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vendredi 1 décembre 2017

My November



Un mois de novembre qui tient toutes ses promesses: premiers virus hivernaux et le cortège des mauvaises nouvelles / Tu pars de chez toi, il fait nuit; tu rentres chez toi, il fait nuit / Bonne ambiance /  Survivre au crépuscule de l'année 2017 / Numérobis, un dimanche midi qui nous annonce, devant ses côtelettes d'agneau, qu'elle ne veut plus rien manger qui ait été vivant "avant" / Merveilleuse Odyssée de Daniel Mendelsohn, une lecture aussi éblouissante qu'érudite, et si tout était une histoire de filiation finalement ? / Qu'y a-t-il donc dans le tome 2 d'Eragon pour que Rayures nous demande aussi de ne plus lui proposer de viande ? / Accepter -par lâcheté- d'intégrer un équipe de courses en relai avec du dénivelé : perdre son honneur, sa dignité et un poumon / Le boulet qui a du mal à suivre / Une escapade parisienne forcée / La splendeur des Amberson pour mes 6 heures du trajet aller / Se réveiller entre la Sorbonne et le Panthéon et mesurer l'ampleur d'un renoncement / Un dîner entier où ça parle anglais: solitude quand tu nous tiens / Allemand LV1 évidemment / Traverser tout Paris pour fêter le livre et ne pas décoller du bar / Radio France et le syndrome de l'organisation d'un autre monde, n'est ce pas Sophie ? / Réussir à ne voir aucun auteur alors qu'on est là pour ça / "on peut passer monsieur ? " "Oui oui, vous redescendez, vous retraversez tout , et vous remontez les escaliers pour arriver par le 104" / Le moment du bug / Un thé à la menthe sans thé / Un jus d'abricot qui vient trop tard / Des rencontres qui sont en fait des retrouvailles : les évidences amicales / Team Elle 2014/ 4 ans déjà / Un dos de cabillaud dans le 5ème avec ma binômette / "The" jogging proustien dans les jardins du Luxembourg, et au lever du soleil, sentir surgir un vague sentiment d'éternité/ 7 Km dans un froid de gueux / Retourner plein Sud avec La légende du dormeur éveillé offert par mon irremplaçable leader Rentrer et découvrir dans sa boîte au lettres, l'attention de la délicate Aifelle, toujours présente malgré tout / Un mois pendant lequel j'ai perdu la blogosphère en route / Le temps de rien / Un jour, même moi j'oublierai que j'ai blogué à un moment / Pas le temps de faire une vidéo / Décembre et ses fêtes qui nous tendent les bras / L'espoir improbable de pouvoir rédiger un billet / Duracell toujours en grève du sommeil / What did we expect ?
A tout bientôt les amis ;-)




dimanche 5 novembre 2017

Compte rendu de vacances #ToussaintForEver

J'ai testé pour vous : les vacances inratables.

Pour, nous les vacances constituent une vraie réflexion philosophique (parce qu'on en a très peu et du coup on a bien le temps d'y réfléchir en amont). L'Homme et moi considérons qu'en août, c'est risqué de partir en vacances : la canicule, le rythme ralenti, les bouchons sur l'autoroute, les beaufs en vadrouille, non vraiment on est au dessus de cela, du coup on travaille les 9 semaines des vacances scolaires et on joue la sécurité (#SecondDegré). Par conséquent cette année et on a privilégié novembre.

L'Univers était de notre côté: beau temps, couleurs d'automne, grand chalet au calme, frigo plein; non là comme ça a priori,  partir tous les cinq ne pouvait être qu'une totale réussite. J'avais même prévu de poster des photos des girls sur Instagram, s'enlaçant avec tendresse sur fond de coucher de soleil, rigolant aux éclats, genre "famille Ricorée". En plus, je n'ai pas vomi dans les virages en montant, présage on-ne-peut plus optimiste pour des vacances réussies, je me suis contentée de chouigner sur Arrivederci de Biolay sous le regard consterné de l'Homme et des girls qui ne comprennent pas ma passion pour les chanteurs dépressifs (ou morts...ou les deux- mais la il est vivant...la preuve il fait la Nouvelle Star, ce qui réjouit l'Homme qui me titille avec cette histoire, bref).

Je suis donc partie avec l'entrain qui me caractérise, bien décidé à mettre ce séjour à contribution pour résorber  les cernes bleues qui me défigurent et ce petit teint grisâtre qui fait ressortir la frange que je me coupe moi-même (coiffeur c'est un métier, mais je n'ai jamais le temps d'y aller). J'étais d'autant plus optimiste sur nos vacances en famille qu'on m'avait toujours dit: un bébé difficile fait un ado tranquille . Dans la mesure ou Rayures a eu ses premiers amis imaginaires dès 2 ans, qu'elle a fait ses nuits à 3 ans, que toute sa scolarité jusqu'à présent a été un long chemin de croix où je passais ma vie dans les bureaux des maîtresses, directrices ou psychologue scolaire, honnêtement, je me suis dit que la puberté couplée à l'entrée au collège serait plus que tranquille (même si bien sûr le fait qu'elle ait été collée dès la deuxième semaine de son entrée au collège aurait du me mettre la puce à l'oreille).

ERREUR

Rayures découvre à 11 ans que le monde est moche et ne s'en remet pas du tout. Elle déplore la déforestation, le racisme, la cruauté des hommes, l'indifférence des pays riches pour les pays pauvres (cf: cours de géographie à réviser pour la rentrer, attention évaluation sur table), les faits divers qu'elle apprend on-ne-sait-où vu qu'elle ne regarde pas la TV et n'a pas Internet sur son téléphone (les copains au collège peut-être, car elle en a...pas ceux que j'aurais espéré mais bon). Elle n'échappe évidemment pas à cette langueur adolescente qui m'exaspère, à l'absence d'enthousiasme dès qu'il s'agit de sortir, elle tente d'échapper à la plupart des corvées domestiques et souffle en déambulant dans la maison, plein de rancoeur contre l'ONU qui ne fait rien contre la guerre, sa prof d'histoire géo qui pratique la classe inversée, les chasseurs qui font du mal aux animaux "juste pour le plaisir", la peste de sa classe qui lui a dit que son idée de roman était bof, et l'ophtalmo (le seul qui accepte de lui prescrire des lentilles) qui arrive toujours à lui glisser une petite vacherie lors de la consultation.

Du coup, pour ne pas garder tout ça pour elle ("parce que Mamie, elle dit qu'il vaut mieux que ce soit dehors que dedans, sinon on s'abîme la santé"),  elle en fait profiter sa soeur de 8 ans (pour qui le dernier drame tient à un rebondissement malheureux du  Royaume de feu), Numérobis donc qui découvre qu'à 9 ans une petite fille peut disparaître lors d'un mariage et pour toujours (ambiance ambiance). Le problème subsidiaire c'est effectivement les capacités vocales de Numérobis dotée d'une voix forte et éraillée. Elle hurle donc sa résistance au monde réel à grand coup de "Elle est méchannnnnnnnnnte, elle dit ça pour que je fasse des cauchemars". 

On m'avait dit aussi "3 filles, c'est cool, bien mieux que 3 garçons, au moins tu évites les bagarres".

ERREUR

L'Homme et moi élevons nos filles comme n'importe quel garçon,  et du coup fatalement, elles se cognent, se menacent de mort, se donnent des coups de pieds, se courent après avec des bâtons. Il y en a une qui souffle et l'autre qui hurle. Chacune est bien sûr convaincue qu'on lui préfère l'autre, c'est délicieux, surtout avec les arbres qui rougeoient et le dégradé des jaunes chaleureux de l'automne.

A cela bien sûr, il a fallu ajouter Duracell dont on pensait qu'une maison avec jardin lui ferait le plus grand bien (le grand air, le calme, la nature....)

ERREUR

Duracell est dangereuse juste dans un salon avec une simple table basse. Quand elle tente de sauter de la table au canapé, je manque de faire une crise de spasmophilie, donc là avec des escaliers partout, j'ai juste passé ma semaine à répéter en boucle "les barrières sont bien rabaissées devant l'escalier ?". Au bout de 2 jours, évidemment plus personne ne me répondait: l'Homme ne m'entendait pas, Rayures soufflait genre "ma mère cette relou" et Numérobis chantonnait l'air des chevaliers du Zodiaque (sa nouvelle lubie ramenée de la bibliothèque grâce à l'influence de l'Homme). Bien entendu, au mieux Duracell a dormi jusqu'à 4h (5h ancienne heure donc presqu'une nuit, yeahhhhhh), au pire elle s'est réveillée toutes les trois heures (à cause de l'altitude, ou parce qu'elle n'est pas dans son lit et toussa quoi; l'avantage des vacances c'est qu'on a des prétextes à la pelle pour justifier qu'à presque 2 ans elle ne dorme toujours pas).

Duracell a également découvert qu'elle a deuxième parent, l'Homme, avec qui tout est plus facile. Miel pops au petit déjeuner, courses sur les épaules, verre en verre pour boire, pas d'obligation de mettre un manteau pour sortir ("Il fait 8 degrés quand même" "mais elle ne veut pas, c'est qu'elle n'a pas froid je te dis" "nan mais à 21 mois, peut-être qu'on sait encore mieux qu'elle?")

Au final, je me suis dit: tiens et si j'allais courir pour évacuer.

ERREUR

Courir à 1000m d'altitude, c'est courir en côte, se bruler les cuisses et les poumons (honnêtement je ne suis pas médecin mais je pense vraiment que je n'étais pas loin de pneumothorax ) . Juste avant que je parte, Rayures m'a rappelé que courir seule dans un chemin désert, c'était risqué, surtout vu les événements récents (moue de connivence et regard appuyé) et évidemment elle sait que je suis peureuse comme tout et que moi aussi j'ai peur de la mort et des gens méchants. Je suis donc partie moyennement rassurée, et pendant que j'écouter System of a down, une idée a germé dans mon cerveau suroxygéné.

