Léonor de Récondo, Pietra Viva Sabine Wespieser éditeur, 2013, 227 p. |
Dans Pietra Viva, Léonor de Récondo nous raconte le séjour de Michelangelo à Carrare quand il doit choisir ses blocs de marbre pour le tombeau de Jules II. Une sorte de parenthèse dans la vie du sculpteur de la Renaissance. Mais bien sûr, les quelques jours à Carrare ne sont finalement qu'un prétexte, car le propos est ailleurs. Recondo nous brosse le portrait sans complaisance de Michelangelo, avec son génie, ses projets, sa vision de l'art et sa grande solitude aussi.
"Toute la nuit, il écoute les vagues, incapable de se détendre et de s'abandonner à la fatigue qui pourtant l'étreint" (p. 23)
Mais Pietra Viva, c'est un livre sur le coeur, sur celui des hommes d'abord, des ouvriers qui travaillent dans la carrière, des moines qu'il a laissés dans leur cloitre, d'un fou qui voit le monde différemment mais aussi sur le coeur des petits garçons qui ont perdu leur mère. Michelangelo rencontre Michele, un enfant qui lui ressemble, qui lui renvoie l'image de ce qu'il a oublié et qui force sa solitude. Une rencontre que j'ai trouvé extrêmement émouvante. Pietra Viva parle de ceux que le sculpteur a aimés et qui ont disparu.
"C'est ainsi qu'à six ans, il devient orphelin de mère et de mémoire" (p. 63)
Mais je ne suis pas aussi enthousiaste que d'autres, car Pietra Viva ressemble terriblement à ce son sujet : le marbre, froid, lisse, pur et beau. Pietra Viva parle du marbre qui engloutit les hommes et celui par lequel on ressuscite les disparus. Le style de Léonor de Récondo est minéral, si ce roman était une couleur, il serait d'un blanc lumineux, avec un présent intemporel sans fioritures et sans veinage. Mais il y a une indéniable froideur qui m'a tenue un peu à distance. Je sais qu'elle est nécessaire, car Pietra Viva parle de la beauté et de la mort, mêlées toutes les deux ensemble, cette beauté absolue de la Renaissance dont on a appris la proportion des corps (en cours d'art plastique de Terminale). Une beauté incarnée par le défunt Andréa, emporté dans sa jeunesse et dont la perfection hante Michelangelo pendant tout le roman.
"Andrea, tu es la beauté à l'état pur. La perfection des traits, l'harmonie des muscles et des os." (p. 16)
Il est évident que l'esthétisme absolu nécessite cette distance. C'est un livre sur la création et sur ses vertus, qui touchent la pureté et la beauté des choses, et qui ont néanmoins empêché la simple mortelle imparfaite que je suis, d'entrer complètement dedans
Sans le billet d'In Cold Blog, je ne l'aurais pas lu, et sans son départ je ne l'aurais peut-être pas chroniqué (lu en vacances, sans prendre de notes, avec du mal à trouver du temps pour le blog ces derniers temps). C'est avec un peu de tristesse que je vois disparaître certains blogs, et celui-ci n'est pas des moindres. Je rejoins le beau billet de Phili dont je partage la peine (toute virtuelle soit la cause). ICB tenait un blog à la fois exigeant, décalé et éclectique, dont les billets étaient tellement travaillés, complets et ouverts sur la blogo que je ne trouvais pas toujours quelque chose d'intelligent à dire (donc je m'abstenais souvent de commenter). Je regrette déjà son rythme très irrégulier de publications, son univers masculin et sensible, sa voix dissidente parfois aussi. ICB (dans l'image que j'en garde) était un endroit qui ressemblait un peu à un roman de Sagan, à la fois désabusé, soigné et lumineux (à interpréter comme un compliment de ma part).
Bon vent à toi Laurent.
(Il parait qu'une traversée 100% IRL, c'est bien aussi, je te la souhaite donc passionnante)