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jeudi 29 novembre 2012

Le paradoxe du mercredi

Tous les mercredis c'est pareil.

Je mets un point d'honneur à être disponible le mercredi, pour être là, à l'écoute, emmener les enfants aux sacro-saintes activités, prendre le temps de discuter en déjeunant, faire correctement les devoirs, éventuellement même ranger les chambres et finir le repassage.

Bref, je me dis qu'une bonne mère, le mercredi, est là, souriante et détendue.

Sauf que ça ne se passe JAMAIS comme ça.

Hier il pleuvait des trombes d'eau (ici nous ne sommes pas habitués). Je suis arrivée en retard au rendez-vous de 8h30 chez le médecin, je n'ai pas retrouvé la paire de demi-pointes avant le cours de danse, j'ai perdu mon sang-froid pendant les devoirs (pourtant j'ai crochetté en même temps pour canaliser ma tension), j'ai couru comme une dératée entre la fin du cours de danse de l'une et le début du cours de natation de l'autre, je me fait disputer par le maître nageur, les enfants se sont chamaillés pendant tout le déjeuner et ont fait la grimace devant ma purée.

En encore, j'ai échappé au goûter d'anniversaire et aux cascades au parc qui se finissent souvent soit par une blessure soit par une dispute. 

Quand le mercredi se termine, je suis éreintée, excédée et trempée. Je ne peux pas dire que j'aie passé une bonne journée, et les enfants non plus. Sans compter leur père (qui n'est jamais en repos pendant les vacances mais toujours en automne) qui m'a plus encombrée que soulagée. 


Pour moi, le mercredi c'est une épreuve. J'aimerais avoir le temps et l'envie de profiter de cette pause au milieu de la semaine, et à chaque fois j'en sors rincée!

Franchement, pourquoi je m'inflige ça, et comment font les autres...celles qui y arrivent très bien?

lundi 26 novembre 2012

Un village moldu

Comment ne pas lire le livre pour adulte de celle qui inventa Harry Potter? Celle qui a imaginé cette géniale école Poudlard ne pouvait pas ne pas me séduire une fois encore. Elle manie si bien les symboles et le second degré.

J.K. Rowling, Une Place à prendre, Grasset, 2012, 679 p.
La traduction exacte de The Casual vacancy aurait du être plus proche "d'un poste à pourvoir" ou d'une "vacation fortuite". Une Place à prendre suggère même une certaine légèreté. Que Nenni ! C'est un livre d'une étonnante noirceur.

L'histoire débute par le décès brutal d'un certain Barry Fairbrother, membre du conseil paroissial du petit village de Pagford, au Sud-Ouest de l'Angleterre. Comme son nom l'indique, le conseiller Fairbrother défendait la veuve et l'orphelin des Champs, cité pagfordienne qui ressemble à toutes les banlieues négligées. Contrairement à ceux qui rejetaient le quartier "social", Fairbrother défendait et tentait de maintenir le centre de désintoxication des Champs. Son décès, et la place de conseiller qu'il libère, remettent donc en cause l'équilibre du conseil paroissial.   

J.K. Rowling amorce son roman comme un épisode de l'Inspecteur Barnaby et on se prend à aimer cette curiosité malsaine des petites communautés après le décès d'un des leurs. Elle le poursuit ensuite façon Ken Loach...So British. Sauf qu'il manque un peu d'humour, de tendresse, de solidarité et d'affection dans cette peinture sociale.

Mais loin d'être un roman qui revisiterait la lutte des classes, il s'agit plutôt d'une lutte des sexes. Les hommes agissent, les femmes subissent dans Une Place à prendre.

