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lundi 26 juin 2023

Ultramarins - Mariette Navarro

Ultramarins : un improbable conte maritime

 Je fais partie des lecteurs à qui on offre à peu près tous les romans récents qui ont le mot "mer" ou "marin" dans le titre. C'est comme ça. Dans ma famille, j'ai le rôle de la spécialiste maritime, alors même que j'ai le mal de mer (même en navispace), que je déteste bronzer sur une plage (à cause de ma peau de rousse) et que je suis une piètre nageuse. Et pourtant, la mer c'est mon domaine.

Bref pour Noël, j'ai reçu Ultramarins de Mariette Navarro ; et j'ai eu beaucoup de chance.

C'est l'histoire d'un gros cargo commandé par une femme

Et là déjà, forcément, ça claque. Une femme qui dirige des hommes et une énorme machine, ça a quelque chose de punk. Pour la lectrice lambda qui n'a jamais intimidé qui ce soit (et qui se fait à peine obéir par ses propres enfants), cette commandante force le respect. On comprend au fil des pages qu'elle lutte depuis toujours pour avoir l'autorité, la distance et le charisme nécessaires pour être obéie et respectée. C'est une inspection de l'intime à laquelle se livre Navarro, quand elle détaille tout ce qui se passe dans la tête et les tripes de la commandante. 

couverture Ultramarins Navarro
Ultramarins de Mariette Navarro
Quidam éditeur, 2022, 146p.

Au-delà de la femme puissante, on sent surgir la fille, la petite fille même, de celles qui marchent dans les pas du père, même quand ce dernier ne trace plus la route. Elle s'est construite dans la rigidité, par les règles de navigation et les rythmes d'embarquement. Le contrôle partout, tout le temps. Et l'imperméabilité aussi. 

Et puis, à un moment, la commandante accepte que l'équipage aille se baigner. Comme ça au milieu de nulle part. Elle ouvre une faille, elle prend un risque. Elle le sait mais le fait quand même, parce que finalement, quelque chose dans l'air le permet.

C'est un conte sur le temps suspendu

Il faut savoir écrire l'interstice dans le réel. Et Navarro le fait avec subtilité et poésie. Je n'ai jamais lu de plus belle description d'hommes entrant dans la mer. Il y a du Kerangal quand Navarro raconte l'immersion des corps dans l'eau sans fond, quelque part, au milieu de l'océan. On est à la fois effrayés et fascinés.

"On voit de quoi chacun est fait à sa façon d'entrer dans l'eau..." (p.26)

Et quand tous les hommes remontent à bord après la baignade improvisée, volée au temps, au protocole et à la feuille de route, il faut rassembler les effectifs, vérifier que tout le monde est remonté. Et c'est là que le conte surgit sous le compte. Il y a tout qui s'embrouille et quelque part le surgissement d'une autre réalité possible.

Dans ce temps qui s'arrête, il y a aussi le navire, qui devient presque un personnage à part entière, un protagoniste de métal et d'électronique. Faire de la poésie avec un cargo, c'est le sommet du talent littéraire, l'apogée du conte moderne. Il devient l'animal du récit, et c'est brillant.

C'est un livre sur les marins

Finalement, Ultramarins est un roman sur les gens qui n'appartiennent pas à la terre, à la vraie vie. 

"Il y a les vivants, les morts et les marins." (p.9)

Quand la commandante regarde ses hommes se baigner, et qu'elle détaille ce qu'elle connaît de chacun d'eux, elle mesure surtout tout ce qu'elle ignore. Les petits et grands secrets que les marins embarquent avec eux. Il y a dans le regard de la commandante l'analyse aigue du genre humain, l'hypervigilence pour scruter la personnalité de chacun. 

Finalement, ce n'est pas seulement un livre sur les marins, c'est un très beau florilège sur les gens qui ne se sentent ni d'ici ni d'ailleurs, sur les petits cassés, ceux qui ont besoin d'être loin du fracas du monde, 

Ultramarins est un livre sur l'envers des choses, sur le rebours du cours de la vie: une femme qui commande des hommes, le temps qui s'arrête et l'histoire qui se déroule différemment. Au début du livre, on se demande vers où cela va partir, parce qu'il y a tous les ingrédients pour que ce soit glauque, on sent que ça pourrait verser dans un sens ou dans l'autre cette histoire de femme qui commande une vingtaine d'hommes et une énorme machine au milieu de nulle part. Et c'est aussi parfait qu'inattendu.

Sans doute la plus belle découverte de l'année littéraire pour moi: le propos est beau, la narration est simple et inventive, chaque détail est soigné et le style est éblouissant, précis, ciselé. C'est ma pépite de 2023 (et je crois que je ne suis pas la seule).

5 commentaires:

  1. j'en garde un souvenir très fort!

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  2. Oui, tu n'es pas seule, ce livre a aussi été un coup de coeur pour moi (je l'ai lu via le prêt numérique en bibliothèque et après je l'ai acheté, notamment pour pouvoir le prêter) !

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  3. Oui c'est vraiment un très beau roman ;-)

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  4. Il me tente énormément, mais un de ceux que j'avais oublié de la rentrée littéraire dernière. J'espère une sortie poche bientôt. Parce que la nouvelle arrive 😜😉 (rentrée litt)

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    1. Je ne sais pas s'il y a une sortie poche avec cette édition, ce n'est pas certain...

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