vendredi 30 octobre 2015

Amour, gloire et beauté (et la loose) : LGL du 29 octobre


Hier soir, nous étions encore sous les effets de la pleine lune (j'en profite d'ailleurs pour vous livrer telle-quelle la réflexion de l'Homme : "avec toute l'eau que tu as dans le corps, c'est sûr que ça a du jouer sur toi" (ouaich, sauf que c'est lui qui a été invivable), donc nous étions encore sous cet effet lunaire quand François (qui s'est fait couper les cheveux)  nous a promis une émission "très addictive".

Malgré ce programme réjouissant, on a réussi à rater les portraits (suite à une sombre histoire de journal intime planqué sous un matelas par une enfant qui ne sait pas lire). L'Homme a quand même réussi à saisir dans l'introduction une vague histoire de fellation : "j'ai bien entendu?" dit-il, soudainement intéressé par l'émission littéraire. Je n'ai pas répondu évidemment, vu que j'étais occupée à expliquer qu'une enfant qui ne sait pas lire ne PEUT pas déchiffrer les secrets qu'a écrits sa soeur dans son journal intime.

Le temps que les esprits se calment (et que notre plateau repas soit prêt, j'étais à deux doigts de l'hypoglycémie) on est arrivés juste à temps pour découvrir les visages des invités, et alors là j'ai eu le droit à tous les sarcasmes. Sur Héléna Marienské, l'Homme m'a garanti la connaître, et a été grandement soulagé quand il a appris que c'était une ancienne coco girl. Le gros plan sur Nicolas Fargues n'a pas arrangé mes affaires (beau gosse trop bronzé, limite mannequin), "rha la la, paie ton plateau ce soir", et c'est sur Emmanuelle Pirotte (jolie brune naturelle et piquante ET fille de poète) qu'il a conclu "Dis donc, ce soir c'est amour, gloire et beauté à La Grande Librairie" avant de ricaner bêtement et de marmonner (genre pour lui) "Nan mais je comprends hein, vive les exigences culturelles, c'est vrai qu'ils sont plus beaux que dans Storage Wars"....


Nous en étions là (enfin lui surtout, car moi je me concentrais sur le fond des propos) quand Claudel a rattrapé l'ensemble avec son débardeur rouge sous veste sombre et une calvitie rassurante. Bref un écrivain, un vrai (on lui pardonnera sa blague de début d'émission qui commençait par "depuis que j'ai arrêté ma carrière de porn star et que je me suis mis à la littérature..." ce qui a permis à l'Homme une crise d'hilarité un peu déplacée de mon point de vue). Ok les gars, allez, on va mettre ça sur la pleine lune. Et Claudel, quand il vient ce n'est pas pour rien, il a plein d'actualités ("donc des trucs à vendre", dixit l'Homme -  quand je vous dis qu'il est pénible...) : une BD qui s'attaque au Rapport de Brodeck, ses anciens romans sortis en poche etc...mais le sujet du jour c'est De quelques amoureux des livres ....chez Finitude. 


Sous ce titre ahurissant de longueur se cachent des nouvelles...mais dont on ne parle pas tout de suite car Busnel tente pitoyablement de lui soutirer des informations sur le Goncourt en lui faisant croire qu'il est punk, "elles sont grosses ses ficelles à Busnel" (je sens que l'Homme va me commenter toute l'émission sur ce ton). Sans surprise, on découvre que Caudel est un punk version soft, et qu'il ne dira rien, malgré François qui ne le lâche pas en posant la question de diverses manières au sujet des Prépondérants (qui a eu le prix de l'Académie) avant de conclure, résigné : "Philippe Claudel, pour vous qu'est ce que c'est un bon Goncourt ?" Réponse langue de bois (mais l'un dans l'autre, que dire d'autre?). On enchaîne sans transition sur un hommage au père d'Emmanuelle Pirotte (qui visiblement l'a lancé sur la scène littéraire): classe, émouvant et imprévu (on sent quand même un retour de lune).

Du coup, il ne restait pas énormément de temps pour parler du livre, et c'est bien dommage parce que ça m'a parlé tout de suite:  des portraits de gens qui ne sont jamais devenus écrivains pour diverses raisons. Mais j'adore!! un livre sur les ratés de la plume en fait. Ricanements à côté de moi, je fais abstraction d'un mari au top de sa forme. Parce que Claudel, il aime les ratés, les créatures perdues, les arrogants qui n'y arrivent pas. Il aime les grains de poussière qui empêchent des gens géniaux de devenir des immenses écrivains. Nouvel hommage, à sa femme cette fois-ci, à qui il doit tout (j'aimerais que l'Homme ait les mêmes réflexes quand il réussit une sauce mais bon). "Pourquoi ne devient-on pas écrivain?", conclut l'ami François:  mauvais, timing, mauvais éditeur, un mauvais conseil, manque de chance, mauvais entourage...bref, bref, la lune aussi doit avoir son rôle. Pour Marienské c'est simple: "il faut avoir le culot de se dire écrivain", mine de rien il y a sans doute du vrai dans ce qu'elle dit.

On passe du coup au premier roman d'Emmanuelle Pirotte, Today, we live au Cherche-Midi, et là ça ne rigole plus (l'Homme désespéré n'a plus de blague naze à sortir du chapeau). Il s'agit du couple improbable composé d'une petite fille juive de 7 ans et d'un SS infiltré dans l'armée américaine, qui doit l'exécuter mais qui l'épargne, tout cela en plein coeur des Ardennes en 1944. Top Ambiance. Un Mathias bien flippant donc, machine de guerre de 3ème Reich, qui tue massivement et sans idéologie. Troisième hommage de l'émission: Emmanuelle parle de son compagnon et de cette histoire écrite à 4 mains (ils sont tous très très love ce soir,). 

Emmanuelle se pose la question qu'on se pose tous "qu'aurais je fait dans les années 40?" une question dont elle avoue qu'elle la tourmente jusqu'à l'obsession. Elle m'est immédiatement sympathique, on est de la même génération, on a les mêmes névroses. Ouh la le mot "sorcellerie" est prononcé, réaction immédiate de l'Homme (je rappelle qu'il pense avoir des origines magiques #FamilleEnSoldes), l'homme qui se prend pour ex expert es-esotérisme : "oui mais enfin le coup du rebouteux, c'est dans tous les coins ruraux, d'ailleurs mon arrière-grand-mère, les gens venaient de très loin pour se faire soigner" (très loin en langage breton, c'est 30km dans les terres). Malgré tout, quelque chose me plait dans cette errance entre un semi-monstre et une petite fille qui voit chez lui d'autres choses, au milieu des arbres. Je peux comprendre le gros coup de coeur de Busnel (il ne nous fait pas le coup de diamant brut, mais vraiment on n'est pas loin). 

Théoriquement à la pastille librairie, je finis vite mon assiette, et je souffle, mais là l'émission mérite d'être vue rien que pour ce libraire algérois qui raconte en quelques secondes comment, dans les années 90, tenir une librairie était un acte politique, un acte de résistance, un parti-pris dangereux. Les hormones aidant, il m'a émue.


On passe à Héléna Marienské et ses Ennemis de la vie ordinaire chez Flammarion, qui est, nous dit-on, un livre à la fois subversif et érotique, qui prend pour personnages toutes les formes possibles d'addiction. "Tu penses qu'il y a en a un qui passe son temps sur son téléphone connecté Facebook dans ce roman ?" (allez, on accorde la Palme du rire à l'Homme, vraiment, il est trop drôle- je ne vois pas de qui il parle). On n'échappe pas au pourquoi du roman, et à l'incontournable petit couplet 36-15c'est-ma-vie d'Hélèna Marienské: panne d'écriture, dépression, poker en ligne, addiction, perte d'argent, trou sur le compte commun, déni. Oh punaise, mieux que Confessions Intimes. C'est dommage quand même, ça partait bien, j'ai perdu l'Homme qui joue à Clash of Clans sur l'Iphone (#MinuteCulture).  Petite séance collective, avec les écrivains du plateau qui réfléchissent si oui ou non l'écriture est une addiction (bon c'est vrai que nous pauvres lecteurs, on a un peu de mal à tout saisir). "C'est une comédie finalement" dit Busnel,   "ah non pas totalement, mais on y reviendra" le menace Marienské, histoire de bien dire qu'il y a du fond quand même, par exemple la "dimension libidinale de l'écriture". 

L'Homme me fait comprendre par des phrases simples qu'il sature un peu et qu'il y avait une nouvelle série humoristique sur Arte. Plus Héléna Marienské parle, plus je le perds.  Au moment du curé cocaïnomane, il sort son paquet de cigarettes, à la phrase "ils étaient solitaires, ils vont devenir solidaires" il file sur le balcon "non mais sérieusement oh Galéa c'est abuser là". Je lui rappelle que ma copine libraire a bien aimé et qu'elle le recommande de temps à autre à des clients, il me répond qu'il préfère attraper une pneumonie en caleçon et cigarette sur le balcon. 