Dans les rôles masculins, pas de  bienveillant Dumbledore, ni d'un tourmenté au grand coeur comme Sirius Black, pas non plus de démon maléfique à la Lord Voldemort. Rien de tout cela. Juste des hommes laids d'apparence et minables d'âme. On découvre Howard, obèse libidineux, qui pense que le trou qui lui sert de village est le centre de l'univers. Simon, employé cupide et menteur,  cogne régulièrement sa femme et ses fils pour soulager ses nerfs. Miles, un vieux beau bedonnant à l'intelligence limitée, ne doute toujours pas de son charme. Colin, proviseur paranoïaque  lutte tous les jours contre ses tendances pédophiles tandis que Gavin, éternel lâche de 30 ans, n'a plus aucune chance de réussir sa vie sentimentale ni sa vie tout court.  Une part belle est laissée aux adolescents mâles avec Fats et Andrews, qui, en  attendant leur dépucelage, fument des joints et harcèlent leurs camarades. Le seul auquel on pourrait éventuellement s'attacher est le petit Robbie, garçonnet de trois ans, pas encore propre, qui ne maîtrise toujours pas le langage, qui a déjà touché la laideur du monde, mais dont on espère malgré tout qu'il sera épargné. 


Chez les femmes, ce n'est guère plus réjouissant. Pas d'Hermione surdouée, pas de Mme Weasley qui tienne une maison chaleureuse, désordonnée et réconfortante. Les femmes du roman, Samantha, Tessa, Maureen ou Shirley, souffrent toutes d'un physique ingrat et d'un dévouement inquiétant à leur moitié. Il y a bien Kay, une assistante sociale, plus ou moins féministe, qui tente de rester fidèle à ses idéaux mais qui ne parvient pas à garder un homme. Parminder, médecin généraliste brillant, pourrait presque nous redonner espoir si elle faisait autre chose qu'humilier sa fille. Je passe sur Terri la droguée qui se prostitue pour acheter de l'héroïne tandis que sa fille Krystal, banlieusarde cabossée au vocabulaire réduit, pleure le défunt (on suit la vie sexuelle -consentie ou non- dans le détail le plus cru).Terminons sur Sukhvinder, souffre-douleur du lycée, qui plie sous les poids du complexe et du désespoir, et qui se scarifie les bras à la nuit tombée. J.K Rowling a choisi d'en  faire l'héroïne de la fin du roman.

Le plus étonnant est que la fin ne répond pas au début : le drame final, glauque, serait sans doute advenu sans la mort de Fairbrother. C'est la victoire du déterminisme social et matrimonial : les pauvres n'ont aucune chance de s'en sortir, ni les mal-mariées d'avoir une autre vie. 

Certes, les sentiments humains sont remarquablement abordés, l'auteur décortique tout ce qui interfère dans les émotions et les agissements de chacun. En cela, bien sûr c'est assez brillant. Disséquer à ce point ce qui fonde les rapports humains est toujours agréable à lire. Et on ne peut pas dire qu'on s'ennuie parce qu'on brûle de connaître la fin.

Mais rien de ce roman ne permet de croire dans l'être humain: des foyers malheureux et sans amour, des mariages qui dégringolent, des amitiés qui n'en ont que le nom. Un livre sur la cruauté ordinaire finalement. Il n'y a pas entre tous ces personnages ce petit supplément d'âme qui pourrait nous les rendre attachants. On lit, un peu navré quand même, les manoeuvres des uns et la chute des autres. Le beau Vikram qui plaisante avec ses enfants est tenu à distance du roman. J.K. Rowling dénonce un monde moche et égoïste.
Ce livre n'est pas seulement triste, il est désespérant. Quand on le referme, surtout au mois de novembre, on a besoin d'être avec les siens, d'observer ses enfants, de marcher au bord de la mer.  Hier après-midi j'avais besoin de me dire que la vie n'est pas aussi sinistre que l'écrit J.K.Rowling. 

Je me doutais depuis longtemps que la créatrice d'Harry Potter avait peu de foi dans le genre humain et moldu. Je m'attendais quand même à davantage d'espoir.

Aux vues de mes deux dernières semaines, je pense maintenant me retourner vers les valeurs sûres pour me requinquer avant Noël. 

mardi 20 novembre 2012

C'était mieux avant?