J'ai envisagé de simuler ma disparition pour aller faire le plein de sommeil dans un hôtel reculé. Il suffisait que je vide discrètement le Livret A de Duracell (qui s'en rendrait compte qu'à sa majorité), et que je m'organise comme Walker dans le dernier Bello pour me reposer quelques temps (je n'ai besoin que de livres, cigarettes, une ou deux bières, des capsules de café et du pain frais).  Je comptais revenir 3 jours après et dire que j'avais souffert d'une amnésie passagère suite à une chute dans un petit chemin (futée la Galéa!! Plus crédible tu meurs). Au moment où je réfléchissais à la manière dont l'homme pourrait gérer les 3 pendant 3 jours (et l'éventualité de mettre ma mère -qui n'a jamais su garder un secret- dans la confidence pour lui apporter un soutien logistique),  ma playlist a enchaîné les premiers accords follement joyeux de "Ton héritage".

"Si tu aimes les soirs de pluie mon enfant mon enfant" ; bon fatalement j'ai été obligée de reconsidérer la situation. Biolay décidément. "Si tu parles à ton ombre de temps en temps" alors déjà que Rayures est dans un phase compliquée, peut-être n'est-ce pas le meilleur moment pour disparaître, même pas longtemps, sans compter ce que je risque de me prendre si jamais un jour elle attaque une thérapie. "Si tu aimes ce qui est bon, si tu vois des mirages" après, il y a aussi Numérobis qui doit travailler ses saletés de démanchés pour son audition, et honnêtement on n'y est pas, l'Homme est encore plus nul que moi en clef de fa, et je ne suis pas certaine que la table de 8 soit totalement acquise (le 7 X 8 reste un problème récurrent). Enfin il faut bien avouer que vu l'autorité que l'Homme a sur Duracell, je crains quand même qu'elle se prenne pour Dieu  (autant il va lui faire d'une entrecôte maître d'hôtel à midi parce qu'elle ne veut pas de steak haché). "Ce n'est pas de ta faute, c'est ton héritage, ce sera pire encore quant tu auras mon âge"; oui donc là je me suis dit que déjà, vu qu'on vient tous les deux de familles dysfonctionnelles, ce n'était pas la peine d'en rajouter et qu'il fallait mettre toutes les chances de leurs côtés.

En plus j'ai croisé un type bizarre avec un chien et un fusil: 3 éléments qui m'inquiètent toujours quand je suis seule, même en baskets; j'ai regagné la maison mine de rien en fredonnant "il faudra faire avec ou plutôt sans".

J'ai été accueillie par un "déjà?" de Numérobis, par un "j'ai oublié tous mes devoirs à la maison et j'ai 4 évaluations à la rentrée" de Rayures, et par une cascade de Duracell à qui l'Homme tentait péniblement de mettre des chaussettes "elle préfère être pieds-nus je t'assure"

Nous sommes repartis le lendemain de mon projet de fugue, parce que j'avais oublié qu'il y avait un rappel de vaccin pour Rayures (et que l'infirmière du collège m'a mis un mot dans son carnet de santé avec des gros points rouges d'exclamation). 

Une fois de retour à la maison, les filles ont décidé qu'il serait bien mieux pour tout le monde qu'elles dorment toutes les trois dans la même chambre (on a déménagé et fait 6 mois de travaux juste pour avoir une chambre de plus- c'était vraiment une idée géniale, merci l'Homme). Rayures  a eu le rappel de son vaccin, Numérobis a passé une nuit à toucher les 40 de fièvre, Duracell a enrichi son vocabulaire d'un nouveau mot "oh la la". J'ai un jour et demi pour faire les devoirs de tout le monde et 4 ou 5 machines à faire tourner avant lundi.

Belle rentrée à tous.  Je le répète la Toussaint, en termes de vacances en famille, c'est une valeur sûre. Demain je vais afficher une mine réjouie et répondrai avec un sourire éclatant "c'était une semaine merveilleuse".

"Et si tout se déroule jamais comme dans tes plans, si tu n'es qu'une pierre qui roule, roule mon enfant"

mardi 31 octobre 2017

My october

C'est l'heure des petites choses anodines et littéraires du mois d'octobre.

Le bilan d'un mois d'automne en 2 minutes (fait un peu en catastrophe quelque part entre les montagnes françaises et italiennes).


Bon mois de novembre à tous

samedi 28 octobre 2017

Souvenirs dormants - Modiano

Patrick Modiano, Souvenirs Dormants (2017)
Gallimard, 2017, 105 p.

Retrouver Modiano après trois ans d'absence

Ce n'est pas si simple le premier roman après un Nobel, une belle médiatisation, quelques polémiques (et mon éphémère heure de gloire bloguesque à l'annonce de son prix). On ne va pas se mentir, il y a la peur d'être déçue, la crainte qu'il ait changé, ou même d'avoir trop changé soi-même au point de ne plus être sensible à sa manière si singulière d'écrire. C'était un risque ces retrouvailles.

Je me suis donc jetée dessus le jour de sa sortie, avec crainte et fébrilité (déjà dépitée du trop peu de pages de son nouvel opus). J'ai de la chance, il y a des choses qui ne changent pas dans la vie : ce qu'écrit mon romancier préféré et ma manière de le lire. Tout va bien donc.

C'est toujours l'histoire d'un homme qui se souvient

C'est encore le long rassemblement des souvenirs qui s'éparpillent toujours plus à mesure que le temps passe. Car même si Modiano aura pour moi toujours une trentaine d'années, on ne va pas se mentir, c'est maintenant presque un vieux monsieur. C'est vrai, c'est encore une histoire de déambulation, d'adresses d'un autre temps, c'est, selon les expressions journalistiques maintenant convenues, son éternelle "géographie intime", ses "brouillards phosphorescents", la "petite musique de Modiano"...mais au fond c'est tellement plus que tout cela.

Souvenirs dormants raconte la longue solitude d'un jeune homme entre 17 et 22 ans, et de ses rencontres imprécises. Des femmes essentiellement. On y retrouve les personnages féminins de ses autres romans, on croise des état-civils qui en rappellent d'autres, des situations qu'on a déjà lues. Il y a la femme mystérieuse et légèrement fatale, forcément mariée mais sans époux. Il y a la très jeune femme sous emprise, la vingtaine à peine engagée, fragile, en équilibre entre deux mondes et qui ne s'appartient pas vraiment. Il y a le couple en fuite qui se cache d'hôtels en hôtels. Et surtout, il y a celle qu'il ne veut pas nommer et pour cause :

"je me méfie encore , après cinquante ans, des détails trop précis  qui pourraient permettre de l'identifier" (p.75)

Souvenirs dormants répond une fois de plus au reste de son œuvre

Cette femme qu'il ne veut pas nommer, c'est peut-être Carmen de Quartier perdu. Ici, les souvenirs dormants paraissent aussi potentiellement inquiétants que des agents. Car c'est d'abord et surtout un roman sur le danger, la peur, la disparition, la fuite et le mystère. Modiano ce n'est pas que du flou, c'est aussi l'évocation des gens malveillants, au passé trouble, des hommes dangereux, menaçants, ceux dont il disait dans son précédent livre qu'ils sont aussi coupants de face que de profil (de mémoire hein, peut-être ce n'est peut-être pas la formulation exacte).

Deux jours après l'avoir terminé, après avoir relu Quartier perdu, une partie Du plus loin de l'oubli et de Fleurs de ruines, ainsi que certains chapitres de sa biographie, je me dis que l’œuvre de Modiano c'est un monde parallèle (disparu, imaginaire, littéraire ? peu importe). Je ne sais pas du tout si Souvenirs Dormants pourrait plaire à quelqu'un qui ne connaît pas son œuvre, parce que je le lis à la lueur des autres. Mais pour le lecteur assidu et un peu obsessionnel de Modiano (dont je suis), ce dernier roman, presque trop court, trop essentiel, est une nouvelle piste de compréhension, qui une fois de plus éclaire tout le reste. La matrice de l'écriture de Modiano c'est vraiment le danger, la fuite, l'évaporation, le souvenir.

Car ce que nous confirme Souvenirs dormants (et on respire l'effroi du narrateur (ou de l'auteur) à l'évoquer une nouvelle fois) c'est que si l'Occupation est au cœur de sa production, il y a aussi une certaine nuit de l'été 1965, avec un cadavre froid au 2 avenue Rodin, Paris XVIe. Modiano nous renvoie lui-même vers Quartier perdu avec la production du rapport d'enquête, les constatations de la police, avec la fuite et la disparition. Clin d’œil littéraire ou dissimulation du réel, à la limite peu importe.

"Ainsi, on ne saura pas s'ils appartiennent à la réalité ou au domaine des rêves" (p.96) 

Un narrateur face à ses propres démons

Dans Souvenirs dormants, c'est comme s'il trainait derrière lui depuis trop longtemps quelque chose qui mêle le drame et la beauté, le banditisme et la fragilité. Des crapules qui menacent des femmes en suspension. Il y a un demi-siècle, le narrateur pense n'avoir été qu'un simple figurant dont personne ne se souvient, au milieu d'une population marginale et désargentée. On l'observe faire le bilan de ses nombreuses fugues et de ses lâchetés.

"Nous étions partis à pied  de Saint-Maur, 35 avenue du Nord, et nous avions mis 20 ans pour arriver au 76, boulevard Serurier". (p.100)


Force est de constater que plus je le lis, plus je tente de reconstituer avec lui ce qui a pu se passer. Je croise ses romans, confronte ses personnages, je m'interroge, je cherche...bref j'ai l'impression de refaire une thèse. 
 

Je me demande combien sommes-nous de lecteurs un peu fous (et moyennement en place quand même il faut bien l'avouer) qui continuons à reconstituer l'ensemble de son enquête sur ce qui n'est plus et qui n'a peut être même jamais été. Combien sommes-nous à recouper les états-civils improbables, les adresses et numéros caduques ?

