lundi 14 août 2023

Rosa Candida-Audur Ava Ólafsdóttir

 Rosa Candida, l'étrange petit roman qui aide à supporter le fracas du monde

"Comme je vais quitter le pays et qu'il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de 77 ans veut rendre notre dernier repas mémorable" (incipit).

Couverture Rosa Candida
Rosa Candida c'est l'histoire d'un jeune homme de 22 ans qui quitte l'Islande (où rien ne pousse), pour rejoindre un monastère étranger qui abrite ce qui fut la plus belle roseraie du monde. Dans son périple, il transporte des boutures de rosa candida, une rose à 8 pétales. C'est une bien étrange aventure que celle dans laquelle se lance Arnljótur pour vivre sa passion : faire pousser des végétaux. Et finalement, cet étrange petit roman permet de se réconcilier avec l'être humain, en ce temps d'actualité fracassante.

Une histoire de famille

Rosa Candida c'est 77 chapitres (oui oui comme l'âge du père) qui raconte la famille. Pas vraiment la famille au sens traditionnel. La famille dont Arnljótur est issu, c'est un vieux père, un frère jumeau handicapé et le fantôme bienveillant de la défunte mère. Et puis il y a la famille qui pourrait exister, avec une petite fille de 9 mois, née par hasard d'une rencontre avec une jeune femme généticienne qui va et vient durant le livre. Rosa Candida raconte le lien familial, l'associe à la nourriture, au fait de faire à manger pour les autres. Il y a la question de recettes perdues et de celles qu'on invente. De tout cela, il en ressort énormément de douceur, de bienveillance. Pour certaines personnes, c'est thérapeutique ce genre d'ambiance.

Une sorte de roman d'apprentissage

Rosa Candida c'est aussi un roman d'apprentissage. Un jeune homme, pas encore tout à fait adulte, part à la découverte du monde. Avec même un petit côté road trip puisqu'une partie du livre se passe dans une voiture. Pendant tout le trajet vers le monastère, le héros couve ses boutures, transportées dans des bouteilles en plastiques, qu'il essaie de maintenir en vie envers en contre tout. On y trouve tous les ingrédients du roman d'initiation : les rencontres, les aléas, la question des corps. Sauf que c'est l'inverse de Balzac ou Flaubert. Il n'y a pas la découverte de la laideur du monde. Étonnamment, la cupidité, la méchanceté et le désenchantement sont absents de cette curieuse quête végétale.

Rosa Candida, Ólafsdóttir et le Christ

Ce n'est pas qu'il ne se passe rien de tragique dans cette histoire. Bien au contraire. Il y a deux accidents de voiture épouvantables, des wagons de solitude, des abandons et beaucoup de fantaisie. C'est juste qu'il n'y a pas de malveillance ni d'indignité. Arnljótur n'est pas Rastignac. Il ne perd pas ses illusions sur le monde et sur la vie ; il ne devient pas quelqu'un dévoré d'ambition. Le narrateur est un meilleur homme à la fin du livre qu'au début. Et tout au long de la seconde partie, on sent poindre quelque chose d'un peu christique et de vaguement non-violent. Il y a un prêtre cinéphile, un bébé thaumaturge, un jardin convalescent, un vitrail rassurant.

Rosa Candida doit se lire au bon moment (je sais que certains s'y sont ennuyés). C'est un livre chemin, un voyage à l'envers des codes, un roman d'apprentissage à rebours dans lequel on ne cherche pas à conquérir le monde mais plutôt à y trouver sa juste place. La première fois que j'avais lu Ólafsdóttir avec l'Exception, j'avais été charmée. C'est une romancière qui a une foi profonde en l'humain, et je me demande si ce n'est pas ce dont le monde manque en ce moment.

Audur Ava Ólafsdottir, Rosa Candida (2010)  Points, 2012, 333 p.

Traduction : Catherine Eyjólfsson

9 commentaires:

  1. J'avais perdu ta plume lumineuse et concise. Quel bonheur de te lire et d'avoir l'envie pulsionnelle de lire le roman dont tu parles ! Merci

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    1. C'est réciproque Martine, quel Bonheur de te retrouver ;-) Merci beaucoup

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  2. J'ai eu la chance de rencontrer l'autrice au moment de la sortie de ce premier livre en France. Elle m'a beaucoup plu et je me suis précipitée sur son roman, que j'ai énormément aimé. J'ai attendu un peu avant d'en lire un autre, par peur de la déception, mais après trois autres lectures, je suis toujours aussi touchée par ses personnages (je ne me souviens pas de la dimension christique, ou je n'ai pas eu envie de la voir ...)

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    1. Alors tu vois pour la dimension christique, ça m'a paru une évidence à beaucoup d'égards (alors que bon, ce n'est pas naturellement quelque chose qui me vient), mais je crois que c'est une question de moment de lecture. Je passe un été un peu étrange et je dois être plus perméable à ce genre de passerelles (la plupart de mes copines ne voyaient pas du tout à quoi je faisais allusion pour le coup). Sinon, j'adore ce que tu me dis de la romancière (même s'il faut distinguer la femme de l'artiste hein), mais j'aime beaucoup son parti-pris littéraire. J'ai noté Or évidemment. Merci Aiffelle ;-)

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  3. En tout cas, à lire ton billet, j'ai envie de le relire ! Christique ? Je ne sais pas ! Mais un lieu favorable pour méditer et réfléchir au sens de sa vie !!!J'avais beaucoup aimé aussi ses deux précédents !
    Belle soirée !

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    1. Ecoute j'ai vraiment eu ce sentiment avec le bébé, il y a plein de petites allusions à l'Enfant quand même (avec le vitrail, quand la voisine n'a plus d'asthme, quand le bébé semble se reconnaître dans l'église etc...)...Mais je crois que ce n'est pas l'aspect qui saute le plus aux yeux.
      Merci d'être passée ENitram

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  4. Une amie m'en avait fait un retour sensiblement similaire au tien, et j'ai donc passé, malgré le fait que j'apprécie moi aussi la plume de cette auteure. Du coup, j'ai cherché si j'avais lu des titres évoquant notre rapport aux réseaux sociaux... "Magique aujourd'hui", d'Isabelle Jarry, traite surtout des conséquences des progrès technologiques et de l'hyper connexion en général, mais elle le fait avec à la fois une clairvoyance et une absence de jugement qui rendent son roman vraiment intéressant. Il y a aussi La toile de Sandra Lucbert, sorte de réécriture des Liaisons dangereuses à l'ère du numérique, mais l'intrigue prend pied dans un environnement qui ne parlera sans doute pas à beaucoup de lecteurs. Bref, je n'ai pas trouvé LE roman que tu évoques sur les réseaux sociaux (en même temps, mon expérience de lectrice est loin d'être exhaustive), peut-être reste-t-il, comme tu le suggères, à écrire ?

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    1. Tu es sous le mauvais article, mais je souscris à tout ce que tu dis Inganmic ! C'est une joie de te retrouver ;-) j'avais entendu parler des livres que tu évoques, mais je n'ai pas eu des retours très enthousiastes

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  5. Lu il y a quelques temps déjà, c'est un petit bijou et effectivement, il faut bien choisir son moment pour le lire !
    Je suis revenue par hasard par ici, je n'étais pas passée depuis longtemps alors c'est une vraie joie de te retrouver !

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