vendredi 31 janvier 2014

Cherchez la femme

Alice Ferney, Cherchez la femme, 
Actes Sud, 2013,  528p.
Alors, déjà, « Le gâchis de nos vies » ou bien « né pour souffrir »  auraient été des titres bien plus appropriés pour ce roman.

Passons.

Dans Cherchez la femme, on nous parle d’un homme  : Serge qui rate lamentablement sa vie …et plus précisément ses amours (l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour des siens…tout quoi).

Franchement, elle écrit vraiment bien Alice Ferney.
Mais beaucoup trop.

Avec un traité psychologique par page, la narration est, disons, globalement ralentie. Chaque ligne, déconstruit la précédente, avec une explication de ce qui se passe dans le cerveau des personnages. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteur ne parie pas sur l’intelligence de son lecteur. Il faut ainsi 60 pages pour que les parents du personnage principal se marient (histoire qu’on comprenne bien d’où est issu Serge). Tout est commenté et expliqué, absolument tout, chaque phrase, chaque action. 

Parce que chez Ferney, personne n’a aucune chance d’échapper à quoique ce soit, et surtout pas à ses parents ni à ce qu’ils ont fait de nous. D’ailleurs, pour quiconque aurait quelques doutes sur la manière d’élever son enfant, Cherchez la femme me paraît incontournable, vous y apprendrez que quoi qu’on fasse, nos enfants ne s’en remettront pas.

Dans Cherchez la femme (derrière Serge donc), on trouve deux modèles féminins. Nina est la mère de Serge. Fille de mineur pauvre, elle est donc forcément courte sur pattes, dénuée de grâce. C’est une épouse mégère et mère hystérique. (spoiler) Elle finira alcoolique comme son père et son grand-père, le visage couvert de dartres, grosse et édentée.

La deuxième femme de Serge, c’est son épouse Marianne : grande bourgeoise, donc longue, fine, élégante, talentueuse, épouse aimante et sacrificielle, mère fusionnelle et amoureuse transie (à qui on se retient de mettre des gifles tellement elle s’auto-flagelle en permanence- faute à sa mère évidemment, on l’aura compris). Quiconque penserait qu’une femme peut échapper à son milieu d’origine, doit lire Cherchez la femme et reprendre une activité normale (la télé pour les prolétaires et le piano pour les classes aisées). Les bourgeois meurent d’un arrêt cardiaque (proprement donc), les pauvres d’une maladie qui dure et qui dégrade. 

A vous qui croyez au libre-arbitre, passez votre chemin !

Ce livre n’est pas seulement hautement déprimant, il est aussi peu vraisemblable. Tous les personnages  trouvent Serge très intelligent, à commencer par ses parents qui sont certains d’avoir engendré un enfant extraordinaire : « au lieu de comprendre la détresse de leur enfant, les géniteurs extasiés l’avaient transformé en génie » (p.87). Avouons que c’est bien vu le coup de la mère désœuvrée et du père complexé qui fabriquent un surdoué pour donner du sens à leur vie. Elle m’a eue, à ce moment-là.

Le problème c’est qu’absolument rien dans ce roman n’atteste qu’il le soit. Hormis son entrée à Normale Sup. (qui reste assez peu crédible), rien de ce que nous raconte Ferney ne montre l’intelligence, ni même la finesse, et encore moins la complexité du personnage. On a d’ailleurs du mal à comprendre comment une femme peut se mourir d’amour pour lui, avec tous les défauts dont l'a chargé Ferney. 

Donc pour conclure, j’ai le sentiment qu’Alice Ferney règle des comptes dans ce roman. Avec l’ENS (elle a un sérieux problème avec Normale Sup. cette romancière), les riches, les prolo, les femmes aimantes, les femmes qui n’aiment plus, les brillants, les menteurs, les ratés, les alcooliques, les trop gentils, les pathétiques, les doués, les très doués, les imposteurs, les lumineux….personne n’échappe à cette narration sans issue.

Parce que Ferney ne livre pas un moyen d’échapper à nos ratages, mais nous explique pourquoi et comment ils démoliront nos vies. Et à ceux qui pensent que la peinture du mariage que brosse Alice Ferney est terrible, ce n’est rien à côté de celle qu’elle fait du divorce et de l’adultère. Pas de salut quand on quitte son foyer (à se demander quand même s’il n’y aurait pas un petit fond réactionnaire dans tout ça…). En plein hiver, et pour peu que notre couple ait un petit coup de mou, c’est LE livre à lire pour se remonter le moral !


Seuls sont épargnés les enfants du couple Serge-Marianne, sur lesquels je ne miserais pas vu l’horreur qu’ont vécu leurs parents. Le petit bonus de ce roman, c’est qu’il se termine dans le futur (enfin je suppose), vers 2030....