Quand il revient, il se retrouve face au beau gosse-mannequin, Nicolas Fargues et son Pays du p'tit chez POL . Et là on pense à un couple de clients à nous, qui ne supportent pas qu'on leur propose un "petit café" et qui répondent invariablement qu'ils préféreraient un café normal. Tout de bleu vêtu (la couleur des winners), jambes largement écartées pour montrer qu'il est décontracté, Fargues nous parle d'un héros qui n'a que des défauts, et visiblement il s'est fait plaisir. Emmanuelle Pirotte, de manière incongrue, se busnelise d'un coup en demandant "jusqu'à quel point n'êtes vous pas le narrateur ?" Oh punaise Bunsel manque de pleurer de joie et de reconnaissance "oui, répondez à la question d'Emmanuelle ". En réponse, gros laïus de Nicolas Fargues, un peu survolté, sur le narrateur à la première personne, son amour des failles, des trucs moches et indignes, surtout quand c'est sexuel. On saluera l'intervention bizarre de Marienské "moi je connais le sexe joyeux", je dirai que dans l'absolu on avait compris mais bon.  

Alors que Fargues, toujours sérieux, nous raconte qu'il est finalement caricaturiste, qu'il souhaite forcer le trait, un évidence me saute aux yeux: Busnel a du mal avec les beau gosses qui vendent des livres (et qui en plus savent les écrire et en parler correctement). J'avais eu un soupçon avec Binet qui s'était confirmé avec Dicker, mais là, c'est flagrant : on sent qu'il s'énerve intérieurement notre François,  avec des petites moues et un ton de plus en plus cassant. Et quand Fargues entame une réflexion très intéressant sur la France et le virage qu'elle prend depuis quelques années, on sent l'espèce d'allégresse du présentateur qui le coupe en plein milieu "Désolé, le temps tourne", mais bien sûr.  Point de "chef d'oeuvre", ni " de diamant brut", Busnel se contente de parler d'"un livre qui ne manque pas d'humour". Sur l'élégance on repassera. Il termine avec un petit tacle au "petit Nicolas"  (qui n'est pas sans rappeler sa mesquinerie avec Binet au sujet de Téléphone). 

Il n'y a pas à tortiller quand même, pas facile d'être beau gosse et écrivain, des yeux bleus comme ça on les paie toute une vie, ce à quoi l'Homme m'a répondu "oh ça va n'exagère pas non plus".

Pour conclure, du Claudel archi-convainquant, une Pirotte pas si impressionnable pour une primo-romancière, une Marienské fidèle à l'image que j'avais gardé d'elle à sa dernière prestation, et un Fargues qui vend du petit à des gens qui aimeraient le voir minuscule. Pas trop d'étalage personnelle, des échanges convenables, une belle pastille de libraire, et un Busnel qui tombe le masque. 

A la semaine prochaine si tout va bien les amis! (on a beau dire, on a beau faire, ma liste de cadeaux de Noël s'allonge quand même chaque jeudi, je devrais avoir de quoi lire pour 2016).

mardi 27 octobre 2015

Rien où poser sa tête

Françoise Frenkel, Rien où poser sa tête (1945)
L'Arbalète Gallimard, 2015, 291 p.
Tout a commencé, un samedi désoeuvré où je déambulais sur Twitter à la recherche d'une polémique, d'un truc drôle, bref de quelque chose d'un peu palpitant. C'est là que je suis tombée sur cet article : globalement quand il y a Modiano dans une phrase je me jette dessus, si en plus on parle de livre retrouvé dans un vide grenier et qu'il est vaguement question d'un libraire, sans réfléchir,  je réagis. J'ai donc pris mon sac (alors que j'ai des principes: je ne fais jamais de courses en ville le samedi après-midi, je trouve ça assez moutonnier). Mais bon je n'avais plus d'Huile Tonique, l'Homme avait un besoin urgent du 3ème tome du Trône de Fer et Rayures nous suppliait pour un tome de la Guerre des clans (Minuit-Livre 1-Cycle 2)

C'est comme ça que tout  a commencé.

 "Je ne sais à quel âge remonte, en réalité, ma vocation de libraire" (incipit)

Rien où poser sa tête, c'est l'histoire d'une polonaise juive, gérante d'une librairie française à Berlin, fondamentalement francophone et contrainte de se réfugier à Paris dès 1940. Pas un roman, juste un document, le témoignage saisissant et sans pathos d'une femme de 50 ans en fuite et de ce que cela signifie d'être traquée pendant l'Occupation. Une lecture que j'ai trouvée vraiment poignante.

"Je n'avais pas ouvert la boîte de Pandore au fond de laquelle gît, dans son sommeil dix fois millénaire, l'espoir d'une entente possible entre les peuples" (p. 31)

Poignante, parce que la rencontre s'est produite entre Françoise Frenkel et moi, car elle fuit de Paris à Avignon pour atterrir à Nice et atteindre la Savoie pour passer en Suisse. Tout est formidable, de la description du mistral provençal et celle de la lumière de la Riviera. Les tickets de rationnement, les errements administratifs, la passivité, la réalité d'un statut d'indésirable. Il y a tout, sauf des envolées lyriques, du pathos ou de grandes circonvolutions personnelles, Frenkel est d'une dignité ahurissante. 

"Après mes emplettes, je rentrai tranquillement à l'hôtel.
En tournant à l'angle de la ruelle qui aboutissait chez moi, j'avais coutume
de jeter un regard vers le cinquième étage pour faire un signe amical à ma voisine
viennoise. Ce matin-là, elle n'y était pas"
(p.
121) et c'est effectivement son
voisin du 3ème étage qui va lui faire le signe de fuir, car la police raflait tous
les juifs de l'hôtel, dont elle aperçoit les cars sur l'avenue peu après.
Elle se contente d'observer et nous lecteurs on se retrouve à côtoyer des héros aussi patriotes qu'anonymes et tous ceux, aussi, prêts à trahir, à vendre, à profiter des faibles et des fugitifs. Il y a tout cela dans Rien où poser sa tête. Pas de Gestapo ou de Kommandantür, on est dans la France d'en bas, celle des petits fonctionnaires, avec des portraits à peine esquissés d'un gendarme, d'une gardienne de prison, d'une cocotte ou d'un coiffeur, d'une voisine, et encore c'est sans compter le commerce lucratif de la cache des juifs de 1942 à 1944. Et c'est palpitant de suivre cette femme seule passant d'un refuge à un autre, selon les connaissances et la chance qu'elle a ou pas, les hôtes qu'elle croise et auxquels elle est obligée de faire confiance. Quelle solitude dans cette fuite incertaine, c'est bouleversant pour quiconque a vécu sa vie antérieure en 1940 (il n'y a pas de second degré dans cette phrase).

Tous ceux qui connaissent bien l'oeuvre de Modiano trouveront dans ce récit comme une préhistoire à ses romans, et ça c'était pour moi le plus magique. On retrouve Nice la lumineuse-vénéneuse, les passeurs savoyards dont il faut se méfier, l'ambiance particulière de ces villes repliées et frontalières, cette fuite  lente et ininterrompue, la peur endémique, l'hôtel de fortune, la traque. Il y a tout et c'est bouleversant.

"Me trouvant seule, en pleine rue et en danger,
je me dirigeai comme poussée par une main
invisible chez les Marius. Le patron se tenait
sur le seuil..."
C'est chez ce couple de coiffeurs dont
la rue débouche sur la baie des Anges que Frenkel se
réfugie (70 ans après c'est toujours un salon de
coiffure...certes beaucoup plus moderne).
Bien sûr, comme tout document historique, il a ses parts d'ombres, Frenkel était mariée : son mari s'est aussi réfugié en France en 1939, a été déporté en 1942, mais pas un mot sur lui, elle ne porte pas son nom, ne fait référence à aucun enfant qu'ils auraient eu ensemble. Aucune mention d'aucun de ses amis non plus, qui sont pourtant nombreux et serviables. Juste quelques références à sa mère, toujours en Pologne pour laquelle elle s'inquiète. On ne sait rien de ceux qui peuvent l'accueillir en Suisse, on se sait rien non plus des subsides qu'elle a pour vivre. Mais on sait qu'après la guerre c'est à Nice qu'elle revient s'installer et c'est dans un vide grenier niçois qu'on a retrouvé son livre publié à Genève en 1945.

Je me réjouirais qu'un historien s'attelle maintenant à travailler les pièces mises en annexes du livre. Il y a encore beaucoup à apprendre sur cette femme extraordinaire qui ne parle finalement que très peu d'elle dans son livre.

