mercredi 1 mai 2013

Villa triste-Modiano

"Que faisais-je à 18 ans au bord de ce lac , dans cette station thermale réputée? Rien." (p.21)

Villa triste a cette particularité qu'on me l'a volé il y a 4 ou 5 ans (j'avais eu la faiblesse de trop le prêter). On suppose qu'il a fini dans un vide-grenier à 1€ l'ouvrage. C'était l'édition folio illustrée par Pierre Le-Tan (qui reste pour beaucoup d'entre nous associé à l’œuvre de Modiano). Je l'ai donc racheté dans sa nouvelle version chez folio, avec une première de couverture tout à fait réussie et une quatrième assez moyenne.

Patrick Modiano, Villas Triste

Quand on relit un livre qu'on a aimé, on découvre plus de choses sur soi que sur le roman en lui même.Villa triste est le plus dépressif des livres de Modiano, mais je l'aime quand même. La Villa en question se trouve au bord d'un lac qui sépare la Suisse et la France, au coeur de la Savoie, dans une ville de province qui fait office de villégiature l'été avec des hôtel de luxe et des Sporting d'avant guerre. J'aime ces décors désuets et ces ambiances d'un autre temps.

Les personnages sont (comme toujours) des jeunes gens désœuvrés en quête d'identité. 

Un trentenaire mystérieux (et franchement paumé), revient dans une ville qu'il ne nomme pas. Il cherche à se souvenir de ses vingt ans, quand il se faisait appeler Victor Chmara, dans ce juillet d'après guerre. Il y croise dans une brasserie nocturne, le Dr Meinthe, propriétaire de la Villa triste. Peut-être fut-il son ami 10 ans auparavant, quand il faisait à la fois office de chaperon, de tuteur et de Pygmalion d'Yvonne. Yvonne est la beauté splendide, alanguie et paresseuse qui voulait devenir vedette de cinéma. C'est incroyable comme ce personnage ressurgit sous différents prénoms dans les romans de Modiano.

Modiano reste l'auteur qui observe le temps s'écouler

D'un côté, il décrit l'interminable mois de juillet savoyard, quand les amoureux se font rien qu'attendre le succès d'Yvonne. Mais Modiano s'attache aussi au temps perdu: quand Victor ne retrouve plus grand chose des lieux disparus. Et puis, entre les lignes émergent des temps oubliés. L'Occupation est bien présente dans Villa triste, la guerre d'Algérie aussi, avec tous les comportements troubles et inquiétants, les partis-pris non choisis, les traques, l'argent de provenance douteuse et les mensonges. Tous ces éléments flottent plus qu'ils ne sont posés dans le livre; c'est ça qui est génial. Mais le roman ne s'étend que sur quelques semaines finalement.

Villa triste demeure une parenthèse dans la vie du narrateur

C'est un roman dramatique qui raconte le pas de côté dans la vie du narrateur. Presque un récit d'apprentissage. Il y a les désillusions d'un amour passionné et ces moments où la vie aurait pu prendre une autre direction. Il y a la peur aussi, Modiano parle remarquablement bien de ce que les gens angoissés connaissent: la panique.

"Une fleur qui ouvrait lentement ses pétales un peu plus haut que le nombril" (p.22)

Il évoque aussi les instants de bonheur parfait, dans un obscur garage où Victor se sent heureux. C'est un livre triste, sur l'espoir et la crainte quand on est un peu largué à 20 ans. C'est un roman sans amertume, parce que Victor a ce qu'il appelle ses "sentinelles", des personnages masculins qui pourraient ressembler à des figures paternelles : "ces êtres mystérieux - toujours les mêmes - qui se tiennent en sentinelle à chaque carrefour de votre vie" (p.63)

Même jeune, Modiano était déjà vieux et nostalgique

Évidemment, c'est un compliment. Il faut avoir sacrément réfléchi à la vie et à sa perte pour écrire un tel roman à 29 ans. Il faut déjà avoir perdu cette légèreté et cette arrogance de la jeunesse pour poser des mots aussi justes. Celui qui se fait appeler Victor n'a que trente ans et se plonge déjà dans son passé et sa jeunesse perdue. Le commun des mortels ne s'aperçoit que trop tard que le temps a disparu.

De toute manière, tout ce que je pourrais en dire ne rendra pas justice à l’atmosphère de ce beau roman.

J'espère que quelqu'un a acheté Villa triste au vide-grenier, se disant que pour 1€ ça se tentait, et si ça a permis à cette personne de découvrir et d'aimer Modiano, ce n'est pas très grave qu'on me l'ait volé ;-)

Patrick Modiano, Villa triste, 1975, folio, 2012, 209 p.

36 commentaires:

  1. J'ai Modiano dans ma PAL avec Voyage de Noces. Je veux absolument le découvrir depuis que je t'ai découverte toi ! :D Nan mais c'est vrai et j'espère l'aimer ;) Faut-il encore que je puisse le lire !!!! arf j'en ai tant à lire c'est vraiment frustrant mais tellement excitant aussi :D
    bisous ;)

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    1. Modiano plaît ou pas! Certains restent très réfractaires à son style minimaliste et son écriture a une sonorité très particulière. Laure, même si tu ne l'aimes pas autant que moi, nous resterons copinautes ;-) Chacune ses auteurs fétiches (nous n'avons pas tous les mêmes passifs affectifs dans la vie...je dis ça je dis rien comme toujours...)