Et puis à chaque fois, il repart pour une nouvelle destination qui n'existe plus, ici ce n'est pas vers la rue des boutiques obscures à Rome qu'il poursuit son chemin , mais vers le portail vert de la dernière maison d'un village nommé Remauville.

(que j'ai déjà localisé sur ma carte...tout en dissimulant à l'Homme mes agissements, je suis irrécupérable...).

dimanche 22 octobre 2017

Les Furies

Lauren Groff, Les Furies
(Fates and Furies 2015)
Traduction: Carine Chichereau
Editions de l'Olivier, 2017, 427 p.

Lire Les Furies , c'est attendre la dernière partie pour comprendre le titre, et très honnêtement, on n'est pas déçu, on peut dire, sans rien déflorer, que le roman porte très bien son nom. Parce qu'on a des furies de compétition quand même.


Avant d'y arriver à ce dernier chapitre -qui remet tout dans le bon sens-, on suit l'histoire de Lotto Satterwhite, un dramaturge américain célèbre. Si le roman s'ouvre sur la scène de la consommation de son mariage sur une plage, en réalité, avec les flashback, on connaît le parcours de Lotto depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Lotto c'est l'acteur charismatique mais raté qui ne parvient pas à décrocher le moindre cachet, mais qui devient, suite à une énième déception noyée dans l'alcool, un auteur génial et adulé de tous. 

Alors évidemment, la perditude étant une sorte de hobbie chez moi, je me suis régalée de cet état d'esprit américain qui permet à chaque loser de réussir sa vie malgré tout. La notion des secondes chances est l'un des bonheurs de la mentalité américaine. Les Furies, c'est un roman addictif, jamais ennuyeux (en tous les cas de mon point de vue, je sais que d'autres blogueurs y ont vu des longueurs), porté par souffle narratif dense. On y parle de la création, de l'inspiration qui nait et qui disparait, de la nécessite de produire de l'art, de se renouveler, on y parle de spectacle vivant, dont il restera toujours les mots mais qui n'existe jamais que de manière éphémère.

D'autant que finalement l'ascension de Lotto reste la toile de fond de l'histoire d'un couple. Et ce n'est pas un hasard si le roman s'ouvre sur les ébats de Lotto et Mathilde, car cette Mathilde est pour moi le vrai personnage principal du roman, femme de l'ombre du grand homme, comme l'exigent les codes de ce type de situation, elle est donc celle qui organise, qui traite, qui choisit, qui colmate...bref c'est le double laborieux du dramaturge réputé; jusques-là, on se dit qu'on est dans les thématiques classiques.

Mon seul problème, et je pense que c'est culturel, c'est l'outrance. J'avais déjà ressenti cela à la lecture des Apparences de Gillian Flynn, mais je crois, à la réflexion, que c'est propre à une certaine littérature américaine (et féminine): l'explicite qui hurle, le trop du trop, l'absence de suggestion. C'est particulièrement vrai pour les scènes de sexe (évidemment incontournables quand on traite du couple), mais qui sont à la fois récurrentes, exagérées, détaillées et un peu redondantes....uniquement quand il s'agit de scène hétéro bien sûr, puisque les deux passages de relations homosexuelles sont très implicites voire carrément suggérées, pour ne pas choquer le lecteur puritain sans doute.

Sauf que bien sûr, Les Furies va bien au-delà de tout cela. Il faut absolument le lire jusqu'au bout du bout pour attraper le vrai propos, qui de mon point de vue - ATTENTION SPOILER- fait de Lotto non plus le personnage principal, mais un prétexte, un enjeu, presque un objet que les furies se disputent. On peut ne pas être d'accord, mais pour moi, le renversement de point de vue du dernier quart du roman est sa grande réussite.

Parce que finalement, les Furies traite de la part d'ombre de chacun, le roman pose la question de savoir si on s'appartient vraiment, si véritablement on choisit seul son chemin de vie. Les Furies , c'est un roman sur l'amour, la création, l'aigreur, sur les rôles qu'on joue sur scène et dans la vie, sur ce qu'on est et sur ce que les autres pensent qu'on est. C'est un livre sur l'emprise et finalement ce n'est pas nécessairement celui qu'on pense qui domine l'autre. 

Bref, on lit Les Furies comme on boit un apéritif trop corsé: c'est bon, ça brûle un peu, ça tourne la tête, et on ne sait pas bien dans quel état on va finir.


C'était ma dernière chronique avant une sortie tant attendue #ChocDesAmbiances
J-4 avant le ModianoDay

vendredi 13 octobre 2017

La Porte

La Porte de Magda Szabò (1987)
Traduction Chantal Philippe
Livre de Poche, 2017, 346 p.
Pour rester cohérente avec la ligne éditoriale de ce blog, je me suis dit que présenter La Porte de Magda Szabò, c'est vraiment être dans un état d'esprit anti feel-good. Car lire ce roman, à la toute fin de l'été, c'est choisir d'être à contretemps, à contre-saison, à contre-ambiance. Tout y est étrange, décalé et étonnant. 

La Porte dont il est question, c'est celle d'Emérence, personnage principal du roman, femme de ménage hongroise, déjà d'un certain âge. La déjà, on sent qu'on n'est pas là pour rigoler. S'il est question d'Emérence c'est que la narratrice, une romancière assez connue, a besoin de quelqu'un pour tenir sa maison. A priori, on a le droit de penser que l'intrigue n'est pas vraiment attrayante.  D'autant que, et tout l'intérêt du livre est là, la porte d'Emérence reste close. 

 L'infranchissable porte d'Emérence, c'est la frontière éternelle de son intimité. 

Et derrière la porte toujours fermée de la vieille dame qui balaie, lave, époussette et range, il y a une vision du monde, les restes de son passé, de ses déceptions et de ses espoirs. Ce roman c'est d'abord l'histoire en creux d'une personnalité un peu hors des normes dans la deuxième moitié du XXe siècle (a peu près). 

Car Emérence, c'est vraiment la femme de ménage qui bouscule les codes de ce que l'on pourrait appeler la "domesticité". C'est l'employée qui choisit ses patrons, qui impose ses idées, ses horaires, sa rigueur et aussi un certain sens de la loyauté. Elle fait partie de ses personnages étranges, voire un peu inquiétants, qui sont mués par d'autres valeurs que le lecteur. 

Ne serait-ce que sur les animaux. Habituellement, je suis complètement insensible aux histoires entre les hommes et les bêtes (rien qu'avoir un aquarium chez moi m'a longtemps déprimée). Pourtant, toute sa vie, l'affection qu'Emérence entretient avec une pouliche, des chats ou un chien (ah ce chien!), a quelque chose de bouleversant (et si moi je suis bouleversée, c'est vraiment qu'il y a quelque chose qui va au-delà de l'animal de compagnie; quelque chose de l'ordre de la réflexion sur le vivant, sur l'attachement entre les êtres peut-être).

Derrière cette Porte, il y a aussi le passé de la Hongrie (qu'évidemment nous lecteurs français, globalement incultes sur l'histoire du reste de l'Europe, nous ne connaissons pas ou peu). Il y a la violence des hommes, les trahisons, les souvenirs, les déceptions, les actes courageux, la reconnaissance aussi.

Et devant sa Porte, pendant le roman on croise toute une série de seconds rôles bien soignés, de personnages consistants : gens du quartier, voisins de la rue, les vagues amis et les connaissances lointaines. Mais surtout, devant cette porte, il y a une narratrice. Une intellectuelle de haut vol, qui ne peut pas à la fois écrire, réfléchir et s'occuper de son linge, de son ménage et de ses repas. Evidemment. Elle doit se débarrasser des corvées domestiques pour produire de l'art, du verbe, de la réflexion. Je ne sais pas quelle est la part autobiographique de ce roman, mais le moins que l'on puisse dire c'est que la romancière ne s'est pas épargnée, elle qui ne fonctionne qu'avec sa tête sans essayer de se servir de ses mains. 

Et si La Porte est un beau livre c'est aussi parce qu'il traite implicitement de la dignité,  de la loyauté et de l'égoïsme. Il y a celle qui a les mains dans la crasse des autres et celle qui est incapable de mettre les siennes dans sa propre saleté. Il y a à la fois le lent naufrage de l'une qui ne pouvait se résoudre à ce qu'on fasse pour elle ce qu'elle faisait pour les autres; et l'histoire de l'autre qui n'est pas à la hauteur de la confiance qu'on lui porte.

C'est le genre de roman âpre et sourd qui en laissera plus d'un sur le bord de la route, parce qu'il est dénué de toute légèreté. A la fois sec et profond, il se fera une place dans la tête des certains lecteurs longtemps après la fin du livre. La Porte est de ces livres qui font réfléchir sur soi et son rapport aux autres, dont on sort un peu bousculé tant sa construction est étonnante, son ton étrange, et son dénouement tragique.

Founisseur officiel: une non blogueuse qui se reconnaîtra.

Je précise que s'il y a un livre qu'un esthète doit impérativement posséder, c'est bien celui-là parce qu'une couverture aussi belle mérite sa place dans n'importe quelle bibliothèque (#PointDéco #CestCadeau)

lundi 9 octobre 2017

Mon immersion #4

Je m'appelle Galéa, j'ai 38 ans, j'étais plus ou moins addict aux réseaux sociaux,
Je suis abstinente (sur FB et IG) depuis 47 jours.

Je considérais être arrivée au bout de ma désintoxication 2.0 (c'est à dire que je ne suis pas retournée sur FB et IG, hormis la page du blog, mais j'ai repris twitter en douce pour être au courant de ce qui se passe dans le monde et pour suivre les blogs).

Je pensais donc m'arrêter là, quand j'ai reçu un mail du service du CHU. La prochaine séance serait donc à "ciel ouvert", c'est à dire en extérieur pour que nous puissions "reprendre contact avec le réel" . Oui rien que ça. Cela consistait à se retrouver dans un café, un vendredi soir à 18 heures ( heure bâtarde s'il en est: trop tard pour un thé, trop tôt pour un apéro).