Et je m'enthousiasme que mon auteur préféré (et nobelisé) donne un peu de sa lumière pour promouvoir ce livre sorti de l'oubli après 70 ans, et qu'un éditeur comme Gallimard prenne le risque de republier un tel récit qui nous en dit encore beaucoup sur ce dont est capable la nature humaine dans les périodes troublées. 

Fournisseur du livre: mes libraires indépendants qui, a défaut d'être chaleureux, sont très compétents et m'ont tout de suite trouvé le livre grâce à des explications assez approximatives.

Fournisseur des photos: la famille des Galets qui a accepté que je les traîne tout une après-midi à travers la ville pour retrouver les lieux ou Françoise Frenkel s'est cachée (Numérobis s'est éclatée la lèvre en patinette suite à une course poursuite avec sa soeur et son père...je me demande parfois combien ai-je d'enfants à surveiller).

vendredi 23 octobre 2015

L'émission qui me retourne comme une crêpe : LGL du 22 octobre


Pas de visuel pour LGL cette semaine (y'en a qui sont en vacances visiblement) et une Galéa remontée comme un ressort. Je m'étais dit que j'allais m'amuser à tout dézinger quand j'ai vu l'affiche, d'autant que l'Homme préférait de loin regarder La Soupe aux choux  ou un film de guerre, et je l'avais emporté de justesse parce qu'il y avait McEwan en auteur étranger. 

C'est donc un François au top de sa forme qui parlait dans le poste hier soir, avec des invités qui allaient déballer leur douleur qui flattent les sujets de prédilection de l'animateur : les histoires de famille, les morts, les blessures... Du lourd de chez lourd, tellement lourd que l'Homme est parti sur le balcon avant même la fin du générique. 

Le temps qu'il revienne sur le canapé (en embaumant cette odeur de tabac froid qui me donne des envies de divorce), et c'est Yann Queffélec qui ouvre le bal avec L'Homme de ma vie aux Editions Guérin. L'histoire d'un père qui n'a jamais aimé son fils (je me demande si finalement on ne va pas passer sur la Soupe aux choux tout compte fait). 

Silence de mort dans le salon, quand Queffélec parle des deux écrivains de sa famille (son père et lui), et de celui qui est de trop. Queffélec a la distance et la retenue des Bretons, l'élocution caractéristique de ceux qui ont fait des études et qui viennent d'un milieu cultivé. Notre problème c'est que Queffélec parle pour le coup d'un modus vivendi qu'on connaît bien (le droit d'aînesse qui reste dans le coeur de certains parents, les fils qui ne doivent pas faire mieux que leur père et tellement d'autres choses). A chaque fois, j'ai l'Homme qui acquiesce à côté de moi " on peut pas dire, il en parle bien". Et Bim : le constat du romancier est sans appel : "mon père ne m'aimait pas, c'est comme ça". Il revendique malgré tout vouloir faire "quelque chose de beau de la douleur" et étrangement, j'ai du mal à trouver cela indigne, c'est peut-être parce Queffelec nous raconte qu'il a souhaité mettre un cadre romanesque à son livre, que ça s'est imposé. 


 Et quand Busnel lui demande "est ce que c'est un règlement de comptes? ", Queffelec  lui répond que c'est un "hommage". Là l'Homme bondit  :"oh punaise, il n'a pas tout réglé quand même Queffelec". "Attends d'avoir passé la soixantaine va" lui ai-je répondu. Et pourtant c'est indéniable, il y'a quelque chose de triste et de pathétique dans la manière dont Yann parle des humiliations que lui a fait subir son père depuis toujours, tout en affirmant "je ne voulais pas d'autres pères que lui". Dans cette loyauté posthume à un père qui l'a éduqué sans l'aimer, Yann Queffélec, droit dans son siège et sa chemise bien repassée, paraît avoir 12 ans. J'aimerais en dire du mal, mais honnêtement, ce serait de la posture, parce qu'il a été juste et touchant.

Je m'étais donc dit que j'allais me venger sur Noëlle Châtelet, en tant que "soeur de" j'avais un boulevard devant moi, d'autant qu'il y avait la sortie du film tiré de son livre d'il y a 10 ans, ça sentait la promotion à plein nez. En plus paye ton titre  : Suite à la Dernière leçon au Seuil, ou comment réchauffer un vieux sujet qui avait bien marché à l'époqueChouette, tout était réuni pour passer mes nerfs. Noëlle Châtelet a l'allure des copines de ma mère: brushing flou, collier ethnique, gilet bariolé et sans doute artisanal.  Avec son éloge du droit de mourir, moi je pense fort à Emmanuèle Berheim et son Tout s'est bien passé qui avait bouleversé la plupart des jurées Elle en 2014. Et puis, rebelote, elle m'attrape. C'est quoi ce bazar ? Même l'Homme écoute avec attention. 

Je découvre le terme de "défusion mère-fille", la nécessité de couper le cordon entre celle qui choisit de mourir et celle qui va continuer à vivre. Son militantisme désintéressé est assez émouvant : "pour partir dans la joie il faut choisir quand on part". Et peut-être a-t-elle raison quand elle dit que ce n'est pas mourir le problème, c'est mal-mourir. 

Difficile aussi de l'attaquer sur le film, dont elle parle comme d' "une trahison consentie", pour que le débat soit le plus public possible. Evidemment, j'aurais pu me moquer un peu du passage de la clarté qui apparaît dans la maison et qu'elle considère comme l'apparition de sa mère qui lui envoie un message, mais bon, une fois encore j'aurais été malhonnête, parce que quand elle évoque son "renoncement à sa propre histoire" pour faire avancer la cause du droit à mourir, il n'y a pas à tortiller, elle est digne et sincère. Et puis, il y a son dialogue sous forme de tutoiement avec Queffelec, est la fois respectueux et retenu. Après Yann dont le père ne l'aimait pas, on trouve Noëlle et sa mère qui l'aimait tant. C'est un moment étrange de voir ces deux écrivains face à face avec leur parent défunt, et cette "autre manière de voir la mort".  

Par conséquent, quand Sophie Daull prend la parole pour Camille, mon envolée chez Philippe Rey, je n'ai même plus envie d'en dire du mal (même si  je dis à l'Homme qu'elle aurait plus sa place en invité du Samedi chez Ardisson dans Salut les Terriens qui ne reçoit que des cas lourds, glauque et sans espoir, avec cette complaisance assez malsaine dans le malheur d'autrui). Car Sophie Daull vient parler de la mort de sa fille de 16 ans, au bout de 4 jours de fièvre, la veille de Noël: je ne pense pas qu'on puisse trouver plus racoleur. Mais finalement, je découvre une femme ravagée par une douleur  qu'elle ne souhaite pas combattre, dont elle ne souhaite pas se plaindre, et même les couleurs chamarrées de son corsages ne masquent pas les traces de la perte la plus insupportable qui soit. J'ai mal quand elle parle de l'oreille sourde des médecins face à la fièvre qui empire, je l'admire de ne pas vouloir s'acharner sur le corps médical (punaise alors moi me connaissant je me serais lâchée et vengée). J'admire quelque part cette mère qui parle de la fin de sa fille, de cette bactérie qui n'était pas un virus, avec cette sorte de distance. Et surtout j'aime qu'elle nous dise "je ne veux pas être consolée".

 Il m'arrive quelque de chose d'assez rare, j'éprouve de l'empathie pour un auteur qui vient déballer ses malheurs:  j'ai mal pour elle du fond de mon coeur. "Etre au delà du récit" nous dit-elle. Ecrire pour en faire quelque chose, n'est ce pas le plus important finalement? Et quand elle revendique intégrer dans son récit des scènes cocasses et drôles, parce que la vie est comme ça, je ne sais pas si elle est si éloignée que cela des grands auteurs qui ont écrit sur la perte d'un enfant (même si franchement, Busnel nous ressort la même phrase à chaque fois "il n'y a pas de mot pour caractériser celui qui perd son enfant", non il n'y en a pas François, parce que la langue française n'arrive pas à l'inventer, parce que ça fait partie de l'innommable - ce que l'on ne peut pas nommer). "Quelque part, j'aurai 16 ans pour toujours" conclut Sophie Daull, et moi soyons honnête, je suis un peu émue. 

Mais que s'est-il passé punaise de punaise ? Pourquoi les ai-je tous trouvés si justes et si dignes dans leur douleur? Des années à vomir contre l'autofiction et son déballage de l'intime, pourquoi m'ont-ils inspiré de la sympathie tous les trois, voire une envie de les lire. Je dois me rendre à l'évidence, ce sont trois auteurs qui se sont écoutés, qui se sont lus, et qui ont cette chance folle de prolonger l'existence de leurs défunts par l'écriture. 

Le temps de la pastille librairie et j'envoie un message à un amie dont je sais qu'elle n'a pas tellement plus de coeur que moi, et qui me confirme que...je bugue.

