.
On passe à Héléna Marienské et ses Ennemis de la vie ordinaire chez Flammarion, qui est, nous dit-on, un livre à la fois subversif et érotique, qui prend pour personnages toutes les formes possibles d'addiction. "Tu penses qu'il y a en a un qui passe son temps sur son téléphone connecté Facebook dans ce roman ?" (allez, on accorde la Palme du rire à l'Homme, vraiment, il est trop drôle- je ne vois pas de qui il parle). On n'échappe pas au pourquoi du roman, et à l'incontournable petit couplet 36-15c'est-ma-vie d'Hélèna Marienské: panne d'écriture, dépression, poker en ligne, addiction, perte d'argent, trou sur le compte commun, déni. Oh punaise, mieux que Confessions Intimes. C'est dommage quand même, ça partait bien, j'ai perdu l'Homme qui joue à Clash of Clans sur l'Iphone (#MinuteCulture). Petite séance collective, avec les écrivains du plateau qui réfléchissent si oui ou non l'écriture est une addiction (bon c'est vrai que nous pauvres lecteurs, on a un peu de mal à tout saisir). "C'est une comédie finalement" dit Busnel, "ah non pas totalement, mais on y reviendra" le menace Marienské, histoire de bien dire qu'il y a du fond quand même, par exemple la "dimension libidinale de l'écriture".
L'Homme me fait comprendre par des phrases simples qu'il sature un peu et qu'il y avait une nouvelle série humoristique sur Arte. Plus Héléna Marienské parle, plus je le perds. Au moment du curé cocaïnomane, il sort son paquet de cigarettes, à la phrase "ils étaient solitaires, ils vont devenir solidaires" il file sur le balcon "non mais sérieusement oh Galéa c'est abuser là". Je lui rappelle que ma copine libraire a bien aimé et qu'elle le recommande de temps à autre à des clients, il me répond qu'il préfère attraper une pneumonie en caleçon et cigarette sur le balcon.
Quand il revient, il se retrouve face au beau gosse-mannequin, Nicolas Fargues et son Pays du p'tit chez POL . Et là on pense à un couple de clients à nous, qui ne supportent pas qu'on leur propose un "petit café" et qui répondent invariablement qu'ils préféreraient un café normal. Tout de bleu vêtu (la couleur des winners), jambes largement écartées pour montrer qu'il est décontracté, Fargues nous parle d'un héros qui n'a que des défauts, et visiblement il s'est fait plaisir. Emmanuelle Pirotte, de manière incongrue, se busnelise d'un coup en demandant "jusqu'à quel point n'êtes vous pas le narrateur ?" Oh punaise Bunsel manque de pleurer de joie et de reconnaissance "oui, répondez à la question d'Emmanuelle ". En réponse, gros laïus de Nicolas Fargues, un peu survolté, sur le narrateur à la première personne, son amour des failles, des trucs moches et indignes, surtout quand c'est sexuel. On saluera l'intervention bizarre de Marienské "moi je connais le sexe joyeux", je dirai que dans l'absolu on avait compris mais bon.
Alors que Fargues, toujours sérieux, nous raconte qu'il est finalement caricaturiste, qu'il souhaite forcer le trait, un évidence me saute aux yeux: Busnel a du mal avec les beau gosses qui vendent des livres (et qui en plus savent les écrire et en parler correctement). J'avais eu un soupçon avec Binet qui s'était confirmé avec Dicker, mais là, c'est flagrant : on sent qu'il s'énerve intérieurement notre François, avec des petites moues et un ton de plus en plus cassant. Et quand Fargues entame une réflexion très intéressant sur la France et le virage qu'elle prend depuis quelques années, on sent l'espèce d'allégresse du présentateur qui le coupe en plein milieu "Désolé, le temps tourne", mais bien sûr. Point de "chef d'oeuvre", ni " de diamant brut", Busnel se contente de parler d'"un livre qui ne manque pas d'humour". Sur l'élégance on repassera. Il termine avec un petit tacle au "petit Nicolas" (qui n'est pas sans rappeler sa mesquinerie avec Binet au sujet de Téléphone).
Il n'y a pas à tortiller quand même, pas facile d'être beau gosse et écrivain, des yeux bleus comme ça on les paie toute une vie, ce à quoi l'Homme m'a répondu "oh ça va n'exagère pas non plus".
Pour conclure, du Claudel archi-convainquant, une Pirotte pas si impressionnable pour une primo-romancière, une Marienské fidèle à l'image que j'avais gardé d'elle à sa dernière prestation, et un Fargues qui vend du petit à des gens qui aimeraient le voir minuscule. Pas trop d'étalage personnelle, des échanges convenables, une belle pastille de libraire, et un Busnel qui tombe le masque.
A la semaine prochaine si tout va bien les amis! (on a beau dire, on a beau faire, ma liste de cadeaux de Noël s'allonge quand même chaque jeudi, je devrais avoir de quoi lire pour 2016).