J'ai donc renvoyé un mail où je déclinais. En me servant honteusement de mes 3 enfants comme prétexte, j'ai expliqué que c'était impossible pour moi, car c'est l'heure maudite, où je suis seule à gérer avec une bienveillance en deuil, les douches, les devoirs, les heures de colles, les histoires de copinages du collège, les gammes de violoncelle (saleté de position du pouce)...donc 18h, désolée, merci mais non merci.

Sauf qu'en réponse, on m'a dit que ce serait, si tout se passait bien, mon ultime séance, rapport à ma pathologie considérée comme modérée (tu m'étonnes vu les boulets).

J'ai donc du y aller, en espérant que cet effort surhumain marquerait la fin de ma thérapie.

Je suis arrivée évidemment un peu en retard, le mascara moyennement en place, la frange frisottant, avec dans mon sac des restes du gouter des grandes, le tout me donnant une allure franchement négligée. Ils étaient tous assis autour d'une table basse dans un bar totalement impersonnel, ni branché, ni ringard pour que toutes les classes d'âge se sentent à l'aise, et pour qu'on ne paie pas 7€ la consommation (j'ai tenté une photo mais j'ai eu peur qu'on s'en serve contre moi à l'avenir). Déjà mauvaise surprise, il n'y avait que des jus d'orange et des infusions sur la table, et Jean-Charles m'a prévenu "on ne prend que des soft hein ?" (RIP la bière que je me faisais une joie de boire à l'heure des bains).

La seule à côté de qui il restait de la place c'était évidemment Paméla (celle qui t'accroche comme une bernique en se pensant ta meilleure amie). Thierry, toujours dans les tons beiges est à côté de la dame pro-commerce-équitable (celle qui donne des leçons de moral à tout le monde). Je ne connaissais pas les autres, mais au total nous étions 7. Nous avons été sélectionnés pour cette séance parce que nous sommes ou avons été blogueurs à un moment (perso j'ai menti sur le formulaire, en disant que j'avais arrêté de bloguer après la naissance de Duracell, j'ai juste omis de dire que j'avais repris depuis).

"Vous êtes là réunis parce que le fait de bloguer a biaisé votre rapport aux réseaux sociaux, les pages FB, le nombre de like, les retweet, les partages etc...tout cela  a modifié le rapport que vous aviez à la communauté, parce que globalement vous aviez tous quelque chose à vendre".

Silence de plomb. Jean-Charles (qui est habillé d'une sorte de jogging -!- sans doute pour éviter que naisse toute ambiguité avec ses patientes - objectif largement atteint), Jean-Charles donc propose de faire un tour de table pour que chacun présente son blog (ou ce qu'il en reste).

Paméla commence fièrement par annoncer qu'elle a un blog lifestyle (je comprends qu'il s'agit d'un blog où on raconte sa vie et ses achats) avec tous réseaux confondus 9000 abonnés, un petit millier en moyenne de vues par jour, 3 billets par semaines, une dizaine de partenariats par mois etc...Je scrute les autres participants, en commandant (la mort dans l'âme) une menthe à l'eau. Ils hochent tous de la tête, pas franchement impressionnés (alors que moi j'hallucine). Thierry, comme on s'y attendait, alimente un blog d'opinion, ses chiffres claquent moins, mais bon ça reste le triple de ce que je faisais à ma période faste. Mme commerce-équitable tient un blog de "cuisine responsable" (on s'en serait douté),  puis se présente un blogueuse mode (qui cache bien son jeu tant elle est quelconque), une blogueuse famille (au secours purée), une blogueuse run (chouette ...mais en fait non, on voit qu'elle se la raconte même quand elle se tait) et un blogueur SEO (avec l'accent anglais) dont je ne comprends pas bien ce que ça veut dire mais je hoche la tête aussi.

Quand vient mon tour, je marmonne en toussant "littérature". Je sens bien qu'on évolue pas dans les mêmes sphères. Petit silence mi-gêné, mi-connivent.  A voir leur visages plein d'empathie à mon endroit, je me sens dans le même état que le dernier mariage où je suis allée, quand, au milieu des Mercedès et des Audi coupées,  nous nous sommes garés avec notre monospace français qui n'est plus si jeune (et dont j'ai déjà fait l'aile droite, embouti le pare-choque et rayé la portière passager). Je me sens à peu près dans le même sentiment de décalage, mais le pire est à venir.

Personne n'ose me demander mes scores (de toutes manières, j'ai dit que je l'avais supprimé), mais Jean-Charles poursuit sur sa lancée.

"Qui parmi vous n'a jamais quémandé des like, qui n'a jamais organiser des concours auxquels ne pouvaient participer que ceux qui partageaient votre page Facebook,   lesquels parmi vous n'ont pas inondé les fils et time-line de leurs followers en leur promettant des cadeaux pourris fournis par un sponsor qui ne servaient qu'à engranger des j'aime et des commentaires, qui n'a pas fait des demandes d'amis en cascade juste pour envoyer des invitations à aimer sa page ?".

Gros silence. Perso, je jubile. J'ai ma revanche, je me sens un peu comme l'incorruptible blogueuse du siècle, pour un peu j'embrasserais ledit Jean-Charles qui me regarde avec des yeux de veau. Je sirote très bruyamment ma menthe à l'eau, et je réponds un peu fort "moi, Jean-Charles! Je ne me suis jamais livrée à te telles manoeuvres"

-"Même pas pour faire gagner un livre de poche à 6€ Galéa ?
-"Même pas non.

Je savoure ma supériorité éthique; et j'entends derrière moi, une blogueuse famille qui me lance:

-" Oui enfin évidemment...une blogueuse littéraire"  elle rit bêtement ",je crois aussi que les blogueuses genre...heu...qui parlent des chevaliers de l'an 1000 au lac de Paladru, elles ne le font pas non plus, ou celles qui font de la peinture sur soie". Rires de fayots autour de la table. Dois-je me réjouir qu'elle ait vu un film de Resnais ou bien est ce que je l'attaque tout de suite sur son physique (et il y a de quoi) puisqu'elle vient de se moquer non seulement des gens qui lisent mais aussi de ceux qui ont fait des études d'histoire?

Mais à voir la tête des autres,  je comprends que la blogo littéraire, c'est la blogo du pauvre. Je vois les autres "patients" lever les yeux au ciel et la blogueuse mode, avec ses affreux ongles tigrés, pouffe carrément "Nan mais sérieux quoi!!! Un blog qui parle que de bouquins ?"

Je suis vexée comme un petit pou.

Jean-Charles qui sent que j'ai du potentiel en matière de frittage tente de calmer le jeu:

"Non mais Galéa, c'est juste que bon la littérature...non mais déjà la littérature c'est bien, c'est sûr il en faut, mais comment te dire, ce n'est pas ce qui génère le plus de flux sur les RS tu te doutes bien (j'ignore tellement sa présence qu'à un moment il va penser qu'il n'existe plus). Galéa, arrête de bouillir, ce n'est pas méchant, mais économiquement, tu comprends bien que bon, si tu tiens un blog littéraire, ça restreint beaucoup le public tu vois, personne ne peut te citer un blogueur littéraire connu, aucun d'entre vous n'est devenu secrétaire d'état par exemple (rire d'autosatisfaction communicatif au reste de l'assemblée), tu ne vas pas te faire sponsoriser par des marques de vêtement ou de puériculture, tu comprends, au maximum des éditeurs, enfin je ne sais pas, tu as déjà vu des foules se presser devant une librairie pour s'arracher un livre en solde? Non mais je plaisante hein...mais bon ça reste une niche assez marginale, tu comprends, mais ça t'honore d'avoir continuer malgré cela".

Dans ma carrière de perditude, je crois que cet épisode restera gravé à jamais dans ma mémoire. Je me concentre très fort sur un lampadaire, dans ma tête je compte jusqu'à 2 000, j'allume une cigarette en soufflant ma fumée bien fort pour tous leur donner le cancer, et je me dis que là, je devrais m'en aller, drapée dans ma dignité.

C'est alors que Paméla se sent obligée d'intervenir

"Nan mais attends Galéa il en faut pour tous les goûts aussi, je te comprends, c'est chouette de lire, moi j'aime bien aussi parfois, tiens par exemple là tu vois j'ai reçu le livre d'une blogueuse qui a fait une téléréalité avant de monter sa marque de thé, c'est drôlement bien, vraiment je le lis avec plaisir".

"Oui, oui c'est No Filter", rugit la blogueuse mode

Vu que je ne sais pas du tout à quoi elles font allusion,  je réponds :

"Certains blogueurs littéraires font ce que tu dis: les partages, les concours, les likes etc...hein, tu crois quoi, qu'on est trop stupides pour faire comme les autres?"

Rires contenus, puis moins contenus, puis carrément éclats de rires, j'entends des phrases genre "Tu crois que les blogueurs littéraires arrivent à en vivre toi ?", même Mme commerce-équitable est secouée de rire, Paméla tente de se contenir, et Thierry me regarde un peu désolé. Les autres tables nous regardent en souriant. Là de loin on passe pour une bande de copains qui rigolent joyeusement.

La blogueuse run m'assène le coup de grâce "C'est un peu facile de se la jouer détachée de tout ça quand on est sur un créneau qui n'intéresse personne". Saleté. 

Jean-Charles reprend la parole "Bon peu importe, je pense que Galéa, même à son échelle [vague de rires discrets autour de la table],  va pouvoir enrichir le débat, car si je vous ai réunis tous ensemble, c'est pour que vous compreniez que de toutes manières, le blog en tant que média, c'est complètement dépassé".