Trois solutions s'offrent à moi:

a) l'autofiction et le témoignage ont un intérêt quand il y a du talent, de la dignité et qu'on le fait pour les bonnes raisons (c'est à dire faire quelque chose de beau de la douleur, plutôt que  régler lamentablement ses comptes avec les siens - piste à creuser, je sens que je tiens un truc).

b) mes hormones ont flingué mon esprit critique (ce n'est pas à exclure, je vois bien que je mute de ce point de vue, bientôt je vais m'acheter des cartes postales avec des petits chats dessus).

c) j'ai épuisé mon quota d'énervements, agressivités et autres révoltes inutiles (pas à exclure non plus, je sens que je me fatigue sur certains points, deviendrais-je bienveillante avec l'âge ?).

C'est en plein pendant ce questionnement existentiel qu'est arrivé McEwan pour l'Intérêt de l'enfant chez Gallimard. Quand on pense que je l'attendais depuis le début...Lunettes cerclées en fer, calvitie triomphante poivre et sel, ventre plat, chemise blanche, jean sombre, veste anthracite: le type bien dans ses baskets.  Entrée triomphale de l'auteur britannique au moment où j'attaque le nougat (on sent Busnel complètement euphorique). Je me sens revigorée quand je m'excite toute seule sur la pastille avec des critiques français qui nous expliquent qui est McEwan. C'est inutile et peu intéressant surtout avec une chroniqueuse du Masque (Attila détend-toi),  une de Télérama (MTG c'est spéciale dédicace), et un du Magazine littéraire (no comment, c'était ma Bible à l'Université). J'écoute vaguement, mais je connais déjà le pitch, ma mère l'a lu et m'en a déjà beaucoup parlé: une femme juge aux affaires familiales en pleine crise de couple (bon bon bon). 

"Comment est né ce roman ?" demande Bunsel ? McEwan trouvait que la littérature manquait de juges en général. Mais visiblement on retourne sur la vie de couple et surtout la sexualité, je sens  la veine de Chésil là. Bizzarement, je n'arrive pas à suivre le dialogue entre Busnel et McEwan (j'envoie des textos à Attila, je sens bien que je suis ailleurs), je n'ai pas l'impression que l'entretien soit vendeur, SAUF quand Busnel dit "le détail qui fait tout, c'est la pluie". Hommage à Charles Dickens nous dit McEwan. "un petit chef d'oeuvre dit Busnel " (rien de moins....). Cet entretien a été prédictif si j'en crois les réseaux sociaux de ce matin, et je vais vous le dire c'est tant mieux. 

Vu que je n'ai pas été totalement au taquet sur cet entretien, je vous renvoie aux deux billets un peu opposés de mes amis blogueurs avec le parrain de la blogo d'un côté (il n'aime pas trop le terme de chouchou, donc je considère celui de "parrain" de circonstance...à lire en fredonnant la BO du film), et de notre girl from earth qui l'a lu cet été en VO.

Sur ce, je m'en vais soigner mon karma qui vire quand même chamallow, il ne faudrait pas que ça s'installe de trop ;-) et que je devienne une blogueuse complaisante.

Aujourd'hui mon blog a 3 ans, et je n'en suis pas peu fière.
Bonne semaine à tous.

mercredi 21 octobre 2015

My (darling) Third: la Bonne Mère

Me voici à mi-chemin, suffisamment avancée dans la grossesse pour que n'importe quel planquin vienne me parler de sujets "maternité" mais pas assez pour être impolie et l'envoyer sur les roses. Bref, c'est le moment, ou chacun nous sort "c'est la meilleure période" (mais bien sûr, viens voir mes varices et on en rediscute)

Voici donc le moment de se poser la question de fond: comment définir la Bonne Mère ? Comment avoir une chance de le devenir?

Coincée entre la Vierge et la putain, pas facile facile pour la femme des années 2010 de savoir comment s'approcher au plus près de cette icône : la Bonne Mère. Heureusement, Galéa est là, prête à répondre à cette question épineuse et déterminante, en toute impartialité, en croisant des études sérieuses et validées par le CNRS et DDASS, Galéa vous offre une nouvel article de Service Public.

Qu'est qu'une bonne mère? Comment être sûre d'en être une?

Le postulat de base est le suivant: la bonne mère, aux alentours de la trentaine, est mariée, a deux enfants (idéalement un garçon et une fille), et a contracté un crédit immobilier sur 30 ans (car la bonne mère évidemment a commencé à consolider son patrimoine dès qu'il a été question de faire des enfants). La bonne mère est prévoyante et parie sur l'avenir, elle est jeune, diplômée, bien dans sa peau et dans son époque. 

Si déjà vous ne rentrez pas dans cette catégorie (que vous soyez locataire, que vos ayez passé l'âge fatidique, ou que vous ayez moins ou plus d'enfants), passez votre chemin, vous ne serez JAMAIS une bonne mère.

Il faut savoir que la bonne mère l'est AVANT d'avoir accouché. Elle a suivi des cours d'haptonomie pour déjà entâmer une communication avec son bébé, n'a pas fumé, ni bu d'alcool, de thé ou de café, ni mangé de charcuterie, fromages au lait cru, ni des crustacés (une seule exception est tolérée: en restaurant gastronomique avec un paiement en ticket restaurant- #ElleSeReconnaitra). La bonne mère a suivi pendant 9 mois TOUTES les recommandations de l'OMS et des gynécologues (rassemblées dans un livret de 40 pages écrits en petits caractères). La bonne mère ne se plaint JAMAIS de son état, porte avec stoïcisme ses bas de contention, soigne son rhume ou sa bronchite au miel et au citron. Elle ne se plaint ni du sexe du bébé, ni des nausées, ni des varices, constipation, douleurs dentaires. La bonne mère est épanouie enceinte, mais ne demande jamais qu'on lui laisse une place dans le bus, parce qu'elle n'est pas malade.

La bonne mère fait ensuite de son accouchement le plus beau jour de sa vie, quelques en soient les circonstances. Celle qui osera dire "punaise comme j'en ai bavé pendant 14h" a déjà perdu toutes chances d'être un jour une bonne mère. Evidemment elle allaite comme le préconise l'OMS, mais pas au-delà de 6 mois, sinon elle sera accusée d'être trop fusionnelle avec son enfant.

Une fois "délivrée", la bonne mère travaille; car c'est une femme moderne et indépendante, surtout en 2015, mais attention, point trop n'en faut. Seront évidemment exclues de la Bonnemèritude toutes celles qui travaillent en horaires décalés, qui laissent leurs enfants à l'étude le soir jusqu'à 18H,  qui les mettent à l'école avec de la fièvre et un doliprane (ouhhhhhhhh). Pire encore, seront exclues également celles qui les emmènent au travail, qui grognent quand il faut poser un jour Enfant Malade (si tant est qu'elles le puissent). La bonne mère travaille, mais pas trop, elle a une activité juste pour monter qu'elle est utile socialement.

La bonne mère gère. Elle sait tenir un intérieur, trier les affaires, préparer les sacs, sa maison est propre et globalement rangée (pas trop non plus, si la maison ressemble à un musée, elle sera accusée de ne pas laisser son enfant s'exprimer). Elle maîtrise les bases en cuisine et ménage, sait recoudre un collant, soigner une écorchure, gérer un gastro. Inutile de préciser que la mère hystérique qui hurle "vomis dans la bassine punaise" a perdu tout crédit.

La Bonne Mère ne se laisse pas aller. Elle ne va pas chercher ses enfants avec les cheveux gras, le jean lâche, les baskets d'une propreté douteuse et l'épilation approximative. Attention, elle ne doit pas être trop apprêtée non plus car elle a quand même autre chose à faire que d'aller chez le coiffeur toutes les semaines (les balayages trop élaborées sont proscrits). La Bonne mère n'a pas de kilos en trop (car ça voudrait dire qu'elle se néglige), mais elle n'est pas trop maigre non plus (car cela signifie qu'elle est constamment débordée et qu'elle saute des repas). Donc la bonne mère fait un 38, éventuellement un 40 (à débattre au cas par cas), souriante, détendue, peu cernée, on appréciera les petites pattes d'oies au coin des yeux (preuve qu'elle assume son âge et qu'elle a renoncé à toute séduction malsaine).

La Bonne Mère a des amies et est socialement responsable. Elle s'implique dans la grande communauté des parents d'élèves en s'intéressant aux autres mères, elle rend service aux maîtresse quand la situation l'exige, discute diversification alimentaire, programme scolaire, méthodes de lecture, prix des activités sportives. Bien entendu celle qui traînent avec des copines un peu étranges qui boivent des bières le soir dans des bars ou refont le monde autour d'un mojito sont a priori suspectes, de la même manière que les nolife qui ont une vie parallèle avec des gens qu'elles n'ont jamais vus en vrai, ne peuvent d'ores et déjà pas imaginer qu'elles puissent un jour intégrer le club des bonnes mères.