Je fais partie des gens qui, tout le temps, trouvent que "c'était mieux avant". Je suis la mère qui, à la sortie d'école, se plaint du niveau de grammaire et orthographe des élèves. Je regrette en permanence que l'école ne soit plus l'ascenseur social d'autrefois. J'ai été l'enseignante horrifiée de voir qu'on pouvait ignorer le nom des grands auteurs classiques. Je me désole des incivilités et de la vulgarité en pensant que c'est un mal moderne. Je n'aime que les vieilles pierres, je n'ai jamais voulu habiter dans du neuf parce que je trouvais les plafonds trop bas et les salons trop petits. Je suis convaincue d'être née un siècle trop tard. Il y a 100 ans, ma ville était la plus belle d'Europe, elle est aujourd'hui défigurée. Je préférais Canal + avant. Je suis celle, qui pénible à souhait, se plaint en permanence du temps qui passe. Bref, je suis la copine ringarde qui collectionne les cartes postales anciennes et qui milite contre la pollution et les additifs alimentaires. 

J'ai conscience de mon immense mauvaise foi.

Ceci dit, de la modernité, je n'ai tiré aucun avantage. J'habite au troisième sans ascenseur, j'ai la phobie des avions, on m'a toujours posé la péridurale trop tôt ou trop tard. Des progrès de la médecine je n'ai connu que des accouchements déclenchés parce que j'avais dépassé le terme. L'informatique est pour moi une gageure, je ne compte plus les ratés professionnels à cause d'un PDF incompatible, ni les mails trashés par inadvertance. J'ai fermé mon compte Facebook et mis 6 mois à comprendre comment fonctionnait mon i-phone.

Mais ça c'était avant que je découvre You Tube.

Depuis petite, je suis catégorisée comme celle qui n'est pas "spécialement manuelle". Impatiente, brutale et un peu capricieuse. Ma grand-mère a renoncé à m'apprendre à coudre, ma maman à tricoter. Ce que l'Education Nationale appelle "motricité fine" est pour moi un Graal inaccessible. Contrairement à d'autres, j'ai toujours vécu très mal de ne pas savoir faire de jolies petites choses. 

Un jour, j'ai décidé de m'atteler au crochet. Et grâce à Internet, j'ai compris les bienfaits de la modernité. J'ai lutté pendant des jours, fait, défait, refait 100 fois. Je me suis repassée la vidéo sous le regard compatissant de mon mari et goguenard de mes enfants, jusqu'à ce que j'arrive à le terminer. Alphonsine m'avait conseillée de commencer par une écharpe pour poupée, elle avait raison. Le bonnet c'était vraiment un gros défi. 

 Et j'y suis arrivée. Il ne faut pas y regarder de trop près, mais c'est fini. C'est irrégulier, il y a quelques trous, bref, personne imaginera que je l'ai acheté aux Galeries Lafayette, et je ne suis pas bien sûre de le porter cet hiver. Mais je l'ai fini.

Donc non, ce n'était pas mieux avant. Avant je serais restée dans mon costume de "celle qui ne fait rien de ses 10 doigts". La route est encore longue pour faire quelque chose de correct et portable, mais ça y est, j'ai lancé la machine. Mon meilleur ami est maintenant You Tube qui me répète à l'infini ce que je peine à comprendre.

Alors non, ça m'arrache de le dire, mais ce n'était pas forcément mieux avant. 

dimanche 18 novembre 2012

Déceptions

Je me suis jetée (manière de parler, il est sorti il y a déjà plusieurs mois) sur Fureur de Chochana Boukhobza, parce que c'est l'un de mes auteurs favoris.

Chochana Boukhobza, Fureur,

 Denoël, 2012, 407 p.
Ma déception fut à la hauteur de la tendresse que j'ai portée à ses autres romans!

L'histoire était alléchante: Francis Delorme, un vieillard qui fut résistant puis technicien dans le nucléaire, se fait renverser par une voiture. On doute que sa mort soit accidentelle. Fureur raconte l'enquête que mène Jo Mandelin, ami d'enfance du petit-fils de Francis.

 J'en avais l'eau à la bouche.

Le problème c'est que ça ne se tient pas, mais alors pas du tout. Le mélange de souvenirs glorieux de la Résistance, de complots nucléaires et de déchets radioactifs ne fonctionne pas. C'est un hymne à l'anti-nucléaire (pourquoi pas, en ce qui me concerne, elle prêchait presque une convaincue), mais entre les longueurs explicatives et les détails historiques, on s'y perd, et parfois on s'y ennuie.