Silence de mort. C'est à ce moment là que L'Homme me harcèle de textos car il est seul avec les trois filles dont Duracell qui a décidé de manger ses lentilles à la fourchette (purée dans quel état vais-je retrouver ma cuisine?). Paméla, interloquée, regarde Jean-Charles avec les yeux du désespoir, Thierry semble résigné, Mme Commerce-Equitable fait une moue dubitative, M. SEO hoche la tête avec tristesse comme quelqu'un à qui on annonce un diagnostique qu'il sentait venir, la blogueuse mode réajuste son étole léopard en faisant non de la tête...On sent que ça pique pour tout le monde. L'Homme m'envoie que Numérobis à 39,7 et me demande s'il lui donne un doliprane. Je me dis qu'il est temps de lever le camp.

Mais, j'ai encore du tenir encore 1/2h avant de rentrer chez moi.

La question est: dois-je sur mon propre blog expliciter en quoi la blogosphère est devenue ringarde?

Ou bien  je fais comme si je ne m'étais pas rendue à cette ultime séance.

mardi 3 octobre 2017

Les Vacances

Les Vacances de Julie Wolkenstein
POL, 2017, 361 p.
Comment dire ?

En fait, je n'ai pas acheté les Vacances de Julie Wolkenstein, je me suis littéralement jetée dessus, et plutôt deux fois qu'une d'ailleurs, car je l'ai offert à une jurée ELLE qui avait adoré Adèle et moi (le colis est en partance Val; ne lis pas ce billet tout de suite).

Alors, d'abord, j'ai bien aimé. C'est un livre agréable à lire.

Oui...mais....

Bien sûr, je savais bien qu'il serait difficile de passer après Adèle, qui de mon point de vue était un grand et beau livre. Entre temps, j'ai lu d'autres Wolkenstein, et vu que j'aime les romanciers qui écrivent toujours le même livre (on s'en douterait...rapport à Modiano #DieuLittéraireVivant),  à chaque roman, je retrouve avec plaisir la maison mangée par la mer, les vieilles dames au passé sombre, les traces qui n'en sont peut-être pas, les portraits des universitaires, le tabac et l'alcool, les maternités ambiguës, les parents divorcés, le père mutique, la mère fantasque, l'Amérique toujours un peu suggérée etc... à chaque fois je me régale. 

Donc là rebelote : Sophie, une universitaire spécialiste de la comtesse de Ségur et proche de l'éméritat part dans un institut normand (un vieux monastère transformé en centre d'archives) retrouver un dossier sur Rohmer, qui doit être le thème d'un colloque à l'étranger. Elle y croise un trentenaire thésard (et bien entendu fauché, beau gosse et venant d'une famille fantasque) qui, hasard de dingue, travaille aussi sur Rohmer (en particulier) et sur les films invisibles (en général).

Donc le pitch était évidemment écrit pour moi.

Sauf que Julie Wolkenstein a du lire trop attentivement les critiques des jurées de septembre qui l' avaient éjecté de la pré-selection (sachez-le les filles, je ne vous le pardonnerai jamais). Adèle et moi avait été jugé trop long, trop littéraire, trop exigeant etc..., et je me demande si Wolkenstein ne s'est pas dit: "allez ma grande, fais un livre qui marche pour le plus grand nombre". Donc j'y ai retrouvé tout ce que j'aimais.

Sauf que....

Mais le style punaise! Alors que ces précédents romans étaient écrits dans une langue très littéraire que j'affectionne, là je me retrouve avec des : "on bouffe", "on clope", "on gerbe" etc.... Rien que l'incipit, j'ai failli allumer ma cigarette à l'envers (purée depuis quand on écrit comme on parle ? Moi aussi je m'exprime comme un charretier, mais bon, à l'écrit on se tient non ? C'est trop demander, un peu de beau, d'élégance, de tenue?)

Et puis il y a le problème de la crédibilité. Ma mère a l'âge de Sophie la narratrice, et honnêtement, autant Juliette (20 ans) ou la narratrice d'Adèle (40 ans) étaient hyper crédibles, autant là, pas tellement. Hormis le fait qu'elle va faire pipi toutes les 3 pages (le périnée pas rééduqué j'imagine...à la page 100, j'en avais vraiment assez qu'elle aille aux toilettes), je ne retrouve rien des femmes de plus de 60 que je fréquente et qui sont dans l'antichambre de la retraite. Concernant la deuxième voix du roman, Paul, je ne veux rien dévoiler, mais ce qui lui arrive est aussi moyennement probable, voire carrément capillotracté.

Enfin, il y a le problème de la facilité. Tout est bien ficelé, ça s'enchaine sans accroc jusqu'au dénouement final dont on se doute qu'il va arriver comme une fleur ; de coups en chance en hasards incroyables, ta ta ta, tout roule, donc on y va cool, on comprend au ton qu'elle utilise qu'il n'y aura pas  (ou peu) de failles, de zones d'ombre, de questions sans réponse.

Bien sûr,  on le lit avec plaisir, on ne le lâche pas en route, parce que tous les ingrédients sont là, c'est moderne, avec même une pincée de Game of Throne dedans (et une spécialiste m'a dit que pour écrire ça il faut être un vraie fan). Bien sûr, le discours aviné en fin de pot de thèse d'un MCF dépressif qui se désole de l'effondrement du système universitaire est drôlissime. Et tout ce qui a trait à l'Université est vraiment très réussi (des repas entre chercheurs autistes jusqu'à la grève de la faim d'une universitaire attachée à ses archives comme à des animaux, tout cela est excellent). On aime sans réserve l'idée de la voiture enfumée, de Nostalgie à fond sur les routes de Normandie, le vin, la mer, la tisane, les embruns, les souvenirs, les photos etc....

Mais bon.

Zéro tragique, un dénouement tellement gros qu'on le voit venir de très loin, et surtout il n'y a plus ni la profondeur dramatique d'Adèle et moi, ni la dimension littéraire (le passage du Dormeur du Val était tellement beau), il n'y a pas les retournements narratifs que seuls la littérature permet, il n'y a plus ce doute lancinant du dénouement, cette pirouette qui nous parle du faux, du vrai, du peut-être.

Je le le conseille aux consommateurs de feel good books (puisqu'une chroniqueuse de France Culture le fait rentrer dans cette catégorie), parce que c'est vrai que c'est une lecture agréable, fluide et facile (je comprends d'ailleurs dans la foulée que ma nature profonde et sinistre résiste à ce type de romans).

Je ne sais pas bien ce qu'a tenté Julie Wolkenstien, mais bon ça a l'air de marcher, puisqu'Adèle et moi était passé quasiment inaperçu en 2013, alors que Les Vacances est sur la liste du prix de l'Académie Française.  J'ose le dire que je fulmine ou pas ?  Bref, je regrette que cette mise en lumière ne soit pas sur son meilleur livre.

A bien y réfléchir, peut-être qu'une fois qu'on a écrit un pavé aussi travaillé qu'Adèle et moi, il n'est pas vraiment possible de rester dans la même veine, et que la romancière avait sans doute à ce moment là, besoin de légèreté.

Rendez-vous au prochain Mme Wolkenstein et sans rancune, je vous aime encore.

samedi 30 septembre 2017

My September

Me revoici, hors d'haleine au bout de ce mois de septembre-marathon (pour les mères dénuées de sens pratique, c'est un mélange de retards humiliants, de dilemmes domestiques et de calculs savants pour savoir qui emmener qui à quelle heure et où).

Bref, j'avais bien envie de reprendre le rendez-vous initié par Moka, ce Mois par moi que j'affectionne tant et que je lisais chez les autres même quand je ne bloguais plus, et puisque je me suis attrapée un de ces virus que les hommes appellent "la grippe" et que nous femmes, appelons un "gros rhume", je me suis dit que je pouvais me faire plaisir quand-même et tenter un Mois par moi en vidéo. 

J'y ai perdu un temps fou, je me suis bien amusée, et je me suis dit qu'il compenserait mon sevrage de RS dont l'un des dégâts collatéraux est de prendre nettement moins de photos qu'avant. C'est approximatif, égocentrique et partial, bref Tarantino n'a rien à craindre.





jeudi 21 septembre 2017

Mon immersion #3

Je le reconnais, j'ai séché la dernière séance de sevrage, parce que j'avais été convoquée par l'infirmière scolaire du collège de Rayures "Madame, vous ne me rapportez pas le PAI actualisé de votre fille, je vous préviens à la prochaine crise d'asthme, j'appelle les pompiers". Au début j'ai bien tenté un peu d'humour avec un pathétique: "ou vous lui donnez 2 bouffées de ventoline toutes les 20 minutes pendant 1 heure, ça marche aussi". Mauvaise idée. Son regard plein de mépris et d'exaspération m'a convaincue de me taire. Le rendez-vous s'est conclu par un humiliant "pas de PAI, pas de ventoline".

Bref, j'ai expliqué cela à Jean-Charles au téléphone la semaine dernière, qui a fait une sorte de moue radiophonique qui signifiait à quel point il me faisait confiance. J'y suis donc retournée ce matin, avec l'entrain d'une condamnée, juste après ma convocation à l'école primaire de Numérobis (qui n'a rien trouvé de mieux pour commencer l'année que de partager, à la cantine, son cordon-bleu avec une "sans viande", ce qui m'a valu un savon mémorable de l'économe ET de la responsable de cantine: "quand on dit  "sans-viande", votre fille ne comprend pas ça veut dire même la viande entourée de fromage et de panure  ? J'ai pitoyablement baissé les yeux en faisant mon mea maxima culpa.)

J'ai donc du rattraper la séance manquante, qui consistait à s'auto-flageller en public. Les autres l'ont fait à la dernière rencontre, j'ai du donc m'y soumettre seule devant leurs regards pleins de compassion. L'exercice consistait lister tous les trucs inutiles que je postais sur Facebook: mes temps de courses à pied et mes efforts douloureux, mes problèmes divers et variés avec l'Education Nationale, le retour des multiplications à trous, mes déboires avec la SNCF, ma voiture, la Poste, la CAF, mes commentaires sur la météo, le trafic routier, les émissions télé pourries de l'Homme ....