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    2. Oui je suis tout à fait d'accord avec toi ;) L'affection que je peux avoir pour une personne ne va pas dépendre de ses lectures ;) Par contre j'ai envie de découvrir ce que cette personne aime :) (on parle de toi là LOL)

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    3. Ca m'a fait le même effet avec Bobin te concernant.

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  2. J'en avais l'intution depuis un moment, et là tu enfonces le clou: c'est vraiment une honte que je ne me sois jamais intéressée à cet auteur.
    Le probleme en te lisant, c'est que je n'arriverais jamais à tenir le rythme des livres que tu conseilles et dont tu parles si bien! La vérité, ca craint!
    En tout ca, ce Modiano là sera sans doute mon premier de lui...sauf si je le choure à quelqu'un qui ne l'a pas.

    PS: je me sens seule de savoir que toi aussi tu portes ce prénom sur ta CNI, merciii :) nous ne sommes pas tres nombreuses ( de notre génération bien sûr:))

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    1. Je m'occupe de te le faire découvrir....
      PS: Par chez nous, YVonne, Yvon, Yves sont quand même des prénoms très donnés. Et quand ils ne sont plus à la mode, nous parents les mettent à la suite des autres ;-)

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  3. je crois que si on me volait mes bouquins fétiches je me ferai une joie d'avoir recours à la "coupdepiedauculthérapie" et j'appliquerai moi même le traitement! ceci dit mon premier Modiano fut "de si braves garçons" dont j'ai l'impression qu'il ressemble enormément à celui-là, non? et puis une certaine Zophie m'a passé "place de l'étoile" (dont j'ai aimé le côté virtuose et schizophrène....et j'ai "les boulevards des ceintures" qu'il faut que je lise et que je rende également à Zophie avant qu'elle me trucide ou m'envoie la brigade des "récupérateurs sanguinaires des bouquins prêtés" .....gloups

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    1. C'est drôle, je n'ai pas du tout aimé "Place de l'étoile", j'en était limite meurtrie, je trouvais que ça partait dans tous les sens, c'est incroyable comme il ne ressemble pas au reste de son oeuvre...Mais quand viendra son tour d'être relu, je serai peut-être moins sévère.

      POur être très honnête, j'étais limite hystérique au vide-grenier, mais je n'ai pas voulu me mettre la honte devant ma copine qui l'organisait ;-)

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    2. Mais qui est cette mystérieuse Zophie dont j'entends parler depuis facebook jusqu'ici?...

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  4. Où l'on a confirmation que les malotrus, cela existe vraiment... (et encore, ceci est la version polie...). Bon, il va vraiment falloir que je lise sérieusement Modiano ;-)
    En ce moment, je suis plongée dans Goethe, c'est bien aussi :-))

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    1. malotru. ....c'est apres la coupdepiedauculthérapie. .....(pardon! )

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    2. Goethe me rappelle mes années de lycée, avec allemand première lange, je le lisais en VO, une gageure... j’essaierai en français un jour.

      Malotru...un vilain mot qui ressemble bien à ce que je pense de ce voleur (je le hais)

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  5. Modiano pour moi, c'est pour toujours! Je t'accompagnerais bien dans ta lecture ou relecture d'un de ses titres par mois sauf que je peine trop dans mes programmations en ce moment et préfère laisser faire le hasard. Les trois derniers que j'ai lus de lui sont: "Dans le café de la jeunesse perdue", "Du plus loin de l'oubli" et "L'herbe des nuits". Rien que ses titres déjà, je les trouve magnifiques.

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    1. Oui, Mango je sais que nous partageons une tendresse pour Modiano...c'est vrai qu'il sait choisir de beaux titres; et ce n'est pas un détail.

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  6. J'ai beaucoup aimé les premiers Modiano, puis je me suis lassée. J'en ai essayé deux autres plus récemment sans réellement accrocher. Mais l'homme me plaît toujours énormément :-)

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    1. Je te rejoins complètement Aifelle, je trouve que la période 1970-1990 abrite ses meilleurs romans, mais je ne me lasse pas de ceux qu'il a écrits récemment , je suis une vraie modianette!

      PS: tu as enfin retrouvé un ordi?

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    2. Non, mais il est commandé et j'ai bon espoir pour la semaine prochaine .. Bonne fin de week-end.

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    3. Ca c'est une super bonne nouvelle. TRès bon week-end à toi Aifelle la matinale!

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  7. Je m'amuse de la façon dont vous détournez le geste voleur de Mr...... en une action presque positive.
    Une technique d'auto-défense à votre insu ?
    Dans tous les cas, ça semble vous aidez à avaler la pilule Me Galéa !
    La petite allusion au Grand Meaulne me fait frissonner.....
    Mr Modiano, je viendrai peut-être lire chez vous un jour.
    Mme Galéa, je vous souhaite une très bonne fin de journée.

