J. Robert Lennon, Mailman (2001) Monsieur Toussaint Louverture, 2014 (623) |
Ce livre, je ne l'aurais jamais acheté de mon plein gré et je ne l'aurais jamais lu si Jérôme ne m'avait pas gentiment offert les épreuves non corrigées, si Keisha ne l'avait pas adoré et si Coralie n'en avait pas fait une pépite.
Parce que voyez-vous, pour mon goûter, je suis plus sandwich-au-bacon-avec-a-cup-of-tea, qu'hamburger-géant-avec-coca-XL-dans-un-gobelet-en-carton. Je me sais réfractaire à la littérature outre-atlantique, et je craignais que Mailman ne présente tous les stigmates de ce que je fuis : de l'excès de langage et de situation, de l'intestinal décomplexé, des dénouements poussés au pire, de l'oralité à toutes les pages et surtout cette description désespérée d'une civilisation qui sombre...
Et effectivement, Mailman comporte tout ce que je crains et que je fuis habituellement. Mais c'est Mailman.
Mailman c'est un facteur, Albert, qui a complètement raté sa vie et pendant plus de 600 pages, nous faisons l'aller-retour entre ce qu'il a raté avant et pourquoi il va échouer maintenant.
Je pense que pour quelqu'un de globalement équilibré c'est une lecture de plutôt distrayante, mais pour un individu déjà foncièrement névrosé, cette lecture est une épreuve, une sorte de chemin de croix qu'on n'abandonne pas néanmoins, un miroir déformant et déprimant, tellement Mailman n'est pas si loin de nous.
Comme dans toutes les séries américaines que j'affectionne, Mailman commence assez normalement, par la description de la journée d'un looser acceptable, presque sympathique voire attachant. Le type qui fera toujours les mauvais choix dans la vie quotidienne, avec des journées toujours compliquées par un enchevêtrement de circonstances malheureuses. C'est acheter le mauvais produit au mauvais moment, choisir la mauvaise viennoiserie, boire son café dans un établissement en dépôt de bilan, garder un chat chez soi alors qu'on n'aime pas les chats, tenter de partir se réaliser ailleurs et revenir la queue entre les jambes, se faire prendre sur le vif les 2 secondes où on fait quelque chose d'inavouable...bref. Un poissard.
Il y a des moments littéraires que j'ai trouvé géniaux: la description de l'action de l'aspirine particulièrement, ou les réflexions sur le suicide. Je me suis retrouvée dans toutes les contrariétés quotidiennes qu'il subit, dans son côté rabat-joie lors des manifestations de la ville, dans sa rancoeur envers un universitaire imposteur, tout cela avec un humour noir et assez délicieux.
Le problème, c'est la progression. Un facteur qui lit le courrier de ses "usagers", moi ça ne me choque pas plus que ça finalement, même le suicide de l'un d'eux, à la limite, pourquoi pas (c'est un personnage auquel on n'est pas attaché, puisqu'il meurt presque au moment où il apparaît dans le livre).
Le vrai problème c'est qu'à force de remonter vers son enfance, c'est un peu plus qu'un looser qui apparaît, ce ne sont plus des petites névroses mais carrément ses tendances un peu inquiétantes (sans être dangereuses). Et peu à peu, et ça c'est de mon point de vue très américain, la bosse qu'il se fait en se cognant n'est plus simplement une petite bosse (seuls les hypocondriaques irrattrapables me comprendront).
Tout est énorme, grave et sans issue.
C'est finalement l'histoire d'un type malheureux, globalement mal-aimé, qui n'a pas trouvé sa place dans une société qui ne lui ressemble pas, qui n'a reçu la bienveillance désintéressée de personne, qui est trop intelligent pour passer outre ce que le monde lui renvoie, mais pas assez pour faire avec.
"Vous pouvez toujours apprendre par coeur tout le dictionnaire, ce n'est pas ça qui vous rendra capable d'écrire Le Roi Lear" (p.31)
C'est un livre terrible sur la vacuité de nos existences (à lire un jour de pluie et de solitude ou lors d'une digestion difficile)
Il va rester en moi un moment ce roman, parce qu'il est important sans doute (et parce que je l'ai lu dans une période de forme relative en plus). Il n'y a pas à tortiller, j'ai du mal avec la franchise américaine, j'ai encore besoin qu'on me mente un peu sur le bonheur, et tout ça
Je crois même que je n'ai pas fini de grandir.
Deuxième participation au mois américain et merci Jérome ;-)
Bon, tu m'excuseras mail ce sera sans moi ! Je trouve que tu as eu bien du merite d'etre arrivée au bout d'un truc pareil !