Satisfait, Jean-CHarles m'a approuvé en hochant la tête avec cette répartie sublime :
-"Galéa combien avais-tu d'amis sur Facebook? (oui maintenant on se tutoie pour vraiment aller au fond des choses)
-"Je ne sais pas ...une grosse centaine peut-être...
- "Combien d'entr'eux réagissaient à ce que tu racontais?
- "5 ou 6, parfois une dizaine je pense 
Silence un peu gêné, je sens qu'il attend quelque chose ...vu que je ne dis rien, il enchaine:
-" c'est proportionnellement peu on est d'accord ?
-" On est d'accord (mais ces 5 ou 6 là me manquent quand même...)

Je n'ai plus ma dose de choses inutiles en fait.

Aujourd'hui,  c'était l'apothéose du programme: "chacun va maintenant nous parler de sa part d'ombre, nous dit Jean-Charles hyper sérieux (il a remis son pantalon de gourou d'ailleurs). Je ne parle pas évidemment de votre côté inutile mais banale, mais vraiment de votre part d'ombre, le très mauvais côté de vous qui a surgi avec les RS, je vous ai demandé d'y travailler la dernière fois, nous allons commencer par Galéa, Quand as-tu passé la ligne rouge ?

Hein ?

J'avoue que je me moque de certains posts avec mes copines en off, que j'ai masqué un partie de mes contacts trop virulents, que j'ai déjà demandé à quelqu'un d'arrêter de commenter l'une de mes publications...Je sens bien qu'il en attend plus...

"Galéa, va plus loin, sois plus honnête...


Je lui raconte  les piques récurrentes aux services de presse, les blogueurs complaisants qui m'exaspèrent et sur lesquels je m'acharnais régulièrement, bien sûr je pense aussi aux chantres de l'éducation bienveillante qui me pourrissent la vie avec leurs grands principes....mais honnêtement, ils ont tous fini par me dégager à un moment, donc bon, à la limite je ne suis pas trop nocive comme fille.  Jean-Charles est complètement en transes, limite il m'effraie, il attend que j'avoue un meurtre visiblement. 

Thierry , l'expert comptable, toujours habillé dans un joyeux dégradé de beige-marron vient à mon secours: "Relax Galéa, on a tous avoué des trucs pas glorieux, moi par exemple, à la fin, pour exister, je ne twittais que sur des  faits divers sordides (disparition d'enfants, assassinats collectifs etc...) en imaginant des scenarii complètement trash pour faire réagir les twittos. Si ma propre nièce n'avait pas cité l'un de mes tweets (sans savoir que c'était moi) dans l'affaire Fiona, je le ferais peu-être encore".

Je suis un peu gênée parce que forcément il met la barre haut, à la limite on est tous normaux par rapport à lui. Enfin, c'est ce que je croyais.

Elisabeth (60 ans,  propre sur elle, qu'on imagine au yoga ou bien en train d'aller chercher son panier bio et équitable) m'explique qu'elle se prenait pour Dieu. Devant ma réaction dubitative, elle m'explique: "je demandais les gens en amis sur un réseau, un autre, et puis s'ils m'énervaient je les dégageais, par fois je les bloquais, les redemandais en amis plus tard quand j'étais calmée. Tu comprends j'avais l'impression d'avoir un pouvoir sur le monde. L'inverse de la vraie vie...quelqu'un m'énervait: pouf! il n'était plus là, pas d'explication, rien". 

Quand je pense que j'aurais confié mes filles à cette dame en toute confiance, je frémis.

 "J'ai arrêté suite à une sale histoire, il y avait une fille avec qui je m'entendais bien mais qui postait tout le temps des trucs qu'elle achetait sur Amazon (vaisselle, vêtements, cd, aspirateurs etc....); au début je pourrissais tous ses liens en évoquant les conditions de travail chez Amazon, la mort des petits commerçants etc....mince quoi, on faisait partie d'un groupe de consommateurs responsables et elle passait son temps à promouvoir ce site honteux....Un jour c'est elle qui m'a dégagée sans préavis,  c'était la première fois que cela m'arrivait, j'ai pris dur; j'ai appris deux mois plus tard qu'elle était en fauteuil roulant suite à un accident, alors forcément Amazon ..."

C'est quoi ces malades?

Comme si ça ne suffisait pas Paméla (27 ans, talon haut et balayage nickel...Mlle-2-portables) nous raconte, que sur Facebook elle s'était fait de vraies amies, à qui elle s'était confiée, le genre de filles extra avec qui on échange des choses intimes (je hoche la tête pour faire genre, mais elle m'inquiète déjà). Quand elle s'était rendue compte qu'elle n'avait pas été invitée à l'anniversaire de l'une d'entre elles (une blogueuse lifestyle de Marseille), elle en avait été meurtrie. "ils ont posté des photos sur FB et sur IG, il y avait plein de filles du lifetsyle sauf moi (tu métonnes )....Au début je reconnais, je l'ai un peu harcelée sur Messenger pour qu'elle m'explique pourquoi je ne faisais pas partie sa dream team, et elle prenait de la distance, c'était affreux, je croyais qu'on était proches, et je voyais bien que ça la gonflait de me répondre
- "Mais heu...tu l'avais déjà vue?
-"Nan, mais purée quoi, Marseille c'est à côté quand même, pourquoi avoir invité cette pouff [dixit] de Lyon et pas moi ?

Devant mon silence d'incompréhension, elle continue, "j'ai passé la ligne jaune quand je l'ai googlisée pour en savoir plus sur elle, et de fil en aiguille (je sais ça craint) mais vu que ma soeur bosse aux Trésor Public, bon bah on s'est aperçue qu'elle ne déclarait pas ses revenus du blog (pas grand chose mais quand même) , donc bon, je n'en suis pas fière, mais disons...que enfin tu vois quoi".

C'est là que je me dis qu'avec le nom que je porte, il n'aurait pas fallu que je l'aie pour voisine pendant la guerre.

Il y a ensuite l'ado toute mignonne (14 ans, belle comme tout, accompagnée de sa mère) qui raconte avoir ouvert un compte IG public pour poster des photos des gens les plus moches du collège prise en cachette dans la cour, en laissant les commentaires les plus horribles se dérouler. Elle ne peut s'empêcher de sourire en nous le racontant, devant le regard désolé et honteux de sa mère. L'un des parents de "moches" avait porté plainte. Inutile de préciser qu'elle n'était pas là de son plein gré.
La seule réaction qui m'est venue à l'esprit:
- Tu es dans quel collège?
 Jean-Charles m'a fait savoir que ma question était très mal venue.

Je dois avoir un tête de dépressive car Jean-Charles me regarde "Galéa, si tu es là c'est que toi aussi tu as passé la ligne rouge à un moment, sinon c'est que tu n'as rien à faire ici".

Effectivement, est ce que j'ai vraiment quelque chose à faire avec ces gens-là ?

jeudi 24 août 2017

Mon immersion dans le service d'addictologie #2

Je m'appelle Galéa, j'ai 38 ans, et je suis addict aux réseaux sociaux.
Abstinente depuis 7 jours. 

C'est jeudi, le jour où je purge ma peine virtuelle dans mon groupe de parole. J'ai, pour l'occasion, décidé d'adopter une nouvelle stratégie en prenant la posture de la fille qui a compris son erreur et qui est prête pour une vie sans réseau. Pour faire crédible, j'avais opté pour un look zen, genre méditation, pour paraître débarrassée de la superficialité du monde (pantalon en lin et chasuble blanche; l'Homme m'a demandé pourquoi on avait l'impression que j'étais en pyjama).

A 8h45, nous attendons devant la salle des pestiférés, c'est un peu gênant, car en temps normal, nous aurions tous eu le nez dans l'Iphone, les pouces en action, mais bon, sevrage oblige, nous étions obligés  de rester comme des imbéciles les bras ballants et l'oeil éteint. Du coup, j'ai allumé une cigarette, c'était une mauvaise idée bien sûr, j'aurais pu me douter qu'on ne peut pas fumer dans l'enceinte d'un hôpital, j'ai passé un sale moment avec l'infirmière en chef.

Notre gourou est arrivé pile à l'heure (on a tous nourri l'espoir pendant 10 minutes qu'il soit empêché , mais non). Des 15 "patients" que nous étions la dernière fois, nous ne sommes plus que 8 (qui déjà regrettons d'être revenus).

Le gourou nous salue chaleureusement un par un, un peu comme un homme politique en campagne, et nous dit que le programme  démarre vraiment aujourd'hui.  Il nous informe que la règle est maintenant au tutoiement (Quelle horreur! déjà à 20 ans, quand je travaillais chez Mc Do, je ne supportais pas cela), et qu'il s'appelle Jean-Charles (alors que nous étions convaincus qu'il s'appelait Rahan).


Nous déposons sagement nos portables dans la petite corbeille, la fille qui avait été punie la dernière fois, a ostensiblement mis ses deux téléphones dedans. Il nous fait passer les papiers d'admission définitive à remplir chez nous. Au début, j'ai cru que c'était comme un dossier de cantine, d'inscription à la danse, au conservatoire, à la crèche etc ... (nom, âge, profession, n° de sécu...), mais ensuite je me suis demandée franchement si je n'étais pas chez les fous, avec 4 pages de questions complètement ahurissantes du style : "une discussion sur l'un des RS vous a-t-elle, à une ou plusieurs reprises, fait ajourner une tâche domestique, sociale ou administrative?"  (je ne vois pas le rapport) ou la très sympa : "vos enfants (ou quiconque sous votre responsabilité) ont-ils déjà été en danger suite à un manque de vigilance de votre part dû à une trop grande attention portée aux RS ? (accident de la route, chute de fenêtre, empoisonnement par produits ménagers?), comme si mes filles avaient besoin de ça pour faire des choses dangereuses...genre avaler des agrafes. A un moment je me suis demandée s'il n'y avait pas une caméra cachée.