Par chauvinisme probablement, j'ai été excédé par le portrait des Bretons de Brennilis (bien entendu en ciré jaune, bottes de pluie et bonnet de laine tricoté main) qui n'ont même pas de café percolateur. Le Breton authentique dans sa rusticité, ça m'écorche toujours. Je vous assure Mme Boukhobza que la modernité et même la finesse existent aussi dans le Finistère. Je passe rapidement sur le paysan qui ne s'intéresse qu'à ces radis et ces carottes. Savez vous que dans les campagnes, il y eut aussi des gens qui moururent pour un idéal? Bref! Je ne vais pas m'étendre non plus sur le désespoir d'un des personnages dont la famille fut exterminée en Ukraine. Mendelshon l'a traité à la perfection dans Les Disparus, Fureur ne tient pas la comparaison, mais ce n'était pas son propos non plus. 

L'écriture de Boukhobza  s'est vraiment relâchée, aux présent et passé-composé. Boukhobza alterne des chapitres à la première puis à la troisième personne. Pour faire vrai, elle fait parler Jo en utilisant un vocabulaire des moins chatiés, voire à la limite du vulgaire (je me demande, en écrivant cela, si je ne suis pas une réac déguisée en bobo...). Je reste certaine que les jolies phrases sont parfois plus percutantes que les jurons. Passons, je vieillis!

Je suis d'autant plus déçue qu'il y avait quelques trouvailles qui m'ont interpellée. Certes, on voit venir de très loin l'histoire d'amour impossible entre Stella et Jo. Mais quel dommage que la romancière n'ait pas davantage creusé la question de la filiation. Est-on responsable du passé du nos ancêtres? Jusqu'à quel point nous constitue-t-il? Un homme vaut-il plus cher s'il descend d'un résistant? Est-il médiocre parce que son grand-père collabora en 1942? La question est malheureusement un peu survolée et reste, de toute façon, sans réponse.

Mais surtout la fin est bancale, ratée. Il n'y a pas vraiment de certitude sur la mort de Francis. Des personnages qu'on pensait clef dans la trame (je pense à l'écrivain Saintonges, tout en perversité et malveillance) n'y apportent finalement pas grand chose. A la fin, on se demande encore ce qu'un romancier d'extrême-droite faisait parmi d'anciens résistants qui le détestent. Sans compter certains passages proprement invraisemblables. Jo prend des risques qui sont à peine crédibles. La mystérieuse criminelle, troublante de beauté, reste l'éternelle énigmatique. Tellement énigmatique que même Jo ne la reconnaît pas quand il la croise, alors que pendant 300 pages il scrute des photos d'elle. 

Chochana Boukobza, Sous les étoiles,
 Le Seuil,  2002,  363 p.
 Sans doute, l'auteur a-t-elle essayé de refaire le coup de maître de Sous les étoiles qui intégrait sa petite histoire dans la grande, très grande histoire, celle des cataclysmes qui changent la face du monde. Mais, et cela n'engage que moi, elle y a échoué.

Mon billet est probablement trop sévère (la critique est subjective me direz-vous). Mais j'avais beaucoup aimé le Troisième jour, et surtout j'avais été éblouie (oui , éblouie!) par Sous les étoiles, que j'avais trouvé magistral et que j'ai offert à une dizaine de personnes.

Mais je resterai fidèle à Chochana Boukhobza et je lirai son prochain roman.

Oublions donc Fureur, que ceux qui n'ont jamais lu Boukhobza, se jettent Sous les étoiles, elles le méritent!

jeudi 15 novembre 2012

Danser et courir


Quand j'étais petite je voulais être danseuse. En plus j'avais le gabarit. 

Sauf que...sans être totalement nulle je n'avais pas de talent particulier. La grâce ne se travaille pas, on l'a ou on ne l'a pas. Je ne l'avais pas. 

Par contre, j'étais très efficace en athlétisme, j'ai fait tous les cross inter-écoles sous le fier regard paternel. Sauf que...courir autour d'un stade, plus vite que les autres, juste pour gagner quand on n'a pas l'esprit de compétition, c'est très désagréable. J'ai donc continué la course et la danse... en touriste. La danse pour me faire plaisir, la course pour faire plaisir à mon père. Et puis un jour, j'ai arrêté l'un et l'autre.