Un roman qui assassine le moral, qui annihile tous nos efforts pour accepter nos parents tels qu’ils sont, qui rend inutiles les manuels d’éducation, qui ne laisse aucune chance aux femmes finalement, puisque même celle qui est belle, intelligente, créatrice et chanceuse meurt seule dans son lit, délaissée par l’homme qu’elle aime…et oui, c’est ça la vie !

N’essayons pas d’être heureux, le bonheur est impossible.


Merci Alice (le pire c’est que je ne peux même pas dire que j’ai détesté ce roman…ce qui le rend d’autant plus toxique). Après, on a aussi le droit de voir la vie autrement...

C'était Galéa, en direct du prix Elle, qui en a profité pour participer aux critiques odieuses chez Mina...(ça fait du bien d'être méchant...je vous laisse aller lire les autres)

52 commentaires:

  1. On est dans la surenchère du déterminisme et de la désillusion si je comprends bien? C'est tellement plus facile que d'essayer de nuancer son propos. Vraiment pas besoin de ça, de toutes façons il ne me disait rien ce bouquin.

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    1. et pourtant Anne, je l'ai lu jusqu'au bout sans m'ennuyer, ce qui me fait penser que finalement, il y a quelque chose qui m'a parlé là-dedans, et ça c'est flippant!

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  2. Eh bien pour toi qui voulais te remonter le moral, c'est pas gagné !!!! mais qu'est-ce que j'aime tes billets !!!!

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    1. Rho Merci Liliba...ceci-dit je sais que tu aimes Ferney et je pense que les fans de l'auteur l'aimeront quand même....

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  3. Une fois de plus, je ris à ta critique. J'aime tellement ton style.
    Et si tu proposais à Ferney d'écrire un manuel d'éducation ? Comme personne ne les lit, ce serait moins toxique !!!

    Seule consolation : il a été édité par Acte Sud, le papier était agréable, non ?

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    1. oui...alors vu que pour elle, tout est plié par avance, je ne sais pas (c'est vrai que tout le monde les achète, mais personne ne les lit en entier les manuels...)

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  4. Tu l'as dit : le pire c'est de ne pas le détester
    super article je suis d'accord avec toi.
    Je n'avais pas réalisé pour les années 2030 à la fin... hum !

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    1. oui Adrien est né en 2000, Serge a 40 ans...a la fin il en a 70...je ne sais pas si elle a tenté un roman d'anticipation en fait....

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  5. J'aime bien le commentaire d'Alphonsine : L'art de trouver du positif ! Bon, c'était pas un livre pour toi quoi. Mais merci d'essuyer les plâtres. Pensées pour toi en ce moment. je me couche avec Dora.

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    1. C'est mon premier Modiano Dora...je ne sais pas ce j'en penserais maintenant...j'ai hâte de savoir ce que tu en penses Sophie.

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  6. On peut dire que tu donnes envie toi !!! C'est une auteure que j'ai envie de découvrir, mais pour l'instant, ses thèmes ne me parlent pas ..

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    1. Tu sais Aifelle, que je compte lire très prochainement "Grâce et dénuement" d'elle, tu vois comme je suis non rancunière, il paraît qu'il est magnifique....A ta place, je commencerais avec celui-là....

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  7. C'est un titre que j'avais repéré, mais à la fois déprimant et peu vraisemblable, je crois que je vais m'en passer !

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    1. Pourtant Kathel, je ne peux pas dire que je ne l'ai pas aimé, c'est vraiment l'idée générale qui me heurte un peu...

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  8. Ah mais je viens de comprendre que j'avais voté pour toi sans le savoir! Ce billet assassin sur Cherchez la femme a tout pour me plaire, même si toi tu l'as aimé plus que moi. Son déterminisme, sa description des mères, bref presque tout m'a agacée dans ce roman.

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    1. Tu avais voté pour moi? Ca c'est super sympa leader ( et sans le savoir c'est encore plus flatteur)...je sais que tu l'as détesté ce roman...

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  9. J'ai rarement autant détesté un roman. Pour moi, c'est un anti-roman : il décortique tout, au point de ne pas laisser le lecteur imaginer, deviner...

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    1. je suis d'accord...Fleur, c'est ce que je disais quand je disais qu'elle ne pariait pas sur l'intelligence du lecteur ;-)

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  10. Genre naturalisme à la Zola mais version XXIème siècle?
    Rater sa vie est une chose, mais la rater lamentablement, quel manque de panache !