RépondreSupprimerPour moi Papillon, c'est une lecture très éprouvante, je ne le nierai pas, mais ça fait écho à plein de choses aussi. Tu sais que même un mois après, il m'en reste encore un souvenir extrêmement vivace....
SupprimerTu le vends très bien malgré tes réticences initiales mais malgré tous les avis élogieux, je l'ai noté bien sûr mais je ne le ressens pas comme une urgence... Il attendra son tour ! Que tu n'aies pas fini de grandir à ton âge me paraît plutôt sain, surtout ne grandis pas trop vite !!! ^-^
RépondreSupprimerTu sais Aspho, il faut vraiment être en forme pour le lire, car c'est un roman qui ne croit pas au bonheur.
SupprimerJe ne le sens pas pour moi, contrairement à Jérôme, je ne suis pas fan des loosers ( je ne parle pas de toi, pour moi tu n'es pas une looseuse). C'est étrange que tu aimes les séries américaines mais la littérature américaine. Tu sais l'expliquer?
RépondreSupprimerC'est l'Homme qui aime les séries américaines qui me traumatisent (genre Mentalist ou Dexter), mais j'avoue que j'adore Urgences et Grey's anatomy, ce qui est pathétique pour une hypocondriaque comme moi ;-)
SupprimerPas du tout envie de lire ça... faut dire qu'après Hadrien, le choix est difficile ;-)
RépondreSupprimerTu m'étonnes...passer de l'empereur au facteur, c'est archi risqué !!
SupprimerJ aime beaucoup le personnage de Mailman, c est une sorte d oncle zarbi qui réalise sans aucun complexe ses fantasmes tordus !
RépondreSupprimerNon justement Eva, il ne les réalise pas finalement (je pense à sa soeur par exemple, à sa carrière universitaire aussi), ce type passe à côté d'une partie de sa vie, bref un looseur quoi ;-)
SupprimerIl est beau ton billet !! Oui j'ai adoré ce livre et ce que tu dis sur la littérature américaine que j'aime tant me fait réfléchir...
RépondreSupprimerAh oui Coralie, j'imagine à quel point Mailman a résonné en toi (en plus on en a parlé hein ?)
SupprimerEh ben voilà ...pendant que nous étions au Festival America , tu lisais ricain , c'est pas beau , ça ?!
RépondreSupprimerCe qui s'appelle être en phase, moi je dis...
C'est pas faux Mior ;-)
SupprimerBravo pour l'avoir lu et avoir survécu! Evidemment ce genre de roman, c'est ma came absolue, je l'avoue (j'aime aussi le comte de MC, hein, et les trucs à bons sentiments qui se terminent bien).
RépondreSupprimerOui Keisha je me souviens que tu avais été emballée, tu sais qu'il me poursuit encore Mailman, même un mois après ;-)
SupprimerEn lisant ton billet, je me disais que tu devais détéster David Vann !
RépondreSupprimerJ'ai commencé Mailman, et puis je me suis arrêtée au bout de 5 pages, le ton du roman ne me convenait pas ... je ne sais pas trop si j'y retournerais parce que l'histoire du looser voué à la loose, je trouve ça un peu limité finalement, j'aime quand les personnages évoluent je crois.
Ah non mais Malika , c'est sûr, Vann n'est pas pour moi.
SupprimerBon moi j'ai adoré le ton du roman, c'est l'humour que j'aime et le désespoir que je comprends, et bon bah disons que ça évolue mais pas dans le bon sens, d'où ma dépression post mailman
;-)
Je l'ai noté chez plusieurs personnes, je pense que ça pourrait me plaire.
RépondreSupprimerah oui Adalana si tu aimes ce genre, c'est quand même ce que j'ai lu de mieux dans ce style .
SupprimerAh bon, le bonheur n'existe pas, seulement dans le mensonge et les contes ? C'est plutôt une façon d'appréhender la vie. Certains le feront avec plus d'optimisme et plus d'enthousiasme que d'autres. Ils en seront plus heureux...
RépondreSupprimerAlphonsine, très clairement, ce n'est pas un roman qui rend heureux, mais qui pose de vraies questions c'est vrai ;-)
SupprimerJ'ai vraiment très envie de le lire celui-ci, je crois que ça devrait beaucoup me plaire !
RépondreSupprimeroui je le crois aussi Titine, il y a un côté monumental dans ce livre, et pas seulement à cause du nombre de pages .