Après mes grossesses, je me suis remise à courir. Pas pour gagner, pas pour faire un bon score, juste pour moi. Pour remuscler mon corps fatigué, reprendre de la consistance, pour m'accorder un moment rien qu'à moi, pour écouter de la musique politiquement incorrecte, qui me fait du bien et qui me rappelle ma jeunesse. C'est mal vu d'écouter Noir Désir et d'aimer encore Bertrand Cantat. J'aime l'artiste, j'oublie l'homme. On le fait bien pour Rousseau ou Céline...

Je cours tôt le matin, au bord de la mer, et j'ai conscience de la chance que j'ai de voir le soleil se lever sur la Méditerranée. Je cours rien que pour moi, et ça me fait vraiment du bien. Je cours sous tous les temps, je pars avant que le jour se lève. Pendant toute mon enfance je suis passée à côté du plaisir de courir. Peut-être est-ce un sport de la maturité finalement. Il ne nécessite qu'une paire de basket et un homme qui gère les enfants pendant une heure. Une heure de solitude, de contemplation et de méditation.

C'est pour ça que j'ai acheté La Grande course de Flanagan de Tom Mc Nab, parce qu'Alphonsine et Sophie la styliste en ont tellement bien parlé que ça m'a tenté. Il se rajoute à ma pile dont il risque de chambouler l'ordre de lecture. 

P.S: au hasard de mes déambulations virtuelles, je m'aperçois que nous sommes quelques blogueuses à aimer courir. Sur le tard parfois, avec philosophie  souvent, avec effort toujours. Courir c'est finalement avoir une certaine vision du monde et du temps.

 Beaucoup de mots pour finalement dire un truc tout simple. C'est tout moi ça, j'ai du mal à aller à l'essentiel; enfin qui a dit qu'un blog devait aller à l'essentiel tout le temps?

dimanche 11 novembre 2012

Le club des incorrigibles optimistes-Guenassia

Une histoire de russes qui jouent aux échecs à Paris

Le Club des Incorrigibles Optimistes, raconté par Jean-Michel Guenassia, se situe dans l'arrière-salle d'un bar parisien. Un lieu marginal et confidentiel qui réunit, pendant une grosse décennie, des russes blancs et rouges qui jouent, ensemble, aux échecs. Un "jeu" qui apparaît de fait comme un langage universel de l'intelligence.

Jean-Michel Guenassia,
Le Club des incorrigibles optimistes,
 
Livre de Poche, 2011, 731 p.

Le propos du livre est pourtant bien celui de la guerre

Et c'est bien mieux abordée que le Goncourt de l'année passée. La Révolution russe qui n'en finit plus de broyer les contestations présumées ou réelles au régime. La guerre d'Algérie qui avale la jeunesse. Et même la Seconde Guerre mondiale qui surgit en arrière-plan. Dans cette histoire, la guerre révèle l'homme, et pas forcément dans ce qu'il a de plus noble.

Finalement, Le Club des Incorrigibles Optimistes pose la question de l'individu, de son unicité, de sa trace, de ce qu'il en reste malgré le cours de l'Histoire. Le rôle de l'écrit mais surtout de la photo est prédominant. L'image apparaît dans toute son ambiguïté : quand elle sublime et quand elle trahit la réalité. J'aime infiniment ce questionnement.

Un roman dense, des références historiques nombreuses

Le Club n'a pas fait l'unanimité sur la blogosphère. Foisonnant de personnages et de références historiques, ce pavé de 730 pages dépeint les années 50' et 60'.  Indéniablement, tout y est, : la naissance du rock and roll, l'essor de l'électroménager, l'émergence d'Israël, la décolonisation, le retour des Pieds-Noirs, l'avant mai 68 avec les lycées de filles et de garçons. On y croise Sartre, Kessel, Noureev et une jeune étudiante qui débute sa thèse sur Aragon. L'ensemble est peut-être un peu lourd et je peux comprendre que certains lecteurs s'y soient lassés. Mais par déformation professionnelle, je suis sensible à cette rigueur. Je le conseille donc aux amateurs d'histoire et de gros pavés...J'en suis !