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    1. oui, je dirais qu'il y a un peu de ça ZAP à la différence près qu'elle adopte un point de vue très défaitiste sur le genre humain (tu me diras Zola n'était pas d'un optimisme béat non plus)....Après tout dépend ce que l'on appelle rater lamentablement sa vie n'est ce pas?

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  11. Oui mais ......non ! La servitude volontaire c'est pas mon truc ....ADH

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  12. Si Alice Ferney passe par ici, elle ne va pas être déçue du voyage ;)
    J'ai lu d'elle sur le même thème "conversation amoureuse". J'avais plutôt bien aimé (bien qu'un peu trop bavard à mon goût).

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    1. Alors trop bavard pour Cherchez la femme est limite un euphémisme Sylire...ceci-dit j'ai hâte de lire d'elle Grâce et dénuement, tu vois je l'aime quand même un peu...

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  13. J'avais reconnu ta plume dans les critiques assassines! J'aime beaucoup ton billet et même si je suis d'accord avec toi sur de nombreux point je dois dire que j'ai aimé ce roman :-)

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    1. Mais moi aussi Enna...enfin disons que je ne l'ai pas détesté

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  14. ce livre ne me tentait pas de toute façon. Bisous

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  15. Ah mais oui, elle est l'auteur de Grâce et dénuement! (la fille qui atterrit, quoi), très très bien (même si actuellement la situation est bien toujours la même, je l'ignore?)

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  16. Bon. Je crois que je vais passer mon chemin... Une éternité que je n'ai pas lu cette auteure, je ne vais en plus m'infliger une lecture déprimante et qui se traîne...

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    1. Tout dépend Noukette de comment tu te situe vis à vis de tes parents et enfants hein? (humour)

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  17. C'est clair qu'il faut du temps et de la patience, mais on ne s'ennuie pas quand même ? Il est super ton billet en tout cas :-)

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    1. Je ne me suis pas ennuyée, mais vraiment j'aime les choses moins bavardes qui parient un minimum sur l'esprit de déduction du lecteur...Laure c'est Laure de Micmélo? (ton profil coince)

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  18. Sans aucune provocation dans mes propos, tu m'as donné envie de lire ce roman dont j'ai déjà feuilleté les pages dans une librairie...à voir !

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    1. je crois qu'il peut vraiment plaire Mind the Gap...et moi il ne m'a pas totalement déplu...;-)

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  19. L'horreur ! Lire un pavé et en ressortir laminé, tant par le fond que par la forme, très peu pour moi !

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    1. alors oui Jérôme je ne suis pas certaine qu'il soit pour toi, effectivement!!

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  20. Je n'ai pas aimé le seul livre que j'ai lu d'elle.... Ton billet, par contre, est enchanteur

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    1. J'aimerais bien savoir lequel est-ce Zazy parce que son oeuvre a l'air assez inégale non ?

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  21. Ohlala, pas envie d'être déprimé en ce moment....

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  22. "à se demander quand même s’il n’y aurait pas un petit fond réactionnaire dans tout ça" : lis sa page Wikipedia, il y a un peu de ça en effet.

    Heureusement que ton billet est très drôle. Mais flûte, ils l'ont à la bibliothèque ici.

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    1. tu es la deuxième à me signaler ça Jackie...mais je ne lis jamais les fiches wiki des auteurs puisque je préfère de très loin les romanciers aux individus...mais oui cela ne m'étonnerait pas.

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  23. J'avais bien aimé "grâce et dénuement" un peu moins "conversation amoureuse" celui-là me tente à moitié et ton billet ne me porte pas à l'écrire dans mon carnet...
    La photo des filles est adorable !
    Douce soirée Galéa !!!

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    1. Merci Enitram...tu sais que quand tu me complimentes sur une photo, cela me va droit au coeur hein...

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  24. J'adore Alice Ferney et j'ai beaucoup aimé "Cherchez la femme". Elle écrit magnifiquement bien et j'aime assez son regard sur les Hommes. Ceci étant dit, ton analyse est très pertinente et complètement fondée, cette vision très manichéenne ne m'a pas gênée mais oui il y a de ça dans Cherchez la femme !

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    1. Tu sais que ça me va droit au coeur ton comm Malika...avoir lu le même livre en ayant un avis différent et en reconnaissant le point de vue de l'autre....

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  25. J'avais beaucoup aimé la conversation amoureuse, j'avais trouvé l'élégance des veuves très beau, mais en effet, depuis, les autres ou paradis conjugal, et celui-ci en particulier (pourtant, j'insiste !), j'ai beaucoup de mal à le lire et le finir...

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    1. Je n'avais pas réussi non plus à finir les Autres ...mais je persisterai quand même parce que crois qu'elle est suffisamment inégale pour que je tente d'autres titres.
      Merci de ton passage Hélène...

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