La Bonne Mère a de l'ambition pour sa progéniture. Enfin disons qu'elle en a suffisamment pour que son enfant ait les meilleures chances de réussir sa vie. Attention néanmoins de ne pas en avoir trop, sinon elle passera automatiquement dans la catégorie des "mères qui mettent la pression" ou pire "celles qui vivent par procuration". Celles qui envisagent polytechnique, chirurgie cardiaque, danseuse au Bolchoi ou prix Nobel de la Paix pour un enfant en élémentaire seront aussi condamnables que celles qui ne regardent jamais le cahier de texte de leur chère tête blonde. Tout est une question de mesure, mesdames, réfléchissez bien à cela.

La Bonne mère aime son mari. Elle ne le quittera jamais (ce qui attesterait d'un égoïsme condamnable), ne se fera jamais abandonnée non plus (car elle prend soin d'elle et de son foyer). Elle ne passera pas non plus le temps qu'il lui reste avec un Homme qu'elle n'aime plus, car la Bonne Mère a rencontré le Prince Charmant de bonne heure, Prince Charmant qui est non seulement facile à vivre,  investi dans les tâches ménagères, impliqué dans l'éducation des enfants, tout en restant viril, drôle et bon père de famille.

Mais quoiqu'il en soit, et je confluerai là-dessus:  la mère, aussi bonne soit-elle, sera responsable de tout ce qui arrivera à son enfant: décrochage scolaire, échec sentimental, mauvaise fréquentation, absence d'autonomie, myopie, erreur d'aiguillages, poursuite de chimère, perte du bonnet de piscine, gouts musicaux pourris. Bref quoiqu'elle fasse, tout sera de sa faute, elle sera jugée tout le temps, par tout le monde.

Pourquoi ?  parce que la Bonne Mère, tout comme l'Enfant Parfait et le Prince Charmant, n'existent pas. Enfin si, il y en a une à Marseille, mais là elle s'occupe d'une amie à moi qui sort de la tourmente. Donc bon, inutile de rivaliser.

En revanche, à défaut d'être une bonne mère, on peut tenter de faire le minimum syndical. Je vais donc de mon côté, me la jouer hyper modeste, et me préparer à accueillir My Third comme il se doit, c'est à dire comme elle est. 

Je m'engage donc sur ce blog à l'aimer, la chérir, même si je déguste à l'accouchement, même si elle est verseau, même si elle n'a pas les yeux bleus, même si elle fait ses nuits à 3 ans, même si elle aime les Winx, même si elle veut apprendre à jouer de la batterie, même si elle a comme copains tous les boulets de l'école, même si elle écoute Maitre Gims.

Bref, en l'acceptant comme elle est, j'espère qu'elle me pardonnera la mère imparfaite que je suis déjà.



C'était Galéa (conseillère familiale de la blogosphère)
Je reste à disposition pour tous renseignements complémentaires d'ordres éducatifs et conjugaux. 
Je reviendrai sur certains points cruciaux tout bientôt.

lundi 19 octobre 2015

Mr Gwyn

Alessandro Baricco, Mr Gwyn (2011)
Traduction Lise Caillat
Folio, 2015, 215 p.

Voici un livre à côté duquel j'ai complètement failli passer, pas à cause du livre en lui-même mais des circonstances qui l'ont accompagné. Je l'avais vu chez Kathel, Mior, Petite Balabolka (pour les plus récentes), et j'étais sûre de l'adorer, d'autant qu'Océan-Mer m'avait emballée il n'y a pas loin de 15 ans.

Et naïve, je m'étais dit : "Ma Galéa, 200 pages ça va passer tout seul, en trois soirées c'est plié, et ça va te faire un bien fou".
Que nenni. Quelle présomption de ma part.

Jasper Gwyn c'est le nom d'un écrivain qui arrête d'écrire et, à l'instar de ceux qui arrêtent de fumer, en fait une déclaration solennelle, et vu que c'est un auteur célèbre, il la fait dans Le Guardian (quand d'autres se contentent de leur blog). S'en suit une volonté de devenir copiste, c'est à dire, selon Jasper, de faire des portraits écrits des gens. Non pas des descriptions des traits des individus, ou même un résumé de leurs parcours de vie, mais tout à fait autre chose qui touche finalement à l'âme de chacun, et qu'il est impossible d'expliquer ou de décrire (et dont on ne lira pas une ligne...dans cet opus là en tous les cas...).

Comme toujours, il y a chez Baricco quelque chose qui est à la limite du fantastique ou plutôt du surnaturel poétique, comme cette petite dame (ou plutôt le souvenir de cette petite dame) qui l'accompagne dans l'aménagement de son atelier. C'est toujours discret, c'est toujours en arrière plan, mais c'est bien là, et cela donne cette atmosphère si particulière aux romans de Baricco. 

Nous voici transportés dans son atelier de "copiste" donc, un endroit complètement étrange, que Gwyn aménage de manière très personnelle, et où les modèles (qui ont commandé leur portrait), posent nus. Les pages concernant les portraits, en commençant par celui de Rebecca, son premier modèle, ont quelque chose de totalement hors du temps. Si on est soi-même, au moment de la lecture, dans un état un peu second (genre gros rhum, somnolence, horaires décalées, insomnies) l'impression d'avoir pris des substances est garantie. C'était mon cas. 

Il faut rajouter à cela une galerie de personnages assez merveilleuse: une petite dame et son cabas (en fait son fantôme parce qu'elle est morte), un agent littéraire handicapé mais truculent, une secrétaire au physique  étonnant, un très vieux vendeur d'ampoules, une jeune fille perverse... Tous plus improbables les uns que les autres, ils sont totalement réussis et indéniablement attachants. Sans compter que le romancier ne nous parle pas que des âmes, il y a aussi dans ce livre un fond de sensualité qui nous parle des corps d'une manière vraiment touchante en faisant cohabiter sexualité  et poésie. 

Et où Baricco est vraiment fort, c'est qu'après nous avoir emmenés dans des sentiers étranges (où j'avais l'impression d'être droguée), il retombe assez magistralement sur ses pattes, avec une fin de roman vraiment formidable, sous forme d'enquête, qui nous explique ce qu'il entend par l'idée du portrait (je ne mets pas l'extrait pour ne pas déflorer mais ça m'a fait un peu le même effet que la découverte de la finalité du CFR), parce que la vraie question, c'est : qu'est ce qui définit le mieux la personne que l'on est ? (trois jours que je m'interroge sur cette question du coup). 

Ne nous y trompons donc pas, ce roman n'est pas de ceux, très légers, qui nous font passer une bonne après-midi, dans Mr Gwyn, il y a une réflexion très profonde sur les vertues de l'écriture, le rôle du romancier et le sens de la vie:

"La seule chose qui nous fait sentir vivants, est aussi ce qui, lentement, nous tue. Les enfants pour les parents, le succès pour les artistes, les sommets trop élevés pour les alpinistes. Ecrire des livres pour Jasper Gwyn" (p.36).


Et Mr Gwyn a aussi cette particularité de la mise en abîme que j'affectionne tant en littérature, celle de mettre des livres dans le livre, et là il réussit quelque chose à la frontière entre la réalité et la fiction (je n'en dis pas plus, mais Kathel le fait ici). Baricco fait toucher le réel et l'imaginaire, à travers ce qu'il y a de plus passionnant pour un lecteur : les livres, et ce qu'ils disent des hommes.


Ce billet est une double participation 
* au mois italien d'Eimelle par ce que Baricco est italien (à mon avis ce sera ma seule, vu mon efficacité redoutable cet automne), 
a year in England de Titine  (l'intrigue se passe à Londres).