C'est un livre en nuances de gris (c'est à la mode!) sans réels héros ni véritables victimes. Les Russes apparaissent comme des hommes brisés à la conscience écorchée. Le parcours des Igor, Léonid et Werner est à la fois flamboyant et misérable. Ce n'est pas sans rappeler la trilogie d'A. Wiazemski. Le narrateur, Michel Marini, passe de l'enfance à l'âge adulte dans une période de paix. J'ai aimé sa rage de courir au Luxembourg jusqu'à en avoir mal. Il est l'effet de contraste du roman. Son entourage manque, sciemment sans doute, de relief.

Contrairement à ce que promet le titre, c'est assez pessimiste

La fin est, selon moi, extrêmement réussie. Peut-être ne l'aurais-je pas pensé si je l'avais lu dans un transat ou sur la plage. Mais lire les 20 dernières pages, un soir sombre et tourmenté de novembre était poignant. Le temps était étonnamment raccord avec l'atmosphère du livre. Ce qui prouve bien qu'une lecture réussie résulte de la rencontre d'un romancier et d'un lecteur ... à un moment donné. 

"Le temps qu'il fait" est loin d'être un détail lorsqu'on finit un livre. 

mardi 6 novembre 2012

L'envers d'une année

J'ai acheté la trilogie 1Q84 d'Haruki Murakami, quelques semaines avant qu'elle ne sorte en poche. Ce sont des choses qui arrivent. Il m'a fallu plusieurs semaines pour savoir ce que j'en pensais vraiment.

Haruki Murakami,
1Q84, Livre 1, avril-juin

Belfond, 2011, 534 p.
1Q84 est impossible à résumer sans trahir sa singulière ambiance .

En 1984, Tengo, un surdoué de maths devenu prof, et Aomame, instructrice sportive, pénètrent sans le savoir dans une année parallèle. Dans ce monde, finalement nommé 1Q84, deux lunes brillent la nuit. En 1Q84, Tengo est devenu le nègre d'un chef d'oeuvre (plutôt d'un best-seller). En 1Q84, Aomame est une tueuse à gages, à la solde d'une vieille dame, qui élimine les hommes qui violentent les femmes.

1Q84 est une trilogie extrêmement dense dans laquelle surgissent plusieurs histoires qui s'entremêlent. Je ne peux pas trop en dire de peur de gâcher le plaisir des futurs lecteurs. Disons qu'1Q84 fait surgir le Tokyo des années 80', d'inquiétantes sectes, des hommes violents, un hôpital déprimant, le fantôme des collecteurs de redevances audiovisuelles, un bébé lune, des classes préparatoires, une vieille femme richissime, des scènes de sexe, un détective privé doué d'une grande intelligence qui a perdu son âme...Je l'ai dit 1Q84 est une trilogie extrêmement dense, dans laquelle tout est remarquablement articulé et lié.

Pendant la lecture des deux premiers volumes, j'ai crié au génie.

J'ai adoré la naissance d'un roman dans le roman, La Chrysalide de l'air, dont une jeune fille dyslexique, lunaire et éthérée, trop parfaite pour être humaine, a mystérieusement jeté la trame.  Tengo met le récit en forme. Paradoxalement, en endossant le costume du ghost writer,  il devient écrivain. Comme toujours Murakami intellectualise la naissance d'un roman.

Haruki Murakami, 
1Q84, Livre 2, juillet-septembre, Belfond, 2011, 526 p.
C'est aussi un livre sur l'intelligence au sens le plus large du terme, celle qui englobe l'âme et le corps. Tengo incarne l'esprit, Aomame le corps. J'aime le culte du corps chez Murakami, cette obsession japonaise de la maîtrise de l'ensemble de soi. 

On l'aura compris, 1Q84 fait des clins d'oeil à 1984 de George Orwell comme un effet de miroir. Murakami écrit au passé ce qu'Orwell préjugeait de l'avenir. Les little people donnent la réplique à Big Brother et apparaissent comme les artisans souterrains du monde parallèle.