SupprimerIl a l'air séduisant ce livre d'après ta chronique mais on a déjà lu ça 2000 fois...et puis 600 pages....bon en même temps, le bonheur n'existe pas, l'amour est impossible mais rien n'est grave...
RépondreSupprimerNan MTG tu ne l'as sûrement pas lu 2000 fois, et je te trouve vraiment gonflé de citer Beigbeider sur mon blog quand même.
SupprimerHeureusement que je t'aime bien toi !
pour ma part, je n'ai lu que le résumé et même si j'ai vu de bonnes critiques, ça ne pas m'a emballé tant que ça..j'attendrais ton prochain coup de cœur avant de me lancer.
RépondreSupprimerBienvenue ici Khris Anthelme (dont la page n'est pas accessible ;-)
SupprimerIl m'a trop chamboulée pour être un coup de coeur, mais pour quelqu'un de plus équilibré que moi, je pense qu'il peut le devenir ;-)
Mais avec des mensonges sur le bonheur tu risquerais de finir par aimer les happy end ;-)
RépondreSupprimerC'est pas faux ma Sophie ;-) (mais là c'est vraiment désespéré comme truc)
SupprimerJ'adore ce billet, les reproches que tu fais à la littérature américaine sont exactement les qualités que je lui trouve. J'avais tellement envie de te faire découvrir ce Mailman ;)
RépondreSupprimerL'idée que ce personnage va te poursuivre longtemps n'est pas pour me déplaire, j'avoue. Et si un jour tu voulais découvrir l'incroyable Ignatius Rilly de "La conjuration des imbéciles", fais-moi signe, je me ferais un plaisir de t'offrir ce roman culte (bon, Valérie l'a détesté je crois mais peu importe...).
Tu sais que ça veut quand même dire que nous avons la même perception de la littérature américaine , hein ?!
SupprimerJe vais attendre de digérer Mailman, (j'y pense encore, la fin me poursuit), et merci Jérôme de m'avoir ouvert un peu mes horizons (un personnage qui reste en nous atteste d'un roman réussi n'est ce pas?)
Je passe mon tour. J'ai déjà du mal moi-même avec la vacuité de nos vies alors pas envie qu'on me le montre dans un bouquin.
RépondreSupprimerOui alors là c'est sûr, de ce point de vue Estelle, c'est une souffrance.
SupprimerJe ne suis pas très américains moi non plus, mais je note.. Quoi que les loosers en ce moment, ça ne soit pas idéal pour mon moral !!!
RépondreSupprimerOui Liliba, c'est le risque tu sais ;-)
SupprimerJe me le suis offert également et j'en espère beaucoup, car d'après ce que tu dis je pense être plus dans la cible que toi.
RépondreSupprimerJe te le souhaite Vio, mais je crois que mon problème était que j'étais trop dans la cible en fait, du coup, pas de chance, je me suis identifiée tu vois.
SupprimerBonne journée
J'ai aimé lire ton billet mais je ne me sens pas prête pour 600pages de pessimisme
RépondreSupprimerSi je te dis que c'est drôle aussi Evalire, ça te fera changer d'avis ?
SupprimerJe me suis transformée en serial poissarde, ces dernières semaines. Ce livre pourrait peut-être m'aider à relativiser.
RépondreSupprimerSinon, pour ce qui est du bonheur, Forrest Gump (après une enfance pas terrible il est vrai) a eu toutes les chances et les opportunités possibles, mais était-il plus heureux ?
C'est toute la question Aliénor, le succès ne rend pas forcément plus heureux mais l'échec rend plus malheureux ça c'est certain. Après on peut discuter sur la définition de l'un et de l'autre aussi ;-)
SupprimerJ'aime ton billet, mais pas envie de passer outre mon peu d'intérêt pour la littérature américaine récente. Leurs écoles pour apprendre à écrire des livres font qu'ils présentent souvent la même trame et le même besoin de noircir des pages et des pages
RépondreSupprimerNon là je t'assure Zazy, c'est un roman original et intelligent, même si pour le reste je suis entièrement d'accord avec toi (surtout quand je vois que Nikitas anime des cours d'écriture alors que son "longue division" est l'un des romans les plus mal écrits que j'ai lus l'année dernière)
SupprimerJe suis accro à la littérature américaine, mais peut-être pas pour les raisons que tu décris. Ce titre me tente tout de même !
RépondreSupprimerIl est objectivement très bien, mais il m'a fracassé le moral pendant un week-end.
Supprimerj'aimerais beaucoup avoir ton avis Céline ;-)
Jérôme a bien fait de t'envoyer ce roman ! ;-)
RépondreSupprimerVoui
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