Fournisseur de ce billet: livre acheté dans la meilleure librairie de toute la Provence ;-)

vendredi 16 octobre 2015

Roman, écriture et variétés : LGL du 15 octobre


Au moment d'allumer la télévision, l'Homme et moi sommes en pleine digestion d'une nouvelle  apprise dans l'après-midi : les prénoms de nos deux filles sont dans le top 20 des plus donnés en France. Voilà, on se croit originaux et en fait on est des moutons, on a donné de prénoms générationnels sans le savoir. La loose!! (pourtant il y avait eu des indices..par exemple des homonymes chaque année dans leur classe). Et comble du comble,  celui qu'on avait plus ou mois choisi (plus pour moi, moins pour lui) pour My Third vient d'entrer dans le top 20. Fin de la parenthèse #OriginalitéQuandTuNousTiens


C'est donc la tête ailleurs, en attendant de pouvoir passer à Braveheart sur W9 que l'Homme me demande le programme du soir. Je lui réponds évasement Marie-Hélène Lafon , Christian Bobin et Eric Holder. Je lui dis que j'attends beaucoup de la première, que le second  est un grand chouchou de la blogo, dont les citations parsèment les blogs et les murs des réseaux sociaux, mais l'Homme me coupe la parole: 

- "Tu as lu lesquels?
-" Aucun
- "Sérieusement ? Tu n'as jamais lu aucun des invités de LGL de ce soir" (petit rire narquois) "En fait tout le monde te prend pour l'intello de la famille, mais si on creuse...
- "Effectivement je suis une imposture
- "Et l'auteur étranger ?
-" Jacques Higelin
-"...
-"Oui après Mc Bride, Amis, Harisson, ça claque hein...un chanteur de variétés de 70 ans qui va nous raconter sa vie qu'il a fait écrire par quelqu'un d'autre, tout de suite, ça te relève une émission littéraire n'est ce pas ?"
L'Homme est déjà parti chercher le gravlax et la bruschetta à la cuisine (non inutile de me dire que le gravlax m'est déconseillé, je le sais déjà, et j'en mangerai quand même), et l'Homme me hurle (enfin façon de parler, on n'habite pas un château non plus):
-"Ton Busnel lui devait un service sans doute"
Mais moi, je continue mon monologue, imperturbable
- "Nan parce que tu vois l'Homme, dans la vie il y a ceux qui aiment l'ombre et ceux qui aiment la lumière, globalement on est tous moitié moitié, sauf les écrivains qui généralement sont des gens de l'ombre et les chanteurs populaires qui cherchent la lumière...
-"Je croyais que tu l'aimais bien Higelin...mais bon. Ce serait l'un de tes chanteurs dépressifs à texte qui donnent envie de se pendre, tu ne dirais pas ça j'en suis sûre"
Il m'énerve l'Homme avec ses réflexions qui n'ont rien à voir

J'ai à peine le temps de me calmer que je découvre que ce soir, tel un guest star américaine, Higelin n'apparaîtra que quand on parlera de lui. Ce que pourraient raconter trois écrivains rares, médiatiquement discrets et globalement appréciés pour leur qualités littéraires, ne l'intéresse pas visiblement. Il interviendra donc en deuxième partie d'émission nous dit-on (tout en rappelant le spectacle de  ses 50 ans de carrière...). En opération marketing, y a pas à dire il sait ce qu'il fait.

Pire encore, Busnel amorce l'émission avec  un petit "y aurait-il une vie sans la poésie?" en demandant à chaque auteur ce qu'il pense d'Higelin. Et tous, en bon élève et à tour de rôle, vantent le génie du poète (qui ne daigne pas être à leurs côtés pour ne pas les aveugler de son aura). Déjà pour moi ça commence mal.

-"Tu vois Galéa, y a que toi que ça choque, même eux, ils trouvent ça normal"

Honneur aux Dames, enfin à la dame, avec Chantiers de Marie-Hélène Lafon aux Editions des Busclats. Marie-Hélène Lafon c'est une coiffure et des lunettes de prof de latin, mais avec une robe en velours grenat  sur des collants rouges. C'est un débit de paroles travaillé et précis,et des mains qui s'agitent pour mieux nous faire comprendre sa manière d'accoucher un roman. Marie-Hélène quand elle parle, elle se donne, ce sont les mains et la tête, la paysannerie et l'intellectualisme. Et quand elle définit la lecture à voix haute comme "un moyen d'approcher au plus près ce qu'elle veut faire des mots", on ressent chez elle le même soin pour ses phrases que celui qu'un artisan porte à son ouvrage. chez Lafon, il y a quelque chose de physique, de laborieux et d'artisanal dans son rapport aux mots. Et c'est vrai ce qu'il dit Busnel, on aurait tous aimé avoir une telle prof de français (enfin presque tous car je connais un blogueur que je ne dénoncerai pas par respect pour sa famille, et qu'elle n'a pas du tout séduit). Pourtant, Lafon a cette rigueur du mot juste proche de la précision des paysans. Et quand elle nous parle de l'adjectif, oui de l'adjectif, elle me donne des frissons. Bien sûr, aucun entretien ne peut s'achever sans l'incontournable question busnelienne adressée aux 3 écrivains présents, avec cette semaine : "n'est ce pas la peur qui vous pousse à écrire ?". Réponses collégiales des romanciers qui détournent le sujet. Chantiers c'est sans doute le livre qui rappelle que le métier d'écrivain c'est du boulot, du savoir-faire, de la technique et de la solitude.

- "Du coup, me demande l'Homme, il n'y a pas d'histoire dans son livre?
-" Non pas vraiment, dans celui-là elle parle de sa manière d'écrire je pense...
- "Ah ....

On passe à Bobin et son Noireclaire chez Gallimard dont on comprend que c'est un hommage à une femme défunte à laquelle il écrit ."Les gens qu'on a aimés sont toujours là (...) je crois aux vertus ressuscitantes des mots et du langage". Il n'en fallait pas plus à François pour poser sa question busnelienne :  "Est ce thérapeutique d'écrire?" Pas de réponse claire. Non. Toujours pas François, Arrête maintenant, tout le monde n'a pas envie de se répandre je t'assure.  

Quand Bobin sort, avec douceur et bienveillance: "les vivants et les morts sont a parts égales dans ce livre", je sens l'Homme en difficulté,  en ce moment, ce n'est pas exactement son sujet de prédilection. Il me demande un peu gêné aux entournures, "il écrit quoi comme genre d'histoires Bobin ?". Je lui réponds qu'il s'agit surtout d'un auteur de l'instant, de la sensation, du ressenti, voire de la contemplation, en tous les cas de ce que j'en ai compris. Nous écoutons attentivement tous les deux la citation que Busnel a choisie : "Voilà tu vois", après laquelle Bobin enchaine sur une ode aux bruits de la nature. Il y a quelque chose de rassurant chez cet homme sans fioriture qui semble finalement accepter le monde comme il est, en prenant le temps d'en observer ce qu'il y a de plus beau. Chaque question busnelienne est savamment détournée avec pudeur et délicatesse. Bobin, c'est un discours par métaphores et images, c'est le choix d'une certaine vision du monde, le renoncement à une forme d'arrogance (que certains agrégés de philo se permettent surtout quand ils passent à la télévision). Bobin, c'est ce monsieur avec débardeur sous veste, qui ne cherche pas à convaincre, juste à expliquer.

On termine avec Holder et la Saison des Bijoux au Seuil, un roman buissonnier. "Un roman réagit l'Homme, donc avec une histoire ?". Oui. Holder, c'est le t-shirt moulant, le bronzage plus méditerranéen que nature, un débit extrêmement maniéré. Il surjoue un peu son propos, mais on lui pardonne et je mets ça sur le compte du trac. D'autant que  ça tend à se lisser à mesure qu'il présente ses personnages, la famille Bijoux, des camelot sur les marchés et l'infâme Forjeau le prétendu méchant de l'histoire.  

On sent chez Holder un attachement aux marchés qu'il décrit d'abord en images d'Epinal, mais après une présentation un peu poussive, il arrive finalement à quelque chose de touchant dans sa volonté de rappeler l'absence de manichéisme chez l'être humain. D'ailleurs quand Marie Hélène rebondit sur Forjeau, on sent qu'elle a lu le livre et aimé le personnage.  A mesure qu'il parle de son roman, Holder ouvre la faille et nous parle de cette "pudeur constitutive de l'amitié masculine". L'Homme et moi acquiesçons en silence, moi avec la cuillère directement dans le pot de Nutella (oui c'est mal), l'Homme avec un bol de céréales en guise de dessert (si la DDASS sait ça on va nous enlever nos enfants). Finalement ce qui est touchant chez ce romancier, c'est qu'il nous parle non plus tellement de camelots ou de maraîchers mais de l'individu qu'on souhaite être: celui qui écrase les autres avant d'être écrasé ou celui qui s'accroche à sa générosité comme une manière de vivre, quelle qu'en soient les dégâts. 

Cet épisode avec les 3 auteurs passe rapidement, en 1/2h c'était plié (à 21h24 exactement), on retiendra particulièrement le petit intermède avec Bach et le bruit du vent, le rapprochement avec Flaubert pour Marie Hélène LAfon et celui avec Soulage pour Bobin, on se souviendra aussi de la petite digression sur le paysan et l'agriculteur, sur le fait qu'on peut être quasiment sûrs qu'ils se sont lus les uns les autres, et pas forcément par politesse, ni nécessairement pour l'émission..Trois artisans du mots, trois discrets, trois personnes de l'ombre.

C'est ainsi qu'après l'intermède librairie, nous revoici dans Vivement Dimanche, (oui franchement on était dans cette idée), avec entrée d'Higelin et de sa co-rédactrice, Valérie Lehoux, sous les applaudissements du public. Je ne vais pas trop m'attarder sur le titre Je vis pas ma vie, je la rêve chez Fayard, je ne vais pas commencer par m'énerver sur l'absence de double négation, parce que je ne fais pas les devoirs des enfants hein, et surtout parce que Busnel, avec sa complaisance dégoulinante, me rappelle qu'il a écrit les "plus beaux textes de la chanson française". Mais bon, après Marie-Hélène Lafon et son établi de travail du mot,  ça gratte un peu. Et encore plus quand Higelin avoue que le gros effort du livre aura été de parler de lui, et visiblement il adore ça. Au moins, il ne fait pas semblant de l'avoir écrit. 