Mais voilà, le troisième volume ne m'a pas rassasiée. Davantage axé sur le fantastique, le dernier livre fait bouger les frontières de la morale, de la conscience et du vraisemblable. J'ai eu le sentiment qu'1Q84 avait dépassé ma limite du compréhensible, je n'en dirai pas plus.

Haruki Murakami, 
1Q84, Livre 3, octobre-décembre, Belfond, 2011, 530 p.
Je n'ai pas trouvé de réponse aux deux premiers volumes : certains évènements n'ont pas d'explication, des personnages disparaissent subitement. Peut-être ne faut-il pas chercher, dans l'année 1Q84, à refermer toutes les portes des deux premiers livres. Sans doute, suis-je trop occidentalisée à toujours vouloir boucler la boucle.

L'écriture de Murakami est extrêmement accessible. Si l'histoire est extrêmement complexe, son style est fluide, simple, clair. J'ai dévoré la trilogie. Le roman a déjà été maintes fois commenté sur la blogosphère, aucune critique ne ressemble aux autres, la mienne n'en est qu'une de plus. Chacun y a trouvé une résonance différente.

La trilogie de Murakami reste une oeuvre importante, parce qu'elle fait réfléchir, sortir du cadre, parce qu'on y pense longtemps après. C'est finalement un roman non identifié, entre le fantastique, le thriller psychologique, la saga poétique, l'analyse intellectuel et la peinture d'une période. 

1Q84 n'a absolument rien à voir avec ce qu'on a lu avant. Murakami est une catégorie littéraire à lui tout seul. Qu'on l'apprécie ou pas, il apporte quelque chose de nouveau dans le monde des livres.

 J'appartiens à ceux qui regrettent qu'il n'ait pas eu le prix Nobel le mois dernier.

vendredi 2 novembre 2012

Conserver une trace...

En ce jour de commémoration de nos défunts, une question me hante.

Trop loin  de notre Anjou d'origine, nous n'avons pas participé aux réunions collectives autour des sépultures familiales. Je me demande alors ce me qu'il reste d'eux...

Que reste-t-il des joies et souffrances de mon grand-père, qui passa cinq ans prisonnier en Allemagne? Que reste-t-il de ma grand-mère, que j'ai à peine connue et qui s'était déjà oubliée à sa propre mémoire avant de disparaître? Que reste-t-il de cet oncle, éternel enfant de 18 mois, qui s'en alla trop tôt et dont mon père porte le prénom.? Que reste-t-il de mon autre grand-père qui travailla avec acharnement ? Mais pire encore, que reste-t-il de cet ami de lycée qui partit de ce monde à 23 ans, ni par maladie, ni par accident, et dont le décès m'a fait perdre pour toujours une certaine légèreté?
 
Le cadran solaire de Roba Capeù

 Qui témoignera de l'enfant qu'ils ont été, de leur couleur préférée, de leur friandise favorite, du prénom de leur meilleur camarade, des lectures qui les ont bouleversés, des événements joyeux ou dramatiques qui ont fait d'eux ce qu'ils ont été. Le premier pas, la première dent, la première peur... Même leur part d'ombre et leurs petits secrets ont été ensevelis avec eux...Alors?

Cet été, quelque part en Loire-Atlantique...
Il reste d'eux une pierre tombale, une plaque, des souvenirs que les vivants entretiennent. Subsistent encore le timbre de leur voix, l'odeur de leur cuisine, un chant de Noël, le son d'un trombone, une photo, l'écho des embruns atlantiques... Mais quand nous-mêmes serons partis, que restera-t-il de ces existences banales mais uniques ? J'ai aujourd'hui une pensée émue pour tous les défunts qu'on ne commémore pas ou que l'on a oubliés.

 Qu'on croit ou pas à un monde meilleur après, la vraie question persiste. Quelle trace laisse-t-on ici , dans ce monde là?

Je me demande si ce n'est pour un peu cela qu'on écrit, qu'on peint, qu'on photographie, qu'on blogue même...

Pour conserver sans doute, sur la toile ou ailleurs, une trace des moments passés et de l'instant présent.


P-S: J'ai bien conscience, en me relisant, ce que ce genre de post (programmé) a de "plombant"...heureusement, il n'y a qu'un seul 2 novembre par an...