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    1. Merci chère Anonyme, si Modiano devait arriver vers chez vous, j'espère que vous me direz ce que vous en avez pensé...
      Et oui, j'essaie d'en voir quelque chose de positif, j'en ai presque pleuré quand j'ai vu que mes poches avaient disparu...
      Belle journée ensoleillée à vous

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  8. Il faudrait que je le relise et tu m'en donnes envie, car il y a très longtemps...
    La villa est très belle sur ta photo!

    Et quand on connait son voleur, cela doit être terrible!!!!
    Et quand on les prête et qu'ils ne reviennent pas...
    Belle soirée !

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    1. En l’occurrence, Enitram, je ne prête pas mes Modiano, je les offre généralement...et puis bon je n'ai pas de preuve malheureusement.
      La villa a été ravalée depuis, elle a beaucoup perdu de son cachet.
      Belle journée

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  9. Oh mais quelle bonne idée de relire un livre par mois d'un auteur ! Je trouve qu'on ne relit pas assez. On est tellement sollicité par les parutions qu'on néglige la relecture et l'approfondissement des oeuvres qui nous ont marqués.
    Bon week end.

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    1. Je ne l'aurais pas mieux dit Bonheur du jour, c'est tellement bien de revenir aux livres qui nous ont marquée...
      Bon lundi.

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  10. Il faudra que je le lise un jour, il faudra....

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    1. Je serais curieuse d'avoir ton sentiment sur MOdiano.

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  11. Très joli billet, critique qui suscite l'intérêt... et grande mansuétude !

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    1. Vous me flattez Gustave, merci beaucoup (pour être honnête c'est une mansuétude de circonstance, un trait littéraire plus qu'une caractéristique profonde de mon caractère)...
      Merci de votre passage.

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  12. Et dire que je n'ai jamais rien lu de Modiano !!!! Par lequel devrais-je commencer selon toi ?

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    1. Moi j'ai commencé par "Dora Bruder" qui avait tout de suite interpellé quelque chose chez moi. Il faut, à mon avis, commencer par la première période Modiano. Son Goncourt est très réussi "Rue des boutiques obscures", "Dimanches d'août" a un côté palpitant, "Livret de famille" et "Un pédigrée"m'avaient beaucoup touchée. Bref...tu as le choix

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  13. J'ai lu deux Modiano et j'ai compris que ce n'était pas pour moi. Je m'ennuie.

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  14. ....
    Hannnnn! Valérie tu me meurtris l'âme!

    Plus sérieusement, Modiano a un style et une cadence très particuliers, je peux comprendre qu'on y reste insensible (essentiellement parce que je suis quelqu'un de très ouvert d'esprit et pas du tout obtus...arghhhh! ça me coûte quand même. Tu es sûre que tu en as lu deux?
    Ok j'abandonne...;-)

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  15. Je cherchais à retrouver un titre de Modiano que j'avais particulièrement aimé et il s'agit de "Villa Triste" en effet. Merci pour ce billet qui me le remémore si bien. Bon dimanche.

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    1. Mais de rien, c'est avec plaisir Hécate, et bienvenue ici ;-)

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  16. Je suis d'Annecy. J'ai été au même collège que Modiano, à Thônes. Mais plus âgé que lui, je ne l'ai pas distingué parmi les plus jeunes, à l'époque. Je ne l'ai jamais rencontré.
    Je viens de lire "Dora Bruder". N'étant pas parisien, j'ai été bluffé par le luxe de détails sur les rues et les lieus qu'il aurait parcourus dans sa quête de cette jeune fille embarquée 20 ou 30 ans avant vers un camp de concentration.
    En ouvrant "Villa Triste", je retrouve le même luxe de précisions géographiques. Mais cette fois, je suis en terrain connu, au bord du lac: Avenue d'Albigny, Rue Royale, Hôtel Verdun, Chavoire, Veyrier du Lac... et beaucoup d'autres, auxquels s'ajoutent quelques nom insolites que, dans un premier temps, je pense avoir oublié. Manifestement, je suis à Annecy et ses environs. Mais lorsqu'il parle de la Suisse que l'on aperçoit sur la rive opposée, c'est pour moi un choc. Il a transposé quelques connaissances géographiques d'Annecy à environ 40 kms plus loin, au bord du Lac Léman, dans une petite ville imaginaire. C'est le droit d'un romancier, et je ne lui conteste pas. Mais pour moi ça a créé un blocage. Je n'arrive plus à lire la suite.

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    1. Je comprends très bien votre sentiment René, d'autant que dans Villa Triste il y a un Boulevard Carabacel qui est niçois. Modiano ne fait que de la fiction dans Villa Triste, sa géographie est complètement approximative et plusieurs lieux se mêlent toujours ensemble, il ne faut pas chercher à reconnaître des endroits connus. Mais c'est passionnant ce que vous dîtes, je comprends votre blocage (et je le regrette bien sûr). Merci beaucoup d'être venu jusqu'ici.
      Bonne soirée

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