S'ensuit ensuite un entretien qui aurait davantage sa place dans un plateau de variétés, chez Ardisson, Ruquier ou Nagui  que dans un émission destinée à la littérature. Confessions, égocentrisme, autosatisfaction étourdissante. Je manque de m'étrangler avec ma petite cuillère. Le passage de la photo de l'ancienne directrice d'école d'Higelin, qui a su déceler très tôt ses multiples talents  (en conte, dessin, rédaction et musique) constitue la cheville ouvrière du monologue. C'est assez décousu, moyennement intéressant, voire un peu gênant quand la co-auteur doit l'aider sur certains souvenirs. Les écrivains autour, rient quand il le faut, écoutent religieusement et s'abstiennent de commentaire.

On n'évite évidemment pas certains clichés autour de l'"intense envie de vivre et désespoir profond", histoire d'être bien dans la définition de base de l'artiste. Rien sur le travail, tout dans la posture. Higelin c'est un type qui est fait pour être sur scène (et l'Homme a raison, j'aime bien certaines de ses chansons), mais sur scène et nulle part ailleurs. Intarissable, le chanteur nous explique ensuite pourquoi il trouve que la guerre c'est mal et que la violence ça lui fait peur, mais heureusement "la musique, l'amour et l'amitié nous libèrent". N'en jetez plus, TF1 et Patrick Sébastien portent plainte pour plagiat.

C'est sur que ce n'est pas McBride et son saxo. 

La fin consiste en un long long monologue d'Higelin, j'ai perdu l'Homme  en route, parti sur le balcon fumer une cigarette "Tu es vraiment obligée de regarder jusqu'au bout ?". Higelin, il a bien fait de choisir la voie de chanteur plutôt que celle d'écrivain, car son besoin de lumière sur lui est incommensurable. Sur la toute fin, on sentirait presque que Marie-Hélène attend poliment que ça se termine avec politesse et un intérêt feint. "C'est très important la parole" conclut Jacques. La sienne surtout, car il se vexe terriblement (et c'est mon moment préféré) quand François lui fait comprendre que c'est bientôt fini. Contrarié comme un enfant capricieux et visiblement peu habitué à ce qu'on ne le laisse pas continuer à parler, parler, parler, parler (les repas de famille ce doit être quelque chose quand même avec lui), il geint qu'on lui coupe la parole "pourquoi ...c'est déjà fini là? vous n'êtes pas comme ma directrice, hein, elle elle me soutenait pour continuer". De la part d'un type qui ne s'est pas intéressé le moins du monde aux gens qui l'entouraient, c'est absolument énorme. Busnel devait vraiment avoir une sacrée dette à son égard, car sa présence était absolument inappropriée sur un plateau destiné à promouvoir la littérature.

L'Homme n'a fait aucun commentaire et a zappé sur son film.

Je m'excuse d'avance auprès de tous les fans que j'ai heurtés, mais votre rancoeur n'égalera pas mon niveau d'exaspération.

A la semaine prochaine , peut-être (ce n'est pas avec de émissions comme ça que je vais détourner l'Homme de ses vices télévisuels).

C'était Galéa, à vous les studios.

jeudi 15 octobre 2015

Nuage: photo du mois #10

Ce mois-ci Dame Scarlett a choisi Nuage comme thème de la Photo du Mois, et je me suis dit que j'allais faire quelque chose d'hyper original, voire d'un peu symbolique, une image poétique qui claque, bref que j'allais monter un échantillon de mon potentiel artistique...J'avais même réfléchi à des rimes (genre visage, rivage ...des trucs élaborés quoi), bref, je me sentais très inspirée....

...et puis le temps est passé vite, très vite, avec des choses qui nous rattrapent comme par exemple ce Compactor des affaires d'hiver (qui a tout simplement disparu), les recommandations importantes avant la photo de classe ("ne fais pas l'imbécile dans la cour où ta frange va friser"), des rendez-vous chez le dentiste, la réservation du centre aéré pour les vacances de Toussaint, les premières discussions familiales sur l'organisation de Noël...

Et c'est comme ça qu'on se retrouve à fouiller désespérément dans son ordinateur la veille du jour J,  à le recherche d'une photo avec des nuages dessus. Fini les velléités d'originalité, me voici donc avec des nuages d'altitude, de ceux qui annoncent les orages du mois d'août sous la posture héroïque de Numérobis qui s'était dit qu'elle allait attendre la pluie dehors parce que "même pas peur".

Donc "Même pas peur" sera mon mot du mois,  ni de l'orage, ni de l'hiver, ni de la crise, ni des piqures, ni des mulots, ni de l'avion, ni des autres qui pensent pas comme moi!

(Nan je rigole en vrai, je me bouche encore les oreilles quand le tonnerre gronde)

Allons voir ce que mes petits camarades ont fait du nuage:
Renepaulhenry, Akaieric, BiGBuGS, Loqman, CécileP, Visites et voyages, Rythme Indigo, La Fille de l'Air, Gilsoub, Canaghanette, Alban, Krn, Mamysoren, Iris, Woocares, Lau* des montagnes, Julia, Noz & 'Lo, Lavandine, ratonreal, Luckasetmoi, Les bonheurs d'Anne & Alex, princesse Emalia, Milla la galerie, Memories from anywhere, Champagne, Sinuaisons, Homeos-tasie, Eva INside-EXpat, Carole en Australie, Frédéric, Fanfan Raccoon, Blogoth67, Thalie, Tuxana, J'habite à Waterford, Xoliv', Christophe, Aude, Cara, Morgane Byloos Photography, Giselle 43, Chat bleu, Nicky, Testinaute, Chloé, Philisine Cave, Lavandine83, Tambour Major, Céline in Paris, Dom-Aufildesvues, Laulinea, Philae, Brindille, Galéa, Pilisi, Koalisa, Dame Skarlette, Les Bazos en Goguette, Guillaume, Kenza, Autour de Cia, François le Niçois, magda627, Isaquarel, Danièle.B, MauriceMonAmour, Marie, Pixeline, Chiffons and Co, Pat, Les Filles du Web, Rosa, Estelle, KK-huète En Bretannie, DelphineF, Nanouk, Un jour, une vie, A'icha, Alexinparis, MyLittleRoad, Laurent Nicolas, El Padawan, Josette, Cricriyom from Paris, Lyonelk, Dr. CaSo, Loulou, Suki, Voyager en photo.

vendredi 9 octobre 2015

LGL du 8 octobre : les orphelins, les femmes et un autre regard sur l'Histoire

- "C'est qui les invités ce soir?
- "Aucune idée, la semaine est passée vite, je n'ai pas creusé le sujet"

Voilà (comme dirait l'autre).
Il y a eu l'eau qui ne s'évacuait plus dans nos sols trop minéralisés, il y a eu mes varices qui n'en faisaient qu'à leur tête (et une contention force 4), il y a cette maîtresse qui chaque jour repousse l'élection tant attendue des délégués de classe de CM2, et puis il y a eu le tome 18 des Légendaires qui a traumatisé Numérobis. 

Du coup, on s'est retrouvé jeudi soir, sans aucune préparation préalable à LGL, l'Homme encore euphorique de son travail accompli sur les canalisations grâce à un furet de 7 m, nous voici tous les deux en mode touristes-incultes devant la télévision, à 20h45, sirotant péniblement un coca (à défaut de vin et de bière). 


On a réussi à manquer la présentation des invités, le nom des livres et le générique d'annonce. On arrive directement sur Carole Martinez et La Terre qui penche chez Gallimard. Carole Martinez, c'est une voix de fumeuse, un chignon relâché et une frange approximative. Pas de tenue à paillettes, pas d'esbroufe vestimentaire, bref elle a tout, absolument tout, pour me plaire. Au sujet de Martinez, je pense au billet d'Asphodèle (et pour situer Aspho à l'Homme je lui dis goulag, Fitz, anniversaire en août, vapoteuse et Vendée). 
-"Martinez est plutôt populaire sur la blogo tu sais" 
-"Et toi, tu l'as lu ?"
- "Non".


C'est l'histoire de la mort d'un enfant de 12 ans. l'Homme s'inquiète "ça va aller?", "oui oui".
On plonge dans le XIVe siècle, la toute fin du Moyen-Age avec la guerre de 100 ans et la Grande Peste.  Je sens l'Homme qui réagit, qui mastique moins vite, il adore le Moyen-Age et les médiévistes.