Jean-Charles (je ne me fais pas du tout à son prénom qui ne correspond pas à sa coiffure) commence par nous demander comment s'est passée cette première semaine sans RS. Nous avons tous le nez dans la trousse, c'est le geek-expert comptable qui a le malheur d'être interrogé (ce type me paraît trainer une poisse extraordinaire, je l'envisage maintenant comme un éventuel paratonnerre). Il s'appelle Thibault mais par respect pour son anonymat, je l'appellerai Thierry. Il nous raconte que le matin il est désorienté au réveil (pareil), luttant contre le réflexe d'aller voir où en sont ses tweets subversifs (petits rires étouffés), que sa pause-déjeuner a été franchement triste toute cette semaine, il s'est retrouvé à lire la presse régionale pour agrémenter son repas, il a appris par coeur la carte des bus en attendant le sien, et est maintenant obligé de regarder par la fenêtre pendant ses 20mn de trajet. Dès qu'il a un moment de pause, il se retrouve démuni (tellement vrai, mes cafés- clopes sont d'une tristesse). Il est en pleine déclaration de TVA, avant il faisait des pauses Facebook pour se détendre, maintenant il fait d'une traite toutes les saisies, ce qui rend son travail encore moins supportable (pareil quand je fais le repassage).

Nous hochons tous la tête en coeur, solidaires dans notre désoeuvrement profond.

Jean-Charles nous regarde visiblement satisfait (ce type me fait peur):

"Merci Thierry de ta grande honnêteté, le but était d'identifier quels étaient vos moments dans la journée consacrés aux RS. Nous allons donc pouvoir attaquer le premier exercice de ce programme. 

Posture à la Busnel, jeu de cheveux, inspiration profonde.

"Je vous demande de penser à l'Acariâtre (silence de stupéfaction) , réfléchissez et visualisez-le: son ton, ses posts, ses photos. C'est celui de vos amis qui inonde les RS de ses plaintes, de ses mortifications, celui qui se plaint de la météo, de ses petits bobos, de la SNCF, de son voisin, de la Poste, de ses collègues, du prix du contrôle technique, du manque d'amabilité de la boulangère, pensez à cette personne qui vous n'avez jamais réussi à dégager de vos amis , et que Galéa, dans son courage immense, a sans doute masqué à un moment". Je fais comme si je ne savais pas qui était Galéa,  et lui réponds qu'on est tous à un moment ou à un autre "l'Acariâtre" de quelqu'un (j'appuie bien sur le mot pour lui faire comprendre à quel point je trouve cette appellation ridicule). Il ne me répond tout simplement pas (là tout de suite, j'ai envie de tirer sur sa queue de cheval). 

Il enchaine sur l'Autosatisfait. Là nous avons tous des yeux de bovins, on situe mal de qui il parle, la fille de 27 ans (qui, la pauvre, s'appelle Paméla), lui dit qu'elle n'en a pas dans ses amis. "Vraiment Paméla, tu n'as pas dans tes amis celui ou celle qui essaie en permanence de convaincre tous ses réseaux qu'il a mieux réussi sa vie que les autres ? Oh vraiment? Cherche bien. Une vague copine, ou un ancien fiancé qui publie 10 fois par jour des preuves qu'il a fait les bons choix, qu'il adore ce qu'il fait, qu'il est sur un projet de malade, qu'il rencontre des gens formidables, qu'il est archi bien dans son nouvel appartement, que ses enfants sont vraiment épatants, dès qu'il croise quelqu'un, il fait une photo où ça rigole, il clame partout qu'il est en accord total avec son moi profond ?". J'ai un peu le sentiment que Jean-Charles est dans la caricature, c'est le problème des gens qui parlent de ce qu'il ne connaissent pas. 

Il faut que je quitte ce programme au plus vite (d'autant que forcément, d'exemples en exemples, on finit bien par reconnaître un  "autosatisfait" dans ses "amis").

Jean-Charles qui a du hésiter entre être acteur ou travailleur social, prend une voix de plus en plus profonde, genre hypnotiseur du pauvre, et conclut, "enfin pensez à l'Inutile. Celui qui ne sert à rien. Là encore, on le regarde tous un peu inquiets. Il me fixe avec insistance, ce que je trouve tout à fait déplacé. "L'Inutile ne sait pas qu'il l'est évidemment, il pense vraiment que sa vie est intéressante, il publie 10 selfies par jour, nous raconte à quelle heure il va faire ses courses, ce qu'il va manger ce soir, s'il change de marque de lessive, il vous l'expliquera avec toutes les raisons adjacentes, s'il se met (ou pire s'il se remet ) au sport, il postera une photo, un détail de ses performances et un commentaire, sans se rendre compte que tout le monde s'en moque. L'Inutile prend les formules de politesse pour des marques d'affection.  Réfléchissez bien à la petite exaspération, certes bien vite passée, quand vous tombez pour la troisième fois sur son post. Rappellez vous ce soupir intérieur, destiné à vous même, quand vous perdez un temps précieux à lire cela. L'Inutile vous faire perdre votre temps. Et grâce à ce programme vous serez bientôt débarrassés de lui ou d'elle". 

Vu la manière dont il me fixe, soit Jean-Charles est subitement tombé amoureux de moi, soit il tente une expérience d'hypnose (cela m'est déjà arrivée avec l'anesthésiste qui gérait l'accouchement de Numérobis ce n'est pas un bon souvenir), soit il veut me faire comprendre quelque chose, mais vraiment, je ne vois pas quoi. 

Une espèce de silence pesant accueille cet exercice.
Jean-Charles est un repenti des RS, j'en suis sûre maintenant

"Vous êtes à présent débarrassés d'eux pour l'Eternité (je suis au bord du malaise, j'ai peur qu'il y ait de la drogue dans mon jus de pomme). Je vous demande de penser à ce que cette semaine de sevrage vous a apporté: Galéa par exemple? Ta maison est-elle mieux tenue ? (je ne vois pas bien pourquoi c'est à moi qu'il pose cette question ?), Paméla? as tu une meilleure qualité de sommeil maintenant que tu ne passes plus tes soirées les yeux rivées à ton écran de téléphone? 

"Pour la semaine prochaine, je vous demande de noter sur un carnet, tout ce que vous avez fait à la place de surfer sur Facebook, Twitter, Instagram, etc.... en notant les heures. Pour améliorer votre sevrage et le rendre supportable, il y a plusieurs astuces: discuter avec des vrais gens qui sont à côté de vous, faire des mots croisés, parler avec votre conjoint, vos parents, ou vos enfants, vous lancer dans des tâches ménagères, tricoter, crocheter, coudre (là il fixe une dame née dans les années 50 qui soutient son regard avec défi), faire vous-mêmes la vidange de la voiture, voire, pour les plus courageux, lire un livre. Bonne chance à tous, à dans 15 jours". (moment de joie dans l'assistance de savoir que ce ne sera qu'une semaine sur deux qu'on s'infligera cela).

Je murmure à Jean-Charles, parce que ça me turlupine quand même, mais en essayant de conserver un minimum de dignité, "Si je m'étais débarrassée de l'Inutile,  de l'Acariâtre et de l'Autosatisfait, j'aurais pu rester sur les RS sans problème finalement". Mme-Années-50-Qui-Ne-Raffole-Pas-DU-Crochet
m'approuve.

"Le problème Galéa c'est que l'Inutile, l'Acariâtre et l'Autosatisfait ne le sont pas en permanence, ils sont parfois  pertinents, drôles et cultivés, on s'y attache, c'est sans doute pour ça que tu ne les as pas dégagés, alors qu'ils te ramollissent le cerveau autant qu'une publicité de TF1. 

"Et la vraie question que tu dois te poser c'est: es-tu sûre surtout de n'avoir jamais été aucun des trois pour personne?"

Fin de la première vraie séance, il est 10h du matin, trop tôt pour se saouler (quoique). Je suis à la limite de me passer L'envie d'avoir envie de Johnny.

Ce qu'il ne comprend pas Jean-Charles, c'est que même s'il y avait un petit peu de vrai dans tout cela, il n'en reste pas moins que mes joggings n'ont plus la même saveur qu'autrefois,  je rentre en boitant chez moi dans l'indifférence la plus totale, je ne peux plus "partager" mes petites anecdotes ni me plaindre qu'il fait trop chaud (à plusieurs reprises je me suis dit "tiens ça je vais le dire sur Facebook, ah non, c'est vrai je suis punie), et surtout je me retrouve sans nouvelle de personne: ni de ma copine qui est sur le point de repartir vers Paris, ni de celle qui enchaine les trails avec des temps hallucinants, je ne sais pas ce que mes amis blogueurs ont acheté en librairie, je ne peux plus suivre l'actualité des uns et des autres par Facebook, je suis en manque de photo d'enfants prêts, propres et coiffés pour la rentrée. Je veux voir des cartables, de retours bouchonnés sur l'autoroute, de nouveaux canapés dans les salons, je veux voir les paysages des Pouilles, le concert de Cali, et les photos de plats flous et moyennement appétissants, et surtout je loupe le début du concours de celui-qui-a-reçu-le-plus-de-SP. 

Je ne suis plus au courant de rien, vu que Twitter était ma seule source d'info (pas de journal TV chez nous, et pendant les rares flash info sur France Culture, j'en ai toujours une qui beugle, et vu que je ne suis pas bienveillante, en général on est plusieurs), je ne suis donc plus LivreHebdo ni ActuaLitté, je n'ai aucune idée de l'actualité des auteurs,  c'est par Messenger que j'ai appris l'attentat à Barcelone, tout comme le tremblement de terre italien, je n'ai même plus accès à mes propres phobies.

J'ai l'impression d'être enceinte et d'avoir arrêté de fumer, au début on trouve ça tout à fait gérable et 15 jours après, on tuerait père et mère pour une cigarette et une bière.