Martinez, elle, nous parle des grands fléau divins médiévaux, ceux dont on apprend qu'il marque le monde qui change. J'aime aussi cette période troublée et troublante d'autant que de l'histoire, ou plutôt des histoires , Busnel nous dit que "c'est au lecteur de trouver le lien". Comme dirait Attila, c'est chouette les auteurs qui parient sur l'intelligence de leur lecteur. Carole nous parle alors d'une  certaine Blanche, orpheline de mère, qui veut, au XIVe siècle, lire et écrire, signer de son nom, se rebeller face à ce qu'on impose à son sexe. L'Homme me dit "il a l'air pas mal" (Oui, à force de ne faire que des filles l'Homme devient de plus en plus sensible à la cause des femmes). Le moyen de se rebeller, c'est l'accès au Verbe. Merveilleux sujet d'actualité, et pas si moyenâgeux que cela. 


Khaddour intervient, Mabanckou acquiesce. On nous parle de se libérer par l'écriture. Et si la poésie au Moyen-Age avait été un moyen de domination? Un point de vue complètement à contrecourant de ce qu'on apprend habituellement, l'amour galant comme un moyen de pression, la femme cantonnée dans son rôle d'attente. Rajoutons à cela quelques secrets de famille et une figure que j'adore en littérature : le père. Le père dont la fille et héroïne "recoud" l'image. 


La Martinez touch selon Busnel, semble être une petite dose de surnaturel (l'Homme fait des bons sur le canapé), "le merveilleux est essentiel dans ma vie depuis que je suis toute petite" nous confie la romancière, et mon Homme de lui répondre via  la TV "mais moi aussi, c'est tout pareil" (oui l'Homme parle à la télévision et je ne rapporterai pas ici sa sa longue justification explicative au sujet de son arrière-grand-mère magicienne, car il m'en voudrait de dévoiler cette part de lui-même). Bref, si j'ai bien tout compris, La Terre qui penche, c'est une jeune femme au XIVe siècle, la volonté d'apprendre, l'ombre du père mais aussi une dame verte, une rivière, une terre qui penche...

L'Homme veut lire le dernier Martinez, je répète : l'Homme veut lire le dernier Martinez. Première fois de notre vie de couple qu'il fait la démarche de vouloir lire une romancière française. Cette soirée est totalement inattendue.

On passe alors à Alain Mabanckou et son Petit Piment au Seuil. Mabanckou c'est une expression orale débordante et des lunettes formidables. Une histoire qui commence dans un orphelinat, une sorte de prison d'enfants (ce qui vaut à Mabanckou d'être affublé de Dickens congolais - il y a pire comme référence). 

Et Mabanckou, d'une chose à l'autre, arrive à un sujet que j'ai fréquenté de près à un moment:  du tabou de la traite des noirs par les noirs. "Nous sommes tous comptables de la traite" nous dit-il, et il y a quelque chose la-dedans de vraiment grand, pour les historiens de la colonisation. Il nous parle de Petit piment comme d'un garçon puis un homme, ni du Nord ni du Sud, qui se réveille à sa propre conscience et qui grandit sur les terres congolaises. 

Mabanckou c'est un feu d'artifice d'expressions métissées (comme la "grosmotslogie"), du détournement des référence littéraire (les 3 moustiquaires), une mise en lumière de la langue congolaise, qui défend une autre sonorité, un autre rapport au verbe, aux mots et à leur fonction dans la vie et la société. 

La conversation est bonhomme et joyeuse, mais la gravité n'est jamais loin, "c'est un livre pour célébrer la rue africaine", le combat de la femme africaine, les prostituées qui nourrissent les orphelins congolais. Le bordel dans lequel se retrouve Petit Piment, dans la bouche de Mabanckou, est bienveillant et chaleureux. Petit Piment c'est un livre de pure fiction, selon François, et ça fait du bien.

Par conséquent, quand Hédi Kaddour prend la parole, on croit revenir à quelque chose de beaucoup plus classique. Avec son allure de professeur de fac (il a enseigné à l'ENS de Lyon), son absence totale de fantaisie vestimentaire, on se dit qu'on est en terrain connu avec les Prépondérants chez Gallimard. Mais on se trompe, déjà parce que l'action se déroule dans les années 20 (youhouuuuu Aspho tu as vu ça?) et dans une zone géographique non déterminée. Petit moment de flottement sur le canapé quand l'Homme me dit "tu vois "prépondérant "là comme ça, je vois à peu près, mais dans un titre, les Prépondérants, tu penses qu'il veut dire quoi exactement?". Alors que je tente péniblement de trouver une réponse intelligente, Kaddour vient nous explique que les Prépondérants sont des colons réactionnaires. 


Kaddour nous raconte finalement l'histoire d'une équipe de cinéma (américaine of course) qui va débarquer dans la petite société coloniale et remettre en cause un système. Dit comme ça, je suis déjà conquise, et encore plus quand l'auteur nous parle des femmes qui articulent le roman. Il cite particulièrement Rania, une veuve de guerre dont il nous raconte qu'elle s'est imposée à l'écriture, (on adore quand un auteur ne choisit pas tout dans son roman). Et quand Kaddour enchaîne sur Gabrielle Conti, géniale journaliste de l'entre-deux guerres, femme libérée et assumée, il se passe quelque chose...Parce qu'entendre un romancier masculin de presque 70 ans, qui a enseigné dans des établissements prestigieux,  nous mettre des femmes d'avant-garde sur un piédestal, c'est se dire que malgré tout, quelque chose a bougé à un moment. A quelques jours du 11 octobre, punaise que ça fait du bien. 


Sans compter que Kaddour, il paraît connaître parfaitement son sujet, la période et ses complexités. Il semble dénouer les subtilités de l'histoire (qu'on n'apprend pas spécialement dans le secondaire). Et quand il dit "je cherchais quelque chose de pas ordinaire mais qui reste vrai"...c'est exactement ce que je cherche en littérature: cette probabilité extraordinaire qui rend le lecteur heureux. Busnel conclut en demandant si Les Prépondérants constitue une chronique sur le désenchantement, mais peut-on raisonnablement ne pas lier le désenchantement aux années 20?...(et aux notres sans doute)

En transition, je me réjouis de la discussion entre les auteurs au sujet de leurs personnages: ceux qui s'imposent, ceux qui sont nécessaires, ceux qui mènent l'histoire, ceux qui sont les encadrent, et j'aime particulièrement le propos de Mabanckou sur l'utilité indispensable du personnage secondaire, sans qui le héros ne peut exister...des discussion comme celle-là, on en voudrait tous les jours. 

Enfin on termine avec James McBride, oreillette, chapeau mou, gros noeud papillon, anneau dans l'oreille et bouc soigné. Des yeux de petits garçons et une élégance irrévérencieuse... "un livre génial et magnifiquement écrit" nous vend Busnel (pour changer) au sujet de l'Oiseau du Bon Dieu chez Gallmeister. On notera l'effort de McBride de parler français (pas si fréquent et totalement respectueux), et même si on apprécie que Busnel lui conseille de repasser à l'anglais pour être compréhensible, on se dit qu'on est vraiment gâtés ce soir. Et oui, encore un orphelin et une histoire de ségrégation raciale. Un orphelin qui est en plus menteur, voleur, buveur, volage bref, un anti-héros du livre: et tout de suite forcément, surtout quand on se considère comme chef de loose, on se dit "pourquoi pas". McBride revendique un livre de caricatures des communautés noires-américaines qu'il critique autant qu'il les aime. La citation du livre par Busnel, nous laisse ahuris:  "la libération des noirs américains est-elle une invention de l'homme blanc?". C'est à la limite du croyable, tant c'est une autre voix, un autre point de vue...Mais que recèle ce livre si un extrait peut-être à ce point détonnant?

Un roman sur un enfant qui essaie de comprendre qui il est, et un auteur qui nous dit que "tout le monde doit faire des compromis ". C'est toujours étonnant et émouvant d'écouter les afro-américains parler de choses graves et profondes avec cette joie et cet humour qu'on pourrait prendre pour du détachement, alors qu'au fond c'est une posture pour supporter "que nous sommes tous victimes du passé".

Et puis, il y a ce moment de grâce avec les autres auteurs du plateau, fairplay et honnêtes, qui avouent avoir vraiment aimé ce livre décalé, cocasse et profond. Et pour une fois, François ne botte pas en touche, il a une nette préférence pour le McBride et ne le cache pas vraiment, sans que les autres ne semblent lui en tenir rigueur.

Fin en musique assez émouvante, qui met la joie en coeur avec McBride, son saxophone et son groupe. Bref, un air de gaieté, de franchise et de bienveillance ce soir...une bien belle émission...Heureux étaient ceux qui ont pu y assister en direct. C'était top. Rien à dire. Il n'y en aura pas cinquante d'aussi belles dans l'année, celle-là il ne faudra donc pas l'oublier trop vite.

Joyeuse semaine à tous. 

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