J'en suis à ce stade et à mon avis je ne suis pas la seule  (Paméla avait très mauvaise mine en sortant, Thierry semblait au bout de sa vie et la petite dame baissait les yeux comme une malheureuse).

Très clairement nous sommes tous en manque.

A dans 15 jours (si tout va bien)

jeudi 17 août 2017

Mon immersion dans le service d'addictologie aux RS #1


Bonjour, 
Je m'appelle Galéa, j'ai 38 ans et je suis addicte aux réseaux sociaux.
Je suis abstinente depuis 2H.

Chers amis, je me suis rendue dans un service d'addictologie spécialisé pour les gens comme moi qui sont complètement sur-connectés aux réseaux sociaux divers et variés. J'ai décidé, la mort de l'âme (et poussée par l'Homme) de rompre mon lien avec les RS ("ton blog oui Galinette, mais sérieux tes RS ça devient flippant"). L'Homme en effet, trouve que je me fritte avec assez de gens comme ça dans la vraie vie pour ne pas en plus le faire sur mon téléphone. L'Homme est comme ça, il n'a pas d'adresse mail valide, trouve ça bizarre d'avoir des avatars de tous les côtés et a l'impression que je le trompe avec mon Iphone.

Soucieuse de sauver mon couple déjà éprouvé par 6 mois de travaux et un déménagement (plus Duracell qui ne dort toujours pas), j'ai cédé et me suis rendue dans un service spécialisé, dans un coin reculé d'un CHU poussiéreux, parqués à l'arrière du bâtiment comme si  nous étions contagieux (une infirmière nous a expliqué que c'était pour éviter qu'on contamine des gens qui avaient des maladies physiques et qui par définition étaient plus perméables à l'addiction numérique pour peu qu'ils aient un smartphone).

Nous étions une petite quinzaine, avec chacun de bonnes têtes de nolife. La salle de parole (oh Mon Dieu!!! je suis à présent une patiente!!) était privée de wifi et nous devions déposer nos téléphones et tablettes dans un panier à l'entrée (je me suis dis que si j'acceptais cela, je ne pourrai plus revenir en arrière). Il y en a une qui a essayé de resquiller en dissimulant un deuxième portable, elle a été au coin (à 27 ans ça fait quand même un drôle d'effet, elle m'a fait de la peine).

C'est un programme sur plusieurs mois, l'objectif est d'être complètement sevré à Noël, c'est-à-dire d'avoir complètement disparu des RS pour la nouvelle année. Ca me coûte un rein évidemment, rien n'est gratuit dans ce bas-monde. L'animateur est juste flippant, il n'a pas dépassé la mode des années 90, on se doute qu'il n'a jamais eu de portable puisqu'il nous confie qu'il va encore dans des cabines téléphoniques (je suis horrifiée), il ressemble vaguement à un gourou, et je doute de la propreté de ses cheveux.  Bref, je souffre.

Sois la bienvenue parmi nous Galéa, prendre conscience de son accoutumance toxique est déjà un grand pas, nous sommes là pour t'aider à franchir ce cap difficile du sevrage numérique. Ce ne sera pas simple, mais nous t'accompagnerons dans ta courageuse démarche.

Rien que ça me fait peur en fait. Le type commence assez light; avec des réseaux secondaires que je ne fréquente pas (Snapshat, Pinterest), il me félicite d'ailleurs devant tout le monde d'avoir résisté à ceux-là. Je me gargarise, je frime un peu, et prends la posture de la fille mature. Les autres sont jaloux de moi, c'est top. Chacun doit raconter sa propre expérience et l'un d'entre nous est tiré au sort pour convaincre les autres de disparaître d'un réseau social (je plains amèrement le deux premières désignées qui, des sanglots dans la voix, expliquent qu'il faut renoncer aux couronnes de fleurs et museau de daim). 

Il enchaine sur Instagram, chacun(e) raconte son expérience (et là je me rends compte que je suis une petite joueuse sérieusement, il y a vraiment des gens fêlés). C'est à moi de conclure sur la nécessité de se sevrer d'IG, je prends mon courage à deux mains devant une assistance déjà très éprouvée. Je sens monter en moi une vraie conviction:  "Instagram nous rappelle chaque jour qu'on a raté notre vie. Globalement si tu n'es pas à Bali (coucou Delphine) ou en Grèce (coucou Sido), tu as quand même le sentiment d'avoir fait les mauvais choix à un moment. Sans compter que tous ces appartements impeccablement rangés, ces enfants habillés et coiffés toujours nickel, ces couples dégoulinants d'amour, j'avoue de que ce n'est pas simple quand même de se dire que le monde n'est peuplé que de gens riches, beaux, heureux et bronzés qui vivent dans des décors de rêve". Salve d'applaudissements, je suis rouge de confusion. Mais le gourou a bien compris que j'étais une dissimulatrice.

-"Es-tu prête à te sevrer brutalement Galéa: à détruire ton compte pour toujours ?"

Non quand même pas, je dois récupérer les photos : 3 ans de portraits divers et variés de mes filles, ce n'est pas rien. Je vais donc y aller en douceur. (opprobre dans sa voix, au sujet de mes enfants, exposées sans leur accord, j'ai beau lui dire qu'à 18 mois, Duracell s'en fiche un peu, il me regarde avec mépris  : tu as jusqu'à Noël Galéa! - Je commence à me demander s'il ne recrute pas pour une secte).

Il enchaine sur Twitter, avec un geek de 40 ans qui nous explique qu'il rêvait d'être polémiste mais qu'il a fini expert-comptable, qu'il pensait vraiment déclencher des débats enflammés sur twitter, qu'il suit plus de 600 comptes et se gargarise de 400 followers (murmure d'admiration dans la salle). Il nous avoue qu'il est en train de douter de sa propre existence, "parfois je me demande si je ne suis pas dans le film de 6ème sens". Le geek nous avoue qu'il twitte dans le vide (un retweet de temps en temps, deux ou trois like), et qu'il se sent transparent. Il nous confie s'être demandé s'il n'y avait pas un complot contre lui parce qu'il était trop subversif (soupirs dans l'assistance) pour finir par reconnaître qu'il n'intéressait strictement personne (et oui). Applaudissements de compassion, petite accolade sur l'épaule. Le geek regarde le paniers à smartphone avec désespoir (comme nous tous).

On finit avec Facebook, et là, notre gourou est carrément hystérique:
- "Combien d'entre vous ont-ils passé des après-midi entières à défiler leur fil d'actualité pour ne pas lire un seul post d'intéressant, et vous ennuyer au lieu de faire des choses cons-tru-ctives ? (tout le monde lève la main)
- "Combien d'entre vous se sont-ils brutalement écharpés avec des gens qu'ils ne connaissent absolument pas sur des questions politiques, religieuses ou éducatives ? (Tout le monde lève la main, pour faire ma maligne je rajoute que je me suis beaucoup disputée aussi sur des questions littéraires, le gourou me demande de rester à ma place et de ne pas se la jouer l'intello de service).
- "Combien d'entre vous se sont-ils faits envahir sur leur mur, dégager sans préavis, bloquer par des presque inconnus....et combien d'entre vous ont-ils aussi fait cela chez les autres, combien élèvent leurs enfants avec les règles de politesse et se conduisent comme des bipolaires sur la Toile" (bon là c'est plus mitigé, je raconte que j'ai masqué la moitié de mes contacts par courtoisie et pour ne faire de peine à personne, je me prends dans la figure "ça ne montre pas que tu es courtoise, Galéa, mais juste que tu es lâche; et arrête d'intervenir à tout bout de champs dans la thérapie". Vexée, je suis a deux doigts de récupérer mon téléphone, de me connecter et d'aller chouigner sur mon mur.

"C'est ça le monde dans lequel vous voulez vivre?, vous avez tellement de temps libre que vous pouvez le consacrer à ça ?" hurle le gourou (moment de silence gêné, car il surjoue un peu l'exaspération, mais bon ça marche).

Personnellement, j'ai plein d'arguments à lui opposer, mais je ne le sens pas prêt à m'écouter, et si je me fait virer de la thérapie de groupe, j'ai peur que l'Homme divorce.

Ca se termine sur un pot de l'amitié (avec du jus d'ananas bio, visiblement on compte aussi nous sevrer de l'alcool par la même occasion), je brûle d'envie de fumer une cigarette mais j'ai peur des réprobations, j'ai déjà repéré deux autres patients qui me paraissaient chercher leur paquet dans leur sac (c'est réconfortant). Le gourou nous prend à part un à un et quand vient mon tour, il me dit "Galéa je sens que tu as beaucoup de choses à dire, à répondre et à justifier, la semaine prochaine, nous travaillerons sur les raisons profondes de vos vies parallèles, tu pourras t'exprimer, d'ici là, réfléchis à tout ce que l'on a dit aujourd'hui, j'espère que tu n'as pas un blog en plus ?".

J'ai simulé une quinte de toux (tout à fait crédible vu que je sens le tabac froid à 20 mètres). Mais la question c'est quand même celle-là: mon blog convalescent pourra-t-il tenir sans les RS? Peut-on exister sur la Toile sans soutien, je vais garder secrète ma page FB, parce qu'en plus j'ai peur qu'il me demande de couper messenger et whatsap, bref je tremble.

Prochaine réunion de groupe jeudi prochain. En attendant, ne vous inquiétez donc pas de ma disparition, (je sens que ce n'est pas gagné quand même). Je vous tiens au courant de la suite #PireQuarrêterDeFumer #MaVieSansRS.




PS: Juste un détail, parce que ça va mieux en le disant: ce blog est ce qu'il est mais il n'est pas libre de droits, ce que j'écris ici m'appartient, et ne peut en aucun cas servir d'inspiration à qui que ce soit, même en paraphrasant ce que j'écris, en l'adaptant ni même dans le but de me rendre "hommage" (surtout sans me citer ni me prévenir). Merci d'avance.